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Chronopsychologie et mémoire : étude de l’effet de
la profondeur de traitement en fonction du moment
de la journée
David Clarys, Brigitte Sarritzu, Sébastien Bocquet-Vial et Céline Rabelle
L’Année psychologique / Volume 112 / Issue 01 / April 2012, pp 3 - 15
DOI: 10.4074/S0003503312001017, Published online: 05 April 2012
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David Clarys, Brigitte Sarritzu, Sébastien Bocquet-Vial et Céline Rabelle (2012).
Chronopsychologie et mémoire : étude de l’effet de la profondeur de traitement en
fonction du moment de la journée. L’Année psychologique, 112, pp 3-15 doi:10.4074/
S0003503312001017
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Chronopsychologie et mémoire : étude de l’effet
de la profondeur de traitement en fonction du
moment de la journée
1∗
1
David Clarys , Brigitte Sarritzu2 , Sébastien Bocquet-Vial2
et Céline Rabelle2
Université de Poitiers, UMR-CNRS 7295 Centre de Recherches sur la Cognition et
l’Apprentissage
2
Université François-Rabelais de Tours
RÉSUMÉ
Cette étude vise à examiner les effets de la profondeur de traitement à
l’encodage sur la mémoire en fonction du moment de la journée et du mode
de récupération (rappel libre et reconnaissance). Trente-cinq jeunes adultes
ont appris une liste de mots de manière superficielle (compter le nombre de
syllabes) ou de manière élaborée (faire une phrase avec chaque mot), puis
ont été soumis à une tâche de rappel libre et à une tâche de reconnaissance.
Ce protocole a été réalisé à 11 heures et à 15 heures. Nous retrouvons les
effets globaux habituels de la profondeur de traitement et de la rythmicité
journalière. De manière plus originale, dans la tâche de rappel mais pas
dans la tâche de reconnaissance, les résultats confirment l’hypothèse selon
laquelle seules les performances liées à un encodage profond fluctuent au
cours de la journée. Il semble donc qu’un encodage profond implique des
ressources cognitives plus importantes qu’un encodage superficiel et que
celles-ci ne sont mobilisables qu’aux moments de la journée où la vigilance
est plus importante. Cette étude permet donc d’éclairer les interactions
entre les processus d’encodage et de récupération en mémoire et leur niveau
d’efficience selon le moment de la journée.
Chronopsychology and memory: Effect of depth of processing by
time of day
ABSTRACT
To date, the studies designed in chronopsychology mainly concerned the intellectual
abilities of children in a school setting. There are few studies on the impact of daily rhythm
∗ Correspondance : David Clarys, Université de Poitiers, UMR-CNRS 7295, Centre de Recherches sur la Cognition
et l’Apprentissage, 5, rue Théodore Lefebvre, 86000 Poitiers. E-mail : [email protected]
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David Clarys
on memory function in adult participants. The objective of this study is to examine the
effects of the depth of processing on memory encoding by the time of day. For this, 35
young adults have learned a list of words with in structural encoding condition (they had
to count the number of syllables per target word) or a deep encoding condition (they
had to make a sentence including the target word). They were then submitted to a free
recall task and a recognition memory task. This paradigm was performed at two times
of day: 11am, when attention is at its highest, and 3pm when the attention is lower. We
find the usual effects of the depth of processing and the rhythmicity. Thus, regardless of the
memory task, memory was better for semantic encoding than for structural encoding, and
late in the morning rather than in the afternoon. More importantly, in the free recall task
but not in the recognition memory task, the results supported the hypothesis that only the
performances related to a deep encoding fluctuated throughout the day. It seems that deep
encoding involves greater attentional resources than structural encoding and that these
ones are sufficiently available only at times of day when the vigilance is more important.
This study highlights the interactions between the encoding and retrieval processes in
memory and their level of efficiency by time of day.
