N°10 TRIMESTRIEL – AVRIL-MAI-JUIN 2008 BELGIQUE/BELGIË PP/PB B-714 Bureau de dépôt Bruxelles X Brussel Éditeur responsable: Harry Bleiberg, 1 rue Héger-Bordet, 1000 Bruxelles – N° d’agréation: P501016 – Autorisation de fermeture B-714 – Ne paraît pas en juillet-août LE JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES In corpore sano: bien manger pourrait-il influencer le développement ou l’évolution d’un cancer? p. p. 55 Plan cancer: Laurette Onkelinx p. p. 44 Une mutation du gène K-ras prédit l’absence de réponse au panitumumab p. 20 20 Le cancer à l’heure de l’épigénétique p. 26 26 Efficacité et effets secondaires des thérapies biologiques ciblées p. 19 19 RÉDACTEURS EN CHEF Harry BLEIBERG Ahmad AWADA RÉDACTEUR EN CHEF ASSOCIÉ Marianne PAESMANS RECHERCHE CLINIQUE Ahmad AWADA ÉDITORIAUX 2 Médicaments : progrès fulgurants de la recherche. Madame la Ministre, comment faut-il réagir ? Harry Bleiberg 3 Biologie moléculaire. Quel profit en tire le patient? Ahmad Awada RECHERCHE TRANSLATIONNELLE Fatima CARDOSO RECHERCHE FONDAMENTALE Christos SOTIRIOU Pierre HEIMANN HÉMATO-ONCOLOGIE Willy FERREMANS Philippe MARTIAT PSYCHO-ONCOLOGIE Nicole DELVAUX Darius RAZAVI SPÉCIALISTES EN ONCOLOGIE Vincent NINANE Jean-Luc VAN LAETHEM BORDET-IRIS Jean-Pierre KAINS Martine PICCART WALLONIE POLITIQUE DE SANTÉ 4 Plan cancer Laurette Onkelinx NUTRITION ET CANCER 5 In corpore sano : bien manger pourrait-il influencer le développement ou l’évolution d’un cancer ? Hervé Naman, Centre Azuréen de Cancérologie, Mougins, France 7 Alimentation – Agriculture – Santé Martine Gadenne et Michel Van Koninckxloo ACTIVITÉ DU RÉSEAU 10 Iris Recherche Une politique incitative à la conduite de projets de recherche clinique Nathan Clumeck Vincent RICHARD ERASME Marie MARCHAND COMITÉ DE RÉDACTION Ahmad AWADA Harry BLEIBERG Arsène BURNY Vincent NINANE Jean-Claude PECTOR Martine PICCART Jean-Luc VAN LAETHEM CONSEILLERS SCIENTIFIQUES Marc ABRAMOWICZ Guy ANDRY Michel AOUN Jean-Jacques BODY Dominique BRON Dominique DE VALERIOLA Olivier DE WITTE André EFIRA Patrick FLAMEN Thierry GIL Michel GOLDMAN André GRIVEGNEE Alain HENDLISZ Jean KLASTERSKY Denis LARSIMONT Marc LEMORT Dominique LOSSIGNOL Thi Hien NGUYEN Thierry ROUMEGUERE Eric SARIBAN Jean-Paul SCULIER Philippe SIMON 25 Inauguration d’un nouveau centre d’oncologie-radiothérapie au CHU TIVOLI Anne Leleux INFORMATION SCIENTIFIQUE 11 Prophylaxie de la neutropénie fébrile : quelle stratégie ? Michel Aoun 14 La greffe haploidentique de cellules souches hématopoïétiques : chemin de crête entre tolérance et cytotoxicité Philippe Lewalle 17 Chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP) dans la prise en charge de la carcinose péritonéale Gabriel Liberale et Issam El Nakadi NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES 19 Efficacité et effets secondaires des thérapies biologiques ciblées Ahmad Awada, Alain Hendlisz et Martine J. Piccart-Gebhart 20 Une mutation du gène K-ras prédit l’absence de réponse au panitumumab. Des traitements sur mesure se profilent dans le cancer colorectal Harry Bleiberg 22 Révolution dans l’approche du cancer du sein Ahmad Awada et Martine J. Piccart-Gebhart RECHERCHE FONDAMENTALE 26 Le cancer à l’heure de l’épigénétique François Fuks ASSISTANTE DE RÉDACTION Martine HAZARD – Tél. 02/541 32 01 [email protected] COMITÉ DE LECTURE Marianne PAESMANS Jean-Claude PECTOR Marielle SAUTOIS Le contenu des articles publiés dans ce journal n’engage que la responsabilité de leur(s) auteur(s) AU-DELÀ DE LA MÉDECINE 24 La gestion du risque dans le transport de tissu humain Alain Moureau 28 L’art et la mort Pierre Sterckx Couverture : photo en microscopie électronique de Candida albicans, un eucaryote de 3 à 5 µm de diamètre, avec une paroi épaisse dont la couche la plus externe est cotonneuse et qui lui donne cet aspect de «balle de tennis». Edwards J.E. jt. N Engl Med. vol. 324, 1991, pp.1060-1062. www.jcancerulb.be 1 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 ÉDITORIAUX Médicaments : progrès fulgurants de la recherche. Madame la Ministre, comment faut-il réagir ? Biologie moléculaire. Quel profit en tire le patient? Grâce à l’initiative de plusieurs oncologues belges (1) et de Madame la Ministre Onkelinx, la Belgique dispose enfin d’un Plan Cancer (page 4). Trente-deux points qui touchent à la prévention; aux soins, traitements et soutien aux patients et à la recherche, aux technologies innovantes et aux modalités d’évaluation. La tâche est immense, chaque secteur est en déficit et nécessite une prise en charge urgente. L Les articles publiés dans ce numéro de Jcancer évoquent non seulement les progrès remarquables dans la découverte de nouveaux médicaments en oncologie, mais surtout la rapidité avec laquelle ces découvertes sont réalisées. Au début de ma carrière, peu de médicaments étaient disponibles. Les années 80-90 étaient des années sombres. Depuis le cisplatine nous n’avions rien vu venir. Puis sont arrivés les taxanes (approbation FDA 1992), l’herceptine (approbation FDA 1998) et les premiers agents biologiques. Ahmad Awada et Martine Piccart (page 22) nous montrent comment en moins de dix ans nous sommes passés de l’empirisme au rationnel, du dénuement à l’abondance. Aujourd’hui les agents en développement se comptent par dizaines dans la plupart des laboratoires pharmaceutiques. Les bénéfices en survie sont importants. Au début des années 90, l’espérance de vie d’un patient avec un cancer du côlon métastatique était de 6 mois sans traitement et de un an avec la chimiothérapie par 5-fluorouracile. Aujourd’hui, grâce à la possibilité d’administrer plusieurs lignes de chimiothérapies, la survie médiane (délai après lequel la moitié des patients sont toujours en vie) est supérieure à 2 ans, et certains d’entre-eux vont vivre plus de 5 ans. Bien plus, les patients porteurs uniquement de métastases hépatiques vont pouvoir bénéficier, après chimiothérapie, d’une chirurgie qui permettra de guérir un certain nombre d’entre-eux. D’autres patients avec une localisation de la maladie qui la rendait incurable, comme la carcinose péritonéale, peuvent également bénéficier, aujourd’hui, d’une chirurgie qui, combinée à la chimiothérapie et l’hyperthermie, promet une survie prolongée et même, peut-être, une guérison (Liberale et al., page 17). Avec la découverte de l’herceptine, le concept de traitement sur mesure s’est développé. Une étude publiée début avril dans le JCO (page 20) a identifié un groupe de patients, ceux présentant une mutation pour KRAS pour lequel aucune réponse n’a pu être obtenue grâce à l’administration de panitumumab, un anticorps monoclonal humanisé ciblant le récepteur de ‘l’epidermal growth factor’ développé dans le cancer du côlon métastatique. Voici un de nos rêves qui commence à se réaliser: mieux cibler nos patients: offrir plus de chances d’obtenir un effet thérapeutique pour ceux qui sont sensibles, moins d’effets secondaires inutiles pour les autres et une réduction correspondante des coûts pour la sécurité sociale. Finalement, François Fuks (page 26) nous annonce pour demain de nouveaux médicaments agissant sur ‘l’épigénétique’ qui vont permettre de ‘déméthyler’ les gènes ‘suppresseurs de tumeur’ et rendre à la cellule sa capacité d’éliminer elle-même le cancer. Pour quand ? Pas difficile de répondre, très vite. Les premières phases de développement ont déjà lieu. Et voilà où je souhaitais en venir : les découvertes dans le domaine du médicament et globalement de la recherche vont plus vite que la capacité des décideurs à pouvoir suivre. Au-delà du contentement que l’on peut éprouver à voir un progrès rapide se profile déjà la question de savoir comment gérer l’abondance, comment faire face aux coûts des traitements dans un système social fondé sur la solidarité. Le coût des médicaments est certainement lié aux coûts de la recherche et du développement, néanmoins la médecine est aussi à l’image de la société, et tout comme pour l’énergie ou les céréales, les médicaments sont la cible des spéculateurs et des actionnaires. Une prise en charge rapide, innovante et efficace de ces problèmes est urgente. Les solutions devront être trouvées hors de nos concepts habituels. Si un médicament est cher, retarder le remboursement n’est pas la solution. Refuser à nos patients l’accès rapide à des médicaments innovants n’est pas non plus la solution car, à terme, nous serions entraînés dans une spirale négative, avec des survies de moins en moins bonnes. Dès lors Plan Cancer : oui ! Soutien absolu : oui ! Tout est prioritaire ! Mais, à l’image du Plan Cancer qui avait été initié en France, il faudrait aussi mettre en place une commission de type ‘Attali’ (2), centrée sur la médecine, qui contribuerait à découvrir les solutions de notre futur. Harry Bleiberg, Rédacteur en chef a biologie moléculaire a fait d’énormes progrès ces dernières années. Avec comme conséquence, une compréhension plus poussée du fonctionnement de la cellule cancéreuse par rapport à la cellule normale. De plus, les progrès en bioinformatique et biostatistique ont permis d’intégrer et d’analyser une quantité substantielle d’informations, en particulier génomiques. Ces progrès n’ont de sens que s’ils se manifestent au lit du patient cancéreux. Ces dernières années, nous avons été témoins des avancées remarquables dans l’utilisation de ces approches chez le patient cancéreux, cependant étant donné la complexité de cette maladie – plus précisément nous devrions parler de ces maladies cancéreuses – les progrès restent lents. Nous allons résumer dans ce numéro les progrès récents dans l’approche thérapeutique des cancers solides (seins, poumons, gastro-intestinaux, …) et tracer les orientations de la recherche qui visent particulièrement à individualiser les traitements. Cette individualisation, si elle était atteinte, permettrait une meilleure efficacité des traitements prescrits, une diminution de la prescription des traitements inutiles et un allègement tant souhaité dans les dépenses liées aux soins de santé. Dans ce numéro, en collaboration avec Martine Piccart, je résume l’approche actuelle du cancer du sein basée sur le progrès de la biologie moléculaire. Les traitements classiques du cancer sont la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie (cancers du sein et de la prostate) et finalement l’immunothérapie. Récemment, une nouvelle classe thérapeutique appelée thérapie biologique ciblée a vu le jour grâce aux progrès de la biologie moléculaire. Le succès de cette stratégie thérapeutique dépend de deux facteurs : l’identification d’une bonne cible (idéalement celle qui joue un rôle majeur dans la genèse du cancer) et un médicament bloquant précisément cette cible avec le moins d’effets collatéraux. De plus, les chercheurs et les médecins cliniciens ont compris qu’il fallait attaquer non seulement les cibles dans la cellule cancéreuse mais aussi les cellules et les structures de son environnement qui sont propices à son développement, à savoir les vaisseaux de la tumeur et le système immunitaire. Finalement beaucoup de ces médicaments ciblés ont montré leur efficacité lorsqu’ils sont combinés avec la chimiothérapie ou encore la radiothérapie. Le tableau suivant résume les tumeurs où des traitements ciblés ont montré une efficacité scientifiquement établie ainsi que leurs effets secondaires potentiels. Tumeur Cible Médicament ciblé donné seul ou en association Effets secondaires potentiels Cancers epidermoïdes de la sphère ORL EGFR* Cetuximab + radiothérapie Acné, rougeur de la peau Thyroïde VEGFR° Zactima; Axitinib Éruption de la peau, fatigue Poumon EGFR* Tarceva Acné, diarrhée, éruption cutanée, fatigue Sein HER-2/neu* Herceptine(H) ou Lapatinib (L) + chimiothérapie Toxicité cardiaque (H), éruption cutanée et diarrhée (L) Colon EGFR* Cetuximab/Panitumumab + chimiothérapie Acnée, diarrhée, réactions allergiques Colon, sein VEGF° Bevacizumab + chimiothérapie Hypertension, accidents vasculaires Rein VEGFR° + autres kinases* Sutent, Nexavar, Torisel, Bevacizumab Hypertension, fatigue, éruption cutanées accidents vasculaire, chute des globules Cancer stromal de l’intestin (GIST) C-kit* Glivec Fatigue, œdèmes, chute des globules * Cibles qui se trouvent dans la tumeur ° Cibles liées aux vaisseaux qui nourrissent la tumeur D’autres médicaments biologiques ciblés, actuellement en cours d’étude, vont sans aucun doute rejoindre prochainement l’arsenal thérapeutique des patients cancéreux. En plus des thérapies biologiques ciblées et afin d’individualiser le traitement, la recherche actuelle s’efforce d’affiner de plus en plus le traitement anticancéreux en utilisant les progrès récents en génomique (carte génétique de la tumeur), pharmacogénétique (gènes impliqués dans le comportement des médicaments anti-cancéreux une fois administrés chez le patient) et imagerie médicale (PET/scan, résonance magnétique nucléaire dynamique, …). Ces nouvelles technologies ont pour but de préciser le pronostic du patient ainsi que de prédire au mieux l’efficacité d’un traitement. (1) Livre