Chostakovitch et Staline (3) - Collège saint Exupéry (Vanves)

Chostakovitch et Staline (3)
Extrait du Collège saint Exupéry (Vanves)
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Chostakovitch et Staline (3)
- Activités pédagogiques - Le coin des disciplines - Education musicale -
Date de mise en ligne : samedi 25 février 2012
Collège saint Exupéry (Vanves)
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Chostakovitch et Staline (3)
Nous arrivons aux huitième et neuvième symphonies, grâce à Solomon Volkov, Chostakovitch et Staline (Anatiloa,
Editions du Rocher, 2004).
La Huitième Symphonie :
Après les parallèles possibles entre la Septième Symphonie et le Requiem d'Anna Akhmatova, voici la référence
littéraire de la Huitième Symphonie, c'est Le Poème du soldat inconnu de Mandelstam, composé en 1937, l'oeuvre la
plus complexe du poète. Il s'agit d'une oeuvre apocalyptique dans laquelle Mandelstam a une vision prémonitoire de
la fin du monde dans une prochaine guerre. Le poète semble regarder les terribles batailles d'en haut, depuis le
cosmos. Cette perspective cosmique, à couper le souffle, est aussi celle de la Huitième Symphonie. Chostakovitch
avait d'abord donné un titre au finale de cette symphonie : "Dans l'espace cosmique, la Terre vole à sa perte". Une
influence audible est celle de la symphonie Manfred de Tchaïkovski. Le Manfred de Byron et de Tchaïkovski erre de
par le monde en recherchant la mort et quitte la vie sans crainte ni regrets. Ce désespoir universel fut compris par les
plus intuitifs des premiers auditeurs de cette Huitième Symphonie. La combinaison étonnante de tragédie cosmique
et de grotesque à la Jérôme Bosch caractérise aussi bien le Poème au soldat inconnu que la symphonie de
Chostakovitch. Le chef d'orchestre Nikolaï Golovanov dit : "De quels cratères humains est née cette musique, cette
tragédie sans issue - cette fin du monde ?"
Des millions de tués au rabais
Ont piétiné le chemin du néant ....
Comme chez Mandelstam dans Le Poème du soldat inconnu, le thème de la mort prédomine dans l'oeuvre de
Chostakovitch. Les idées noires se déversaient toutes seules sur le papier, il ne leur fallait qu'un prétexte. A cette
même époque, Chostakovitch a écrit un cycle vocal sur les vers de poètes anglais ; parmi ce cycle, deux poèmes
brillent tout particulièrement, tous deux dans les traductions de Pasternak : A son fils de Walter Raleigh, et le Sonnet
LXVI de Shakespeare. Dans le premier poème, l'écrivain, poète, pirate, aventurier médite, avant son exécution, sur
le "rendez-vous final" du mauvais sujet, de la potence et de la corde. Raleigh ne parle pas directement du supplice
inévitable, mais à mots couverts, avec défi, presque humour noir. Tout ramène au thème de Manfred dans la
Huitième Symphonie, et aussi à la poésie, datée de 1939, qu'Akhmatova a incluse dans son Requiem :
Quoi qu'on fasse, tu arriveras. Pourquoi pas maintenant ?
Car je t'attends - la vie m'est difficile"
Tout proche est aussi le soupir qui ouvre le Sonnet LXVI de Shakespeare-Pastenak-Chostakovitch :
-* "Lassé de tout, j'aspire à la paix de la mort"
Et plus loin :
Las de voir en naissant mendier le mérite,
De creuses nullités amuser sans effort,
La bonne foi trahie en mauvaise conduite
Et les honneurs dorés sur la honte placés,
Des filles la vertu crûment prostituée,
Le juste et le parfait par le mal rabaissés,
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Chostakovitch et Staline (3)
En tortueux chemins force destituée,
L'art devenu muet devant l'autorité,
Folie endoctrinant jusqu'à l'intelligence,
Le vrai simple accusé d'être naïveté,
Le bien captif au mal rendant obéissance,
Lassé de tout cela, j'aurais fui sans retour
Si mourir ne devait laisser seul mon amour.
