analgésie par voie orale postopératoire, incluant les

ANALGÉSIE PAR VOIE ORALE POSTOPÉRATOIRE,
INCLUANT LES MORPHINIQUES
Hakim Harkouk, Etienne Muanasaka, Dominique Fletcher
Service d’Anesthésie Hôpital Raymond Poincaré, 104 boulevard Raymond
Poincaré 92104, Garches. E-mail dominique.[email protected]
INTRODUCTION
L’utilisation de la morphine en postopératoire reste la référence des traitements
antalgiques. L’administration auto contrôlée est considérée comme la technique la
plus adaptée pour offrir une analgésie morphinique. Son utilisation reste néanmoins
peu fréquente (<15-25% des patients) même dans les centres les plus en pointe.
L’administration de morphine systématique où à la demande reste donc un pilier
important de l’analgésie postopératoire. L’utilisation de la voie injectable sous
cutanée en France ou intramusculaire aux Etats-Unis est la plus fréquente. Pourtant
l’évolution des pratiques en anesthésie avec le développement de l’anesthésie
locorégionale et des produits d’anesthésie générale permettant une reprise rapide
de la voie orale permettent d’envisager plus facilement une analgésie par voie orale.
De plus la chirurgie ambulatoire concernant de plus en plus de patient avec des
chirurgies douloureuses, l’utilisation d’analgésie puissante par voie orale semble
justiée. Ce texte passera en revue les éléments en faveur du développement de
cette technique d’analgésie orale et les limites prévisibles.
1. PRATIQUE ACTUELLE DE L’ANALGÉSIE PAR MORPHINE NON INJEC-
TABLE
1.1. RÉSULTAT DE L’AUDIT NATIONAL DE 2008 SUR L’ANALGÉSIE POSTO-
PÉRATOIRE
D’après l’audit national sur la prise en charge de la douleur postopératoire[1],
les opioïdes sont parfois débutés en peropératoireincluant le tramadol (11,5%) et la
morphine (14,1%). Un traitement opioïde est avant tout prescrit en postopératoire
pour 83,1% des patients. La titration morphinique est visible dans le dossier dans
27% des cas avec prescription d’un intervalle un peu long mais un bolus adapté.
La PCA est utilisée pour 21,4% des patients utilisant la morphine seule (88,6%)
ou associée à la kétamine (11,4%). La programmation est adéquate(bolus moyen
1,2[1]; période réfractaire moyenne 9,5±8minutes). Il apparaît quelques perfusions
continues de morphine avec la PCA(0,5%) ou seule (0,5%) sans justicatif clair de
substitution d’un traitement opioïde préopératoire. La morphine sous cutanée est le
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mode de prescription le plus fréquent utilisé une fois sur 3 (35,1%). Cette morphine
sous cutanée est rarement systématique (33,7%) avec un critère d’administration
très variable (plus de 50% de critère non chiffré). La morphine sous cutanée est
souvent sous dosée en fréquence (toutes les 4heures, 28,2%) et en dose (10mgr
en dose unitaire, 44,9%). De plus la prescription de morphine est souvent mal
appliquée par l’IDE avec un non-respect de la dose ou de l’intervalle dans 36,3%
des cas. A 24heures postopératoires, la morphine orale est prescrite seulement
dans 5,6% des cas.
Le tramadol est le deuxième opioïde utilisé en fréquence (15,2 %) surtout
par voie IV (82,2%) avec un bon respect des prescriptions (75,9%). Les doses
(140±133mg) et intervalles (8,9±8,3h) sont adaptés aux recommandations
d’utilisation.
Le temgesic est rarement utilisé (0-1,6%). Le Nubain est encore fréquemment
utilisé (11,5%). Le dextropropoxyphéne (6,3 %) et la codéine (3,3%) sont peu
prescrits à J1.
La tendance est d’utiliser le plus souvent les morphiniques par voie orale et
en secours d’une analgésie associant les antalgiques non morphiniques, les anti-
hyperalgésiques et les anesthésiques locaux. La voie orale sera donc privilégiée
de plus en plus ce d’autant que l’on peut prévoir un accroissement de la chirurgie
ambulatoire. La question de la biodisponibilité par voie orale est donc cruciale.