Blanc. A.Awada et al. Éditeur responsable Alexis Andries. Chaussée de Tervuren 133, boîte 2-3001 Louvain. (2) La Commission pour la libération de la croissance française, ou, du nom de son président Jacques Attali, la «Commission Attali», est une commission chargée par le président de la République française Nicolas Sarkozy de rédiger un rapport fournissant des recommandations et des propositions afin de relancer la croissance économique de la France. L’Institut Jules Bordet suit de près ces progrès et beaucoup de ses équipes ont un rôle majeur et même pionnier tant en clinique qu’en recherche. Il est aussi important de savoir que c’est grâce au soutien très important des Amis de l’Institut Bordet que cette recherche a la possibilité d’exister tant sur le plan financier que dans l’acquisition des nouveaux appareillages essentiels aux bons soins de nos malades et indispensables pour assurer les conditions de recherche optimales. Ahmad Awada, Chef de la Clinique d’Oncologie Médicale 2 3 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 POLITIQUE DE SANTÉ NUTRITION ET CANCER i l’initiative du Plan National Cancer s’est inscrite dans l’espace-temps politique limité du gouvernement intérimaire, elle n’aurait cependant aucun sens si son action ne devait répondre à l’exigence du long terme. L’ayant imposé comme une des 10 priorités dudit «gouvernement provisoire», il m’importe que sa conception s’inscrive dans la durée: au-delà des «30 actions» inauguratrices, ce Plan National Cancer devra évoluer et se préciser en des programmes pluriannuels destinés à en affiner la trajectoire et à définir des foyers d’action spécifiques. S Mais, avant tout, pourquoi le cancer ? Les raisons du premier choix sont nombreuses mais je voudrais néanmoins en privilégier trois. Premièrement, la place occupée par la maladie cancéreuse parmi les causes de mortalité dans notre pays en fait une priorité naturelle de toute politique de santé. En second lieu, la probable augmentation de la prévalence du cancer dans nos sociétés vieillissantes : si l’OMS répertoriait 25 millions de patients atteints d’un cancer dans le monde en 2000, la même OMS estime qu’ils seront 75 millions en 2030. Enfin, par son impact dans la vie des patients, de leurs familles et de la société, le cancer présente un défi singulier. Ensuite, pourquoi un plan ? Tout d’abord parce que je suis convaincue que la maladie ne peut être combattue que par une approche scientifique pluridisciplinaire et via une prise en charge globale des patients qui exige une complémentarité et une coordination des actions. Celles-ci sont essentielles à planifier correctement au vu du nombre d’acteurs et de l’importance des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le fléau. Enfin, la parution du «Livre Blanc» a souligné la nécessité d’une action conjuguée dans le domaine du cancer. Toutefois, pour en revenir à l’environnement sociétal de cette action, j’ai pris soin d’éviter que l’initiative ne suscite des attentes que le contexte actuel ne permettrait pas de rencontrer à court terme. C’est la raison pour laquelle la communication sur le Plan National Cancer a d’emblée mis en exergue le paramètre budgétaire, tout en insistant sur l’exigence que le Plan débouche sur des mesures concrètes. Ce double défi définit l’exercice et repose sur la prémisse que, d’une part, toutes les bonnes idées ne nécessitent pas des investissements prohibitifs, et que de l’autre, le Plan évoluera et se réalisera à mesure que les moyens financiers se libèrent. Presque paradoxalement, la question des marges disponibles justifie à elle seule le lancement d’un Plan National Cancer, car celui-ci servira d’aiguillon pour une allocation systématique de moyens conséquents dans la lutte contre le cancer. Profane de la médecine, j’ai été, comme tous, confrontée à cette maladie : parents, proches collaborateurs et amis ont été frappés par ce fléau qui n’épargne personne. Ayant reçu la charge de la Santé Publique, je me suis naturellement entourée d’experts; j’entends toutefois profiter de ma «qualité» de profane pour jeter un regard neuf et ouvert sur la problématique du cancer. C’est pourquoi j’ai à cœur de consulter tous azimuts : patients bien sûr, praticiens, établissements de soins, secteurs spécialisés de l’industrie… Consulter, mais aussi rassembler : les tables rondes* auront permis de réunir les divers acteurs autour d’un projet commun, plus particulièrement pour ce qui concerne les aspects transversaux à plusieurs niveaux de compétence, telles la prévention et la recherche, domaines qui méritent à coup sûr toute notre attention. Consultations, visites, tables rondes clôturées le 10 mars ont permis la rédaction d’une première ébauche du Plan National Cancer. J’espère que ceux qui ont participé à ce cycle de réflexion ont la certitude d’avoir été entendus. Car il est clair que les actions ont été le fruit d’un exercice participatif, et non d’une approche «top down». Seule une conception participative permet, à mes yeux, d’aborder le douloureux phénomène du cancer. Chacun d’entre nous est – ou a été – confronté, de près ou de loin, à cette maladie, à la souffrance et au désarroi qui en découlent. C’est ensemble que nous pouvons dégager les armes pour la combattre. Cet «ensemble» transcende bien entendu les seules frontières de notre pays : dans cette Europe de la santé qui se construit, nous devons, dans la mesure du possible, inscrire notre action dans des partenariats internationaux, de façon à maximiser les résultats de l’investissement en matière de recherche, grâce à des synergies et des économies d’échelle, notamment en recherche translationnelle et l’accès à des techniques innovantes. Par ailleurs, notre taux de mortalité étant – du moins pour certaines formes de cancers –, un des plus élevés d’Europe, il y a lieu de s’interroger sur les causes de ces statistiques défavorables et d’en tirer des leçons bénéfiques. La médecine est à une croisée des chemins: jamais, elle n’a disposé de tant d’instruments ni d’une telle qualité d’instruments mais leur mise à disposition pose des défis budgétaires de plus en plus complexes et pose des dilemmes nulle part ailleurs plus sensibles que dans la lutte contre le cancer. Si le Plan National Cancer réussit à dégager des pistes utiles, il constituera d’ores et déjà une avancée substantielle. Nous ne devons rien moins aux hommes et aux femmes qui se battent contre le cancer. Laurette Onkelinx, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique * Six tables rondes ont été programmées: prévention et information, dépistage et diagnostic précoce (11.02), soins et traitements, et soutien au patient et à son entourage (18.02), recherche et technologies innovantes, et évaluation de l’approche globale du cancer (25.02). In corpore sano : bien manger pourrait-il influencer le développement ou l’évolution d’un cancer ?* Hervé Naman, Directeur, Centre Azuréen de Cancérologie, Mougins – Sophia Antipolis, France, hervé[email protected] * Ce travail fait suite à une conférence donnée par David Servan-Schreiber sur «Nutrition et cancer: que dire aux patients?» Cannes, le 14 mars 2008. On sait ensuite combien les religions ont pris à leur compte des règles fondatrices alimentaires, érigées en préceptes : la cacherout, le Hallal. Ces règles sont devenues par là-même sacrées. Les religions ont également développé des traditions en tenant compte des «éléments sains» à intégrer dans leurs régimes alimentaires tels que fruits, légumes, épices… Ces pratiques ont même subsisté au-delà des enseignements religieux et jouent un rôle non négligeable dans le maintien de la cohésion communautaire et des diasporas. es cardiologues insistent à chaque occasion auprès de leurs consultants sur la nécessité d’une «bonne hygiène de vie» et fustigent les méfaits du déséquilibre alimentaire, de la sédentarité et du surpoids. Ce discours est souvent malheureusement écouté d’une oreille distraite par certains patients. Il ne fait (presque) plus l’objet d’aucune attention de la part des média tant il est devenu banal. L Le cancérologue est moins disert sur le sujet diététique que son confrère ; il est souvent d’ailleurs, totalement muet. Or, il est notoire qu’il sait mieux que quiconque que l’alimentation est un facteur environnemental qui intervient dans la genèse de nombreux cancers, en apportant à la fois des facteurs de risque et des facteurs protecteurs. On connaît bien le rôle fédérateur des plats traditionnels; mais quelle est l’approche alimentaire globale de notre société actuelle, celle des fast-foods et des sushis? Une alimentation saine, pour rester en bonne santé. Conseil repris et relayé par l’industrie agroalimentaire qui a compris que, plutôt que de désinformer, comme cela a pu être le cas par le passé, il était plus rentable d’occuper le créneau lucratif des «bio». De surcroît, le malade atteint de cancer et sa famille sont avides d’informations. Ils sont prêts à suivre le moindre conseil. Conseils au final souvent prodigués par des personnes peu avisées et pour des motifs qui ne relèvent pas toujours de la simple bienveillance… Les cancers sont au deuxième rang des causes de mortalité en France et en Belgique, après les maladies cardio-vasculaires et lorsqu’une approche diététique de la maladie est faite, le sujet devient polémique. Il passionne le public, enflamme les médecins et trouve un écho multimédia retentissant. Claude Lévi-Strauss explique que l’homme est le seul animal à cuire ses aliments. Et qu’ainsi, le passage du cru au cuit est l’indice du passage de la nature à la culture David Servan Schreiber a vendu aujourd’hui plus de trois cent mille exemplaires de son ouvrage «Anticancer» (1), qui va être traduit et édité dans trente-deux pays. Il est venu présenter à Mougins, à l’occasion d’une Golden controverse (2), les théories qu’il y développe, certaines preuves à l’appui. Son livre est maintenant relayé par un blog (3), assorti d’un comité de surveillance auquel participent des cancérologues praticiens convaincus dont des hospitalo-universitaires. Tout un chacun sait que manger n’est pas un acte sans conséquences : incorporer un aliment (littéralement : in corpore) fait franchir à un corps étranger la frontière entre le monde extérieur et notre propre corps. Ainsi, ingérer, incorporer un aliment, ce serait adopter une partie de ses propriétés. La démarche faite par David Servan Schreiber procède de cette réflexion, qui paraît assez élémentaire. Elle va cependant plus loin, en essayant de nous démontrer comment des aliments tels que le chou ou l’ail, certains fruits comme les fruits rouges, la grenade, ou certaines épices telles le curcuma peuvent contribuer à prévenir ou à combattre le cancer. … l’alimentation est un facteur environnemental qui intervient dans la genèse de nombreux cancers, en apportant à la fois des facteurs de risque et des facteurs protecteurs Depuis 1982, le Fonds Mondial de Recherche sur le Cancer se consacre à la prévention du cancer dans le monde entier. Son premier rapport sur la prévention nutritionnelle a été publié en 1997. En dix ans, la recherche sur le sujet s’est considérablement développée, des preuves scientifiques se sont accumulées. Ainsi, la récente publication du nouveau rapport en 2007 a permis, grâce à une analyse exhaustive de la littérature, et à l’aide d’une méthodologie rigoureuse, d’émettre des recommandations à l’attention des acteurs de santé publique mais Lorsque l’on parle d’alimentation, on déborde le simple cadre nosologique pris en compte par les diététiciens. Dans un ouvrage moins célèbre que «Tristes tropiques» mais fondateur de la science éthologique qu’il a contribué à créer, «L’origine des manières de table», Claude Lévi-Strauss explique que l’homme est le seul animal à cuire ses aliments. Et qu’ainsi, le passage du cru au cuit est l’indice du passage de la nature à la culture. >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 4 5 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 NUTRITION ET CANCER >>> moins trois gènes du complexe I seraient en cause (MCL-1, HIF-1ALPHA, VEGF). Et les auteurs précisent en conclusion qu’un traitement antioxydant pourrait permettre de prévenir ou de supprimer les métastases. (8, 9) aussi de tout un chacun, visant à réduire la mortalité par cancer (4). Il propose dix mesures hygiéno-diététiques pour diminuer le risque de cancer; les directives et recommandations à l’origine de ces mesures reposent sur des preuves scientifiques jugées «convaincantes» ou «probables» et sont consensuelles. Les preuves jugées «limites mais évocatrices» n’ont pas été retenues. Par exemple : être physiquement actif au quotidien a un effet protecteur indépendant «convaincant» contre les cancers colorectaux et «probable» contre les cancers du sein et de l’endomètre. On se souvient à ce sujet de l’étude de cohorte prospective E3N (5, 6) qui a étudié les facteurs de risque de cancer parmi une population de près de 100 000 femmes affiliées à la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale. Les résultats