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© Pierre Macherey – « Lire Spinoza aujourd’hui »
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de ce qui donne son objet à Spinoza – Une physique de la pensée, ouvrage dont le titre
est lui-même formé à partir du rapprochement de deux termes, « physique » et
« pensée », dont l’articulation fait manifestement problème. « Physique », dans la
tradition cartésienne, signifie l’étude rationnelle de la nature matérielle réduite à son
unique composante qui est l’étendue. Parler d’une physique de la pensée, ce serait alors
faire rentrer de force la connaissance des phénomènes mentaux dans un cadre qui, a
priori, n’est pas fait pour eux, en dotant métaphoriquement l’esprit des caractères de
l’étendue, voire même en faisant de lui une émanation de l’étendue, ce qui serait la
condition pour en « matérialiser », c’est-à-dire en fait en quantifier ou en mesurer les
rapports, au sens d’un matérialisme vulgaire, qui procède par réduction de tout ce qui se
présente comme réel aux caractères d’un unique genre d’être donnant sa texture
commune à la nature tout entière : le dualisme cartésien correspond précisément au rejet
de cette position réductionniste, qui ôte à la pensée ses caractères propres, en vertu
desquels elle est une disposition de l’humain comme tel, à l’exclusion de tout autre être
naturel. Or, sans ambiguïté, donc sans que ce point prête à interprétation, Spinoza
affirme l’irréductibilité de la pensée et de l’étendue, innovant cependant par rapport à
Descartes par son refus de conférer à cette irréductibilité l’allure d’un vis-à-vis ou d’une
opposition duelle, puisqu’il la replace dans le cadre de l’infinité des genres d’être à
travers lesquels s’exprime la substance, thèse déconcertante dont la portée est en
premier lieu critique, dans la mesure où elle a pour principal effet de suspendre
l’alternative traditionnelle entre monisme et dualisme.
Alors, de quel droit parler d’une « physique de la pensée » en attribuant cette
manière de voir à Spinoza ? En adoptant la position de ce que François Zourabichvili
appelle un « matérialisme intégral », qui développe jusqu’à ses dernières conséquences
ce qui est contenu sous le concept spinoziste des attributs, à savoir « autant de matières
pour des formations et des transformations d’un certain genre, toutes ces matières
s’avérant par ailleurs identiques les unes aux autres » (p. 114) : dans ces conditions, il
devient possible d’affirmer le caractère matériel de l’idée, mode par excellence de la
réalité pensée, au sens d’une matérialité spécifique, que rien n’autorise à rabattre sur le
modèle d’une matérialité purement étendue, c’est-à-dire, pour reprendre les critères
retenus par Descartes, exclusivement déterminable en termes de figure, de mouvement
et de repos. Et ceci fournit d’emblée un exemple de la subversion des modalités usuelles
de l’expression verbale, véritable coup de force sur lequel repose l’intervention
philosophique de Spinoza : à la représentation de ce qu’on peut appeler une physique au
sens restreint, renfermée dans l’étude des relations propres à un seul genre d’être, il
substitue celle d’une physique au sens large, qui s’étend à la considération de tous les
genres d’être constitutifs ensemble de la nature, - et selon Spinoza ceux-ci sont une
infinité, ce qui fait que la réalité naturelle n’est pas seulement infinie mais l’est d’une
infinité de façons -, tout en s’interdisant de décalquer ceux-ci d’après un modèle
homogène, ce qui revient à pluraliser la notion même de matière, en différenciant des
ordres ou plans de matérialité donnant lieu à des études complètement distinctes et
autonomes ; est ainsi posée sous une forme inédite la question de savoir ce qu’il peut y