INTRODUCTION
Selon Fraisse (1980) les comportements humains sont très dépendants
des rythmes biologiques, mais les rythmes du comportement ne peuvent
pas être seulement expliqués par les rythmes biologiques. Il est alors
nécessaire d’étudier les rythmes du comportement pour eux-mêmes. Ainsi,
la chronopsychologie est une discipline qui s’intéresse aux variations de
comportements dans le temps, et particulièrement aux fluctuations journalières des performances intellectuelles. Les travaux en chronopsychologie
ont permis d’établir des profils journaliers de performance en fonction de
la nature des tâches cognitives, notamment dans le milieu scolaire (voir
Testu, 2008). Ainsi par exemple, Testu (1986) a repris le protocole de
Shiffrin et Schneider (1977) en postulant qu’une tâche sous-tendue par un
traitement contrôlé serait susceptible de donner lieu à une performance
fluctuant au cours de la journée, ce qui ne serait en revanche pas le cas
d’une tâche sous-tendue par un traitement automatique, pour laquelle
la performance resterait stable. Ce protocole a été testé, chez des adultes
jeunes, à 8 h 30, 11 h 45, 13 h 45, et 17 h. Les résultats obtenus vont dans le
sens de l’hypothèse proposée, dans la mesure où la performance observée
en traitement automatique ne fluctue pas au cours de la journée, tandis
qu’elle varie dans la condition de traitement contrôlé (avec notamment
deux pics de performance, l’un à 11 h 45 et l’autre à 17 h). Des données
allant dans ce sens ont également été obtenues par May et Hasher (1998) et
Li, Hasher, Jonas, et May (1998). Ces auteurs ont montré que les épreuves
les plus automatisées (vocabulaire, dénomination de couleur, etc.) ne sont
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pas sensibles au moment du test alors que c’est le cas pour des mesures plus
coûteuses en attention telles que les tests d’inhibition.
Concernant spécifiquement le domaine de la mémoire, il apparaît une
hétérogénéité des profils de performances en fonction du type de mémoire
étudié et notamment de la distinction entre mémoire à court terme et
mémoire à long terme. Pour la mémoire immédiate, Folkard et Monk
(1980), ont mis en place une tâche de lecture effectuée à six moments dans
la journée (8 h, 11 h, 14 h, 17 h, 20 h, et 23 h), suivie d’une épreuve de
récupération en mémoire basée sur un questionnaire à choix multiple. Ils
montrent que la récupération en mémoire est nettement plus importante
quand la tâche est réalisée le matin (11 h) relativement aux autres heures.
Ces données confortent des travaux antérieurs qui montraient que le
nombre de mots correctement rappelés en mémoire immédiate était plus
élevé dans la matinée que dans l’après-midi (Gates, 1916 ; Blake, 1967 ;
Baddeley, Hatter, Scott, & Snashall, 1970). Plus récemment, Testu et Clarisse
(1999) ont également montré, chez des enfants, que le rappel immédiat de
mots et d’histoires est plus élevé à 9 h qu’à 15 h. Dans une autre étude,
Folkard, Monk, Bradbury et Rosenthall (1977) se sont intéressés au sein
d’une même expérience à la mémoire à court terme et à la mémoire à
long terme. Ils ont étudié la mémorisation d’un texte lu à des enfants soit
le matin à 9 h, soit l’après-midi à 15 h. À chacune de ces heures ils ont
effectué un test de rappel immédiat ainsi qu’un test de rappel différé une
semaine plus tard. En situation de rappel immédiat, les performances sont
plus élevées pour la présentation du texte à 9 h. En revanche, en rappel
différé, les performances sont nettement supérieures en situation de lecture
l’après-midi. Ce profil de résultat est similaire à celui obtenu quelques
années auparavant par Hockey, Davies et Gray (1972) chez des adultes
avec des horaires plus contrastés : 6 h 30 et 23 h. Les résultats montrent
que les performances de mémoire immédiate sont plus élevées le matin
que le soir, alors que la mémoire à long terme apparaît être plus efficiente
le soir que le matin. De leur côté, Martin, Buffington, Welsh-Bohmer et
Brandt (2008) se sont intéressés à des participants âgés qui étaient testés
