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© Cerveau & Psycho - N° 28
Vers un modèle unifié de la mémoire
Francis EUSTACHE et Béatrice DESGRANGES
II existerait au moins cinq formes de mémoire, les unes stockant les événements, les autres le sens de ce qui nous entoure,
d'autres encore des séquences de gestes.
Ces mémoires sont relativement indépendantes, mais c'est leur articulation qui permet à la fois d'accéder à notre passé, de
forger notre identité et d'acquérir de multiples compétences.
Aujourd'hui, psychologues et neuroscientifiques précisent la logique de ces interactions entre différents types de mémoire.
En 2005, les neuropsychologues Endel Tulving et Shayna Rosenbaum publièrent l'étude clinique d'un patient nom
K.C. Ce dernier avait été victime d'un accident de moto, une vingtaine d'années plus tôt. et avait déjà fait l'objet de nombreuses
études psychologiques, car sa mémoire était perturbée. Il était incapable de se remémorer aucun événement précis de sa vie,
mais conservait la mémoire des informations générales qu'il avait de lui-même et du monde. Les principaux événements
historiques, le nom des pays, les études qu'il avait faites, le nom de ses proches, tout cela lui était connu. En somme, il gardait le
souvenir des connaissances générales, mais avait perdu celui des épisodes précis de sa vie, liés à un lieu ou à une date.
Cet exemple montre que la mémoire n'est pas un bloc uniforme. 11 existe plusieurs formes de mémoire. Certaines
enregistrent des événements liés à un contexte (le souvenir d'une fête, d'un moment particulier) : c'est la mémoire épisodique ;
d'autres stockent des connaissances sur soi ou sur le monde (connaître sa date de naissance, par exemple, ou savoir que le Nil est
un fleuve d'Egypte) : c'est la mémoire sémantique. On pense aujourd'hui qu'il existe cinq types fondamentaux de mémoire : les
mémoires épisodique, sémantique, perceptive, la mémoire de travail et la mémoire procédurale, sur laquelle nous reviendrons.
En fonction des époques ou des écoles, certains psychologues ou neuroscientifiques ont plutôt mis l'accent sur l'une ou
l'autre de ces formes de mémoire. Ainsi, Endel Tulving, de l'Université de Toronto, un personnage de premier plan dans les
recherches sur la mémoire, a longtemps pensé que la mémoire la plus déterminante était la mémoire épisodique. Un autre
neuropsychologue, Alan Baddeley, de l'Université de Cambridge, s'est focalisé sur ce que l'on nomme la mémoire de travail, qui
permet par exemple de retenir un numéro de téléphone, juste assez longtemps pour le composer. D'autres travaux se sont
concentrés sur la mémoire perceptive, qui imprime de façon relativement automatique et involontaire l'image des objets que
nous voyons, sans les rattacher forcément à un sens ou à un contexte. Enfin, certaines recherches ont mis l'accent sur la mémoire
procédurale, qui sert à mémoriser notamment des séquences motrices : elle permet d'apprendre à faire du vélo, sans retenir
nécessairement le lieu ou le moment de cet apprentissage.
Cinq grands types de mémoire
Depuis des décennies, des données innombrables ont ainsi été accumulées sur ces différentes formes de la mémoire.
Aujourd'hui, l'état de la recherche semble avoir atteint un point de maturation critique, qui appelle un travail d'unification.
Comprendre les rôles dévolus aux différentes mémoires, ainsi que leurs articulations et leurs interactions, devient crucial pour
saisir l'objet de notre étude, la mémoire en tant que telle. Dans cet article, nous présenterons le cadre conceptuel que nous avons
élaboré au fil de plusieurs années de réflexion, et qui propose une approche globalisée de la mémoire humaine, en réunissant les
cinq grands types de mémoire.
En 2001, E. Tulving a proposé une organisation hiérarchisée de trois mémoires qualifiées de représentations à long
terme, car elles stockent des informations sur des durées prolongées : la mémoire perceptive, la mémoire sémantique et la
mémoire épisodique.
