B 31 - Prise en charge de l`anxiété en soins palliatifs : privilégier un

Med Pal 2002; 1: 19-34
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SYNTHÈSE
Médecine palliative
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N° 1 – Octobre 2002
Prise en charge de l’anxiété en soins palliatifs :
privilégier un traitement étiologique
Sarah Dauchy, Institut Gustave - Roussy, Villejuif,
Claire Chauffour-Ader, Hôpital Joseph Ducuing, Toulouse.
Summary
Management of anxiety in palliative care patients: a plea for
etiological treatment
Anxiety, a common condition in palliative care patients, is not
always pathological and generally poorly assessed. The diffi-
culty in identifying anxiety, and thus in treating it, results from
the intricate intertwining of the somatopsychic symptoms,
sometimes leading to misdiagnosis or over-medication. The
goal is to attenuate patient suffering and its impact on quality-
of-life. “Zero psycological distress” is not a realistic objective
for the terminally ill. When the pathological nature of anxiety
is recognized, the first diagnostic step is to assess the course
and duration of the symptoms. First intention therapy should
rely on non-drug options. This implies full team work including
all care givers. Drug prescriptions are only warranted when the
intensity of anxiety or associated psychiatric disorders are
clearly pathological. Benzodiazepines, neuroleptics and anti-
dipressors may be useful. Care must be taken to achieve ade-
quate assessment of anxiety symptoms using standardized and
validated tools.
Key-words:
palliative care, anxiety.
Dauchy S, Chauffour-Ader C. Prise en charge de l’anxiété en soins palliatifs :
privilégier un traitement étiologique. Med Pal 2002; 1: 19-34
Résumé
Les symptômes anxieux sont fréquents en Soins Palliatifs, pas
toujours pathologiques, et généralement mal évalués. Difficiles
à identifier et donc à traiter, du fait de l’intrication somato-
psychique des symptômes, ils peuvent conduire soit à une atti-
tude de banalisation soit à une surmédicalisation. Le but de leur
prise en charge est d’en atténuer le vécu pénible ou le retentis-
sement sur la qualité de vie du patient. « Détresse psychologi-
que zéro » ne peut être un objectif réaliste en fin de vie. Lorsque
le caractère pathologique de l’anxiété est avéré, l’évaluation de
la chronologie et de la durée d’évolution des symptômes cons-
titue la première étape diagnostique. Les approches non phar-
macologiques sont à la base de la prise en charge de l’anxiété ;
elles impliquent tous les soignants, même non spécialistes, dans
leur prise en charge d’équipe ou leur relation individuelle avec
le patient. Les prescriptions ne sont justifiées que lorsque
l’anxiété revêt un caractère pathologique, du fait de son inten-
sité ou des pathologies psychiatriques auxquelles elle est asso-
ciée. L’arsenal thérapeutique est représenté par les
benzodiazépines, les neuroleptiques et les antidépresseurs. Des
efforts doivent être engagés pour une meilleure évaluation des
symptômes anxieux, en particulier grâce à des outils standar-
disés et validés.
Mots clés :
Soins palliatifs, anxiété.
Adresse pour la correspondance :
Claire Chauffour-Ader, Unité de soins palliatifs,
Hôpital Joseph Ducuing, 15, rue de Varsovie,
31076 Toulouse Cedex 3.
L’
identification et le soulagement des symptômes
psychologiques en soins palliatifs font partie intégrante
des objectifs de prise en charge globale du patient. Dans
cette population, les symptômes anxieux sont fréquents.
Cette fréquence est néanmoins difficile à préciser selon
que l’on considère les symptômes anxieux d’origine
organique, les symptômes anxieux éventuellement asso-
ciés à une autre pathologie, comme un trouble de
l’humeur, ou les troubles anxieux isolés (ces derniers
étant évalués entre 4 et 14 %, selon les études) [1].
Cependant, malgré la fréquence de ces troubles, leur
prise en charge en pratique se heurte à des difficultés
tant diagnostiques que thérapeutiques, et à l'absence de
références consensuelles. La présence au premier plan de
symptômes physiques bruyants peut faire passer à
l'arrière-plan l'évaluation psychologique, et le risque est
la méconnaissance ou la banalisation du trouble
anxieux, qui sera sous-évalué, sous-traité, jusqu'à ce
qu'une exacerbation brutale vienne plonger patient,
entourage et médecin dans une situation d'urgence et de
crise [2]. Lorsque le diagnostic peut être fait, le traite-
ment symptomatique qu'est la prescription d'anxiolyti-
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Prise en charge de l’anxiété en soins palliatifs :
privilégier un traitement étiologique
SYNTHÈSE
ques est commun [3], mais ne va pas sans poser des
problèmes de tolérance, notamment cognitive, chez des
patients déjà polytraités.