sur des créneaux allant de 8 h à 17 h. Il apparaît que les performances
en mémoire épisodique fluctuent au cours de la journée, les scores les
plus élevés étant observés tôt le matin et en fin d’après-midi avec un
creux le midi. Au contraire, il n’apparaît aucun effet du moment de test
concernant les mesures d’empan à court terme ou de fluence. Enfin, une
autre étude a comparé les performances de jeunes adultes à différents tests
neuropsychologiques le matin (entre 8 h et 10 h), le midi (entre 12 h et 14 h)
et le soir (entre 18 h et 20 h) (Allen, Grabbe, Mc Carthy, Bush, & Wallace,
2008). Les résultats montrent que les performances aux tâches de fluence
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orthographique et du code de la WAIS sont plus élevées le midi et le soir
par rapport au matin. Au contraire, il n’apparaît pas d’effet du moment de
test sur les scores de mémoire épisodique et sémantique.
L’ensemble de ces travaux montre que les résultats sont assez
contradictoires et que les effets du moment de test dépendent du type
de mémoire évalué et de l’âge des participants (enfants, adultes jeunes,
personnes âgées). Enfin, il existe une très forte hétérogénéité en ce qui
concerne les moments de test, le matin étant parfois considéré à 6 h 30,
ou 9 h, ou 11 h, l’après-midi étant parfois entendue à 15 h, ou 17 h, ou
23 h.
Des travaux sur l’effet de la rythmicité journalière ont également
porté sur des tâches mentales plus complexes, notamment l’épreuve de
compréhension de texte. Selon le modèle de Kintsch et Van Dijk (1978),
l’activité de compréhension de texte implique plusieurs processus cognitifs.
Après l’identification perceptive et l’activation sémantique, le troisième
processus mis en œuvre est la sélection qui peut être thématique ou
hiérarchique. La sélection thématique s’appuie sur la microstructure du
texte puisqu’elle consiste à rechercher dans le texte des propositions en
rapport avec un thème énoncé, alors que la sélection hiérarchique repose
sur la macrostructure du texte puisqu’elle s’opère selon l’importance des
propositions pour la compréhension.
Sur cette base, Querrioux-Coulombier (1988) a étudié les variations
circadiennes des processus de sélection impliqués dans une tâche de
compréhension de texte, chez des jeunes adultes. Un texte était présenté aux
participants, proposition par proposition, et ceux-ci devaient sélectionner
les propositions en lien avec le thème donné préalablement. Ce type de
consigne a pour objet de favoriser les traitements superficiels, au niveau
de la microstructure du texte. Ensuite, les participants devaient répondre
à un questionnaire dont le but était de contrôler les traitements effectués
sur le texte. Si les participants ont respecté la consigne ils ne devraient pas
être en mesure de répondre aux questions portant sur la macrostructure
du texte. Au contraire, si les participants ont spontanément effectué un
traitement plus profond que celui nécessaire à la sélection thématique, ils
pourraient répondre à ces questions. Les résultats montrent que l’efficacité
du processus de sélection thématique ne varie pas en fonction de l’heure de
la journée, ce qui tend à montrer que ce type de traitement superficiel ne
serait que peu soumis à des variations circadiennes de performances. Les
données montrent également que les participants ont spontanément mis
en place des traitements plus profonds à 11h30, attestés par davantage de
réponses correctes aux questions portant sur la macrostructure du texte,
plutôt qu’à 17 h, où les performances sont diminuées. Ainsi, il semble que
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l’effet du rythme circadien s’exerce sur la profondeur de traitement mis
en jeu par l’individu. En se référant à la capacité limitée de traitement de
l’information, les auteurs considèrent que les traitements les plus profonds
nécessitent une capacité plus grande et que s’ils sont mis en œuvre
spontanément en fin de matinée, c’est que la capacité de traitement est
supérieure à ce moment de la journée.