La mémoire perceptive est la mémoire du percept avant même qu'il ait une signification. Par exemple, dans le cadre de
la perception visuelle, on perçoit parfois une forme avant de l'identifier. Déjà à ce stade, le cerveau garde une première trace de
ce qu'il a perçu. L'existence de cette trace peut être constatée expérimentalement : un sujet perçoit une forme et si,
ultérieurement, on lui montre un fragment de cette forme, il l'identifie plus rapidement que s'il n'a pas été exposé préalablement
à la forme entière. Il s'est produit un effet qualifié d'amorçage perceptif, où la présentation initiale de la forme entière, sans accès
au sens de cette forme, a amorcé la reconnaissance ultérieure d'un fragment de cette forme. En voyant le fragment d'un motif
visuel, le cerveau réactive la trace mnésique de la forme entière.
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La mémoire sémantique nous est familière : lorsque nous apprenons que Moscou est la capitale de la Russie, nous ne
mémorisons pas un percept, mais un sens, une connaissance. Ce type de mémorisation repose sur la mémoire sémantique.
Toutes les connaissances générales que nous accumulons, y compris sur nous-mêmes sont du ressort de ce type de mémoire, qui
ne suppose pas de se remémorer un événement précis, ni un percept.
Enfin, la mémoire épisodique concerne le souvenir d'instants uniques, bien localisés dans le temps et dans l'espace.
Tout souvenir épisodique est associé à un instant et à un lieu, ce qui n'est pas le cas de la mémoire sémantique. Se souvenir du
moment où l'on a appris la nouvelle des attentats du 11 Septembre, par exemple, fait appel à la mémoire épisodique : on se
rappelle un instant, un lieu ou un environnement précis.
Ces trois formes de mémoire sont distinctes, ce que confirment les cas cliniques étudiés : certaines personnes perdent
toute capacité de mémoriser des événements (leur mémoire épisodique est touchée), mais gardent la capacité d'apprendre de
nouveaux concepts, ce qui fait appel à la mémoire sémantique. Elles peuvent, par exemple, apprendre ce qu'est le Sida, mais ne
pas se souvenir de la personne qui le leur a appris, ni de l'endroit où la conversation a eu lieu.
Mémoire de travail et mémoire procédurale
Outre les mémoires perceptive, sémantique et épisodique, les mémoires de travail et procédurale doivent être prises en
compte dans un modèle global de la mémoire. La mémoire de travail est à l'œuvre à tout instant de notre vie consciente. C'est
elle qui maintient présentes à l'esprit les informations dont nous avons besoin en temps réel pour parler, imaginer, réfléchir,
calculer. Prenez l'exemple très simple d'un ami qui vous appelle au téléphone pour vous donner rendez-vous. 11 vous indique le
lieu du rendez-vous et vous précise comment y aller. Vous avez retenu le mode de transport à emprunter, et le questionnez sur
l'arrêt où il faut descendre. Ce faisant, vous avez maintenu présente à votre esprit, durant la conversation, une information (le
mode de transport) et avez réfléchi à partir de cette donnée. Cette opération nécessite de maintenir l'information présente à la
conscience, ce qui est du ressort de la mémoire de travail.
Sans doute cette information sera-t-elle oubliée le lendemain, mais elle doit être maintenue en mémoire durant
l'opération. La mémoire de travail participe ainsi activement à la création d'une conscience du présent. De même, lorsque vous
réalisez l'opération mentale 4x12-5, vous réalisez d'abord la multiplication 4x 12 = 48, et vous retenez ce résultat mentalement,
le temps d'en retrancher 5. C'est la mémoire de travail qui mémorise le nombre 48 pendant quelques instants, avant de le lâcher.
Là encore, la mémoire de travail est une composante à part entière de la mémoire, puisque certains amnésiques ont une mémoire
de travail intacte, alors que leur mémoire épisodique, par exemple, peut être déficiente.