La méconnaissance des moyens d'évaluation et de
prise en charge des troubles anxieux participe certaine-
ment à ces difficultés. Le retentissement de ces troubles est
pourtant potentiellement majeur : on sait que la présence
d’une détresse psychologique est associée à une moins
bonne qualité de vie du patient, à des scores douloureux
plus élevés, des effets indésirables médicamenteux plus
fréquents, des durées d'hospitalisation plus longues [4].
Nous proposons de faire le point, en soins palliatifs,
sur la présentation de ces troubles, les méthodes d'éva-
luation et les possibilités thérapeutiques actuelles.
Des diagnostics multiples
Anxiété normale ou pathologique
La peur de la maladie, de la souffrance et de la mort
chez un patient atteint de maladie incurable est une peur
commune. Il s'agit donc d'une émotion fréquente et,
dans ce contexte, compréhensible. Jusqu'où doit-on la
considérer comme normale ? A partir de quand parle-t-
on d'anxiété, et plus encore d'anxiété pathologique ?
Quelques définitions sont nécessaires.
La peur peut être définie comme une émotion phy-
siologique, signal de danger, issue de la confrontation
avec un danger réel, précis et objectif [5].
L'anxiété est le sentiment pénible d'attente d'un dan-
ger imprécis, une crainte plus floue et sans objet précis.
La distinction entre peur et anxiété est parfois malaisée
et peu nette, en particulier dans le contexte des soins
palliatifs.
La définition de l'angoisse n'est guère plus pré-
cise ; le terme emprunte au champ du somatique et
désigne théoriquement une anxiété intense avec mani-
festations somatiques (cardiaques, respiratoires...). La
distinction entre anxiété et angoisse est surtout fran-
cophone et les deux termes sont actuellement utilisés
indifféremment.
En pratique, on parle habituellement d'anxiété lors-
que la traduction émotionnelle ou cognitive de la situa-
tion vécue par le patient devient pénible, éprouvante ou
paralysante dans sa vie quotidienne. Cette anxiété n'est
pas forcément considérée comme pathologique au sens
où elle peut être adaptative, transitoire et finalement
gérable chez un patient confronté à la souffrance et à la
mort. Si elle dure, si elle met en péril les liens sociaux
ou familiaux, voire la relation aux soins, elle devient
maladaptative et plus franchement pathologique. En
revanche, dans l'une ou l'autre de ces situations, elle
peut être perçue comme suffisamment désagréable par le
patient pour que celui-ci demande une aide, ou devenir
assez symptomatique pour qu'une évaluation et éven-
tuellement un traitement soient proposés.
On voit combien, dans la définition du symptôme
anxieux lui-même, les contours sont imprécis. Il est plus
pertinent de retenir les notions d'intensité, de souffrance
ressentie par le patient, d'interférence avec la vie rela-
tionnelle ou avec l’acceptation des soins, pour définir le
caractère pathologique du trouble, en sachant qu'il s'agit
d'un processus dynamique et évolutif : une anxiété
adaptative, sans grand retentissement cognitif ou affec-
tif, peut devenir pathologique à la faveur d'un stress
physique (douleur, majoration d'une dyspnée...) ou psy-
chique (hospitalisation, changement de référent...).
L'importance d'une approche étiologique du
symptôme, et la nécessité d'une évaluation précise, éven-
tuellement quantitative, trouvent ici une de leurs premiè-
res justifications.
Manifestations évocatrices d’anxiété [2]
Il peut s'agit d'une attitude psychique, ou d'un
contenu cognitif :
– hyperattention, hypervigilance ;
anticipation dramatisée des événements futurs ;
verbalisation d'une peur excessive (examens, hos-
pitalisation), avec réassurance difficile ;
sentiment de tension intérieure ;
– difficulté à faire un choix, à prendre une décision ;
– irritabilité, distractibilité ;
– troubles du sommeil (retard d'endormissement, mais
aussi réveils anxieux, plutôt en première partie de nuit).