Ehrenbourg se souvient de la première de la Huitième Symphonie à Moscou, au mois de novembre 1942. Il écrit : "
Je suis revenu bouleversé ; soudain avait retenti le choeur des anciennes tragédies grecques. La musique a un
privilège énorme : elle peut tout exprimer sans rien dire".
La Neuvième Symphonie :
Le 8 mai 1945 fut la capitulation de l'Allemagne, le 2 septembre celle du Japon. Les années noires qui avaient vu
périr des millions de gens étaient passées. L'Union soviétique, au prix de sacrifices inouïs, avait non seulement
repoussé l'invasion hitlérienne mais imposé sa domination sur d'immenses territoires en Europe et en Asie, et elle
jouissait d'une autorité sans précédent. Il ne fait aucun doute que Staline imputait cet état de choses à la sagesse de
sa politique. Il se croyait maître des destinées du monde. Il voulait à présent que son rôle nouveau, sa puissance
soient célébrées dans de grandes oeuvres, dignes de son génie. Chostakovitch faisait partie des auteurs en qui
Staline plaçait de grandes espérances. Deux de ses symphonies monumentales - la Septième et la Huitième -
avaient figuré pendant la guerre parmi les oeuvres les plus populaires en Union soviétique comme en Occident. Tout
le monde était sûr que Chostakovitch achèverait une trilogie symphonique "guerrière" en composant, en l'honneur de
la victoire, une oeuvre particulièrement importante et triomphale, sans doute avec participation de choeurs et de
solistes.
Magie des chiffres encore : l'importance du chiffre 9. La Neuvième Symphonie de Beethoven, et son célèbre finale
avec choeurs, L'Ode à la joie, a toujours été considérée comme le sommet du répertoire symphonique mondial et
comme le plus grand des manifestes humanistes exprimés par la musique. On supposait que Chostakovitch allait
écrire quelque chose comme une Neuvième soviétique. ......... Quand cette Neuvième s'acheva au bout de
vingt-deux minutes seulement, sans choeurs, sans solistes, les auditeurs se dispersèrent avec un sentiment de
gêne, comme s'ils avaient honte du pied de nez musical fait par Chostakovitch à tout le monde - fait non par un
gamin mais par un homme de quarante ans, et à un moment pareil. Un pied de nez musical ? On suppose que c'était
la définition la plus douce qui a dû venir à l'esprit de Staline en écoutant cette oeuvre. Il n'y avait là pas la moindre
allusion à des triomphes ni à des hymnes, mais de l'ironie et du grotesque en veux-tu, en voilà ! Le vieux Haydn en
compagnie d'un brave sergent américain mal grimé en Chaplin galopent en grimaçant et en se contorsionnant
pendant tout le premier mouvement de la symphonie. Chostakovitch s'est exprimé avec la brusquerie et l'intuition du
vrai populiste qu'il n'a jamais cessé d'être. Sa symphonie reflétait les émotions cachées des "classes inférieures", cet
esprit lucide et moqueur. "Et nous, les adolescents d'alors, nous avons immédiatement ressenti l'actualité et la
nécessité de cette musique, ici et maintenant. Nous avons même inconsciemment compris le sens polémique de la
Neuvième : elle avait bien raison de se moquer de toutes les fausses grandeurs, fausses majestés et fausse
emphase". (Sergueï Slonimski, compositeur) Beaucoup de signes et d'allusions de l'auteur permettent de rapprocher
la Neuvième Symphonie du Maître et Marguerite de Boulgakov. Ce subtil et habile mélange de tragédie, de lyrisme,
d'ironie et de grotesque devait alors sembler à Staline non seulement un pied de nez irresponsable, mais une
provocation directe. La plus grave, c'est que Staline replaçait cet acte délibéré de désobéissance dans le contexte de
résistance généralisée qui gagnait l'élite soviétique. Il fallait remettre l'élite culturelle à sa place, sans hésitation ni
faiblesse. Après avoir vu la seconde partie d'Ivan le Terrible d'Eisenstein, Staline furieux, promit : "Vous étiez hors
d'atteinte en temps de guerre, mais maintenant nous allons nous occuper de vous comme il faut". L'exécution de
cette menace ne se fit pas attendre .....
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Chostakovitch et Staline (3)
A suivre .....
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