révèlent que plus on pratique d’activité physique, plus on diminue le risque de cancer du sein, dès lors qu’il s’agit d’une activité physique soutenue, «même chez les populations présentant des antécédents familiaux ou d’autres facteurs de risque de cancer du sein» (6, 7). Le rapport du Fonds Mondial de Recherche sur le Cancer précise à ce sujet qu’augmenter son activité physique ne passe pas forcément par la pratique d’un sport, et peut être intégré aux activités de la vie quotidienne. Il est également conseillé d’allaiter de façon exclusive jusqu’à l’âge de six mois, l’allaitement prolongé ayant un effet protecteur pour la mère et l’enfant en limitant le risque de cancer du sein chez la femme et en participant à la lutte contre le surpoids et l’obésité chez l’enfant. Ainsi, les indices sinon les preuves dans le domaine de la nutrition sont suffisamment nombreux pour plaider sa prise en compte par les équipes médicales. Cette approche est d’ailleurs prise en compte par de nombreuses institutions outre-Atlantique. Le département d’«integrative medecine» du Memorial Sloan Kettering de New York a pour but d’assurer une prise en charge globale du patient, afin de lui octroyer la meilleure qualité de vie possible pendant les soins. Ce service enregistre plus de mille inscrits par mois. Il est le promoteur d’un programme de recherche clinique et met en ligne une base de données exhaustive en botanique 9. Y sont recensées les plantes médicinales, mais aussi tous les légumes, les fruits et les épices. Être physiquement actif au quotidien a un effet protecteur indépendant «convaincant» contre les cancers colorectaux et «probable» contre les cancers du sein et de l’endomètre Très modestement, notre institution a initié un programme éducationnel avec ces deux objectifs : formation des médecins et des intervenants paramédicaux sous forme d’un enseignement donné par des biochimistes et des nutritionnistes, éducation des patients, des «surviveurs» et de leurs proches sous forme d’ateliers périodiques limités à une vingtaine de participants. Une expérience pilote va également être menée avec la participation bienveillante de grands chefs étoilés, sous forme de cours de cuisine. La cinquième recommandation examine la conservation, la transformation et la préparation des aliments. Le rôle néfaste du sel est confirmé, la salaison étant l’une des causes reconnues du cancer de l’estomac, les apports de sels devant rester en-deçà des six grammes quotidiens. Les céréales mal conservées, moisies, sont contaminées par des alpha toxines intervenant dans la genèse de l’hépatocarcinome. Parce que cette prise en compte de l’alimentaire par les oncologues est justifiée par les faits scientifiques qui se multiplient et s’accumulent jour après jour. Parce cette information est due à des patients demandeurs d’informations objectives et loyales, aujourd’hui encore mauvais autodidactes ou mal informés. ■ Les patients ayant ou ayant eu un cancer font également l’objet de recommandations: les longs «surviveurs» doivent bénéficier des conseils d’un nutritionniste, et les conseils alimentaires ou hygiéno-diététiques prodigués dans le rapport 2007 doivent s’appliquer à cette catégorie de patients. Les articles sont de plus en plus nombreux dans la littérature scientifique sur le sujet. Cent soixante et un hommes atteints d’un cancer de la prostate et en attente de chirurgie ont été répartis en quatre groupes, un quart avait pris quotidiennement 30 grammes de graines de lin, un quart avait suivi un régime faible en graisse saturée, un quart avait fait les deux associés, tandis que le dernier quart recevait un placebo. Après un suivi médian de 30 jours, les patients ont été opérés et les tumeurs réséquées ont été analysées. Il apparaît que la prolifération tumorale était 30 à 40% inférieure dans les groupes recevant la supplémentation (7, 8). (1) David Servan-Schreiber Anticancer – Robert Laffont 2007. (2) David Servan-Schreiber sur «nutrition et cancer: que dire aux patients?» Cannes, le 14 mars 2008. (3) Guerir.fr (4) World Research Cancer Fund: http://www.dietandcancerreport.org (5) Françoise Clavel-Chapelon. Directrice de recherche Inserm-Institut Gustave Roussy www.e3n.net (6) Tehard B et al. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2006 Jan;15(1): 57-64. (7) W. Demark-Wahnefried et Al., Proc. ASCO 2007 – Abstract 1510. (8) Ishikawa K et al. ROS-Generating Mitochondrial DNA Mutations Can Regulate Tumor Cell Metastasis. Science. 2008 Apr 3 (9) http://www.mskcc.org/mskcc/html/1979.cfm Un article très récent montre le rôle potentiel des mutations de l’ARN mitochondrial dans la maladie métastatique. Les auteurs suggèrent que certaines de ces mutations seraient responsables d’une oxydation au niveau cellulaire qui activerait l’expression des gènes impliqués dans la survenue de métastases. Au JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 6 Alimentation – Agriculture – Santé Michel Van Koninckxloo, Ingénieur agronome et Docteur en sciences agronomiques de l’ULB Directeur scientifique du Centre pour l’Agronomie et l’Agro-industrie de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Directeur-Président de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO) [email protected] Martine Gadenne, Docteur en sciences de l’ULB Responsable du laboratoire de biotechnologie du Centre pour l’Agronomie et l’Agro-industrie de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Maître-assistant de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO) Que ne ferions-nous pas pour vivre éternellement et en bonne santé? Cette double espérance est souvent exploitée de manière abusive par les manipulateurs et charlatans de tous ordres qui profitent de la crédulité intrinsèque du genre humain à l’égard de tout ce qui a trait à la santé. Michel Van Koninckxloo Martine Gadenne causes. Parmi les craintes viscérales et ancestrales des hommes se trouve en bonne place l’empoisonnement. C’est ainsi que, depuis une quarantaine d’années, le grand public associe le cancer (en général) aux méfaits des détergents (années 60), des pesticides, des engrais chimiques, au manque de fibres, d’antioxydants ou d’anti-inflammatoires, aux déséquilibres dans les proportions d’acides gras de diverses configurations, bref, à une alimentation toujours rendue malsaine lors de sa production ou de sa transformation par l’intervention de l’homme qui la «dénaturalise». La tentation est grande, même parmi l’élite intellectuelle, d’attribuer nos maux aux produits de l’agriculture moderne et, réciproquement, d’espérer le salut dans une alimentation qui serait «bio». Lorsqu’il s’agit de discréditer l’agriculture conventionnelle intensive, celle qui assure l’essentiel de nos besoins, les journalistes ne trouvent pas de mots assez forts pour frapper les imaginations. Selon eux, l’agriculture est fondamentalement polluante, les épandages d’engrais ou de pesticides (sans distinction entre insecticides, fongicides ou herbicides) sont toujours «massifs», et s’il est question de culture d’OGM, le vocabulaire antiatomique est de mise : dissémination, contamination… … sans les techniques modernes de protection des cultures et de conservation des denrées alimentaires, les famines, comme celles de l’Irlande au 19e siècle, et les épidémies de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle, seraient toujours inévitables en Europe! Toute cette dialectique a jeté le trouble dans l’esprit des citadins et des politiciens qu’ils élisent… Avec pour résultats, du côté positif, un renforcement de la législation qui vise à mieux protéger le consommateur, le producteur et l’environnement et, du côté négatif, un spectaculaire coup de frein donné à la recherche agronomique et biochimique pour tout ce qui concerne la mise sur le marché de nouvelles molécules ou de plantes issues du génie génétique. La tendance actuelle est de penser que ce qui est plus «naturel» serait plus «sain» pour l’homme et son environnement. D’où la mode des aliments «bio», des carburants «bio», des cosmétiques «bio», des textiles «bio». Pour mieux faire la différence, il est de bon ton de jeter le discrédit sur tout ce qui est issu du génie scientifique telles l’agriculture moderne, la chimie, la génétique moléculaire qui ne sont bonnes qu’à enrichir les multinationales, à empoisonner le consommateur et à ruiner les plus démunis. Il est remarquable de constater que le vocable d’agrocarburant remplace progressivement celui de biocarburant depuis que son bien-fondé salvateur est remis en cause ! S’il est un lieu commun d’affirmer qu’une alimentation variée et équilibrée contribue à une bonne santé, il est bon de rappeler, aussi désagréable que ce soit, que tous les êtres vivants, y compris les hommes, doivent par essence mourir un jour et que, sauf accident, c’est par définition en mauvaise santé que cela se produit… C’est oublier un peu vite que de tout temps l’agriculteur a dû séparer le bon grain de l’ivraie, que les pires poisons se trouvent dans la nature, dans les champignons, les plantes et les animaux sauvages et que, sans les techniques modernes de protection des cultures et de conservation des denrées alimentaires, les famines, comme celles de l’Irlande au 19e siècle, et les épidémies de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle, seraient toujours inévitables en Europe ! En fait, l’espoir légitime que l’on se donne, par une bonne alimentation et hygiène de vie, est de conserver le maximum de nos facultés le plus longtemps possible. En Occident, les progrès fulgurants des sciences, des techniques et de la médecine ont permis un allongement remarquable de l’espérance de vie et une indéniable amélioration de sa qualité. Ces progrès ont sans doute contribué à engendrer un double phénomène: l’augmentation de la prévalence des maladies dites de vieillesse et l’idée perverse que la maladie et la souffrance sont inacceptables et qu’il convient d’en extirper les Pour montrer à quel point notre attitude est irrationnelle lorsqu’il s’agit d’alimentation, pensons à la distinction d’approche et de réceptivité du citoyen lorsque les progrès de la science s’appliquent à la médecine ou à l’agriculture : haro sur les OGM lorsqu’il s’agit d’agriculture mais vivent les cultures de cellules souches génétiquement modifiées capables de régé- 7 >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 NUTRITION ET CANCER >>> nérer nos organes endommagés ou de remédier aux maladies génétiques… techniques, des savoirs et des savoir-faire qui conduit l’agriculture à devenir un secteur de spécialistes et non plus d’héritiers. Remettons les pendules à l’heure ! L’agriculture moderne est porteuse d’espoir et non de misère : Les progrès de l’agriculture sont également liés à l’amélioration des plantes. De tout temps, les sélectionneurs et puis les chercheurs se sont employés à proposer de nouvelles variétés plus productives, plus robustes, mieux adaptées à la demande et à leur environnement. Mais les techniques de sélection traditionnelles sont empiriques, très longues et aléatoires. Les sélectionneurs croisent chaque année, manuellement, individuellement et quasiment à l’aveugle, des milliers d’individus de plantes cultivées parmi lesquelles ils repèreront quelques dizaines de descendants dont l’un ou l’autre engendrera, 10 ans de travail plus tard, une nouvelle variété commercialisable. C’est pour accélérer ce processus et le rendre moins aléatoire que des chercheurs (belges entre autres) ont mis au point des techniques permettant d’identifier et de transférer des gènes codants pour des caractéristiques recherchées par les cultivateurs (productivité, résistance à des maladies ou à des herbicides), les transformateurs (composition des acides gras, caractéristiques de l’amidon) ou les consommateurs (alicaments, caractéristiques organoleptiques, capacité de conservation…). – avec l’émergence des pays asiatiques, les besoins alimentaires de la planète ne feront que croître; – les produits issus de l’agriculture moderne sont de grande qualité, ou en tout cas répondent aux qualités exigées par le marché (qualité bactériologique, aspect, conservation, goût neutre…); – l’agriculture occidentale, et européenne en particulier, a permis de fournir, ces cinquante dernières années, au plus grand nombre des denrées alimentaires végétales et animales variées, en suffisance (jusqu’à l’excès certaines années) et d’une qualité sanitaire inégalée dans l’histoire des hommes. Il est de notre devoir de poursuivre cet effort et de permettre à la population mondiale d’en tirer leçons et profit. D’un point de vue éthique, l’agriculture se doit d’être à la fois intensive et efficiente car il faut tirer le meilleur parti des terres arables qui ne sont pas extensibles et des intrants indispensables à la croissance de plantes ainsi qu’au maintien de la fertilité des sols. Aujourd’hui, les OGM et les manipulations génétiques effraient le grand public. Pourtant, les hommes n’ont rien inventé, par l’utilisation des techniques de génétiques moléculaires, ils ne font