Il peut également s'agir de manifestations somati-
ques :
respiratoires : sensation de constriction, d'oppres-
sion thoracique, gêne respiratoire, accès de toux, polyp-
née ;
– cardio-vasculaires : palpitations, lipothymies,
tachycardie, douleur thoracique atypique ;
neuromusculaires : crampes, tremblements, agita-
tion motrice, paresthésies, acouphènes, sensations verti-
gineuses... ;
digestives : spasmes pharyngés, nausées, spasmes
coliques ;
neurovégétatives : sueurs, sécheresse buccale ;
majoration d'une plainte douloureuse préexistante,
ou modification inexpliquée de la symptomatologie dou-
loureuse. L’anxiété fait partie des traductions émotion-
nelles et comportementales de la douleur, et peut parfois
en être un symptôme majeur chez un patient peu com-
municant.
Ces différentes manifestations sont souvent liées. Le
contenu cognitif à type de crainte est en général présent,
quoique parfois non verbalisé spontanément par le
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Sarah Dauchy, Claire Chauffour-Ader
patient. Il peut cependant être absent, lorsque la
répression émotionnelle est particulièrement forte, ou
dans certains contextes culturels, en particulier chez le
patient de sexe masculin. La crainte peut aussi être attri-
buée faussement à une éventuelle pathologie somatique :
le patient explicite son anxiété par la crainte que les
manifestations somatiques d’angoisse signent une
authentique pathologie organique.
C'est donc lorsque les symptômes anxieux devien-
nent une souffrance pour le patient ou son entourage
qu'on parle d'anxiété pathologique. Il importe alors que
la réponse ne soit pas uniquement symptomatique, et
qu’on s’attache à en déterminer l’étiologie.
L’ordre choisi pour aborder ces différentes causes
possibles des symptômes anxieux n’est pas celui de leur
fréquence mais celui de la démarche diagnostique.
Anxiété symptôme d'un trouble organique
L'anxiété peut faire partie du cortège symptomatique
d'une pathologie organique. Elle sera d'autant moins
facile à diagnostiquer que les capacités de communica-
tion seront diminuées. Le tableau est celui d'une angoisse
aiguë, de survenue récente, chez un sujet sans antécé-
dent psychiatrique particulier ni facteur de stress récent.
Le diagnostic est orienté par l'anamnèse, et peut souvent
se suffire d'une clinique simple. En sus des usuelles cons-
tantes hémodynamiques et respiratoires, on recherchera
en priorité une douleur non ou insuffisamment contrô-
lée, et un syndrome confusionnel.
La douleur mal contrôlée est une des principales cau-
ses d’anxiété [6]. La douleur sera chez le patient d'autant
plus anxiogène que la signification qui lui est associée
est anxiogène (douleur rapportée directement à l'exten-
sion d'une pathologie cancéreuse par exemple), ou que
l'information du patient sur les ressources thérapeutiques
antalgiques est faible : patient convaincu qu'il ne tolère
pas les opiacés par exemple, ou qu'il a épuisé tout espoir
de soulagement de sa douleur. Dans une étude portant
sur des patients souffrant d’une douleur liée à un cancer
du poumon en stade IV [7], l’intensité douloureuse est
corrélée avec le score d’anxiété, lui-même d’autant plus
élevé que le patient ne se sent pas capable de contrôler
sa douleur ou pense qu’elle ne peut pas diminuer.
L'anxiété elle-même, qui peut préexister à la douleur,
est source d'une majoration de la perception doulou-
reuse, mais cette hypothèse d'une majoration de la per-
ception douloureuse par l'anxiété ne doit évidemment ni
retarder ni diminuer le traitement antalgique. C'est
l'association à un traitement anxiolytique, et l'encoura-
gement à la verbalisation de l'anxiété, qui permettra de
faire le diagnostic.
La fréquence des troubles cognitifs et des syndromes
confusionnels augmente considérablement en fin de vie
(jusqu'à 85 % en fonction des critères retenus pour le
diagnostic) [8]. L'anxiété est en général présente dans
les phases d'amélioration cognitive partielle, qui per-
mettent au patient de percevoir le trouble mais avec une
trace mnésique incomplète qui le laisse perplexe et
anxieux. Le plus souvent le diagnostic se fait lors de
l'entretien libre avec le patient, qui doit permettre
d'apprécier les capacités mnésiques rétrogrades et anté-
rogrades ainsi que l'orientation (date, lieu, nom du pré-
sident, des familiers, rappel de mots simples). Les
troubles phasiques, les troubles de la vigilance et du
jugement sont en général rapidement mis en évidence
lorsqu'ils sont présents et que le patient peut s'exprimer.
