Version préprint – pour citer ce texte :
« Le rôle joué par la communauté scientifique dans la construction d’une
éthique de la recherche biomédicale », in Le droit international et
européen du vivant, quel rôle pour les acteurs privés, La documentation
française, 2009, dir. E. Brosset, p. 59
Chapitre 2
LE RÔLE JOUÉ PAR LA COMMUNAUTÉ
SCIENTIFIQUE DANS LA CONSTRUCTION
D’UNE ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE
BIOMÉDICALE
Étienne VERGES
Sur la scène internationale, la construction d’un cadre normatif
harmonisé rencontre de nombreux obstacles lorsqu’il s’agit de traiter de
questions liées à l’éthique dans le domaine du vivant. Les divergences
culturelles et les conflits d’intérêts rendent difficile l’élaboration de
règles communes. Pourtant, dans certains secteurs d’activité, l’adoption
et le respect de règles communes s’imposent comme une nécessité en
raison du caractère transnational de ces activités. Tel est le cas de la
recherche biomédicale sur la personne humaine. Ce domaine du vivant
est particulièrement sensible dans la mesure où les essais cliniques se
développent dans les pays qui ne disposent pas toujours de législation
nationale assurant la protection des personnes qui se prêtent à ces
recherches 1. Par ailleurs, le droit international ne permet pas de pallier
les lacunes des législations internes, car il n’existe pas de Convention
internationale ayant force contraignante et effet direct dans le domaine
de la recherche biomédicale. Les problèmes éthiques soulevés par les
recherches cliniques sur la personne humaine sont accrus lorsque ces
recherches ont un caractère transnational. Les essais peuvent être
1 Il faut pourtant admettre que le droit national du promoteur de la recherche française
serait susceptible de s’appliquer, notamment s’agissant des dispositions pénales. Voir
par ex. la condamnation pénale pour réalisation d’un essai sans le consentement du
patient. Cass. crim., 24 vr. 2009, nº de pourvoi : 08-84436. Il faudrait alors, en appli-
cation du principe de territorialité, démontrer que l’un des éléments constitutifs de
l’infraction a été commis en France (cf. Article 113-2 du C. Pén.).
66 LINFLUENCE DES ACTEURS PRIVES SUR LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN DU VIVANT
conduits sur des populations autochtones de pays en développement. Les
recherches cliniques menées dans ces pays soulèvent de nombreuses
questions. Les promoteurs des essais sont parfois soupçonnés de
délocaliser les recherches pour réaliser des économies de coût ou
bénéficier de cadres normatifs peu contraignants. D’un autre côté, les
pays en développement sont aussi demandeurs d’essais qui permettent de
tester la validité de médicaments adaptés aux maladies endémiques. En
d’autres termes, les enjeux économiques et de santé publique expliquent
que les promoteurs de recherches cliniques exportent leurs activités dans
des pays ne disposant pas d’un système juridique suffisamment
protecteur. La situation d’infériorité du sujet de l’essai vis-à-vis de
l’expérimentateur est alors accrue et des précautions éthiques spécifiques
doivent être prises pour éviter les éventuelles dérives 2.
Les acteurs publics n’ayant pas réussi à créer un cadre juridique
international contraignant, la question se pose de savoir si les acteurs
privés ont su pallier les lacunes du droit en élaborant un cadre normatif
éthique permettant de fixer des lignes directrices protectrices des
personnes qui se prêtent aux essais cliniques, notamment dans les pays
ne disposant pas d’une législation spécifique. La communauté
scientifique 3 peut être regardée comme un acteur privé partageant
certaines valeurs et créant ses propres normes 4. Les règles de l’éthique
scientifique ne peuvent s’apparenter à des règles juridiques, mais elles
possèdent la dimension normative du « devoir être » et sont assez
comparables aux règles de soft law. Leur inclusion au sein du droit
international peut donc paraître pertinente.
L’éthique internationale de la recherche biomédicale forme un
ensemble normatif assez complexe. Cet ensemble se caractérise d’abord
par une profusion d’acteurs (I) et parfois par une coconstruction des
normes par les acteurs privés et publics (II). Les textes de référence sont
assez nombreux, ont un contenu souvent similaire, mais comportent
parfois des divergences qui nécessitent un processus
d’harmonisation (III). Enfin, la spécificité de ces règles d’origine privée
tient essentiellement dans les processus d’application et les mécanismes
de sanction (IV).
2 Voir pour un exemple, les débats au parlement de l’Union Européenne : « Question
écrite posée par Kathy Sinnott (IND/DEM) à la Commission - Objet : Mort de bébés et
tests cliniques dans les pays tiers », http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?
pubRef=-//EP//TEXT+WQ+E-2008-4953+0+DOC+XML+V0//FR ›.
3 Que l’on décrit ici comme l’ensemble des acteurs de la recherche scientifique : institu-
tionnels, associatifs et individuels.