Notre recherche s’inscrit dans la continuité de ces travaux et vise
à examiner une éventuelle fluctuation de l’efficacité des processus de
traitement à l’encodage sur la mémoire en fonction du moment de
la journée. À notre connaissance, à ce jour, aucune étude ne s’est
intéressée à cette question. Selon la théorie des niveaux de traitement
(Craik & Lockhart, 1972), une information peut être encodée à partir de
différents traitements hiérarchisés sur un continuum allant des traitements
superficiels de type structural vers des traitements plus profonds de
nature sémantique. Craik et Lockhart (1972) considèrent qu’un encodage
profond ou sémantique entraîne l’élaboration d’une trace mnésique plus
durable, mais nécessite aussi davantage de ressources cognitives. Toutefois,
l’efficacité de la mémoire ne repose pas seulement sur les processus mis
en œuvre à l’encodage mais aussi sur la relation entre les opérations
réalisées à l’encodage et à la récupération. Ainsi, selon le principe de
spécificité de l’encodage (Tulving & Thompson, 1973) la concordance entre
l’indice dont dispose l’individu lors de la récupération et la trace qu’il
a élaborée en mémoire améliore la performance mnésique. L’effet de la
profondeur de traitement à l’encodage (meilleure performance avec un
traitement sémantique) est alors plus marqué dans les situations où il
y a concordance entre l’encodage et la récupération (c’est-à-dire, rappel
indicé avec indice sémantique) que dans les situations de non-concordance
(c’est-à-dire, rappel indicé avec indice phonologique) (pour revue, voir
Lockhart & Craik, 1990). De manière complémentaire, selon l’hypothèse
du transfert approprié du traitement (Morris, Bransford, & Franks, 1977)
et la théorie de la concordance de traitement (Roediger, Weldon, & Challis,
1989), le succès de la récupération d’une information en mémoire dépend
de la concordance des traitements mis en œuvre à l’encodage et à la
récupération. De plus, il existe deux types de traitements fondamentaux,
les traitements dirigés par données et les traitements dirigés par concepts,
qui sont susceptibles d’être mis en oeuvre dans les opérations d’encodage
et de récupération de l’information. Les traitements dirigés par données
sont déclenchés et guidés par les stimuli présentés, il s’agit de traitements
perceptifs. Les traitements dirigés par concepts reflètent des opérations
initiées par l’individu lui-même, on parle alors de traitements conceptuels.
Lors de la récupération, la mise en œuvre de traitements dirigés par les
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concepts est plus importante dans le test de rappel libre puisqu’aucun indice
n’est fourni, alors que la tâche de reconnaissance repose davantage sur des
traitements dirigés par données, l’identification de l’information pouvant
se faire uniquement sur la base de traitements de surface.
Les travaux réalisés en chronopsychologie indiquent que les tâches
qui impliquent des traitements coûteux en attention conduisent à des
performances qui fluctuent selon les moments de la journée. L’objectif de
notre étude est alors de montrer que l’efficacité d’un encodage profond
dépend également de l’heure à laquelle il est mis en œuvre, ce qui ne
devrait pas être le cas pour un encodage superficiel. Plus précisément,
nous formulons l’hypothèse selon laquelle un encodage élaboré devrait
entraîner de meilleures performances de mémoire s’il est réalisé en fin
de matinée (11 h) plutôt qu’en début d’après-midi (15 h). Au contraire,
pour un encodage superficiel, les performances de mémoire ne devraient
pas être différentes entre la fin de matinée et le début d’après-midi. Les
performances de mémoire seront évaluées à l’aide d’un test de rappel libre
et d’un test de reconnaissance. Le rappel libre repose davantage sur des
traitements dirigés par concepts et des processus de recherche contrôlés
que la reconnaissance. Aussi, nous nous attendons à ce que l’effet de la
rythmicité sur l’efficacité des traitements réalisés à l’encodage soit plus
important dans le rappel libre que dans la reconnaissance.