L’interrogatoire de l’entourage (familial ou soignant) est
toujours utile. Il est capital pour le diagnostic chez les
patients peu ou non communicants, et dans les syndro-
mes confusionnels.
Certains symptômes anxieux ont une origine iatro-
gène. La notion de modification récente du traitement
orientera vers cette hypothèse. Certains médicaments
sont classiquement responsables (corticoïdes par exem-
ple, surtout à l’initiation du traitement). Il faut rester
vigilant lorsque le patient reçoit des médicaments
récents, certains effets psychiques n’étant pas forcément
connus. Un sevrage brutal, volontaire ou fortuit, d'un
médicament anxiolytique peut aussi être un élément
favorisant, notamment si cette interruption est contem-
poraine d’une diminution du traitement antalgique [3].
Les symptômes d’anxiété au sevrage d’un médicament
psychotrope peuvent parfois, en cas de demi-vie longue
et de métabolisme ralenti, apparaître plusieurs jours
après l'arrêt du traitement.
L’anxiété des classiques tableaux cardio-respiratoires
(embolies pulmonaires, insuffisance coronarienne, pneu-
mothorax, asthme, hémorragies internes), neurologiques
(tumeurs cérébrales..) ou métaboliques (hypoglycémies,
hypercalcémies…) est rarement un symptôme isolé. Lors-
que la pathologie sous-jacente n’est pas contrôlable par
le traitement chez un patient en fin de vie, la prise en
charge de ces symptômes anxieux peut être extrêmement
complexe (dyspnée progressive de l’insuffisance respira-
toire terminale par exemple).
Le premier piège du symptôme anxieux est donc une
pathologie organique sous-jacente. Mais le risque est
aussi inverse : une anxiété non organique survenant
chez un sujet hospitalisé en milieu hautement technique
risque beaucoup plus d’être médicalisée d’emblée que si
elle survient dans un milieu non médicalisé. Dans le pre-
mier cas, le réflexe de prescription d’examens complé-
mentaires risque fort de faire passer la parole et le
soutien du patient à l’arrière-plan. Les investigations
organiques doivent rester raisonnables et raisonnées, et
le praticien disponible pour l’échange.
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Prise en charge de l’anxiété en soins palliatifs :
privilégier un traitement étiologique
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Symptôme anxieux d'origine psychique
Anxiété symptôme d'un autre trouble
psychiatrique
L'anxiété est un symptôme associé à une très forte
comorbidité psychiatrique [5]. Le traitement du symp-
tôme anxieux passe par le traitement de la pathologie
sous-jacente ou associée. Les symptômes anxieux sont
fréquents dans les syndromes dépressifs. Il existe pour
certaines pathologies des recoupements de critères dia-
gnostiques (dépressions agitées et anxieuses par exem-
ple). D’autre part, la probabilité de comorbidité des
troubles est parfois très élevée : la prévalence vie entière
d’un épisode dépressif majeur est par exemple de 73 %
pour les patients présentant un trouble anxieux généra-
lisé. La recherche d'un syndrome dépressif est donc sys-
tématique devant un trouble anxieux. En fin de vie le
diagnostic de dépression est cependant souvent malaisé.
Les symptômes somatiques de la dépression (asthénie,
anorexie, apragmatisme...) sont plus difficilement inter-
prétables. L'expression d'éléments cognitifs dépressifs
évocateurs (douleur morale, perte de plaisir, culpabilité..)
peut être rendue difficile par le ralentissement psychique
de la dépression majeure. Il faut donc rechercher active-
ment ces éléments symptomatiques. L'existence d'anté-
cédents dépressifs peut orienter le diagnostic.
Un traitement d'épreuve peut parfois seul permettre
un diagnostic rétrospectif.
L'existence d'idées obsédantes ou de compulsions
(rituels de vérifications, de lavage, de rangement...) chez
un sujet souvent méticuleux, rigide, inhibé, peut orienter
vers le diagnostic de trouble obsessionnel compulsif.
L'anxiété en est rarement absente, d'autant plus que la
fin de vie s'accompagne en règle de multiples change-
ments (hospitalisation, changements d'équipe, handicaps
physiques...) souvent mal tolérés par un patient ritualisé.
Le traitement médicamenteux spécifique par inhibiteurs
de la recapture de la sérotonine est remarquablement
efficace.
