4INFORMATION JUIVE décembre 2008
EDITO
La bourse
et la vie
PAR JOSY EISENBERG
La terrible crise financière puis
économique qui frappe
l’humanité rappelle les propos
du poète : “Tous ne
mourraient point, mais tous
étaient frappés.”
Tous ! Les riches sont moins riches, et les
pauvres sont plus pauvres. C’est bien
entendu ce second constat qui nous afflige
et nous inquiète, et l’on voit bien le cortège
de misères et de désespoirs qui se profile
à l’horizon. Quant aux nantis, on est tenté
de ne verser qu’une petite larme sur leur
sort, d’autant plus que leurs pertes sont
souvent virtuelles et peut être pas
définitives. Pour prendre un exemple
parmi les fortunes juives, il se dit que
Roman Abramovitch était à la tête de 18
milliards de dollars et que ses actifs
aujourd’hui ne s’élèvent “plus”qu’à 3
milliards… Résultat ? Il ne s’achètera sans
doute pas un yacht de plus et s’offrira
quelques footballeurs de moins. Pas de
quoi pleurer !
Cependant, même là, les choses ne sont
pas si simples. Israël et les communautés
de la diaspora vivent en grande partie de
la philanthropie. Or, d’ores et déjà, près
de la moitié des sommes promises par des
donateurs, notamment aux Etats-Unis, ne
sont plus versées aux institutions
caritatives. Elles seront contraintes à de
drastiques réductions de leurs budgets.
Autrement dit, et sans vouloir regarder par
le petit bout de la lorgnette, une situation
dramatique qui met en péril l’humanité
tout entière, les communautés juives en
paieront le prix fort.
Depuis le début de la crise, les analystes
ne se sont pas privés d’inonder les médias
de savantes réflexions sur les causes
financières et les conséquences
économiques de ce désastre : récession,
chômage, inflation et – ou – stagflation –
paupérisme et tutti quanti. Je n’aurai pas
l’outrecuidance d’ajouter mon grain de
sel, sans grand intérêt, à ce flot
d’informations. Tout semble avoir été dit
du point de vue de l’analyse économique
et financière.
Néanmoins, si l’on considère les choses
du point de vue de la Torah, on découvre
aisément que toute la lumière n’a pas été
faite. Quelques observations
fondamentales me paraissent donc
s’imposer.
La première cause de la crise, c’est bien
entendu la spéculation financière. Elle a
été accentuée par le problème des crédits
et du prêt à intérêt : les fameuses
subprimes. Or, l’une des plus importantes
préoccupations de la Torah a été
précisément de s’opposer constamment
au prêt à intérêt, qualifié de morsure – on
a envie de dire : de mort sûre – et
comparée à la fameuse livre de chair du
“Marchand de Venise”. Ce n’est pas le fait
de prêter que la Torah stigmatise. Bien au
contraire : elle en fait un impératif
catégorique de solidarité “si ton frère
s’écroule, aide-le à se relever.” (Lévitique
25, 25)
Bien entendu, les choses ne sont pas si
simples. Toutes les restrictions, d’une rare
rigueur, que le Talmud impose au prêt à
intérêt semblent bien ne concerner que
les relations entre personnes et non les
affaires commerciales. Aussi bien, à partir
de la Renaissance, le développement du
système bancaire en Europe a-t-il tout
naturellement interpellé la loi rabbinique
et exigé des accommodements. C’est ainsi
qu’est né en Pologne le fameux “Héter
Iska” : en deux mots, l’exigence d’une
participation aux risques s’agissant d’un
prêt destiné non pas à faire face à une
détresse personnelle mais accordé dans
le cadre du monde des affaires. C’est
pourquoi les banques juives ou
israéliennes ne se font pas faute – si l’on
peut dire – de prêter. Avec pour
conséquence l’inévitable et endémique
problème du surendettement.
Or, il se trouve que ce problème avait,
lui aussi, trouvé une solution – théorique
– dans deux lois de la Torah dont on ne
peut qu’admirer l’originalité, la Chemita
– l’année sabbatique – tous les sept ans,
et le Jubilé : tous les cinquante ans.
Dans le premier cas, il s’agissait
d’annuler purement et simplement les
dettes des particuliers. Quant au Jubilé,
il demandait de remettre à zéro les
compteurs de l’aliénation du patrimoine
immobilier. Lorsque l’on voit l’étendue des
confiscations et expulsions qui sont en
train d’être opérées aux U.S.A. – mais
aussi, hélas, en Israël – c’est peu de dire
à quel point les lois de la Torah étaient
prémonitoires !
La vérité historique impose, certes, de
reconnaître que ces lois relèvent
apparemment de l’utopie. Les rabbins du
Talmud en avaient eux-mêmes pris
conscience en les amendant au point de
les rendre quasiment caduques ! Mais le
mot “utopie” ne signifie pas impossible.
Etymologiquement, il désigne une
disposition qui “n’ a pas encore trouvé sa
place. ”Qui n’est pas irréalisable, sinon il
serait absurde de la penser, mais qui n’a
pas été réalisée. C’est d’ailleurs pourquoi
les sociologues parlent “d’utopie
dynamique” : une idée – un idéal –
destinée à stimuler l’imagination et à
tendre vers son accomplissement. Le
messianisme juif est à cet égard un bon
exemple d’utopie, tout comme le retour à
Sion. Sans ces deux utopies, le peuple juif
aurait disparu depuis longtemps. Elles
furent la colonne vertébrale et le souffle
qui lui permirent de survivre. D’ailleurs,
le monde moderne n’a cessé d’accoucher
d’innombrables utopies dont nos ancêtres
n’étaient même pas capables de rêver. Qui
aurait cru, au Moyen-âge, qu’un jour un
homme pourrait parler à un autre homme
d’un continent à l’autre, marcher sur la
lune, remplacer un cœur ou réaliser le
rêve d’Icare ?
Le péché originel du monde moderne,
c’est donc d’avoir perverti l’usage du prêt
à intérêt. C’est ainsi qu’une procédure
destinée, comme la dîme ou plus tard
l’impôt sur le revenu, à atténuer les
disparités de la vie socio-économique s’est
transformée en système d’enrichissement
d’un capitalisme devenu sauvage et
incontrôlé. En fait, d’avoir donné libre
cours à un double désir, pour ne pas dire
une double
avidité : les uns – les prêteurs -, disposant
d’ailleurs de capitaux le plus souvent
confiés par des particuliers, peuvent ainsi
vivre de profits générés non par le travail