qu’imiter la nature: mutagenèse, transfert de gènes, dédoublement chromosomique sont autant de processus qui se sont opérés naturellement tout au long de l’histoire du vivant et qui sont à la base de la diversité génétique des êtres vivants. L’agriculture occidentale, et européenne en particulier, a permis de fournir, ces cinquante dernières années, au plus grand nombre des denrées alimentaires végétales et animales variées, en suffisance Par exemple, le blé qui représente l’une des ressources alimentaires les plus importantes pour l’homme, est issu, il y a environ 10.000 ans, de la fusion des génomes de trois plantes d’espèces différentes dont les croisements sont normalement stériles. Depuis ces 30 dernières années, les techniques de génétique moléculaire ont fortement évolué. Elles permettent aujourd’hui d’identifier des gènes à la base de la régulation de certaines fonctions et de les transférer d’un organisme à l’autre dans le but de développer des applications intéressantes tant pour la médecine que pour la sélection des plantes et des animaux d’élevage. Pour faire croître une plante, il faut de la lumière, du carbone (CO² atmosphérique), de l’eau et des éléments minéraux prélevés dans le sol. Mais rien ne se perd ni ne se crée, tout se transforme, il convient donc de rendre au sol les éléments minéraux prélevés par les récoltes. C’est pour cela qu’il faut apporter régulièrement des engrais. D’autre part, chaque plante d’un champ est un individu qui fait l’objet de l’implacable loi naturelle de la lutte pour la survie. Elle est assaillie par une multitude de concurrents (pour les ressources), de prédateurs et de parasites (insectes, champignons, bactéries, virus…). L’ampleur de la moisson sera donc directement proportionnelle à la capacité du cultivateur de protéger ses cultures des maladies et des ravageurs. L’argumentaire des anti-OGM est encore actuellement fondé sur les techniques d’obtention des premiers OGM (ex. l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques pour la sélection des recombinants OGM). Cependant, les chercheurs ont toujours apporté des alternatives par rapport aux critiques formulées sur les méthodes utilisées mais dont on ne fait jamais écho dans les médias. Est-ce pour autant que tout est parfait, que toutes nos denrées sont saines et savoureuses, que nos techniques de production sont toujours sans risque pour le fermier, le consommateur et l’environnement ? Non bien sûr, et j’ajouterais heureusement, car il est rassurant qu’il reste du travail à accomplir pour les générations à venir ! L’emploi judicieux (les bonnes quantités aux bons moments et sous la forme adéquate, comme pour un médicament) des fertilisants ainsi que des produits phytosanitaires est délicat, demande beaucoup de connaissances (physiologie, biologie, écologie), du savoir-faire et de bonnes molécules. Ces pratiques doivent être adaptées à chaque espèce, dans certains cas à chaque variété cultivée et toujours aux conditions environnementales. Il y a donc un travail permanent d’actualisation des JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 À titre d’exemple, le gène de résistance à la kanamycine, antibiotique utilisé dans les premières constructions par les généticiens pour la sélection des recombinants, a fortement été décrié par les détracteurs des OGM qui évoquaient un risque potentiel de transfert de ce gène à la flore commensale de l’homme. Cet antibiotique avait pourtant été choisi parce qu’il n’est plus guère utilisé en médecine, a aujourd’hui été remplacé, pour répondre à ces critiques, par un gène de résistance à un type d’herbicide (ALS). 8 Par ailleurs, pour répondre au risque de dissémination des plantes OGM dans l’environnement, les chercheurs avaient proposé l’introduction d’un gène de stérilité germinative. Cette solution présentait toutefois l’inconvénient d’obliger le cultivateur à racheter chaque année des semences. À toute médaille, il y a un revers. essence éphémères, ils sont conçus pour répondre à un besoin exprimé à un moment donné dans un contexte donné. Ils sont comme la vie ou les sociétés : évolutifs. Ce gène de stérilité germinative a fait l’objet de critiques surréalistes, il fut appelé par les médias «Terminator». L’argumentaire des détracteurs était fondé sur le mythe du paysan producteur de ses propres semences, oubliant que depuis 50 ans les agriculteurs dotés de bon sens savent très bien qu’il vaut mieux acheter chaque année des semences certifiées pour garantir une moisson abondante et de qualité. Les variétés actuelles de maïs et betteraves cultivées de manière traditionnelle chez nous depuis des décennies sont toutes des hybrides, et personne ne s’en émeut alors qu’elles ne peuvent être ressemées sous peine de voir la population fille hétérogène et improductive. Il en va de même pour quasiment toutes les semences de légumes et plantes ornementales. … les hommes n’ont rien inventé, par l’utilisation des techniques de génétiques moléculaires, ils ne font qu’imiter la nature: mutagenèse, transfert de gènes, dédoublement chromosomique sont autant de processus qui se sont opérés naturellement tout au long de l’histoire du vivant et qui sont à la base de la diversité génétique des êtres vivants. C’est très bien ainsi, l’avenir doit continuer à appartenir à la génération suivante ! Pour cela, il faut réhabiliter le travail des chercheurs dans toutes les sciences, et en particulier dans les sciences du vivant en agronomie. Il faut refuser les amalgames et les discours alarmistes simplistes et sans nuances. Les pratiques culturales sont aussi diverses que variées: elles dépendent du type de culture (dans les vergers, les insectes posent des problèmes inconnus en céréaliculture), des conditions de milieux et de considérations politiques, économiques, sociales et même philosophiques. Toute généralisation est abusive et trompeuse. Il ne faut pas être dupe et se tromper de combat, le mouvement anti-OGM est en fait un mouvement politique qui œuvre contre l’hégémonie de certaines multinationales, en utilisant, et c’est là où la démarche est discutable, la crédulité des hommes à l’égard de leur alimentation. En réalité, les plantes OGM ne sont ni plus ni moins saines que celles qui sont obtenues par croisements et sélections traditionnels. Par contre, il pourrait s’avérer dangereux et dramatique pour les progrès de la science et de l’économie de l’Europe occidentale de renoncer à des techniques prometteuses. Heureusement qu’on n’a pas renoncé, sous le couvert du principe de précautions, à l’électricité, la roue, la vapeur, l’atome… autant de techniques qui ont pourtant causé un grand nombre d’accidents mais dont les avantages se sont révélés bien supérieurs aux risques encourus. Pour poursuivre ses progrès dans sa capacité à fournir à tous les hommes de la planète des produits sains et savoureux, l’agriculture a un besoin impérieux : – de nouvelles molécules dont l’action soit bien ciblée, – de nouvelles variétés mieux adaptées aux conditions pédoclimatiques et aux attentes du consommateur, – de plus de savoir-faire en matière de gestion des systèmes complexes tels les agroécosystèmes. De ce qui précède, il ressort qu’au lieu de discréditer dangereusement les produits de la science et des laboratoires, l’homme devrait admettre sa condition : il appartient à la nature. Il est lui aussi une espèce animale au même titre que toutes celles qui existent ou ont existé. Dès lors, ces produits, aussi élaborés soient-ils, sont aussi «naturels» que ceux des plantes ou des animaux «sauvages». À l’échelle des temps géologiques et de l’univers, il n’y a pas de différence entre la galerie du lapin et le tunnel sous la Manche, l’un et l’autre ne sont que le fruit du travail éphémère de petits mammifères appelés à disparaître. Rappelons-nous que l’atmosphère que nous respirons aujourd’hui est le fruit de l’action des premiers organismes vivants sur la planète et qu’à cette époque l’oxygène était le pire des poisons… L’urgence des besoins à satisfaire est incompatible avec des considérations de riches telles que le refus de l’utilisation des techniques du génie génétique pour accélérer la création de nouvelles variétés ou le rejet des engrais «chimiques» (c’està-dire préparés ou conditionnés par l’homme) ou des pesticides (refuse-t-on les médicaments ?) sous de fallacieux prétextes de sauvegarde de la santé et de l’environnement. Bref, nous craignons le cancer et la dégradation de l’environnement, c’est pourquoi nous mangeons de tout y compris des OGM et du bio. Nous pensons par ailleurs que l’agriculture intensive et raisonnée que nous connaissons dans nos régions est chaque année davantage une écoagriculture qui s’intègrera harmonieusement dans la future noosphère. ■ Nous ne nions pas que l’impact de l’homme sur son environnement soit très sensible, il pourrait même, à l’instar de ce qui vient d’être dit, lui être fatal, mais il est surtout susceptible d’évoluer. Les produits et les techniques issus de notre génie sont par 9 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 ACTIVITÉ DU RÉSEAU INFORMATION SCIENTIFIQUE >>> IRIS RECHERCHE Une politique incitative à la conduite de projets de recherche clinique Nathan Clumeck, Directeur Général Médical, IRIS, Président, asbl iris-recherche [email protected] La recherche clinique est le parent pauvre de la recherche biomédicale dans notre pays. En effet, elle est largement dépendante de l’industrie pharmaceutique dont les motivations sont essentiellement l’enregistrement et/ou la valorisation de ses molécules. La création de l’asbl iris-recherche résulte d’une réflexion des instances d’iris sur la nécessité de stimuler la recherche, notamment translationnelle ou de santé publique, au sein du réseau des hôpitaux publics bruxellois par le biais du financement de projets indépendants et multisites. Les objectifs poursuivis sont l’optimisation de la qualité des soins par l’accès à de nouvelles techniques diagnostiques et à de nouvelles thérapies ainsi que l’évaluation d’outils épidémiologiques et l’amélioration de la prise en charge clinique grâce à une approche multidisciplinaire. quelque 21 projets multi-sites et pluridisciplinaires. Six projets ont été retenus et ont bénéficié d’un financement. Parmi les projets lauréats en 2007, quatre s’inscrivent dans une optique de prévention : 1. «Prédiction du risque fracturaire absolu par validation de facteurs de risque et dépistage de l’ostéoporose dans une cohorte bruxelloise suivie pendant 10 ans» du Professeur Jean-Jacques Body (promoteur) 2. «Amélioration de la prise en charge multidisciplinaire des patients drépanocytaires en région bruxelloise: mise en place d’une base de données cliniques des patients drépanocytaires, accessible à tous les médecins concernés: l’observatoire bruxellois des syndromes drépanocytaires», du Professeur Françoise Vertongen (promoteur). L’asbl iris-recherche recueille ainsi chaque année des fonds privés (provenant de dons de firmes pharmaceutiques, de personnes privées ou morales) qui lui permettent de soutenir des projets de recherche (achat de matériel, engagement de personnel dédié à la collecte ou à l’analyse de données), d’accorder des bourses aux chercheurs, de participer au financement de voyages d’études ou de formation. La création de cet organe représentait pour le réseau iris un enjeu stratégique. Elle était nécessaire à la valorisation des hôpitaux publics pour faire d’eux des partenaires complémentaires aux institutions académiques, tout en préservant la mission de service public qui est la leur. La patientèle du réseau iris représente, quantitativement, une source de données pour la recherche très importante, puisque le réseau iris ne compte pas moins de 1.000.000 contactspatients par année tous services confondus (consultations, hospitalisations, urgences, …). Grâce au nombre important de contacts-patients du réseau, l’asbl iris-recherche peut donc soutenir des projets de recherche orientés vers des maladies qui ont un retentissement important en termes de santé publique. Cette asbl s’articule autour de 3 organes: l’Assemblée Générale, constituée des représentants des différents hôpitaux du réseau iris et de sa faîtière; le Conseil d’Administration, présidé par le Pr. Nathan Clumeck et le comité scientifique présidé par le Pr. Jean-Jacques Body. Ce comité, constitué de personnalités des différentes universités du pays, sélectionne les projets financés en les classant sur base de leur intérêt scientifique, de leur faisabilité et de leur pertinence pour le réseau. Il est le garant d’une évaluation objective et indépendante de la qualité des études. En 2007, 225.000 C ont pu être distribués. L’appel à projets a suscité beaucoup d’intérêt et ce ne sont pas moins de 70 promoteurs et co-promoteurs qui y ont répondu et introduit JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 10 3. «L’Hépatite C de génotype 4 en Belgique: épidémiologie et réponse au traitement. Série rétrospective et registre prospectif» du Professeur Chantal de Galocsy (promoteur); Prophylaxie de la neutropénie fébrile : quelle stratégie ? Michel Aoun, Département des Maladies Infectieuses, Institut Jules Bordet [email protected] a neutropénie fébrile induite par la chimiothérapie est associée à une augmentation de la morbidité, de la mortalité et des coûts des traitements anticancéreux. Elle implique souvent une réduction des doses ou un délai de la chimiothérapie, ce qui peut avoir un effet délétère dans les cas où la dose-intensité de la chimiothérapie joue un rôle important. L Par conséquent, une prévention de la neutropénie fébrile qui viserait à diminuer les complications infectieuses qui y sont associées et à maintenir la dose-intensité planifiée de la chimiothérapie pourrait améliorer le contrôle de la maladie cancéreuse, et éventuellement la survie. Deux stratégies principales ont été développées: l’administration de facteurs de croissance hématopoiétique de la lignée myéloïde (FCM) et la prophylaxie par antibiotiques. Le filgrastim, pegfilgrastim, lénograstim et sargramastim ont tous la capacité de stimuler la prolifération et la différentiation des cellules progénitrices et de raccourcir la durée de la maturation en neutrophiles à 1 jour au lieu de 6 1, 2, comme le montre la figure 1. 