MÉTHODE
Participants
Nous avons sélectionné 35 participants dont l’âge est compris entre 18 et 42 ans
(m = 26,80 ; E.T. = 8,69). Il s’agit de 10 hommes et 25 femmes. Leur niveau d’étude
varie entre le Brevet des collèges et deux années au-delà du baccalauréat. Tous les
participants sont volontaires et ont déclaré être en bonne forme physique et mentale
et ne pas prendre de médicaments susceptibles d’agir sur le système nerveux
central. Ils ont été recrutés à travers les relations professionnelles et personnelles
des expérimentateurs. Ces participants ont été testés individuellement et ont été
informés que l’expérience portait sur la mémoire.
Matériel
128 noms communs extraits de la base de données Brulex (Content, Mousty, &
Radeau, 1990) ont été sélectionnés selon leur fréquence d’apparition dans la langue
(entre 3 000 et 6 000 occurrences) et le nombre de lettres qui les compose (entre
5 et 7 lettres). Ces mots ont été divisés en 2 séries de 64 mots, chacune des séries
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étant affectée à la moitié des participants. Les 2 séries de 64 mots ont de nouveau été
divisées en 2 listes de 32 mots dont l’une est présentée lors de l’encodage tandis que
l’autre constitue les items distracteurs lors de la tâche suivante de reconnaissance.
Chaque liste de 32 mots a encore été divisée en 2 sous listes afin de satisfaire aux
2 conditions d’encodage. Les 8 listes de 16 mots ainsi obtenues sont équivalentes
en termes de fréquence d’usage des mots et de nombre de lettres par mot. Les
listes sont contrebalancées selon les 2 conditions d’encodage et selon qu’elles soient
présentées à l’encodage ou comme items distracteurs lors de la reconnaissance.
Enfin, chacune des 16 listes est composée d’autant de mots concrets que de mots
abstraits.
Procédure
Lors de la phase d’apprentissage, les 32 mots sont présentés sur un écran
d’ordinateur à l’aide du logiciel Microsoft Powerpoint à un rythme de 5 secondes
par item. La consigne précise aux participants de lire à voix haute chaque mot
et de les mémoriser pour les restituer ultérieurement. La moitié de la liste est
apprise en condition de traitement structural : les participants doivent compter le
nombre de syllabes que comprend chaque mot et l’inscrire sur une feuille. L’autre
moitié des mots est apprise en condition de traitement sémantique : les participants
doivent écrire sur une feuille une phrase simple incluant le mot présenté. La
moitié des participants commence par le traitement structural et l’autre moitié
par le traitement sémantique. De plus, le type de traitement pour chaque item est
contrebalancé d’un participant à l’autre. La phase de restitution est séparée de la
phase d’apprentissage par un test secondaire de comptage à rebours de 3 en 3 qui
dure 30 secondes. Lors de la restitution, la moitié des participants commence par la
tâche de rappel libre et l’autre moitié par la tâche de reconnaissance.
Pour le test de rappel libre, les participants doivent restituer le plus de mots
possibles qu’ils se souviennent avoir appris. La variable dépendante utilisée ici est
le nombre de mots cibles correctement rappelés. Immédiatement après, le test de
reconnaissance est proposé. Les 64 mots (32 cibles et 32 distracteurs) sont présentés
aux participants sur une feuille, en quatre colonnes, dans un ordre aléatoire. Ils
doivent lire chaque mot et entourer ceux qu’ils reconnaissent comme appartenant
à la liste d’apprentissage. La variable dépendante que nous étudierons ici est le
nombre d’items cibles correctement reconnus.