4 Cf. not. R. ENCINAS DE MUNAGORRI, « La communauté scientifique est-elle un ordre
juridique ? », RTD civ. 1998, p. 247 ; E. VERGES, « Éthique et déontologie de la re-
cherche scientifique, un système normatif communautaire », in Qu’en est-il du droit de
la recherche, LGDJ, coll. Travaux de l’IFR Mutations des normes juridiques, 2009, à
paraître.
LE ROLE JOUE PAR LA COMMUNAUTE SCIENTIFIQUE 67
I - LA PROFUSION DES ACTEURS DE L’ETHIQUE INTER-
NATIONALE DE LA RECHERCHE BIOMEDICALE
L’éthique de la recherche biomédicale préoccupe de nombreux
acteurs, qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou internationaux.
Tous ont édicté des textes ayant vocation à s’appliquer aux recherches
biomédicales transfrontalières.
Parmi les acteurs publics internationaux, on peut citer
l’OMS 5 et le CIOMS 6 qui ont adopté un texte intitulé « Directives
internationales proposées pour la recherche biomédicale impliquant des
sujets humains » 7 et plus généralement dénommé « déclaration de
Manille ». Ce texte, créé en 1981, a été révisé par la suite 8. La
déclaration de Manille n’est pas historiquement le premier texte en
matière de recherche biomédicale, mais il présente la spécificité d’avoir
été conçu dans le but d’adapter la claration d’Helsinki 9 à la culture et
aux conditions socio-économiques des pays en développement. Il s’agit
donc d’un texte adapté aux particularismes de la recherche
transfrontalière.
La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de
l’homme 10 adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le
19 octobre 2005 est l’autre texte issu d’une organisation internationale à
caractère public, qui évoque les questions relatives à la recherche
biomédicale. En réalité, ce texte possède un champ d’application plus
vaste : celui de la bioéthique. Il a pour objectif de poser un certain
nombre de principes, dits universels, permettant de concilier les progrès
scientifiques et les droits de l’homme. Naturellement, la recherche
biomédicale est impactée par cette Déclaration. Certaines stipulations
concernent l’exigence du consentement des sujets de la recherche (art. 6)
ou la protection de sujets vulnérables (art. 8). S’il traite de la bioéthique,
ce texte ne définit pas un véritable cadre juridique pour les recherches
cliniques. En outre, la vocation universelle du texte a conduit ses
rédacteurs à préférer l’adoption d’une déclaration plutôt que d’une
Convention. Le motif invoqué est celui d’une évolutivité de la matière 11.
On peut également penser que les normes relatives à la bioéthique ne
5 Organisation mondiale de la santé ‹ http://www.who.int/fr ›.
6 Council for international organizations of medical sciences : ‹ http://www.cioms.ch ›. Le
CIOMS est une organisation non gouvernementale qui entretient des relations étroites
avec l’OMS et l’UNESCO. Son statut d’acteur public ou privé est, dès lors, ambigu.
7 http://www.ethique.inserm.fr/ethique/Ethique.nsf/397fe8563d75f39bc12563f60028ec43/441ac3
665e68ac89c125666500476c0e?OpenDocument ›.
8 La dernière version étant datée de 2003 : ‹ http://www.cioms.ch/frame_french_text.htm ›.
9 Cf. infra sur ce texte.
10 http://portal.unesco.org/fr/ev.php-url_id=31058 ›.
11 http://portal.unesco.org/shs/fr/ev.php-url_id=1883 ›.
68 LINFLUENCE DES ACTEURS PRIVES SUR LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN DU VIVANT
sont pas suffisamment consensuelles pour que les États acceptent de se
lier par Convention. Ainsi, les principaux acteurs publics ont préféré que
l’éthique des recherches cliniques demeure dans le domaine de la
soft law.
Dans ce contexte, les acteurs privés internationaux jouent un
rôle essentiel dans l’élaboration de normes éthiques. À ce titre, le texte
de référence est la Déclaration d’Helsinki intitulée « Principes éthiques
applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains ». Elle
constitue l’un des textes les plus anciens en la matière, et aussi l’un des
plus aboutis. Adoptée en 1964 par l’Association Médicale Mondiale 12, la
Déclaration d’Helsinki a été modifiée à plusieurs reprises 13. Ce texte très
détaillé constitue un cadre normatif équivalent aux législations
nationales existantes. Il contient non seulement des principes généraux
sur l’éthique de la recherche clinique, mais aussi des principes adaptés
aux expérimentations dans des cadres communautaires ou auprès de
populations défavorisées 14.