1 - Les souvenirs sont-ils classés dans des « tiroirs » mentaux ? Non ; même si les différents types de mémoire sont relativement
indépendants, ils sont entremêlés et interagissent
Enfin, la mémoire procédurale concerne l'apprentissage et le stockage des compétences : apprendre à skier, à faire du
vélo, à jouer d'un instrument, à marcher même. La mémoire procédurale est indépendante des autres types de mémoire. Un
exemple simple l'illustre : lorsque vous arrivez dans un nouveau logement, vous apprenez le code de l'immeuble. Au début, vous
mémorisez mentalement la séquence de chiffres ou de lettres. Vous activez votre mémoire épisodique et votre mémoire
sémantique (car il s'agit d'une connaissance). Mais à force de pianoter les touches du digicode, vous adoptez progressivement
une séquence de gestes machinaux. Cette séquence s'automatise, et un jour, lorsqu'un ami vous demande le code au téléphone,
vous vous apercevez que vous avez du mal à vous rappeler le code sous forme de chiffres. Votre souvenir du code a disparu,
faisant place à une trace procédurale : vous savez faire le code avec vos doigts, mais vous avez oublié les chiffres.
La mémoire procédurale est en partie dissociée de la mémoire épisodique, puisque l'on peut apprendre à un amnésique
à faire du vélo : il aura oublié tout ce qui s'est passé pendant les jours où on lui a enseigné à faire du vélo, mais il aura assimilé,
par sa mémoire procédurale, les gestes à faire pour pédaler et se tenir en équilibre.
Des mémoires qui interagissent
Toutes ces mémoires ont leur logique propre, leur existence individuelle, et la mémoire est une entité composite formée
de différents modules. Comment ces différents modules interagissent-ils ? Pour E. Tulving, les mémoires perceptive, sémantique
et épisodique forment une chaîne conduisant à la formation (on dit aussi encodage) du souvenir. Au sein de ce modèle,
l'encodage est dit sériel, c'est-à-dire qu'il commence parla mémoire perceptive, se poursuit par la mémoire sémantique et se
termine par la mémoire épisodique. En d'autres termes, le souvenir commence par la perception pour accéder au sens et enfin à
l'événement (voir la figure 2).
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2 - L'encodage d'un souvenir met d'abord en jeu la building, d'un avion et d'une explosion) et enfin la mémoire perceptive (la
perception visuelle d'un avion mémoire épisodique (on se souvient que l'on regardait et d'une explosion), puis vient la mémoire
sémantique la télévision chez un ami quand les premières images (les éléments perçus acquièrent un sens : il s'agit d'un ont été
diffusées).
Concrètement, comment se déroule cette séquence ? Lorsque vous avez vu les images des attentats du 11 Septembre
2001 à la télévision, votre cerveau a d'abord mémorisé des percepts : l'image d'un avion, d'une tour, d'une explosion. Cet
encodage dit perceptif est très rapide et se concentre sur des motifs visuels, sans que l'on puisse associer un sens aux éléments de
la scène. Puis, ces percepts acquièrent un sens : on prend conscience que la scène représente un avion qui s'écrase contre une
tour, provoquant une explosion. Enfin se crée la mémoire de l'événement, à savoir l'attentat du 11 Septembre en tant que scène
se déroulant à New York à une date précise, mais aussi en tant que scène vue sur le téléviseur dans l'appartement de son meilleur
camarade alors qu'on était en train de regarder un film, mais que le programme a été interrompu pour annoncer la nouvelle.
L'événement a définitivement pris forme, et vous vous en souviendrez sous cette forme unifiée, datée et localisée.
Nous formons régulièrement des souvenirs épisodiques plus personnels et plus « banals » que ceux du 11 Septembre,
mais ils ne sont pas tous mémorisés de façon aussi durable. Finalement, nous ne retenons qu'une quantité assez faible de
souvenirs épisodiques de nos vies : il s'agit d'événements marquants, de rencontres avec des personnes importantes, de fêtes
pleines d'émotion, de moments de transition.
Voilà ce que recouvre le modèle dit « sériel » de E. Tulving. En dépit de l'avancée qu'il représente, nous pensons
aujourd'hui que cette vision doit être complétée, pour aboutir à une conception plus globale des interactions entre les différentes
formes de mémoire. Au Laboratoire de Caen, nous avons élaboré un cadre conceptuel nommé MNESIS (pour Modèle
NÉoStructural InterSystémique de la mémoire humaine) qui représente l'ensemble des interactions aujourd'hui répertoriées entre
les différentes mémoires.