1.2. MORPHINE À LIBÉRATION IMMÉDIATE (MLI)
En chirurgie orthopédique, la morphine a été testée sur peu études[2,3]. Il
s’agit de peu d’études utilisant soit une évaluation en double dummy versus la
voie injectable[3] soit une administration auto contrôlée par voie orale comparée
en ouvert à l’analgésie auto contrôlée intraveineuse classique [2, 3]. Une seule
étude s’est donc intéressée à l’administration en double aveugle et double dummy
de la morphine orale versus la morphine injectable. Il a été montré que pour des
patients opérés de prothèse totale de hanche l’analgésie orale (morphine 20mg/4h)
permettait une analgésie similaire à celle obtenue avec la morphine injectable
(5-10 mg/4 h) [2, 3]. La tolérance digestive était compromise par un taux de
nausée de plus de 50% dans les deux groupes avec des exclusions pour nausée
et sédation dans le groupe morphine orale et pour nausée et mauvaise analgésie
dans le groupe morphine injectable.
Dans une autre étude, une analgésie auto contrôlée par voie orale (morphine
30mg/ml; dose maximum de 20mg/h) était comparée à la PCA intraveineuse
classique (morphine 2mg/12min) chez des patients opérés en orthopédie. L’ef-
cacité était similaire avec une consommation de morphine par voie orale 5fois plus
importante ce qui suggérait une biodisponibilité faible de l’ordre de 20-25%. Le
matériel utilisé par cette PCA orale était une PCA mécanique Baxter permettant
l’administration orale de 0,5ml d’une solution de morphine à 30mg/ml soit 15mg
toutes les heures[2,3].
La MLI a été testée après chirurgie abdominale. Dans une étude ouverte sur
la césarienne, l’analgésie orale par la morphine était comparée à l’analgésie orale
par la dipyrone[2,3]. Le niveau de satisfaction et l’efcacité étaient similaires. Les
auteurs privilégiaient le dipyrone. Dans une autre étude ouverte sur la césarienne,
l’administration postopératoire de la combinaison morphine, paracétamol, aspirine
était décrite comme efcace[2,3].
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1.3. MORPHINE À LIBÉRATION PROLONGÉE (MLP)
En chirurgie orthopédique, après prothèse totale de hanche la MLP a été testée
à faible dose (20mgx2)[2,3]. Cette chirurgie réalisée sous rachi-anesthésie était
suivie par cette analgésie orale ou une analgésie classique intramusculaire classique
en double aveugle et double dummy. L’administration orale permettait une épargne
morphinique de 40 % sans impact sur les scores de douleur. L’administration
préopératoire avant prothèse totale de hanche d’une dose unique de MLP (60mg)
donnait une analgésie supérieure à celle observée après administration de morphine
intramusculaire (5mg)[2,3].
En chirurgie viscérale, la MLP comparée en étude aveugle et double dummy
(20mg/4h) à la MLI (IM/4h) donnait une analgésie discutable avec nécessité de
traitement de secours et élévation secondaire des taux sanguins dans le groupe
recevant de la MLP[2,3]. L’utilisation de MLP en cas de chirurgie abdominale a été
comparée à la morphine injectable en ouvert[2,3]. La MLP offrait une analgésie
similaire mais avec une incidence non négligeable de sédation.
Enn il a été décrit lors d’une étude sur l’utilisation de la MLP (60mg 2fois
par jour) en cas de chirurgie abdominale un accident de surdosage avec décès
au deuxième jour dans un tableau de dépression respiratoire[2,3]. L’absence de
consentement écrit et l’absence de surveillance précise a conduit à un procès.
1.4. AUTRES VOIES DE LA MORPHINE NON INJECTABLE
1.4.1. Ladministration transmuqueuse buccaLe
Une étude en orthopédie en double aveugle et double dummy a décrit l’efcacité
clinique et la cinétique plasmatique d’une forme transmuqueuse buccale de la
morphine en comparaison avec la morphine injectable le tout sur une administration
unique[2,3]. La biodisponibilité de la voie buccale était supérieure à la voie injectable
de 40-50%; La tolérance clinique et l‘efcacité étaient supérieures pour la voie
transmuqueuse buccale. Les doses comparées étaient de 10mg en IM contre
10mg par voie buccale. Les modalités d’administration de la voie transmuqueuse
buccale imposaient de garder la tablette en contact avec la gencive avec une
dissolution progressive sur 6 heures.