Si la Déclaration d’Helsinki constitue un texte de référence en
matière de recherche biomédicale transnationale, on a vu se développer
récemment des textes émanant de communautés scientifiques travaillant
dans les pays en voie de développement. Ces textes ne présentent pas
toujours une normativité aboutie. Ils combinent généralement des
discours de nature politique, des réflexions scientifiques et des principes
normatifs. Par exemple, la Déclaration de Dakar sur l’Éthique et la
Bioéthique 15 a été adoptée par les participants aux Journées de
Bioéthique pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, organisées à Dakar en
juillet 2005. Ce texte prend la forme d’une profession de foi de la part de
la communauté scientifique africaine, mais il contient aussi une
déclaration d’adhésion aux principes internationaux de la bioéthique 16.
On y trouve encore une déclaration d’intention sur un cadre normatif
dans les pays en voie de développement 17. Ce texte est important, non
seulement car il traduit une volonté d’intégration des principes éthiques
internationaux dans des pays dépourvus de législations, mais aussi, car il
12 http://www.wma.net ›.
13 La dernière modification a été publiée en octobre 2008 : ‹ http://www.wma.net/f/press/
2008_16.htm ›.
14 Voir not. les paragraphes 17 et 22.
15 http://www.refer.sn/rds/article.php3?id_article=187 ›.
16 « Nous (…) déclarons (….) la nécessité de prendre en compte les principes énoncés
dans les déclarations internationales élaborées dans le domaine de l’éthique, de la
bioéthique et des sciences de la vie, notamment par l’UNESCO et l’Union Interpar-
lementaire ».
17 « Nous (…) déclarons (….) l’importance de l’engagement permanent des gouverne-
ments africains à créer, soutenir et accompagner les comités d’éthique et de bioéthique
en Afrique dans leurs initiatives, en particulier par la mise en place d’un cadre juridi-
que visant à préciser les conditions de création et de fonctionnement de ces comités ».
LE ROLE JOUE PAR LA COMMUNAUTE SCIENTIFIQUE 69
émane de la communauté scientifique. Cette déclaration d’adhésion aux
normes éthiques peut être analysée dans une perspective contractuelle
qui renforce la dimension normative de l’engagement. La déclaration de
Dakar a été accompagnée par d’autres mouvements similaires. En
décembre 2006, à l’occasion de la cinquième session de la COMEST 18,
s’est tenu le forum des jeunes chercheurs africains autour du thème
« Responsabilité sociale des chercheurs en Afrique ». Ce forum s’est
achevé sur une déclaration finale proche de la déclaration de Dakar du
point de vue formel 19 et contenant un engagement exprès au respect et à
la promotion des valeurs de l’éthique scientifique. D’autres initiatives
possèdent une normativité moins évidente, mais elles participent au
mouvement d’extension des normes éthiques sur la scène internationale.
Tel est le cas du Réseau Panafricain de Bioéthique (PABIN 20). Il s’agit
d’un groupement informel de scientifiques dont l’objectif est le
développement de la bioéthique en Afrique. En 2003 s’est tenue la
troisième conférence PABIN sur les bonnes pratiques en recherche en
santé en Afrique. Bien que cette conférence prenne la forme d’une
manifestation scientifique, la dimension normative de l’événement n’est
pas occultée. Par exemple, les scientifiques du réseau PABIN se sont
entendus sur le principe selon lequel l’absence d’évaluation du protocole
de recherche par un comité d’éthique du pays hôte rend impossible la
conduite d’une recherche biomédicale.
Ainsi, les groupements scientifiques, quelle que soit leur forme,
participent à l’élaboration des normes éthiques de la recherche
biomédicale. Cette initiative est aussi relayée au plan national.
Dans divers pays, des acteurs publics nationaux définissent des
cadres normatifs de portée internationale. En France, l’Agence nationale
de la recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) est une agence
de moyens qui finance notamment des projets de recherche biomédicale.
Cette institution publique a pris la forme d’un groupement d’intérêt
public. L’ANRS a adopté une charte d’éthique de la recherche dans les
pays en voie de développement 21. Ce texte possède une vocation
normative clairement affirmée, notamment comme texte de substitution
18 World commission on the ethics of scientific knowledge and technology (COMEST).
19 « Nous, participants au Forum des Jeunes Chercheurs représentant des associations
de jeunes chercheurs africains, des universités et organismes de recherche africains,
institutions gouvernementales et ONG basées en Afrique (…) Nous nous engageons à :
Respecter et promouvoir les valeurs éthiques en matière de recherche, Mettre nos
connaissances acquises au service du continent pour son développement, Assumer
pleinement notre très haute responsabilité devant l’humanité, en particulier des popu-
lations africaines, Travailler prioritairement sur des thèmes de recherche répondant
directement aux besoins des populations africaines… ».
20 http://www.pabin.org ›.
21 http://www.anrs.fr/index.php/anrs/hepatites_virales_b_et_c/pays_en_developpement/actualites/
la_ nouvelle_charte_d_ethique_de_la_recherche_dans_les_pays_en_developpement_vient_de_paraitre ›.
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