© Hatier 2002-2003
propos scientifique fait que nous pouvons rapidement en oublier l’auteur. On dépossède
aisément le scientifique de sa découverte. Inversement, l’artiste auquel semble échapper la
maîtrise de son oeuvre, qui n’a pas pleine autorité sur elle, est indéfectiblement attaché à elle
et reconnu comme son auteur.
C. L’esprit scientifique s’acquiert, la valeur artistique est un don
De cette distinction fondamentale entre science et art Kant tire les conséquences : « Dans le
domaine scientifique ainsi, le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par
le degré de l’imitateur et de l’écolier le plus laborieux. » On peut en effet toujours devenir
plus savant en sciences, on peut sans cesse se perfectionner et parvenir à un degré plus haut de
maîtrise de son travail, et ainsi devenir « plus scientifique ». L’écolier sait moins de choses
que son maître mais à force de l’imiter il peut espérer le dépasser. Ce qui relie le maître et
l’élève en science est une échelle continue qui ne se gravit qu’avec du travail et de la
persévérance. À l’inverse, « l’apprenti artiste » est quant à lui « spécifiquement différent de
celui que la nature a doué pour les beaux-arts ». L’écolier qui imite l’artiste n’a aucune chance
de devenir à son tour un artiste. L’art au contraire de la science ne s’imite pas. À la rigueur,
l’imitation est la meilleure voie pour ne jamais devenir un artiste. En parlant de « nature » qui
« a doué » l’artiste pour les beaux-arts, Kant finit sa démonstration. L’art ne s’apprend pas
parce qu’il ne s’atteint ni par le travail, ni par l’imitation, ni par la persévérance. Bien plutôt
l’artiste se révèle tel, au moment où son oeuvre voit le jour, sans que celui-là puisse expliquer
comment ni pourquoi l’art est ainsi né en lui. L’art est un don et il peut ainsi échapper à la
meilleure des bonnes volontés.
3. L’idée d’une école des beaux-arts est-elle incohérente ?
Le but de Kant est de montrer que le génie artistique est par essence incompréhensible parce
que l’art est le fruit d’un libre jeu entre les facultés de l’esprit. La différence entre science et
art peut ainsi être décrite de manière lapidaire. La science procède par construction de
concepts, raison pour laquelle elle peut, doit et cherche constamment à expliciter sa propre
démarche, alors que l’art s’élabore sans que l’on puisse dire comment, de même qu’il plaît
sans que l’on puisse dire pourquoi. L’art ne présente pas de concept dont nous pourrions
déterminer la compréhension et l’extension. L’art procure un effet dont la cause reste
irrémédiablement cachée. C’est pourquoi le terme « surgir » employé par Kant est
particulièrement adapté à la description de la naissance de l’art non seulement dans l’esprit de
l’artiste lui-même, mais aussi dans l’imagination du spectateur. L’art surgit, d’une certaine
manière, ou du moins en apparence, de nulle part. C’est pourquoi l’idée même d’une méthode
de l’art semble, selon Kant, parfaitement vaine et même vide de sens.
Conclusion
Dès lors, on peut se demander quel sens il y a à instituer des écoles d’art. Si l’art ne s’apprend
pas, n’est-il pas contradictoire de vouloir qu’on l’enseigne ? Le propos de Kant n’est
évidemment pas tourné directement vers cette question. Néanmoins, elle surgit elle aussi à sa
lecture. Car l’imitation n’est pas, contrairement à ce qui se passe dans le domaine scientifique,
une manière possible de rattraper l’artiste. Plus on imite l’art, plus il s’éloigne de nous. C’est
ce que Kant exprime ailleurs lorsqu’il explique qu’il n’y a pas de règles de l’art, mais qu’au
contraire chaque chef-d’oeuvre donne ses règles à l’art.