Med Pal 2002; 1: 19-34
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SYNTHÈSE
Sarah Dauchy, Claire Chauffour-Ader
patient. Il peut cependant être absent, lorsque la
répression émotionnelle est particulièrement forte, ou
dans certains contextes culturels, en particulier chez le
patient de sexe masculin. La crainte peut aussi être attri-
buée faussement à une éventuelle pathologie somatique :
le patient explicite son anxiété par la crainte que les
manifestations somatiques d’angoisse signent une
authentique pathologie organique.
C'est donc lorsque les symptômes anxieux devien-
nent une souffrance pour le patient ou son entourage
qu'on parle d'anxiété pathologique. Il importe alors que
la réponse ne soit pas uniquement symptomatique, et
qu’on s’attache à en déterminer l’étiologie.
L’ordre choisi pour aborder ces différentes causes
possibles des symptômes anxieux n’est pas celui de leur
fréquence mais celui de la démarche diagnostique.
Anxiété symptôme d'un trouble organique
L'anxiété peut faire partie du cortège symptomatique
d'une pathologie organique. Elle sera d'autant moins
facile à diagnostiquer que les capacités de communica-
tion seront diminuées. Le tableau est celui d'une angoisse
aiguë, de survenue récente, chez un sujet sans antécé-
dent psychiatrique particulier ni facteur de stress récent.
Le diagnostic est orienté par l'anamnèse, et peut souvent
se suffire d'une clinique simple. En sus des usuelles cons-
tantes hémodynamiques et respiratoires, on recherchera
en priorité une douleur non ou insuffisamment contrô-
lée, et un syndrome confusionnel.
La douleur mal contrôlée est une des principales cau-
ses d’anxiété [6]. La douleur sera chez le patient d'autant
plus anxiogène que la signification qui lui est associée
est anxiogène (douleur rapportée directement à l'exten-
sion d'une pathologie cancéreuse par exemple), ou que
l'information du patient sur les ressources thérapeutiques
antalgiques est faible : patient convaincu qu'il ne tolère
pas les opiacés par exemple, ou qu'il a épuisé tout espoir
de soulagement de sa douleur. Dans une étude portant
sur des patients souffrant d’une douleur liée à un cancer
du poumon en stade IV [7], l’intensité douloureuse est
corrélée avec le score d’anxiété, lui-même d’autant plus
élevé que le patient ne se sent pas capable de contrôler
sa douleur ou pense qu’elle ne peut pas diminuer.
L'anxiété elle-même, qui peut préexister à la douleur,
est source d'une majoration de la perception doulou-
reuse, mais cette hypothèse d'une majoration de la per-
ception douloureuse par l'anxiété ne doit évidemment ni
retarder ni diminuer le traitement antalgique. C'est
l'association à un traitement anxiolytique, et l'encoura-
gement à la verbalisation de l'anxiété, qui permettra de
faire le diagnostic.
La fréquence des troubles cognitifs et des syndromes
confusionnels augmente considérablement en fin de vie
(jusqu'à 85 % en fonction des critères retenus pour le
diagnostic) [8]. L'anxiété est en général présente dans
les phases d'amélioration cognitive partielle, qui per-
mettent au patient de percevoir le trouble mais avec une
trace mnésique incomplète qui le laisse perplexe et
anxieux. Le plus souvent le diagnostic se fait lors de
l'entretien libre avec le patient, qui doit permettre
d'apprécier les capacités mnésiques rétrogrades et anté-
rogrades ainsi que l'orientation (date, lieu, nom du pré-
sident, des familiers, rappel de mots simples). Les
troubles phasiques, les troubles de la vigilance et du
jugement sont en général rapidement mis en évidence
lorsqu'ils sont présents et que le patient peut s'exprimer.
L’interrogatoire de l’entourage (familial ou soignant) est
toujours utile. Il est capital pour le diagnostic chez les
patients peu ou non communicants, et dans les syndro-
mes confusionnels.
Certains symptômes anxieux ont une origine iatro-
gène. La notion de modification récente du traitement
orientera vers cette hypothèse. Certains médicaments
sont classiquement responsables (corticoïdes par exem-
ple, surtout à l’initiation du traitement). Il faut rester
vigilant lorsque le patient reçoit des médicaments
récents, certains effets psychiques n’étant pas forcément
connus. Un sevrage brutal, volontaire ou fortuit, d'un
médicament anxiolytique peut aussi être un élément
favorisant, notamment si cette interruption est contem-
poraine d’une diminution du traitement antalgique [3].
Les symptômes d’anxiété au sevrage d’un médicament
psychotrope peuvent parfois, en cas de demi-vie longue
et de métabolisme ralenti, apparaître plusieurs jours
après l'arrêt du traitement.
L’anxiété des classiques tableaux cardio-respiratoires
(embolies pulmonaires, insuffisance coronarienne, pneu-
mothorax, asthme, hémorragies internes), neurologiques
(tumeurs cérébrales..) ou métaboliques (hypoglycémies,
hypercalcémies…) est rarement un symptôme isolé. Lors-
que la pathologie sous-jacente n’est pas contrôlable par
le traitement chez un patient en fin de vie, la prise en
charge de ces symptômes anxieux peut être extrêmement
complexe (dyspnée progressive de l’insuffisance respira-
toire terminale par exemple).
Le premier piège du symptôme anxieux est donc une
pathologie organique sous-jacente. Mais le risque est
aussi inverse : une anxiété non organique survenant
chez un sujet hospitalisé en milieu hautement technique
risque beaucoup plus d’être médicalisée d’emblée que si
elle survient dans un milieu non médicalisé. Dans le pre-
mier cas, le réflexe de prescription d’examens complé-
mentaires risque fort de faire passer la parole et le
soutien du patient à l’arrière-plan. Les investigations
organiques doivent rester raisonnables et raisonnées, et
le praticien disponible pour l’échange.