L'anxiété est en général également présente chez les
patients souffrant de psychose, qu'il s'agisse d'une
pathologie chronique ou aiguë. Compte-tenu de l'âge
d'apparition des troubles psychotiques, il est rare que la
pathologie mentale ne soit pas déjà connue lorsque le
patient arrive en fin de vie à un âge avancé, en dehors
des troubles psychotiques secondaires à une pathologie
organique. Mais chez un patient plus jeune le diagnostic
n'est pas exclu. Cependant il s'agit d'une comorbidité
rare, accompagnée de symptômes psychotiques évoca-
teurs sauf en cas de grande méfiance, de grande réti-
cence, ou encore lorsque la communication est
physiquement impossible.
Des symptômes anxieux sont présents chez 25 à 50 %
[9] des patients alcoolo-dépendants. Par ailleurs une
anxiété chronique s'accompagne souvent d'une alcoolisa-
tion ou d'une dépendance médicamenteuse, dans un but
anxiolytique. La modification de ces habitudes toxiques
par la force des choses en fin de vie vient majorer encore
le trouble anxieux préexistant, et laisse encore plus
démuni le patient confronté à l’angoisse de la mort.
Anxiété isolée
Le plus fréquemment il s'agit d'un trouble de l'adap-
tation avec humeur anxieuse. Ces troubles désignent les
symptômes psychiques traduisant le débordement des
capacités adaptatives du patient, en lien causal avec un
ou plusieurs évènements déclenchants et théoriquement
régressifs à l'arrêt de celui ou de ceux-ci (ce critère étant
en général absent chez le patient en fin de vie). Les
symptômes doivent être présents depuis plus de deux
semaines et moins de six mois. Les troubles de l'adapta-
tion sont de plusieurs types (avec humeur anxieuse, avec
humeur dépressive, avec humeur dépressive et anxieuse,
avec trouble des conduites) [10]. Cette distinction en
sous-types, qui ne correspond pas à des traitements ou
des potentialités évolutives précises, n'est peut-être pas
très pertinente chez le patient en fin de vie. On retrouve
ces troubles de l’adaptation chez en moyenne un patient
sur trois, tous troubles de l'adaptation confondus. La
présence d'un trouble de l'adaptation chez un patient
hospitalisé est associée à une durée d'hospitalisation plus
longue, à de moins bons scores fonctionnels, à des scores
douloureux plus élevés.
Lorsque le délai écoulé depuis l'apparition des symp-
tômes d'anxiété est de quelques jours seulement, et ne
permet pas de porter le diagnostic de trouble de l'adap-
tation, il peut s'agir d'une réaction anxieuse simple. Plus
qu'un débordement des capacités d'adaptation du sujet,
il s'agit de la traduction émotionnelle et cognitive
intense et gênante d'un conflit interne (prise de cons-
cience de l'aggravation somatique par exemple) ou
externe (conflit familial, changement de lieu ou d'équipe
soignante...). La question de l’information délivrée au
patient et perçue par lui est ici capitale. Le problème est
finalement rarement celui de la réaction anxieuse catas-
trophique à une mauvaise nouvelle. Cette situation
existe, mais pose moins de problème que lorsque le
patient, qu’on a voulu protéger, est mal informé : se crée
alors un clivage entre lui et les soignants, voire entre lui
et sa famille si celle-ci a été informée et pas lui. L’anxiété
qui en résulte, liée aux problèmes de communication, à
l’incompréhension, à la perte de confiance, ne trouvera
souvent son soulagement dans le respect de la déontolo-
gie que lorsque la réalité de la situation aura pu être
abordée clairement avec le patient.
Ces réactions anxieuses simples sont fréquentes. La
verbalisation de son anxiété par le patient est capitale,
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Sarah Dauchy, Claire Chauffour-Ader
mais parfois difficile chez certains, de par leur personna-
lité ou leur état somatique.
Ces situations ne devraient pas en première intention
relever d'un traitement anxiolytique, et sont les plus sen-
sibles à l’échange, au soutien relationnel et affectif, à
l’information
Une grande crise anxieuse aiguë, à début brutal, qui
dure de quelques minutes à quelques heures et s'associe
à d'importants symptômes somatiques et à un contenu
cognitif à thème catastrophique (conviction de mort
imminente, peur de perdre la tête...), doit faire évoquer
le diagnostic d'attaque de panique. Il n'existe souvent
pas de facteur déclenchant immédiat. Ce diagnostic est
difficile parfois à établir chez le patient en fin de vie
puisque tant les symptômes somatiques que l’angoisse de
mort imminente trouvent un enracinement dans la situa-
tion réelle du patient. Les attaques de panique peuvent
s'associer à un trouble phobique préexistant, mais peu-
vent aussi être inaugurales y compris à un âge avancé
de la vie. Elles sont nocturnes dans 15 à 30 % des cas,
ce qui chez un patient en soins palliatifs peut à tort faire
évoquer des cauchemars ou des phases confusionnelles
nocturnes. Le diagnostic de ces pathologies est d'autant
plus important que le risque de récidive est élevé et
qu'elles sont associées à un risque suicidaire 10 fois
supérieur à celui de la population générale. L'utilisation
chronique des anxiolytiques est à éviter chez ces
patients, qui relèvent de la prescription de certains trai-
tements antidépresseurs. L'association entre la dyspnée
des cancers primitifs du poumon et les attaques de pani-
que est statistiquement établie [11].