Afin de tester l’effet de l’heure de la journée, la procédure a été proposée
deux fois pour chaque participant : le matin à 11 h, au moment où l’attention
est maximale, et l’après-midi à 15 h au moment où l’attention est plus faible.
Ces horaires ont été retenus car ils permettent d’évaluer les participants en fin
de matinée et début d’après-midi, c’est-à-dire à deux moments déterminants
pour tester l’efficience des ressources de traitement. Pour contrôler les effets
d’apprentissage, la moitié des participants a été testée la première fois le matin
et l’autre moitié l’après-midi. De plus, les 2 conditions d’encodage ont également
été contrebalancées de sorte que pour chaque moment de la journée, la moitié des
participants commence par l’encodage structural et l’autre moitié par l’encodage
sémantique. Les différents facteurs contrebalancés n’ont pas conduit à des effets
significatifs, ce qui a permis de regrouper les données.
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RÉSULTATS
% de mots correctement rappelés
Nous avons réalisé 2 analyses de variance (ANOVA), séparées pour les scores
de rappel et de reconnaissance, à 2 facteurs intragroupe : le moment de la
journée (11 h vs 15 h) et le type d’encodage (structural vs sémantique).
50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
11 h
15 h
Encodage structural
Encodage sémantique
Figure 1. Pourcentage de mots correctement rappelés (moyennes et barres
d’écarts-types) en fonction de l’heure de la journée et du type d’encodage
Figure 1. Percentage of words correctly recalled (means and standard deviations) by
time of day and encoding condition
L’analyse de variance révèle un effet significatif de l’heure [F(1,34) =
8,91 ; p < 0,01] indiquant que les performances de rappel libre sont plus
élevées à 11 heures qu’à 15 h. Elle révèle également un effet significatif
du type d’encodage [F(1,34) = 53,79 ; p < 0,001] dans le sens où les
participants rappellent davantage de mots suite à un encodage profond
qu’à un encodage superficiel. Enfin, il existe une interaction significative
entre le niveau de traitement à l’encodage et le moment de la journée
[F(1,34) = 7,71 ; p < 0,01]. Afin de préciser le sens de cette interaction,
nous avons procédé à des comparaisons post-hoc. Celles-ci indiquent que
les performances en rappel libre sont meilleures à 11 h qu’à 15 h lorsque
les mots ont fait l’objet d’un encodage sémantique [F(1,34) = 13,44 ;
p < 0,001] alors qu’il n’existe aucune différence entre les performances
obtenues à ces deux moments de la journée pour un encodage structural
[F(1,34) < 1]. De plus, ces analyses indiquent également que l’effet du type
d’encodage est significatif lorsque le test a lieu à 11 heures [F(1,34) = 56,81 ;
p < 0,001], mais aussi à 15 h [F(1,34) = 5,61 ; p < 0,05]. En rappel libre,
l’effet du moment de la journée n’est donc présent que pour un encodage
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Encodage, Mémoire, et Chronopsychologie
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sémantique, alors que si le bénéfice lié à la profondeur de traitement est plus
important à 11 h qu’à 15 h, il est significatif dans les deux cas.
Les données pour la reconnaissance sont présentées dans la Figure 2.
% de mots correctement reconnus
100
90
80
70
60
11 h
50
15 h
40
30
20
10
0
Encodage structural
Encodage sémantique
Figure 2. Pourcentage de mots correctement reconnus (moyennes et barres
d’écarts-types) en fonction de l’heure de la journée et du type d’encodage
Figure 2. Percentage of words correctly recognized (means and standard deviations) by
time of day and encoding condition
L’analyse de variance révèle un effet significatif de l’heure [F(1,34) =
4,99 ; p < 0,05] dans le sens où le nombre de mots correctement reconnus
est plus élevé à 11 heures qu’à 15 h et un effet significatif du type d’encodage
[F(1,34) = 16,03 ; p < 0,001] qui indique qu’un encodage sémantique
entraîne plus de reconnaissances correctes qu’un encodage structural.