4. «Prévention primaire du cancer du sein: élaboration d’un outil de mesure quantitative du risque de cancer du sein incluant la densité mammaire mammographique» du Docteur Fabienne Liebens (promoteur). Lorsque la chimiothérapie est non myélo-ablative, la sévérité et la durée de la neutropénie sont atténuées par les FCM (Figure 2 A) 3; dans le cas contraire, les FCM n’ont que peu d’impact sur la durée de neutropénie sévère alors que la majorité des infections surviennent durant cette période (Figure 2 B). Le cinquième projet retenu est une étude randomisée en double aveugle sur «L’effet de la colonisation vaginale par des lactobacilles sur le streptocoque B-hémolytique du groupe B pendant la grossesse» par le Docteur Magali Eykerman (promoteur). Qu’en est-il de l’évidence clinique de l’action des FCM en prophylaxie de la neutropénie fébrile ? Le dernier projet est pédiatrique et développé par le Docteur Anne Vergison (promoteur) : «Épidémiologie et dynamique de la flore commensale nasopharyngée chez l’enfant en classe maternelle». Les subsides octroyés ont permis aux promoteurs d’initier leurs projets respectifs et selon les cas d’obtenir des aides financières complémentaires auprès d’autres sponsors qui contribuent au développement final de celui-ci. Une bourse, d’une valeur de 1.500 C, a été attribuée à Chantal Lerminiaux de l’HUDERF. Elle lui permettra de s’inscrire à l’École de Santé Publique UCL/ULB pour l’obtention d’un Certificat Interuniversitaire en Qualité de soins. B Figure 2 : Cinétique de récupération des neutrophiles sous l’effet de G-CSF. A. Après chimiothérapie non myélo-ablative. B. Après chimiothérapie myélo-ablative. Une méta-analyse récente, basée sur 17 études cliniques randomisées et incluant 3493 patients, a montré que les facteurs de croissance diminuent le risque de neutropénie fébrile de 46%, la mortalité liée à l’infection de 45% et la mortalité précoce de 40%. La dose-intensité relative de la chimiothérapie délivrée, est améliorée par les FCM, tandis que des douleurs osseuses et musculaires sont rapportées dans 20% des cas. Y a-t-il y a une différence d’efficacité entre les différentes formulations de FCM ? La comparaison directe entre différentes formulations de FCM dans les études individuelles n’a pas montré de différence mais ces études n’avaient pas une puissance statistique adéquate pour démontrer l’équivalence. Une méta-analyse, publiée récemment, a revu les essais comparant pegfilgrastim et filgrastim 4 (5 études randomisées pour un total de 617 patients). Elle a montré une réduction de 50% du risque relatif de neutropénie fébrile avec le pegfilgrastim à dose unique, par rapport aux doses quotidiennes de filgrastim, sans augmenter l’incidence des douleurs osseuses. Le 3 mars 2008, le comité scientifique a délibéré pour établir la liste des projets qui seront primés en 2008. La remise de prix officielle se déroulera dans les bureaux du «Journal du médecin» partenaire de l’asbl. ■ PLUS D’INFO ? asbl iris recherche Rue Dejoncker 46 – 1060 Bruxelles Tél.: 02/543 78 27 – [email protected] A Récemment, des recommandations pour l’utilisation prophylactique des FCM dans les tumeurs solides ont été formulées par l’EORTC et l’ASCO 5, 6. Elles sont rapportées dans la figure 3. Ces recommandations tiennent compte de type de chimiothérapie administrée et du risque de neutropénie fébrile qui y est associé, du type de néoplasie ainsi que son stade et, par conséquent, de la visée de la chimiothérapie prévue, soit curative, Figure 1: Schéma de production des neutrophiles dans la moëlle sous l’effet de FCM endogène et exogène. 11 >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 INFORMATION SCIENTIFIQUE >>> soit palliative. En effet, quand la dose-intensité de la chimiothérapie n’est pas prouvée plus efficace qu’un régime moins toxique, il est conseillé de réduire ou d’espacer les administrations ou de choisir un autre régime. Ces recommandations prennent également en compte les facteurs prédisposants spécifiques à chaque patient tels que l’âge, les réserves médullaires, un épisode antérieur de neutropénie fébrile et d’autres facteurs de co-morbidité. Historiquement, le concept de la prophylaxie par antibiotiques chez les patients neutropéniques est né dans les années 70, par la décontamination du tube digestif par des antibiotiques non résorbables. Plusieurs schémas à l’époque, du genre gentamicine-vancomycine ou néomycine-colistine ou polymoxycine B-vancomycine, associés à la nystatine ont été utilisés dans le but de supprimer la flore gastro-intestinale. Plusieurs études randomisées, prospectives ont montré une diminution des infections alors que d’autres ne montraient pas d’effet. Cette discordance était liée à la non-compliance et à la mauvaise tolérance avec nausées, vomissements et diarrhée. Il faut ajouter à cela la démonstration que les glycopeptides (vancomycine ou teicoplanine) donnés oralement chez des sujets sains, sélectionnaient systématiquement de l’Entérocoque faecium résistant aux glycopeptides. En 1980, le trimethoprim-sulfamethoxazole et l’acide nalidixique ont été utilisés en prophylaxie chez les patients neutropéniques avec des résultats mitigés. Le trimethoprim-sulfamethoxazole était associé à des réactions allergiques cutanées, à une colonisation accrue par du P. aeruginosa et surtout un allongement de la durée de la neutropénie tandis qu’avec l’acide nalidixique il y avait rapidement une émergence de bacilles à Gram-négatif résistants. Au milieu des années 80, il y a eu l’arrivée des fluoroquinolones avec des propriétés plus attractives : – bonne activité sur les entérobactéries; – acitivité sur P. aeruginosa avec certains agents comme la ciprofloxacine, et certainement aux concentrations obtenues dans les selles : 100 à 2000 µg/g; – bonne tolérance, – peu de toxicité, – préservation de la flore anaérobie. On peut dès lors comprendre le succès de leur utilisation dans cette indication. Deux larges études, randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo, utilisant levofloxacine en prophylaxie ont été réalisées récemment chez des patients cancéreux ayant reçu une chimiothérapie, ce qui a permis de clarifier un tant soit peu ce concept qui reste néanmoins controversé 7, 8. La première conduite par Cullen et al, a inclus des patients ambulatoires traités pour tumeur solide ou lymphome, à faible risque de développer une neutropénie (7.9%). La stratégie prophylactique par lévofloxacine a permis de diminuer de 56% le risque relatif d’un premier épisode de neutropénie fébrile, de 29% le risque d’infection et de 36% le risque d’hospitalisation. Cependant, le nombre nécessaire de patients à traiter pour éviter un épisode de neutropénie fébrile avoisine 70. Par conséquent, il faut essayer de sélectionner les patients qui ont le risque le plus élevé et qui pourraient bénéficier d’une telle stratégie. En effet, la population des tumeurs solides est hétérogène et le risque de neutropénie fébrile varie considérablement : 27,9% pour le cancer testiculaire, 17,3% pour le cancer pulmonaire à petites cellules et 11,5% pour le cancer mammaire 9. Tableau 3 : Effets de l’antibioprophylaxie : méta-analyse de 95 études randomisées Tableau 1 : Antibioprophylaxie chez les patients pour tumeur solide ou lymphome Lévofloxacine Placebo Valeur p Fièvre 1er cycle tous les cycles 3.5% 10.8% 7.9% 15.2% <0.001 0.01 Infection probable 34.2% 41.5% 0.004 Hospitalisation pour une infection 15.7% 21.8% 0.004 Infection sévère 1.0% 2.0% 0.15 Décès 4/784 4/781 NS La deuxième conduite par Bucaneve et al, a concerné des patients hospitalisés à haut risque de neutropénie fébrile (85%). Dans ces conditions, la lévofloxacine a permis de réduire les épisodes fébriles, les bactériémies à bacille à Gram-négatif et bactéries à Gram-positif et le taux d’infection en général. Le nombre nécessaire de patients à traiter pour éviter un épisode fébrile n’est que de 5. Il y a eu une émergence de résistance dans le bras recevant lévofloxacine, parmi les bactéries à Gram-négatif (77 versus 17%) et les bactéries à Gram-positif (91 versus 64%). OR 95 % CI Fièvre 0.67 056-0.81 Infection Cliniquement documentée Microbiologiquement documentée Gram négatif Gram positif Bactériémie 0.53 0.50 0.26 0.29 0.64 0.36-0.80 0.35-0.70 0.20-0.35 0.22-0.38 0.52-0.77 Décès 0.67 0.55-0.81 Effets secondaires 1.69 1.14-2.50 Quels sont les inconvénients de l’antibioprophylaxie ? – L’émergence de résistance: l’incidence d’E. coli résistant aux fluoroquinolones, isolé des hémocultures, a augmenté parallèlement à l’introduction de la prophylaxie: 0% durant la période de 1983 à 1990. 28% durant la période de 1991 à 1993 11. – Excès de toxicité (rash cutané, rupture de tendons). – Risque de Clostridium difficile avec des souches virulentes. Ceci implique des mesures d’hygiène strictes en parallèle à l’implantation d’une antibioprophylaxie afin de limiter l’installation et la diffusion d’un éventuel clone résistant au sein de l’hôpital et au-delà. Quelle fluoroquinolone utiliser en prophylaxie ? Les deux fluoroquinolones les plus utilisées sont la ciprofloxacine et la lévofloxacine. La ciprofloxacine possède un avantage théorique sur le P. aeruginosa tandis que la lévofloxacine a un avantage théorique sur les bactéries à Gram-positif. Les deux molécules ont fait leurs preuves. Dès lors, suivant l’épidémiologie locale et notamment l’incidence du P. aeruginosa et la prédominance Gram-négatifs versus Gram-positifs, il y a moyen de faire un choix adéquat. Tableau 2 : Antibioprophylaxie chez des patients traités par chimiothérapie intensive pour leucémie aiguë ou tumeur solide et lymphome avec greffe de cellules souches hématopoiétiques Quelle stratégie choisir entre FCM et antibioprophylaxie ? Lévofloxacine Placebo Fièvre 85% 86% 0.001 Infection (microbiologiquement documentée) Gram-positif Gram-négatif 22% 39% <0.001 11% 4% 16% 11% Bactériémie Gram-positif 18% 4% 34% 11% <0.001 <0.01 10/373 18-363 0.15 Mortalité Manifestation Une seule étude randomisée prospective a essayé de comparer FCM et ciprofloxacine + amphotéricine B dans 40 cas de cancer du sein métastatique. Le nombre d’épisodes de neutropénie fébrile était similaire dans les deux bras : 7/18 versus 7/22 12. À noter que la stratégie FCM est plus coûteuse tandis que l’antibiothérapie favorise l’émergence de résistance et est potentiellement associée à des effets secondaires. Valeur p Qu’en est-il de la combinaison FCM plus antibiotiques ? Ceci est devenu systématique chez les patients avec tumeur hématologique à haut risque de neutropénie fébrile. Dans les tumeurs solides, pour la prophylaxie, on dispose d’une étude randomisée dans le cancer pulmonaire à petites cellules comparant antibioprophylaxie seule et antibioprophylaxie plus FCM. Celle-ci a montré que l’adjonction de FCM à l’antibiothérapie est efficace pour réduire la fréquence des épisodes de neutropénie fébrile et des infections, au cours du premier cycle de chimiothérapie, mais en même temps ceci alourdit les coûts de manière substantielle 13. Les avantages de l’antibioprophylaxie ont été revus dans une méta-analyse récente 10 et sont résumés dans le tableau 3 : Figure 3 >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 12 13 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 INFORMATION SCIENTIFIQUE >>> D’autres études dans le cancer du sein ont montré un résultat similaire en faveur de la combinaison FCM et antibioprophylaxie. Cependant, ces études comprenaient un contrôle historique plutôt qu’une comparaison directe 14,15. En conclusion, il est possible d’affirmer que nous disposons actuellement de deux stratégies de prophylaxie de la neutropénie fébrile qui ont fait leurs preuves et qui chacune a ses avantages et ses inconvénients. Par conséquent, chaque situation d’un patient sous chimiothérapie va nécessiter une évaluation précise du risque de neutropénie fébrile, ce qui permettra de sélectionner ceux qui ont besoin d’une prévention, de choisir une stratégie plutôt qu’une autre ou éventuellement de combiner les deux stratégies. ■ Références 1. Skubitz k; Wintrobe’s Clinical Hematology, 10th Edition, Williams & Wilkins, 1999. 