2. EVOLUTION DE L’ANALGÉSIE VERS LA VOIE ORALE DANS UN
CONTEXTE DE RÉHABILITATION
La PCA IV est la méthode de choix utilisée depuis plus de 40ans dans la
gestion de la douleur postopératoire offrant une analgésie et un confort aux patients
supérieurs à l’administration systématique par l’inrmière d’opioïdes.
En plus du caractère invasif du mode d’administration intraveineux, du risque
d’erreurs lié à la programmation de la PCA, il existe un risque infectieux secondaire
à l’obstruction de la voie veineuse ou du cathéter, tous ces facteurs conduisant à
un risque de morbi-mortalité avéré.
L’utilisation de la morphine, un opioïde avec une mauvaise biodisponibilité
digestive et une lente phase d’équilibration au niveau du système nerveux central
rend compliquée son utilisation à la phase aiguë de la prise en charge de la douleur.
Son métabolite actif la morphine-6-glucuronide atteint son pic au site effet des
heures après son administration conduisant à l’apparition d’effets indésirables tels
que la dépression respiratoire, des nausées et des vomissements rendant nécessaire
une surveillance rapprochée et une réhabilitation précoce difcile.
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Le contrôle efcace de la douleur permet une mobilisation précoce favorisant
une réhabilitation du patient par la réduction de la fonte musculaire, en réduisant la
fréquence de complications thrombo-emboliques et respiratoires. La déambulation
précoce rendue possible par une analgésie efcace par voie orale, l’ablation des
cathéters veineux, de sonde gastrique et urinaire favorise également la reprise
d’un transit intestinal normal et permet d’éviter toutes les complications liées au
cathétérisme prolongé. La réalimentation précoce est quant à elle associée à une
réduction du risque de complications infectieuses et de durée de séjour.
Tous ces éléments plaident en faveur de la prise en charge de la douleur par voie
orale intégrée à une stratégie globale de réhabilitation précoce postopératoire surtout
dans le cadre de la chirurgie ambulatoire dont on prévoit un développement très
important avec des enjeux de prise en charge de la douleur qui vont donc évoluer.
Il sera plus souvent nécessaire dans l’avenir de contrôler une douleur parfois
intense à domicile en utilisant des morphiniques puissants. L’absorption de la
morphine orale est médiocre en général et encore plus réduite en cas de chirurgie
récente[4]. La biodisponibilité des autres opioïdes semble meilleure au moins pour
le tramadol, l’oxycodone et le tapentadol. Cela justie un développement de leur
utilisation dans ce contexte de la chirurgie ambulatoire.
3. ALTERNATIVEÀLAMORPHINEORALEAVECAVANTAGESETLIMITES:
OXYCODONE, TRAMADOL, TAPENTADOL, CODÉINE, SUFENTANIL
SUBLINGUAL
3.1. L’OXYCODONE
3.1.1. Pharmacocinétique
Le chlorhydrate d’oxycodone est un agoniste opioïde pur des récepteurs µ
et k. Le comprimé d’Oxycontin® est conçu selon un procédé galénique original à
libération bi-phasique. Une fois ingérée, la couche extérieure du comprimé se dissout
rapidement au contact des liquides gastro-intestinaux et permet une élévation
rapide des taux plasmatiques: les 38% de la dose (situés sur la couche extérieure)
sont absorbés rapidement, plus précisément avec une demi-vie d’absorption de
37minutes. Les 62% restants de la dose sont absorbés, grâce à un système de
matrice hydrophobe, beaucoup plus lentement, soit une demi-vie d’absorption de
6,2heures. Cette libération bi-phasique du principe actif permet une action rapide
qui se situe pour 90% des patients à un temps inférieur à 60minutes, suivi d’un
maintien des taux plasmatique et de l’activité antalgique constant sur 12heures.