Enfin, il n’existe pas d’interaction entre le niveau de traitement à l’encodage
et l’heure de la journée [F(1,34) < 1]. En reconnaissance, l’effet du moment
de la journée est donc significatif quel que soit le type d’encodage et le
bénéfice lié à la profondeur de traitement est similaire aux deux moments
de la journée.
DISCUSSION
Cette recherche avait pour objectif d’étudier l’efficacité des processus
d’encodage en mémoire dans une perspective chronopsychologique. Les
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résultats permettent de dégager plusieurs points essentiels venant améliorer
la compréhension des mécanismes impliqués dans les fluctuations
journalières des performances de mémoire.
Tout d’abord, les données confirment les résultats classiques concernant
l’effet de l’heure de la journée et l’effet de la profondeur de traitement.
Ainsi, il apparaît que les participants sont plus performants que ce soit en
rappel et en reconnaissance, à 11 h qu’à 15 h. Ceci confirme les travaux de
Folkard et Monk (1980) montrant que, lorsque la mémoire est testée dans
un délai court, le maximum de performance est obtenu en fin de matinée
et s’accorde avec plusieurs travaux indiquant que la mémoire immédiate
est plus performante le matin que l’après-midi (Gates, 1916 ; Blake, 1967 ;
Baddeley et al., 1970 ; Hockey et al., 1972 ; Testu & Clarisse, 1999 ; Martin
et al., 2008). Concernant l’effet du type d’encodage, et conformément à
la théorie de la profondeur de traitement (Craik & Lockhart, 1972), nous
observons de meilleures performances dans les deux tâches de mémoire
lorsque les mots ont fait l’objet d’un encodage sémantique plutôt que
structural.
Le résultat majeur de cette étude concerne la fluctuation de l’effet de
la profondeur de traitement à l’encodage selon l’heure de la journée. En
effet, dans la tâche de rappel libre, les données montrent qu’il existe une
interaction entre le type d’encodage et l’heure de test. Toutefois nous
ne retrouvons pas d’interaction en situation de reconnaissance. Si l’on
considère dans un premier temps l’interaction en rappel libre, les analyses
indiquent que l’encodage sémantique est plus efficace lorsqu’il est réalisé
à 11 h qu’à 15 h. Ceci confirme notre hypothèse et suggère que ce type
d’encodage (rédiger une phrase avec le mot cible) implique des ressources
cognitives conséquentes qui ne seraient pas suffisamment disponibles en
début d’après-midi. Au contraire, les performances mnésiques liées à un
traitement structural, qui consistait ici à compter le nombre de syllabes,
ne varient pas au cours de la journée. Nous pouvons alors penser que les
ressources cognitives nécessaires à cette activité de comptage sont moins
importantes que celles qui sont impliquées dans la condition de rédaction
d’une phrase incluant le mot, ce qui explique l’absence de fluctuations
circadiennes dans cette condition. Cette interprétation va dans le sens des
travaux de plusieurs auteurs qui ont montré que seuls les processus coûteux
en ressources cognitives fluctuent au cours de la journée (Testu, 1986 ;
May & Hasher, 1998 ; Li et al., 1998). Il semble donc que la mise en
œuvre de traitements plus profonds (dans cette étude, rédiger un phrase)
implique une charge attentionnelle plus conséquence que la mise en place
de traitements plus superficiels (dans cette étude, compter le nombre de
lettres). L’efficacité des traitements profonds peut ainsi être optimisée s’ils
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sont mis en œuvre au moment où l’individu dispose de davantage de
ressources de traitement (fin de matinée). Ceci apporte un nouvel éclairage
sur les mécanismes en œuvre dans l’encodage en mémoire et conduit à
préciser la théorie de la profondeur de traitement en fonction du moment
de la journée.