2. Lord BI et al. 1989: 86: 9499-503. 3. Crawford J, et al. N Engl J Med. 1991: 325: 164-70. 4. Kuderer NM et al. J Clin Oncol 2007; 25: 3158-3167. 5. Aapro MS et al. Eur J Cancer 2006: 42: 2433-2453. 6. Smith TJ et al. J Clin Oncol 2006; 24: 3187-3205 7. Cullen M et al. N Eng J Med 2005; 353: 988-998. 8. Bucaneve G et al. N Engl J Med 2005; 353: 977-987. 9. Cullen MH et al. J Clin Oncol 2007; 25: 4821-4828. 10.Gafter-Gvili A et al.; Ann Intern Med 2005; 142: 979-995. 11.Cometta A et al. N Engl J Med 1994; 330: 1240-1241. 12.Schröder CP et al. J Antimicrob Chemother 1999; 43: 741-743. 13.Timmer Bonte JMH et al. Clin Oncol 2006; 24: 2991-2997 14.Martin M et al. Clinical Breast Cancer 2004; 5: 353-357 15. Von Minckwitz G et al. Ann Oncol 2008; 19: 292-298. La greffe haploidentique de cellules souches hématopoïétiques: chemin de crête entre tolérance et cytotoxicité Philippe Lewalle, Unité d’Hématologie Clinique et Laboratoire d’Hématologie Expérimentale, Institut Jules Bordet – [email protected] La greffe de cellules souches hématopoïétiques est utilisée depuis les années 1970 pour traiter la leucémie. Un donneur HLA identique familial ou non familial n’est toutefois disponible que dans environ 60% des cas. Pour les autres on pourra en général trouver dans leurs familles un ou plusieurs donneurs haploidentiques, c’est-à-dire 50% génotypiquement identique. (figure 1). plus immunosuppresseur, on diminue le risque de rejet du greffon par le patient. D’autre part en réalisant, ex vivo, une déplétion profonde en lymphocytes T du greffon, on réduit le risque de GVHD. En effet, c’est une partie des lymphocytes infusés aux patients lors de la greffe qui s’activent contre les tissus du patient (peau, foie, tube digestif) en les reconnaissant comme étrangers et qui sont responsables de la GVHD. Ces lymphocytes sont appelés lymphocytes alloréactifs. La greffe haploidentique se caractérise par la difficulté immunologique de surmonter la barrière du complexe majeur d’histocompatibilité. Si on procédait à une greffe haploidentique de la même façon qu’à une greffe classique, les complications seraient insurmontables (rejet du greffon ou maladie du greffon contre l’hôte (GVHD) mortelle). C’est à la fin des années 2000 qu’ont été jetées les bases nécessaires au succès clinique de ce type de greffe. D’une part, en rendant le conditionnement nettement Le conditionnement avant greffe haploidentique est basé sur l’irradiation corporelle totale et l’association de drogues immunosuppressives (Fludarabine, Endoxan, sérum anti-lymphocytaire ATG). La déplétion lymphocytaire T du greffon diminue de 1000 à 10 000 fois le nombre de lymphocytes T du donneur infusé et retire la majorité des lymphocytes T alloréactifs. Cette déplétion se fait par la sélection positive immunomagnétique des cellules souches hématopoïétiques CD34+. Les cellules souches Figure 1: Le système HLA. Les cellules sanguines ne sont pas les seules à posséder des antigènes caractéristiques de l’individu, mais il y en a aussi sur toutes les cellules de l’organisme. Les antigènes sont des molécules à la surface des cellules qui permettent l’identification par le système immunitaire. Cette discrimination du soi et du non soi est à l’origine du rejet lors d’une greffe. Ces antigènes d’histocompatibilité sont dus à l’existence d’un système antigénique découvert à l’origine sur les globules blancs : d’où le nom de système HLA (Human Leucocyte Antigen). De ce point de vue aussi les êtres humains possèdent des caractéristiques très individuelles, puisque chacun a une «constellation» HLA génétiquement différente, ses «empreintes génétiques» en quelque sorte. La probabilité que deux individus soient HLA identiques est très faible, statistiquement 1/40 000 individus. Les types d’HLA sont héréditaires, et sont transmis sous formes d’haplotype, c’est-à-dire que nous recevons en bloc de chaque parent les six gènes HLA (HLA-A, B, C, DR, DP et DQ) localisés sur le même chromosome. Nous partageons dès lors 50% de nos gènes HLA avec chacun de nos parents, avec tous nos enfants et avec statistiquement la moitié de nos frères et sœurs. sont retenues sur une colonne par un aimant après avoir été marquées par un anticorps couplé à une microparticule magnétique, les lymphocytes ne sont pas retenus et sont évacués. Dans un second temps les cellules souches sont récupérées par retrait de l’aimant et lavage de la colonne. Grâce au soutien du FNRS-Télévie, des Amis de l’Institut Bordet, de la Fondation belge contre le cancer et de la Fondation MEDIC, nous avons pu mettre sur pied un tel programme en janvier 2007 avant son remboursement par l’INAMI. Nos résultats actuels se situent aux alentours de 40% de survie en rémission à 3 ans, ce qui se compare très favorablement aux greffes non apparentées pratiquées à un même stade de la maladie. De plus, ces patients qui n’avaient pas de donneurs HLA identiques n’auraient eu quasi aucune chance de survie sans ce type de greffe. Ces résultats nous ont amenés à participer à une étude européenne qui va permettre de préciser la place de la greffe haploidentique par rapport aux greffes non familiales. Figure 2 : Rôle des lymphocytes T dans l’allogreffe. Dans l’allogreffe, une partie des lymphocytes T issus du greffon, les lymphocytes alloréactifs, sont capables de déclencher une réaction immune dirigée contre les cellules du receveur (peau, foie, tube digestif, etc.) et sont responsables de la réaction délétère du greffon contre l’hôte ou GVH (graft versus host). D’autre part, le pouvoir curatif de l’allogreffe repose essentiellement sur le contrôle de la maladie par des lymphocytes T du greffon, soit des lymphocytes spécifiques contre des antigènes leucémiques, non exprimés par les cellules saines, soit des lymphocytes spécifiques contre des antigènes normaux mais largement surexprimés par les cellules leucémiques, soit des antigènes spécifiques des cellules hématopoïétiques du patient mais non exprimés sur les cellules du donneur. Cet effet du greffon contre la leucémie ou GVL (graft versus leukemia) se traduit par une éradication de la leucémie. Une partie des lymphocytes issus du greffon, les lymphocytes T régulateurs, interviennent aussi pour induire la tolérance entre le receveur et le greffon. Dans les premiers mois après greffe les lymphocytes T directement issus du greffon sont également importants pour assurer l’immunité anti-infectieuse, essentiellement anti-virale, du receveur. Il faut toutefois préciser que la déplétion profonde, ex vivo, en lymphocytes T du greffon, se fait au prix élevé d’un risque accru d’infections sévères et potentiellement d’un risque de rechute. (figure 2). Si le taux de survie semble très bon, le taux de morbidité lié aux maladies infectieuses est élevé (80%). Malgré les prophylaxies et thérapies préemptives antifongiques et antivirales, l’aspergillus fumigatus et le cytomégalovirus demeurent des problèmes cliniques majeurs chez les patients greffés en haploidentique. Les défenses immunitaires du patient mettent plus d’un an à se reconstituer et il faut deux à trois mois avant de pouvoir développer des réponses lymphocytaires T spécifiques anti-CMV. La reconstitution immunitaire post-greffe haploidentique peut toutefois être accélérée par le transfert de lymphocytes T spécifiques. Tous nos patients reçoivent des lymphocytes T anti-CMV, activés et amplifiés in vitro, au jour +45 dans le cas de donneur séropositif pour le CMV. contrôle de l’équilibre entre GVHD et effet GVL, représente le «Graal» des transplanteurs de cellules souches hématopoïétiques. Jusqu’à ce jour, toute stratégie de greffe est un compromis insatisfaisant entre le besoin de tolérance et la recherche d’effet cytotoxique anti-leucémique. De plus, dans les leucémies myéloïdes aiguës, des données intéressantes indiquent que le taux de guérison après greffe haploidentique pourrait être supérieur à toute autre forme de greffe lorsqu’il existe un Killing Inhibitory Receptor (KIR) mismatch entre les lymphocytes NK du donneur et du receveur, ce qui induit un effet «greffon contre la leucémie» (GVL) potentiellement puissant, lié aux cellules NK. Nos résultats actuels se situent aux alentours de 40% de survie en rémission à 3 ans, ce qui se compare très favorablement aux greffes non apparentées pratiquées à un même stade de la maladie L’immunothérapie cellulaire anti-tumorale, comme complément aux traitements classiques et son optimisation dans les greffes de cellules souches hématopoïétiques, représente une des voies d’investigation pour l’amélioration de la survie des patients leucémiques. Le bénéfice d’un effet GVL est classiquement largement attribué aux lymphocytes T que ce soit dans le cadre global de la réactivité allogénique entre deux personnes ou dans celui de la reconnaissance spécifique d’antigène restreint ou surexprimé par les cellules leucémiques. Ces dernières années, de nombreux groupes se sont concentrés sur les stratégies de vaccination, dans le contexte autologue ou allogénique. Soit passive, par l’induction ex vivo de clones lymphocytaires anti-leucémiques, soit active, par l’induction in vivo de réponses immunitaires apparaissant déficientes chez les patients (vaccins par cellules dendritiques, peptides ou protéines +adjuvants). Mais il est difficile d’évaluer leur efficacité en tant qu’outils thérapeutiques car la génération d’une réponse antitumorale efficace reste actuellement largement imprévisible. D’abord démontré dans la leucémie myéloïde chronique, l’effet GVL est aujourd’hui largement reconnu comme l’acteur majeur de l’éradication de certaines malignités. Dès lors, en raison de la déplétion T majeure du greffon, l’infusion de lymphocytes T en post-greffe peut jouer un rôle déterminant dans les greffes haploidentiques. Néanmoins, il existe encore des patients répondant peu aux infusions de lymphocytes du donneur (DLI), tout en développant des GVHD aiguës sévères. La séparation parfaite, ou le Les progrès dans le domaine de la vaccination anti-cancéreuse ont néanmoins mis à l’avant-plan deux notions qui ont eu un >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 14 15 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 INFORMATION SCIENTIFIQUE >>> impact important sur l’orientation des recherches en immunothérapie cellulaire : 1) L’inhibition de la réaction immunitaire anti-cancéreuse chez le malade par des lymphocytes T régulateurs ou suppresseurs. En effet, la reconnaissance d’épitopes tumoraux par des clones lymphocytaires de haute avidité in vitro ne garantit pas leur efficacité lors d’un transfert in vivo, probablement en raison de l’environnement immunitaire défavorable. Gabriel Liberale 2) L’administration de lymphocytes anti-tumoraux de haute avidité est plus efficace pour induire des régressions tumorales après administration d’une chimiothérapie non-myéloablative à visée immunosuppressive. Probablement par la destruction de lymphocytes régulateurs et de par le «vide» lymphocytaire créé qui permet une expansion maximale des lymphocytes infusés (régulation homéostatique). L’immunothérapie cellulaire anti-tumorale, comme complément aux traitements classiques et son optimisation dans les greffes de cellules souches hématopoïétiques, représente une des voies d’investigation pour l’amélioration de la survie des patients leucémiques La régulation homéostatique, le très faible taux de maladie résiduelle en post-greffe et les stimulations antigéniques du nouveau système immunitaire «donneur», font de la période post-greffe une période unique pour la manipulation immunologique et l’expansion in vivo de lymphocytes T cytotoxiques spécifiques. Le futur de l’allogreffe inclut dès lors la manipulation de l’environnement cellulaire post-greffe en utilisant des populations cellulaires sélectionnées ou des facteurs solubles d’immunomodulation (figure 3). La question de savoir s’il est possible de mieux séparer l’effet GVH et GVL et de diminuer dans les allogreffes les rechutes par une stratégie combinée d’infusion de lymphocytes T antileucémiques spécifiques et de vaccins anti-leucémiques par cellules dendritiques ou antigènes+adjuvant est passionnante et reste largement ouverte (figure 4). Nos recherches visent à caractériser la réponse lymphocytaire T anti-leucémique en postgreffe et à comprendre le contexte immunologique nécessaire à sa génération. Nous nous intéressons particulièrement à l’inhibition de la réaction immunitaire par des lymphocytes T régulateurs ou suppresseurs. L’injection immédiate de lymphocytes après greffe nous oblige également à développer des stratégies pour sélectionner les lymphocytes spécifiques ou pour les dépléter en lymphocytes alloréactifs responsables de la GVHD. Les premières approches semblent