En quoi consiste ce modèle ? Par rapport à celui de E. Tulving, ce nouveau cadre intègre notamment des connexions
directes entre les mémoires perceptive et épisodique (voir la figure 3). Cette relation a été mise en évidence par une expérience
réalisée dans notre équipe : on faisait écouter certains mots à des volontaires, un nombre variable de fois. Puis les volontaires
devaient entendre des enregistrements « dégradés » (au milieu d'un bruit d'applaudissement ou de course automobile) d'une série
de mots - dont ceux qu'ils avaient entendus préalablement. Nous avons constaté que, plus un mot avait été entendu de fois,
mieux les volontaires l'identifiaient dans sa version « dégradée ». Cet effet est dû à la mémoire perceptive du mot, qui fait que sa
trace affleure à la conscience et que même des indices partiels de ce mot suffisent à réactiver cette trace. Il s'agit là de
mémorisation perceptive.
3. Les liens entre mémoire perceptive et mémoire épisodique peuvent apparaître dans une situation où un individu entend des
mots, dont un ( Soleil) est prononcé plusieurs fois (a). Puis il doit identifier des mots (dont Soleif) au milieu de bruits parasites
(applaudissements ou bruits de voiture). Le mot Soleil est identifié malgré le bruit de voiture (b), ce qui montre qu'il été gravé
dans la mémoire perceptive. On évalue ensuite la mémoire épisodique du volontaire, en diffusant des mots - dont Soleil- et en
lui demandant de préciser s'il se souvient dans quel contexte sonore il les a entendus. S'il sait identifier le mot Soleil (c) en
indiquant les conditions où il l'a entendu (un bruit de voiture), c'est qu'il en a acquis une bonne mémoire épisodique. Cette
expérience montre qu'une bonne mémorisation perceptive est associée à une bonne mémorisation épisodique.
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Nous avons ensuite constaté que, plus la mémorisation perceptive était forte, plus les volontaires avaient également
mémorisé ces mots de façon épisodique. Pour cela, nous leur avons fait écouter un certain nombre de mots, parmi lesquels se
trouvaient ceux qu'ils avaient entendus initialement. Pour chaque mot entendu, on leur demandait s'ils l'avaient déjà entendu
auparavant. De plus, ils devaient préciser « s'ils savaient qu'ils avaient entendu ce mot », ou « s'ils se souvenaient réellement de
l'avoir entendu, et se rappelaient le contexte où ils l'avaient entendu » (applaudissements ou course automobile). Dans ce dernier
cas seulement, on pouvait considérer qu'ils avaient formé un souvenir épisodique du moment où ils avaient entendu ce mot.
Nous avons constaté que la tendance à former un souvenir épisodique dans ces conditions est liée à la force de la
mémoire perceptive préalablement évaluée. Ainsi, ces deux types de mémoire sont liés. Les effets d'amorçage perceptif, qui
reflètent l'activité de la mémoire perceptive, renforcent la création de souvenirs épisodiques. L'amorçage perceptif correspond au
fait d'avoir été en contact perceptif avec un objet, ce qui facilite le traitement perceptif ultérieur de cet objet, à l'insu du sujet.
Néanmoins, toutes les informations contenues dans ces mémoires perceptives n'accèdent pas au statut de souvenir
épisodique. Le modèle de E. Tulving postule que certains souvenirs passent de la mémoire perceptive à la mémoire sémantique
sans accéder à la mémoire épisodique. Dans ce cas, il y a formation de connaissances (sur le monde comme sur soi) sans recours
à la mémoire épisodique, c'est-à-dire sans la formation de souvenirs. Par exemple, des patients amnésiques peuvent apprendre
une méthode de programmation informatique ou une nouvelle langue, tout en oubliant les circonstances où ils ont appris ces
nouvelles connaissances.
De l'épisode au sens
Cette proposition théorique est issue de l'étude de cas pathologiques, et rend compte de certaines capacités résiduelles
de patients amnésiques. Elle s'applique sans doute à un autre degré aux capacités d'acquisition des connaissances sémantiques de
l'enfant chez qui la mémoire épisodique n'a pas atteint son fonctionnement optimal. Ainsi, des enfants peuvent apprendre la
signification d'une multitude d'objets, par exemple, tout en gardant très peu de souvenirs épisodiques avant l'âge de trois ans.
