Sagesse et nirvana dans le stoïcisme et le bouddhisme
. Pierre HAESE, septembre 2015
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Les trois maîtres qui représentent l'"Ancien Portique", Zénon, Cléanthe, Chrysippe ont
conservé l'héritage des cyniques, et leur pensée participe aussi au grand courant de "retour
à la nature" qui marque leur temps
1
». Ces affirmations doivent néanmoins être nuancées,
J.-J. Duhot soutenant pour sa part que « Le stoïcisme n'est […] pas une philosophie de la
consolation pour une époque décadente, mais la pensée majeure d'un hellénisme triomphant
qui redessine le monde et crée un immense espace où sa culture, son art et sa pensée
s'offrent comme modèle universel
2
».
À la Renaissance, la France est déchirée par trente ans de guerre. A. Bridoux n'hésite
pas à faire le lien entre la situation catastrophique du pays et la résurgence du stoïcisme qui
« n'est encore qu'un auxiliaire, mais va bientôt prendre de l'ampleur et de la consistance
sous l'influence des événements
3
». Plus loin, il évoque la présence de Guillaume du Vair
« au cœur des événements » et s'émeut de l'œuvre qui s'ensuit : « Rien n'est plus émouvant
que ce Traité de la Constance et Consolation et calamités publiques, écrit en 1590, pendant
le siège de Paris, au fort de cette famine qui devait faire mourir le quart des habitants. […] Il
traduisit le Manuel d'Épictète ; il publia la Philosophie morale des stoïques, qui nous apporte
la substance des Entretiens
4
».
Citant Juste Lipse, J. Lagrée abonde elle aussi dans l'idée d'une époque en proie à
d'intenses perturbations : « Le contexte politique auquel répondent les traités néostoïciens,
dans l'Europe de la fin du XVI
e
siècle, est moins celui de la tyrannie, comme chez Sénèque,
que de la guerre et ce contre quoi le maître prémunit son disciple, c'est moins la peur de la
mort ou de l'exil que la tentation de la fuite
5
». Face à l'impossibilité (et à la lâcheté) de la
fuite, Langius répond à Lipse : « Affermir son esprit et le fortifier, voilà le vrai moyen de
trouver en soi le calme au sein des troubles, la paix au milieu des armes
6
». Si le
néostoïcisme qui sera soutenu par Juste Lipse vise à affermir le christianisme, dans un acte
1
- Maria Dakari, « Les deux races d'hommes dans le stoïcisme d'Athènes», dans Les Stoïciens, p. 381.
2
- J.-J. Duhot, Épictète et la sagesse stoïcienne, p. 16.
3
- André Bridoux, Le Stoïcisme et son influence, p. 206. C'est moi qui souligne.
4
- Ibid.
5
- J. Lagrée, Le Néostoïcisme, op. cit., p. 121. « Depuis tant d'années, nous sommes en proie au bouillonnement
des guerres civiles ; nous sommes ballottés à tous vents, comme sur une mer orageuse, par les troubles et les
séditions. Si je cherche le repos et le calme du cœur, je suis assourdi par le son des trompettes et le fracas des
armes. Si je me réfugie dans les jardins, soldats et sicaires me rejettent dans la ville. C'est pour cela que je suis
décidé à fuir… » (Juste Lipse, De Constantia libri duo…, Anvers, 1584, I, 1, 133).
6
- Const., p. 134-135. C'est moi qui souligne. Ailleurs (dans « Stoïcisme et Christianisme : de la connivence au
malentendu », Conférence 23 janvier 2013, Centre Sèvres), J. Lagrée signale encore les circonstances de la
traduction du traité sur la constance de Juste Lipse par Lucien du Bois en 1873, citant celui-ci : « Pour notre
compte nous avons été incité à le traduire précisément par le spectacle des catastrophes de 1870, de la guerre,
du siège de Paris et de la hideuse insurrection de la Commune », ainsi que la dernière édition française du traité
de la Consolation de G. du Vair, par G. Michaut, « publiée en France en 1945 avec référence explicite, en avant-
propos, aux malheurs du temps » et dédiée au fils de l'éditeur mort pour la France, à 23 ans, à Buchenwald, en
1944.