prometteuses en laboratoire, mais la recherche doit continuer, pour que la greffe haploidentique puisse devenir une option de choix dans le traitement des leucémies. ■ Gabriel Liberale et Issam El Nakadi, Clinique de Chirurgie Digestive, Institut Jules Bordet – [email protected] – [email protected] Figure 3 : Le processus complet de l’allogreffe peut se diviser en plusieurs phases qui peuvent être espacées dans le temps. Dans les greffes haploidentiques l’espacement dans le temps est indispensable. Dans un premier temps il faut essentiellement détruire complètement, par l’irradiation et des drogues immunosuppressives, le système immunitaire du receveur pour empêcher les réactions de rejet du greffon (et accessoirement utiliser une drogue ou l’irradiation pour renforcer l’action anti-leucémique). Dans un deuxième temps, après 24 heures, il faut infuser les cellules souches avec un nombre très réduit de lymphocytes T du donneur pour permettre la prise du greffon, cette déplétion profonde en lymphocytes T du greffon est l’élément clé des greffes haploidentiques. Après 30 jours, lorsque les premiers lymphocytes T régulateurs du greffon ont entrepris leur travail de tolérance, des lymphocytes T largement enrichis ou exclusivement anti-infectieux peuvent être infusés au patient pour accélérer sa récupération immunitaire et le protéger de réactivations d’infections virales. Après 60 jours, on peut commencer à exploiter l’effet «greffe contre leucémie» en réinjectant des lymphocytes T anti-leucémiques du donneur au patient (immunothérapie adoptive). Ces injections de lymphocytes peuvent être combinées à des vaccinations par des cellules dendritiques. Figure 4 : La manipulation du système immunitaire après greffe comprend : 1) La vaccination active par des cellules dendritiques, dérivées en culture ex vivo de monocytes circulants, et chargées par des antigènes tumoraux, sous forme de peptides et de protéines recombinantes synthétiques ou de lysats dérivés des cellules leucémiques elles-mêmes. 2) La vaccination passive ou transfert adoptif de lymphocytes T anti-leucémiques spécifiques générés et expansés in vitro durant trois à cinq semaines de culture. Il y a quelques années encore, la plupart des articles en cancérologie commençaient par ‘comme la chirurgie ne fait plus de progrès… d’autres options thérapeutiques, entendez chimiothérapie, sont nécessaires.’ Aujourd’hui on se rend compte que les chirurgiens sont toujours sur le devant de la scène (chirurgie du rectum, résection des métastases hépatiques, carcinose péritonéale) et restent souvent les seuls à pouvoir offrir une option curative à nos patients. Cet article sur la CHIP nous apprend plus encore : les seuls progrès en cancérologie sont ceux d’une oncologie intégrée qui tire avantage du savoir de chaque discipline. Issam El Nakadi ces patients sont porteurs d’une maladie localisée ‘au péritoine’ et non d’une maladie généralisée 5. Ce traitement associe dans le même temps opératoire une chirurgie d’exérèse complète pour traiter la maladie macroscopique à une CHIP pour traiter la maladie résiduelle microscopique. Lors de la chirurgie, l’exploration de la cavité péritonéale doit être complète. Celle-ci permet de quantifier la CP par un score, celui le plus souvent utilisé étant le ‘Peritoneal Cancer Index’ de Sugarbaker, afin d’en évaluer le pronostic 6 (figure 1). La cytoréduction chirurgicale complète est nécessaire avant de réaliser la CHIP. En effet la pénétration tissulaire des molécules de chimiothérapie étant limitée à quelques couches de cellules, elle ne sera efficace que sur une maladie résiduelle millimétrique et/ou inframillimétrique 7 . Le principe d’exérèse complète des lésions macroscopiques ne sera pas détaillé ici, il a été décrit par Sugarbaker 8. Le péritoine tumoral est réséqué et/ou détruit par électrofulguration (figure 2). L’exérèse complète est un élément primordial dans le traitement de la CP puisqu’on ne peut espérer un traitement curatif en présence de résidus macroscopiques (survie nulle à 5 ans chez des patients traités par CHIP après une cytoréduction incomplète) 4. La carcinose péritonéale (CP) représente une étape dramatique dans l’évolution de tout cancer et a été considérée jusqu’il y a peu comme une extension incurable de la maladie chez des patients atteints de cancers digestifs avec une survie à 2 ans voisine de 10%. Le traitement standard des CP était jusqu’il y’a peu la chimiothérapie systémique, associée si nécessaire à une chirurgie de confort. Les CP sont souvent associées à une maladie métastatique située en dehors de la cavité péritonéale. Cependant, dans 20-25% des cas, notamment pour les cancers digestifs, elles sont confinées à l’abdomen 1 . Depuis quelques années, un nouveau traitement des CP associant une chirurgie de cytoréduction à une chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP) a été mis au point et a permis de guérir certains patients 2. Bien que développée depuis une vingtaine d’années, cette nouvelle modalité thérapeutique n’a été reconnue comme un standard dans le traitement de la CP d’origine colorectale et péritonéale que ces dernières années suite aux publications de deux études. L’étude de Zoetmulder fut la première étude prospective randomisée à montrer le bénéfice de la CHIP par rapport au traitement standard (chimiothérapie associé ou non à une chirurgie palliative). La survie médiane des patients était respectivement de 12,6 mois et 22,3 mois dans le groupe standard versus CHIP, bien que dans cette étude une partie des patients dans le bras CHIP n’ait bénéficié que d’une résection incomplète de la CP (résidus macroscopiques) 3 . D’autre part, une étude multicentrique, non randomisée, a rapporté les résultats carcinologiques sur 506 patients traités dans 28 institutions par chirurgie cytoréductive associée à une chimiothérapie intrapéritonéale pour une CP d’origine colorectale. La survie globale à 1, 3 et 5 ans est respectivement de 72%, 39% et 19%. Les facteurs cliniques et thérapeutiques pronostiques qui ressortaient en analyse multivariée étaient le type de résection avec des survies à 1, 3 et 5 ans respectivement de 38-87%, 6-47% et 0-31% en fonction du type d’exérèse réalisée (CR0, CR1 ou CR2 *) 4. Dans cette nouvelle approche thérapeutique on considère que La CHIP permet d’atteindre des concentrations locales de chimiothérapie qui sont 20 à 1000 fois supérieures à celles permises par voie systémique. L’hyperthermie associée à la CHIP Figure 1 : Peritoneal cancer index (PCI) décrivant l’extension de la carcinose péritonéale (decrit par PH Sugarbaker). La cavité abdominale est divisée en 13 régions. Chacune étant scorée de 0 à 3: 0 = pas de maladie, 1=nodule entre 1 et 5 mm, 2 = nodules entre 5 mm et 5 cm, et 3 = nodules de plus de 5 cm. >>> JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 16 17 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 INFORMATION SCIENTIFIQUE NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES >>> permet d’y adjoindre un effet cytotoxique synergique lié aux effets propres de l’hyperthermie et à une meilleure pénétration des drogues dans les cellules 9. Il est essentiel que la CHIP soit administrée immédiatement après la chirurgie de résection afin d’éviter que les A B cellules tumorales résiduelles Figure 3 : Administration de la ne soient piégées dans les ad- Figure 2 : Péritoine tumoral avant (A) et après (B) traitement par électrofulguration. chimiothérapie en intrapéritonéalehérences postopératoires. En sous hyperthermie selon la technique du Colysée. effet, ces adhérences physiologiques se forment en moins de 20 minutes après la chirurgie 10. Aucune anastomose n’est réalisée auparavant afin d’éviter de Références 1. Elias D et al. Surg Oncol Clin North Am 2001; 10: 915-933. piéger des cellules tumorales à leur niveau. Le soluté contenant 2. Elias D et al. Cancer 2001; 92: 71-7. la chimiothérapie est administré à ventre ouvert dans la cavité 3. Verwaal V et al. J Clin Oncol 2003; 21: 3737-3743. péritonéale, la peau en traction vers le haut selon la ‘Colyseum 4. O. Glehen et al. J Clin Oncol 2004; 22: 3284-3294. technique’ (figure 3). 5. Sugarbaker PH. Semin Surg Oncol 1998; 14:254-261. La CHIP est administrée par 4 drains, à une température de 42-43 °C durant 30 à 90 minutes selon l’équipe et/ou le type et la concentration de la molécule utilisée. Il est évident que pour chaque drogue utilisée lors de la CHIP, une étude pharmacologique doit avoir été réalisée au préalable 11 . 6. 7. 8. 9. 10. 11. Jacquet P et al. Cancer Treat Res 1996; 82: 359-374. Los G et al. Cancer Res 1989; 48: 3380-3384. Sugarbaker PH. Cancer Treat Res. 1996; 82: 235-53. Elias D et al. Hepato-Gastroenterol 1994; 41: 207-213. Zoetmulder FA. Boston: Kluw 1er Acad Publisher: 1996; 155-162. D Elias et al. Ann Oncol 2004; 15(10): 1558-65. La réalisation de la CHIP nécessite un appareillage spécifique (débitmètre, capteur thermique, …) permettant le contrôle de l’homogénéité de répartition de la chimiothérapie dans la cavité abdominale et le contrôle constant de la température au sein de celle-ci (figure 4). La durée de l’intervention varie de 6 à 15 heures et dépend essentiellement de l’étendue de la carcinose péritonéale à traiter. 18 bloque tous les récepteurs de la famille HER ont montré une activité très prometteuse dans les tumeurs du sein résistant à l’Herceptine® (lapatinib et HKI-272) ou les tumeurs du sein à caractère inflammatoire (lapatinib). Il est bien établi que l’index thérapeutique des agents chimiothérapeutiques est étroit. L’efficacité antitumorale est souvent observée à des doses proches de la dose maximale tolérée. Les toxicités, parfois menaçantes pour la vie, ont été bien définies pour la majorité des médicaments. Des moyens supportifs ont été développés pour certains effets secondaires souvent aigus et réversibles (ex. facteurs de croissance hématopoïétiques pour pallier la toxicité hématologique). 2. Les anticorps monoclonaux agissant sur une cible particulière semblent cliniquement plus actifs que les petites molécules agissant sur la même cible (ex. médicaments bloquant les récepteurs au VEGF). 3. Les anticorps monoclonaux agissant sur une cible thérapeutique, qu’elle soit dans la cellule tumorale (ex. EGFR; HER2) ou en relation avec la cellule endothéliale (ex. VEGF), sont d’autant plus actifs qu’ils sont administrés tôt dans l’histoire de la maladie cancéreuse, particulièrement quand ils sont combinés avec la chimiothérapie (ex. Herceptine®, Avastin®) ou avec la radiothérapie (cetuximab dans les tumeurs de la sphère ORL). Récemment, grâce aux progrès de la biologie moléculaire, de nouvelles armes thérapeutiques ont été développées en cancérologie. Globalement, ces médicaments sont soit des petites molécules agissant principalement au niveau intracellulaire soit des anticorps monoclonaux agissant au niveau des domaines extracellulaires des récepteurs membranaires. Ces nouveaux agents ont été administrés soit seuls soit en combinaison avec la chimiothérapie et/ou la radiothérapie. 4. Le premier exemple réussi de réversion de la résistance à un agent chimiothérapeutique a été documenté dans le cancer du côlon résistant au CPT-11. Dans ces circonstances, l’activité de l’anticorps monoclonal anti EGFR (cetuximab) seul est de 11%, alors qu’additionné au CPT-11, un taux de réponse de 25% est obtenu. Efficacité des thérapies biologiques ciblées Effets secondaires des thérapies biologiques ciblées En ce qui concerne l’efficacité, on pourrait retenir les éléments généraux suivants : Bien que les thérapies biologiques ciblées aient montré quelques effets secondaires comparables à la chimiothérapie, on a surtout observé l’émergence de nouvelles toxicités qui sont soit propres au médicament en question soit propres à la famille du médicament (ex. toxicités cutanées et anti-EGFR). Nous référons les lecteurs pour de plus amples informations à deux revues récentes des effets secondaires des petites molécules et des anticorps monoclonaux nouvellement développés 1, 2. 