Tout en reconnaissant la formation de connaissances sans souvenirs, notre modèle considère également des liens
descendants qui vont de la mémoire épisodique à la mémoire sémantique et aux mémoires perceptives, c'est-à-dire à contresens
du modèle de E. Tulving. Ainsi, certaines de nos connaissances générales sur le monde (mémoire sémantique) se forment à
partir de souvenirs épisodiques. C'est le cas lors des fêtes d'anniversaire. Enfants, nous mémorisons d'abord le souvenir d'un
anniversaire particulier, ce qui mobilise la mémoire épisodique. Mais à mesure que les anniversaires se répètent, la plupart de
ces souvenirs épisodiques perdent leur spécificité et se fondent dans une connaissance plus générale appartenant au registre de la
mémoire sémantique, pour donner lieu au « concept d'anniversaire ». La plupart de ces anniversaires seront oubliés en tant
qu'événements, à l'exception de certains qui se distinguent par un détail inhabituel. On parle alors de sémantisation des souvenirs
épisodiques.
Cela amène une remarque importante : nous n'avons pas autant de souvenirs épisodiques qu'on pourrait le croire.
L'immense majorité des souvenirs formés est oubliée. Si toutes les situations que nous vivons étaient enregistrées en tant
qu'événements uniques, nous n'aurions sans doute pas l'opportunité de dégager des points communs entre ces épisodes, et nous
n'aurions peut-être pas accès au sens des choses.
La plupart des jours de notre vie ne sont pas mémoris comme souvenirs épisodiques ; en revanche, nous n'oublions
pas ce qu'ils nous ont appris. Ainsi, les journées sur notre lieu de travail ne laisseront aucune trace dans notre mémoire
épisodique, même si nous y apprenons le sens de certains concepts ou l'usage de certains savoir-faire. Ce que nous gardons en
termes de mémoire épisodique, ce sont des moments emblématiques, des ruptures dans les différentes phases de la vie, des
événements ayant un statut particulier, des situations de danger ou de bonheur intense.
La force des reviviscences
Un autre aspect des relations entre différents types de mémoire est représenté par les liens « descendants » entre
mémoire épisodique et mémoire perceptive. Ces derniers renvoient aux phénomènes de reviviscence : il arrive qu'en se rappelant
un événement marquant, surtout les premières fois, on se représente la scène avec son cortège d'émotions, de façon concrète en
revoyant certains détails et en ayant l'impression de revivre l'événement. Cette reconstitution ranime les souvenirs perceptifs de
l'événement et cette « reviviscence » participe à la consolidation du souvenir.
Il semble en effet que le cerveau réactive les perceptions liées à un événement pour mieux mémoriser cet événement.
C'est ce que laissent penser les expériences réalisées par Pierre Maquet, de l'Université de Liège. Lorsqu'une personne a été
soumise à des apprentissages intensifs pendant la journée (par exemple, apprendre à distinguer certains motifs visuels
complexes), son cerveau se réactive de la même façon pendant le sommeil, comme s'il réactivait les perceptions visuelles liées à
l'apprentissage. Cette « répétition pendant le sommeil » permet à la personne de tirer les bénéfices de son apprentissage, car elle
réalise plus efficacement les mêmes tâches le lendemain.
Ce processus de consolidation ne constitue pas un simple renforcement du souvenir, mais implique nécessairement sa
modification. En effet, lorsque l'on se souvient d'un épisode, des mémoires perceptives sont réactivées, mais certaines le sont
davantage que d'autres. Dès lors, le souvenir est « réécrit ». L'événement est perçu dans une version où ces détails auront été
rendus plus saillants. Les reviviscences conduisent à exagérer certains détails, et de réécriture en réécriture, le souvenir atteint le
statut d'un tableau dont vous aurez été l'artisan, souvent bien involontaire. Ce souvenir se sera éloigné de la réalité. Une telle
consolidation semble intervenir en grande partie durant le sommeil. Des recherches menées au sein de notre équipe montrent
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que le sommeil profond permet la consolidation des représentations épisodiques et sémantiques, alors que le sommeil paradoxal
renforcerait davantage la mémoire procédurale.