Au total, la biodisponibilité orale est en moyenne de 60% (entre 60 à 87% selon
les études). L’oxycodone est métabolisée par le foie en noroxycodone, principal
métabolite, sans activité antalgique notable et en oxymorphone, molécule ayant
une activité antalgique dix fois plus forte que celle de la morphine et d’ailleurs
commercialisé aux Etats-Unis. L’implication clinique de ce métabolite est cepen-
dant négligeable, car il est produit dans des quantités très faibles. L’oxycodone
et ses métabolites sont éliminés essentiellement par le rein. Le délai pour le début
d’actionde la forme à libération prolongée est de 7,99+/-2,96 heures. La demi-vie
d’élimination de l’oxycodone est de 8 à 2heures pour la forme LP. L’insufsance
hépatique ou rénale nécessite une adaptation des posologies et/ou un espacement
des prises dans le temps car les concentrations plasmatiques d’oxycodone sont
augmentées d’environ 50 % ce qui se traduit cliniquement par une majoration de
la sédation
Douleur 23
3.1.2. PHARMACODYNAMIE
L’oxycodone est un agoniste semi-synthétique µ et k ayant des propriétés
similaires à celles de la morphine. Le ratio d’équianalgésie est de 2 : 1 entre
morphine orale et oxycodone orale (2mg de morphine = 1mg d’oxycodone) et
de 4:1 entre oxycodone orale et l’hydromorphone (4 mg d’oxycodone = 1mg
d’hydromorphone) (TableauI). La forme parentérale possède 75% de la puissance
de la morphine parentérale. Les effets secondaires sont qualitativement les mêmes
que ceux de la morphine.
3.1.3. Présentation et utiLisation cLinique
Il existe en France une forme orale à libération immédiate, l’Oxynorm® (5, 10
et 20mg) et une forme à libération prolongée, Oxycontin LP® (cp à 10mg, 20mg,
40mg et 80mg; 2 prises espacées de 12heures). L’indication est pour l’instant les
douleurs chroniques d’origine cancéreuse, intenses ou rebelles aux antalgiques de
niveau plus faible, chez l’adulte. On utilise des doses de départ entre 10 et 20mg
par prise chez les patients naïfs d’opiacés. L’adaptation des posologies en fonction
de la douleur peut être faite toutes les 24heures. Il est tout à fait possible, voire
même recommandé, d’associer de la morphine à libération immédiate (Actiskenan®,
Sévrédol®) à l’Oxycontin LP® pour les pics douloureux transitoires. En douleur
aiguë, il a été démontré en postopératoire que l’association de l’oxycodone à la
morphine pouvait être utile[5]. En postopératoire une association de l’Oxycontin
LP® et de l’oxynorm à LI peut être envisagée pour les patients sous traitement
chronique d’oxycontin.
3.2. LA BUPRÉNORPHINE
Elle a été testée en postopératoire par voie sublinguale. Son efcacité a été
considérée similaire à celle de la voie injectable. Cette voie transmuqueuse reste
accessible pour le traitement de la douleur aiguë.
3.2.1. Pharmacocinétique
La buprénorphine est un opioïde synthétique dérivé de la thébaïne 25-50fois
plus puissante que la morphine. La biodisponibilité est d’environ 75 %. Après
administration sublinguale de 0,4 mg le produit est détecté dès la 30ème minute
avec un pic plasmatique à 1-2heures et une analgésie qui persiste 6-8heures.
La liaison protéique est de 96% mais pas avec l’albumine comme la majorité des
produits mais uniquement avec l’alpha et bêta globuline. Toute interaction sur
les sites de xation des globulines et très improbable. Le métabolisme hépatique
donne naissance à la norbuprenorphine à la N-dealkylbuprenorphine. Deux tiers
des métabolites sont excrétés dans les selles et seulement un tiers par les reins.
3.2.2. Pharmacodynamie
Elle se caractérise par une action agoniste sur le récepteur µ et antagoniste sur
le récepteur k. La liaison au récepteur morphinique µ se dissocie très lentement.
De ce fait, la dépression respiratoire de la buprénorphine est mal antagonisée par
la naloxone. Un travail chez le volontaire sain suggère un effet anti hyperalgésique
propre de la buprénorphine[6].
3.2.3. Présentation et utiLisation cLinique
En France la buprénorphine est surtout utilisée actuellement comme opioïde
de substitution du toxicomane (Subutex®; cp 0,4; 2 et 8mg). Le Temgesic® (cp
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