Le trouble panique est fréquemment associé à des
symptômes phobiques : peur notamment d’être enfermé
ou claustrophobie (chambre d’hôpital, examens radiolo-
giques…), peur de certains gestes techniques. Lorsque
l’évitement de la situation phobogène est impossible,
l’angoisse du patient peut être majeure.
Une anxiété aiguë apparue à la suite d'un évènement
traumatique majeur déclenchant doit faire évoquer un
syndrome de stress post-traumatique. Les crises anxieu-
ses itératives s'accompagnent d'une reviviscence du
traumatisme, de phénomènes de flashs, de cauchemars
stéréotypés également centrés sur l'évènement traumati-
que. Le patient présente souvent un état d’inhibition
anxieuse. Ces troubles apparaissent en règle après un
intervalle libre de quelques heures à quelques semaines,
et font suite à un évènement brutal vécu comme extrê-
mement menaçant par le patient.
Ces syndromes de stress peuvent faire suite à des
décompensations somatiques majeures brutales. Ils
répondent quand elle est possible à une prise en charge
psychothérapeutique spécialisée, qui permettra l'élabora-
tion psychique du traumatisme.
L'anxiété aiguë associée à un événement déclenchant
peut aussi correspondre à une anxiété anticipatoire :
l'évènement, souvent un acte thérapeutique ou diagnos-
tique, n'a pas le caractère traumatisant et déstructurant
du traumatisme initial des syndromes de stress post-
traumatique, mais sa proximité s'accompagne d'une
réactivation anxieuse pénible pour le patient, qui majore
encore la mauvaise tolérance de l'acte. L'anxiété antici-
patoire, a fortiori chez un patient phobique, peut entraî-
ner une mauvaise compliance par évitement de la
situation anxiogène, voire une rupture de soins en
l’absence de prise en charge adaptée.
Une anxiété chronique évoluant depuis plus de six
mois fera évoquer le diagnostic de trouble anxieux géné-
ralisé. Ce trouble peut s’accompagner d’une attention
particulière et morbide à l'état somatique. Cette attention
peut se focaliser sur des symptômes somatiques exis-
tants, en les majorant, en compliquant leur présentation
clinique ; elle peut également être centrée sur les
symptômes physiques de l'anxiété elle-même, comme
par exemple dans les dyspnées psychogènes.
Cette pathologie répond non pas aux seuls tranquil-
lisants mais à certains antidépresseurs et à une prise en
charge psychothérapeutique adaptée.
Anxiété de l'entourage ou des soignants
Il n'est pas rare que l'anxiété initialement adaptative
et bien tolérée d'un patient soit majorée par la décom-
pensation d'un ou plusieurs des membres de son entou-
rage qui en assurent le support. Il est par exemple établi
que le stress émotionnel de l'entourage d'un patient dou-
loureux est supérieur à celui de l'entourage d'un patient
peu ou pas douloureux [12]. Chez un patient dépendant,
l'humeur anxieuse ou dépressive de celui dont il dépend
quotidiennement peut majorer en cascade sa propre
détresse émotionnelle.
De même, l'état de stress du personnel soignant,
notamment pour les professionnels intervenant seuls au
domicile, dépend de l'état du patient, en particulier de la
présence d'une douleur mal contrôlée. Le passage d'une
anxiété simple à un trouble de l'adaptation peut dépen-
dre de la capacité ou de l'incapacité temporaire parfois
d'une équipe à permettre au patient l'expression et la
validation émotionnelle suffisante pour maintenir sa sta-
bilité psychique.
Outils d'évaluation des troubles
anxieux
Intérêt
Le diagnostic des troubles anxieux est d’autant plus
difficile que les intervenants spécialisés, psychologues ou
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