Comme nous l’avons indiqué, cette interaction n’est toutefois observée
que pour la tâche de rappel libre et pas pour la tâche de reconnaissance.
Il semble donc que l’impact de l’heure de la journée sur l’efficacité de
l’encodage sémantique dépende des processus mis en œuvre lors de la
tâche de récupération. Dans ce sens, plusieurs approches fonctionnelles
de la mémoire supposent l’existence de deux processus distincts lors de la
récupération d’une information stockée en mémoire (voir Clarys, 2001). Le
premier repose sur un accès automatique à la trace mnésique et conduirait
à un sentiment de familiarité, de « déjà-vu ». Selon la théorie de la
concordance de traitement (Roediger et al., 1989), il impliquerait des
traitements dirigés par données. Le second nécessite des opérations de
recherche contrôlées et conscientes reposant sur des traitements dirigés par
concept. Il permettrait de récupérer l’information mémorisée à partir de
la reconstruction d’un événement antérieur dans son contexte épisodique.
Concernant la distinction entre rappel et reconnaissance, l’idée est que
l’épreuve de rappel libre implique essentiellement les processus contrôlés
de récupération dirigés par concept, alors que l’épreuve de reconnaissance
pourrait dépendre à la fois de ces processus mais également des processus
de familiarité dirigés par données (Mandler, 1980 ; Jacoby & Dallas, 1981 ;
Tiberghien & Lecoq, 1983 ; Tulving, 1985). Ceci indique que l’épreuve de
rappel libre repose davantage sur des processus contrôlés de récupération,
puisqu’aucun indice n’est fourni, que l’épreuve de reconnaissance dans
laquelle l’identification de l’information peut se faire uniquement à partir
de traitements de surface. Sur la base de ces éléments, il semble donc
que l’impact de l’heure de la journée ne porte pas spécifiquement sur les
processus d’encodage, mais sur la relation entre les opérations réalisées
à l’encodage et à la récupération. Ainsi, il apparaît que la fluctuation
journalière de l’efficacité des traitements mis en œuvre à l’encodage ne peut
être observée que dans les tâches de récupération qui impliquent également
des ressources cognitives importantes. Autrement dit, il est nécessaire que
la tâche d’encodage (sémantique) et la tâche de récupération (rappel libre)
exigent chacune suffisamment de ressources de traitement pour observer
une fluctuation journalière de l’efficacité des traitements mis en œuvre
à l’encodage. De ce fait, le bénéfice lié à un encodage sémantique sera
moindre lorsque le test s’effectue à 15 h et que la mémoire est évaluée par
une épreuve de rappel libre.
L’année psychologique, 2012, 112, 3-15
14
David Clarys
r Brigitte Sarritzu r Sébastien Bocquet-Vial r Céline Rabelle
En conclusion, notre étude montre que le bénéfice lié à un encodage
élaboré repose sur des ressources de traitement plus importantes et que
l’efficacité de ce type d’encodage dépend de l’interaction entre l’heure de la
journée et les processus mis en œuvre à la récupération des informations en
mémoire. Dans une recherche ultérieure, cette interprétation pourra être
validée en utilisant des protocoles plus précis d’évaluation de la mémoire
tel que le paradigme Remembre/Know qui permet de distinguer les deux
états de conscience associés à la récupération d’une information dans
une tâche de reconnaissance (voir Clarys & Bugaïska, en révision). La
variation des performances mnésiques selon le moment de la journée
apparaît particulièrement importante, non seulement pour les élèves ou
les étudiants lors de l’apprentissage scolaire et universitaire, mais aussi
pour les personnes âgées afin d’optimiser les situations de remédiation
cognitive, ou encore pour les patients dans les situations d’évaluations
neuropsychologiques. Les travaux scientifiques devraient donc davantage
intégrer l’effet du moment de test comme le démontre notre étude.
Reçu le 30 août 2010.
Révision acceptée le 22 février 2011.
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