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pléonasme. De manière dérivée, économie peut aussi signifier organisation, voire
bonne organisation, celle que met en place le bon gérant, le bon économe. Plus
largement, on peut aussi parler de l'économie d'un texte, d'un paysage, du vivant, etc.
Dans un contexte religieux, en passant par Byzance et à nouveau par le grec,
l'économie (oikonomia) est un terme d'une extrême plasticité sémantique, pivot du
dispositif rhétorique de la théologie permettant, paradoxalement, de rendre compte de
l'indicible, de l'inconnaissable, des mystères du divin5. Peu ou prou, toutes ces
significations subsistent.
Cependant, hors contexte spécifié, c'est-à-dire dans le contexte par
défaut qui est le nôtre, celui de citoyens ordinaires des pays de l'OCDE, économie
est actuellement compris comme la forme abrégée d'économie politique. Or, on le
sait, ce contexte par défaut est une construction culturelle et historique relativement
récente. En témoigne, entre autre, la très faible fréquence d'emploi de cette
expression, pourtant audacieusement inventée par Montchrétien6 dès 1615, jusqu'au
milieu du XVIIIème siècle. Pour l'élite éclairée de ces époques, imprégnée de culture
humaniste, lisant le grec, connaissant par exemple l'Économique de Xénophon7,
l'économie politique est encore un oxymoron, une contradiction dans les
termes!:!l'oïkos n'est pas la polis ; le domaine n'est pas la cité.
Économie politique et commerce
Pourquoi ces détours étymologiques pour parler de «!nouvelle
économie!»? C'est parce que je crois éclairant pour spécifier ce qu'est l'économie de
quitter notre moment historique, celui de sa trop grande évidence, pour retrouver les
mots qui antérieurement la désignaient. Ainsi, en 1755 encore, près d'un siècle et
demi après Montchrétien, dans son justement célèbre «!Essai sur la nature du
commerce en général!»8, à aucun moment Richard Cantillon n'utilise le mot
économie, pas plus qu'il n'apparaît dans les titres des ouvrages des auteurs qu'il cite.
Que Cantillon traite d'économie politique est pourtant de manière rétrospective pour
5 Marie-José Mondzain écrit plus précisément : «!Les dissensions possibles entre certains niveaux, comme par exemple
le fait que le terme oikonomia puisse ici désigner les relations trinitaires ou bien la personne du Christ, et là l'artifice, la
concession ou le mensonge pieusement finalisés, nous obligent à comprendre que nous avons affaire à l'opérateur
conceptuel qui fonde une science du contexte, de l'opportunité et de l'art, en un mot : de l'adaptation de la loi à sa
manifestation ou à son application dans la réalité vivante. Loin d'entériner la disjonction de la vérité et de la réalité,
l'économie deviendra l'opérateur de leur réconciliation fonctionnelle.» Marie-José Mondzain, Image, icône, économie.
Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain., Seuil, 1996, p 31
6«En 1615 le Traicté de l'oeconomie politique de Montchrétien réunit pour la première fois sous son titre des notions
traditionnellement isolées. Le projet d'associer l'examen des affaires domestiques (l'économie) et celles de l'État (la
politique) est nouveau. L'invention sémantique cependant paraît bien fortuite. L'auteur l'oublie dans les six cents pages de
son texte; le privilège royal obtenu le 12 août 1615 mentionnait d'ailleurs un autre intitulé : c'était le Traicté oeconomique
du trafic. Cette rature est exemplaire. Les disciplines naissantes, on le sait bien, manquent toujours du vocabulaire
pertinent.» Jean-Claude Perrot in Une Histoire intellectuelle de l'économie politique, p 63, Éditions EHESS, Paris, 1992.
7 «L'Économique de Xénophon, ce manuel du gentleman-farmer, écrit vers 375 av. J.-C.» dixit malicieusement Moses I.
Finley. Voir : Économie et société en Grèce ancienne, La Découverte édit., 1984, p 146.
8 Essai sur la nature du commerce en général, éditions de l'INED, 1952, Paris