Le Monde - Mercredi 24 septembre 2014 Jean-Michel Caroit LA DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ DE DOMINICAINS D'ORIGINE HAÏTIENNE AU COEUR D'UN CONFLIT AVEC LE HCR Depuis plusieurs semaines, les ultra-nationalistes, alliés du gouvernement, font monter la pression pour obtenir la fermeture du bureau du Haut Comité aux réfugiés des Nations unies (HCR) à Saint-Domingue et l'expulsion de son responsable, Gonzalo Vargas Llosa, le fils du Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa. Car l'action du HCR en faveur des migrants haïtiens et de leurs descendants menacés d'apatridie dérange les autorités dominicaines. Mardi 23 septembre, plusieurs dizaines de descendants d'Haïtiens se sont rassemblés, face au Tribunal constitutionnel, à l'ouest de Saint-Domingue, pour exiger la restitution de leurs droits civils. Car il y a tout juste un an, cette haute cour avait dépouillé de leur nationalité plus de 200 000 descendants de migrants haïtiens nés sur le sol dominicain. Une situation qui provoque un conflit entre le HCR et le gouvernement de Saint-Domingue. Les autorités dominicaines ont d'ores et déjà remis au représentant des Nations unies à Saint-Domingue un mémorandum sur la « régularisation du statut » du HCR dans le pays. Pour rester en République dominicaine, le HCR devrait renoncer à disposer d'un local, « s'abstenir d'émettre des déclarations publiques... et s'abstenir de coopérer avec des organisations et des personnes critiques de la République dominicaine ». Par ailleurs, cette rénovation du statut du HCR ne serait valide que dix mois, renouvelables à la convenance du pays hôte. Ces exigences, difficilement acceptables pour l'agence des Nations unies, pourraient faire de la République dominicaine le troisième pays à expulser le HCR, après la Libye de Kadhafi et l'Ouzbekistan. « C'est une honte pour le pays, cela me rappelle une période que nous pensions dépassée », a protesté la députée indépendante Minou Tavarez Mirabal, opposée à l'expulsion du HCR. Le très réactionnaire cardinal dominicain Nicolas de Jésus Lopez Rodriguez a emboîté le pas des autorités : « Nous faisons plus pour Haïti que les Nations unies et l'Europe, leur présence [du HCR] me fait honte », a tonné le prélat, traitant au passage les fonctionnaires de l'agence onusienne de « canailles ». « GÉNOCIDE CIVIL » Au coeur des tensions, la décision du Tribunal constitutionnel, en septembre 2013, qui avait jugé de manière rétroactive que les descendants de travailleurs migrants « en transit », 1 parfois depuis plusieurs générations, ne pouvaient prétendre à la nationalité dominicaine. L'ampleur des réactions des défenseurs de droit de l'homme et de la communauté internationale face à cette sentence qualifiée de « génocide civil » avait contraint le gouvernement à faire voter, en mai, une loi restituant la nationalité dominicaine à une partie des personnes affectées par la décision du Tribunal constitutionnel. « J'ai besoin d'un acte de naissance pour me marier mais la Junte centrale électorale [l'organisme chargé de l'état civil, JCE] refuse de me le délivrer », protestait Nancy Toussaint, danseuse née il y a trente-deux ans à Saint-Domingue. « A un an de la sentence du Tribunal constitutionnel, nous n'avons pas obtenu la restitution de nos droits, la JCE traîne des pieds et refuse de donner les documents », confirmait Ana Maria Belique, porte-parole de l'ONG Reconoci.do regroupant les descendants d'Haïtiens. Moins de 1% des personnes touchées ont bénéficié de « la loi de validation » votée en mai, alors que le délai d'inscription expire dans un peu plus d'un mois, affirment le réseau des centres jésuites et les ONG travaillant avec les descendants d'Haïtiens. L'absence de bureaux dans quinze provinces, le manque d'information, surtout dans les zones rurales et reculées, l'exigence de documents non prévus par la loi et la lenteur de la JCE sont les principaux obstacles recensés par ces organisations. Dans un document remis aux autorités dominicaines, le « système des Nations unies » s'inquiète également de la lenteur du processus. « Il existe un risque important que la majorité des personnes affectées n'obtiennent pas leurs documents d'identité », souligne l'agence, qui recommande une extension du délai d'inscription jusqu'au 31 mai 2015 et l'assignation « de ressources plus importantes pour réaliser des campagnes d'information ». En Haïti, le Groupe d'appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) a mis en garde contre le retard pris par le plan national de régularisation des étrangers en République dominicaine. Initié cette année pour les migrants en situation irrégulière, ce plan doit également prendre fin le 31 mai 2015. Les autorités dominicaines font valoir qu'il revient au gouvernement haïtien de fournir des documents d'identité à leurs migrants pour qu'ils puissent être régularisés. Le GARR craint « des rapatriements massifs et l'arrivée d'apatrides en Haïti » si ce plan se solde par un échec. © 2014 Le Monde.fr. Tous droits réservés. 2