Pour parvenir à une vision unifiée de la mémoire, nous avons jusqu'ici précisé les relations existant entre les trois
mémoires de représentation à long terme (mémoire perceptive, mémoire sémantique et mémoire épisodique). Abordons à
présent les liens de ces trois mémoires avec la mémoire de travail et la mémoire procédurale. Selon A. Baddeley, la mémoire de
travail se présente comme un système formé de différentes composantes : d'une part, ce qu'il nomme un administrateur central,
qui oriente l'attention vers différents aspects de l'information à mémoriser et, d'autre part, des « systèmes satellites » qui
maintiennent les informations présentes à la conscience. Ces systèmes satellites sont notamment la boucle phonologique qui
maintient présentes les informations verbales, et le calepin visuo-spatial qui forme et maintient des images mentales (voir
l'encadré).
Comment les cinq grands type de mémoire interagissent
La mémoire se compose de cinq grands types, répartis en trois catégories : les mémoires de représentation à long terme (mémoires perceptive, sémantique et
épisodique), la mémoire de travail et la mémoire procédurale - mémoire d'action. Dans les mémoires de représentation à long terme, on distingue une voie
ascendante et des voies descendantes.
Dans la voie ascendante, les mémoires perceptives nourrissent la mémoire sémantique, qui alimente la mémoire épisodique -on mémorise d'abord des images et
des sons, puis le sens de ces impressions- enfin, le sens des divers éléments d'un événement entraîne la mémorisation de l'événement en soi, associé à un lieu et
une date.
Dans la voie descendante, le fait de se remémorer un événement (mémoire épisodique) va changer le sens attribué à cet événement (étant adulte, on n'attribue
plus le même sens à ses actes d'adolescents lorsqu'on y repense). De même, la mémoire d'un événement réactive des éléments perceptifs (images, sons, odeurs)
qui sont modifiés par leur propre réactivation.
Dans la deuxième catégorie (mémoire de travail), on distingue trois facultés : d'une part, celle de garder présents à l'esprit, à tout instant, un certain nombre de
mots lorsque quelqu'un parle, ou de chiffres lorsqu'on nous dicte un numéro de téléphone - c'est ce que l'on nomme la boucle phonologique. D'autre part, la
faculté de se représenter une scène visuelle (par exemple, l'habitacle d'une automobile) et de la visiter par l'esprit, de se concentrer visuellement sur le levier de
vitesses, l'autoradio...
Enfin, l'administrateur central donne la capacité de choisir où va se fixer la mémoire de travail, notamment dans une tâche complexe. Si l'on doit faire une
recette de cuisine et que l'on pense « prendre le beurre, puis les œufs » tout en cherchant les ingrédients dans le placard, on passe de la boucle phonologique au
calepin visuo-spatial. En outre, le relais (buffer) épisodique permet de relier cette mémoire de travail aux systèmes de mémoire à long terme : si l'on fait le
gâteau pour l'anniversaire d'un ami. on se rappelle un événement passé, vécu avec cet ami, ce qui fait appel à la mémoire épisodique, et influe sur l'exécution.
Dernière catégorie de mémoire: la mémoire procédurale. La mémoire procédurale cognitive permet d'apprendre des méthodes de résolution de tâches cognitives,
par exemple résoudre des équations mathématiques, et le faire de façon de plus en plus routinière.
La mémoire perceptivo-verbale permet d'apprendre un poème : on mémorise des enchaînements de gestes buccaux qui restituent le poème. La mémoire
procédurale perceptivo-motrice permet d'apprendre mille activités physiques complexes, du vélo au ski en passant par la couture.
La mémoire procédurale interagit avec la mémoire de travail (il faut dans un premier temps maintenir à la conscience les gestes à apprendre, avant de pouvoir
automatiser la procédure). Des expériences ont aussi montré que la mémoire procédurale interagit avec les mémoires de représentation à long terme (grandes
flèches transversales).
Explicitons ces notions par un exemple. Si quelqu'un vous dit : « Imaginez un crocodile rosé à pois verts, ayant une
serviette autour du cou », vous êtes en mesure de vous représenter ce drôle d'animal, bien qu'il n'existe pas. et la mémoire de
travail joue un rôle déterminant dans cette représentation.
Dans cet exemple, l'administrateur central (qui possède une localisation cérébrale décrite plus bas) commence par
exhumer de la mémoire l'image d'un crocodile, puis la couleur rosé, puis des pois verts. Il crée ensuite l'image composite d'un
crocodile rosé à pois verts.
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