1. Définition de la cible Conclusions JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 Introduction Avec les nouveaux agents biologiques, apparaît le concept novateur de relation étroite possible entre efficacité antitumorale et le type de toxicité médicamenteuse. Le traitement curatif de la carcinose péritonéale nécessite de sélectionner et d’évaluer les patients tant sur le plan oncologique (exclusion d’une maladie extra-abdominale) que sur le plan général (exclusion des patients présentant une co-morbidité importante). De plus, malgré les performances techniques de la chirurgie, il faut garantir au patient une qualité de vie ultérieure la plus normale possible. L’éclaircie du pronostic apportée dans la prise en charge de cette pathologie par le développement de la chirurgie cytoréductrice et de la CHIP ne doit pas en faire oublier les risques. Actuellement, la mortalité postopératoire est comprise entre 3 et 8% pour les équipes entraînées et la morbidité entre 23 et 60%. La cause principale de mortalité étant le choc septique et la complication majeure étant la fistule digestive. Le traitement multimodal associant la chirurgie de cytoréduction à la CHIP dans le traitement de la carcinose péritonéale d’origine colorectale est un progrès considérable car il permet de traiter à visée curative des patients autrefois considérés comme incurables. Les taux de survie à 5 ans sont de 30%, équivalents à ceux de patients porteurs d’un cancer colorectal avec métastases hépatiques résécables. Le regard porté sur les patients présentant une CP primitive ou due à un cancer colorectal doit changer. Ils ne doivent plus être considérés comme porteurs d’une maladie généralisée et incurable mais comme porteurs d’une maladie localisée et potentiellement curable. ■ Ahmad Awada, Alain Hendlisz et Martine J. Piccart-Gebhart, Clinique d’Oncologie Médicale – Service de Médecine, Institut Jules Bordet [email protected] Figure 4 : Appareil permettant l’administration de la chimiothérapie à débit constant avec contrôle de la température à différents niveaux de la cavité abdominale par sonde de thermométrie (SUNCHIP, Gamidatech). a) Quand la cible est bien définie, qu’elle a un rôle primordial dans la carcinogenèse et que le médicament est spécifique, le résultat antitumoral est substantiel (ex. la cible bcr-abl dans la leucémie myéloïde chronique traitée par Glivec®; les tumeurs sarcomateuses stromales de l’intestin exprimant le c-Kit et traitées par Glivec®; le cancer du sein HER-2 positif traité par Herceptine®). b) Quand la cible est définie, mais qu’elle n’est que partiellement responsable de la carcinogenèse et que le médicament est moins spécifique, l’efficacité anti-tumorale est plutôt modeste (ex. EGFR/cancer du côlon/cetuximab ; EGFR/cancer du poumon/gefitinib ou erlotinib). Ce résultat pourrait être amélioré par une sélection appropriée des caractéristiques propres aux malades (non fumeurs) ou aux tumeurs (adénocarcinome, mutations particulières de l’EGFR dans le cancer du poumon). c) Les médicaments qui bloquent simultanément plusieurs cibles (de préférence dans la cellule tumorale et endothéliale), même avec une intensité variable, semblent plus prometteurs que les médicaments décrits dans le point b). À titre d’exemple, le sorafenib (actif dans le rein et l’hépatocarcinome) et le sutent (actif dans le rein, sein, GIST et d’autres tumeurs) entrent dans cette catégorie. De plus, le lapatinib (bloque HER-2 et EGFR) et le HKI-272 qui Quelques messages-clés peuvent être extraits : 1. Certains effets secondaires sont communs à une famille thérapeutique, comme par exemple l’hypertension artérielle et les thromboses artérielles observées avec les médicaments antiangiogéniques. 2. Certains effets secondaires sont liés au blocage d’une cible présente aussi bien dans la tumeur que dans les tissus normaux, comme par exemple le rash et la toxicité cutanée observés avec les anti-EGFR. 3. Même si les toxicités liées à la chimiothérapie et à un médicament biologique ciblé semblent identiques, le mécanisme d’action ainsi que le devenir du malade sous traitement peuvent être fort différents. Par exemple la toxicité cardiaque des anthracyclines est définitive alors que l’Herceptine® est responsable d’un dysfonctionnement cellulaire des cellules myocardiques qui semble largement réversible. >>> 19 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES >>> 4. Les toxicités peuvent n’être bien documentées qu’après une grande et longue expérience clinique. On peut citer à titre d’exemple la toxicité cardiaque de l’Herceptine® et l’hypothyroïdie liée au sutent et au sorafenib (par blocage probable du RET). 5. Certains symptômes qui sont classiquement des effets du cancer lui-même, comme par exemple la fatigue et la dépression peuvent aussi être liés aux thérapies biologiques ciblées. Faire la part des choses n’est pas aisé. De plus, les chercheurs cliniciens doivent être attentifs à des complications rares, mais souvent graves, comme la fibrose pulmonaire observée avec les anti-EGFR et les anti-mTor, ou la toxicité cérébrale de l’Avastin®. 6. La toxicité cutanée des anti-EGFR a été proposée (mais sans confirmation définitive) comme un marqueur pharmacodynamique de la réponse tumorale. L’étude «EVEREST» rapportée par le Docteur Van Cutsem et des investigateurs belges, a tenté d’augmenter les doses de cetuximab dans le cancer du côlon métastatique en fonction du degré de développement de la toxicité cutanée. Les résultats préliminaires suggèrent que cette stratégie peut augmenter l’activité antitumorale. la chimiothérapie, améliorer l’index thérapeutique est une priorité mais, dans certains cas, l’utilisation de la toxicité pour titrer l’efficacité des traitements se fait jour. L’activité antitumorale pourrait être améliorée en sélectionnant au mieux la cible thérapeutique, le médicament biologique susceptible de l’affecter et la population de patients qui présentent les plus grandes chances de réponse. Dans un futur proche, cette sélection des malades pourrait être améliorée grâce au développement de la pharmacogénétique (déterminants liés aux patients) ainsi que de la pharmacogénomique (caractéristiques génétiques de la tumeur). L’ensemble nécessite une collaboration étroite entre scientifiques, précliniciens et cliniciens du corps académique ainsi que des laboratoires pharmaceutiques. ■ Cet article a été publié dans «Oncologie», Éditorial – vol. 8, 883-885 nr 10, décembre 2006. Perspectives Références Les thérapies biologiques ciblées sont clairement devenues partie intégrante de nos possibilités thérapeutiques. Comme pour 1. Gilberto de Castro Jr and Ahmad Awada. Curr Opin Oncol 2006; 18: 307-315. 2. Jean Klastersky. Curr Opin Oncol 2006: 18: 316-320. Une mutation du gène K-ras prédit l’absence de réponse au panitumumab1. Des traitements sur mesure se profilent dans le cancer colorectal e panitumumab est un anticorps monoclonal complètement humanisé qui se fixe sur le récepteur de ‘l’Epidermal Growth Factor’ (EGF). Le récepteur EGF (EGFR) a été reconnu comme cible thérapeutique dans plusieurs cancers chez l’homme, dont le cancer colorectal (CCR). La liaison de l’EGFR avec le récepteur active des voies RAS/RAF/MAPK, STAT et PI3K/AKT qui modulent la prolifération, l’adhésion, l’angiogenèse et la migration des cellules cancéreuses 2. L Les anticorps anti-EGFR, cetuximab et panitumumab, administrés en monothérapie dans le CCR ont permis d’obtenir une réponse ou une stabilisation dans 10% et 30% des cas respectivement 3, 4. Le cetuximab est enregistré en Europe et remboursé en Belgique en combinaison avec l’irinotécan après progression sous une ligne antérieure d’irinotécan. K-ras (homologue humain du virus oncogène Kirsten rat sarcoma-2) sert de code à une petite molécule de liaison qui est naturellement inactive (dite sauvage, wild type, wt). Cependant, K-ras peut se présenter sous une forme mutée (m). Ces mutations sont responsables d’une activation des voies de signalisation correspondantes en aval de l’EGFR. De telles mutations se retrouvent dans 30 à 50% des CCR et sont corrélées avec un mauvais pronostic et une absence de réponse aux inhibiteurs de EGFR 5, 6. JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 20 Dans une étude randomisée de 463 patients progressant sous FOLFOX et FOLFIRI (et exprimant EGFR), panitumumab a été testé en monothérapie par comparaison avec des patients ne recevant que les meilleurs soins supportifs (MSS). Les patients progressant sous MSS pouvaient recevoir le panitumumab après documentation de la progression de leur maladie. Cette attitude n’a pas permis de mettre en évidence une différence de survie entre les deux groupes malgré une amélioration statistiquement significative, mais de faible amplitude, de la survie sans progression qui était l’objectif primaire de l’étude en raison du crossover des patients traités par MSS seulement, après progression. Une analyse a été réalisée en comparant l’effet du traitement chez les patients présentant le K-ras wild type et muté. Le statut K-ras a pu être établi chez 92% des patients. L’effet du panitumumab sur la survie sans progression (PFS) était, par comparaison avec les patients MSS, significativement plus grand chez les patients K-ras-wt, PFS médian de 12.3 semaines vs. 7.3 semaines respectivement et sans effet sur les patients K-ras-m, 7.4 et 7.3 semaines respectivement, avec une interaction statistiquement significative entre le traitement et le statut K-ras. Cette différence n’est pas apparente sur la survie globale, probablement en raison du cross-over. Alors que la tumeur ne régressait jamais dans le bras MSS, dans le bras panitumumab le taux de réponse était de 17% pour les K-ras-wt et 0% pour les K-ras m. Il est remarquable que, sur cette série de 69 patients, évaluables, le statut K-ras m prédit de manière parfaite l’absence de réponse/activité sous panitumumab. Harry Bleiberg, Ahmad Awada et Marianne Paesmans Cette observation est importante, bien que nécessitant validation lors d’une étude prospectivement menée, elle conforte, après l’Herceptine dans le cancer du sein chez les patientes HER2/neu positives, que l’identification de marqueurs biologiques appropriés devrait nous aider à mieux cibler nos patients: offrir plus de chances d’obtenir un effet thérapeutique pour ceux qui sont sensibles, peu d’effets secondaires inutiles pour les autres et une réduction correspondante des coûts pour la sécurité sociale. ■ Références 1. Amado RG et al. J Clin Oncol 2008; 26: 1 2. Mendelson J et al. Semin. Oncol 2006; 33: 369. 3. Cunningham D et al. N Engl J Med 2004; 351: 337. 4. Van Cutsem E et al. J Clin Oncol 2007; 25: 1668. 5. Ince WL et al. J Natl Cancer Institute 2005; 97: 981. 6. Lièvre A et al. Cancer Res 2006; 66: 3992. La survie et la qualité de vie de votre malade atteint d’un cancer peuvent dépendre de traitements disponibles dans les programmes de recherche: Contacts: HÔPITAL ERASME : Dr Marie Marchand: 02/555 41 93 – [email protected] BORDET-IRIS : Dr Tatiana Besse-Hammer: 02/541 31 48 – [email protected] 21 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES Une révolution dans l’approche du cancer du sein basée sur les progrès de la biologie moléculaire Ahmad Awada es cliniciens savent depuis toujours que le cancer du sein est une maladie très hétérogène, son pronostic est hasardeux et son évolution est jusqu’à un certain niveau imprévisible. Des progrès ont été réalisés dans la prise en charge de cette maladie mais malheureusement, ces progrès ont été lents. On sait peu sur l’origine de cette maladie, du moins dans sa forme non-héréditaire. Des virus et des facteurs environnementaux et hormonaux ont été impliqués ainsi que des modifications épigénétiques. L Moins de 50% des cancers du sein héréditaires ont été élucidés par la découverte d’une mutation soit au niveau du gène BRCA1 ou BRCA2 et ont amené à des approches préventives (mastectomie bilatérale, ovariectomie) ou diagnostiques (RMN des seins). Au niveau chirurgical, la tumorectomie a remplacé, quand c’était possible, la mastectomie et la technique du ganglion sentinelle a remplacé dans des conditions précises l’évidement axillaire avec sa morbidité physique et fonctionnelle. Finalement, la radiothérapie a également fait des progrès avec comme conséquence une diminution de la cardiotoxicité. Les progrès récents en biotechnologie ont eu comme conséquence une avancée tangible dans la compréhension de la biologie moléculaire de cette maladie complexe. La biostatistique et bioinformatique ont permis d’intégrer des milliers d’informations en relation avec des modifications géniques et protéiques au sein de la tumeur. Ces progrès sont à la base de la découverte de cibles pour des thérapies biologiques non chimiothérapeutiques. Au-delà de l’histologie classique, la biologie moléculaire commence à mieux définir le pronostic de quelques groupes de patientes et prochainement, espérons-le, un progrès dans la prédiction de la réponse ou, mieux encore, la résistance à un traitement prescrit. La conséquence de ces avancées est l’individualisation des traitements avec l’espoir d’avoir une meilleure efficacité dans la prise en charge des malades, d’éviter des effets secondaires inutiles et finalement d’améliorer le coût/bénéfice des traitements anticancéreux. Au niveau pronostic, les facteurs historiques classiques restent d’actualité. La taille, le grade, le nombre de ganglions envahis gardent une valeur pronostique importante mais imparfaite. L’analyse des milliers de gènes dans une tumeur est à la base de la découverte de signatures, dites géniques, de bon ou de mauvais pronostics. Ces signatures sont en cours d’évaluation pour leur utilité clinique dans des études à grande échelle. Le grade 2 histologique s’est avéré génétiquement être soit un grade 1 ou un grade 3 et non une entité à part. Cela conduira JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 22 Martine J. Piccart-Gebhart sans aucun doute à une meilleure définition du risque chez la patiente atteinte d’un cancer du sein. Les gènes impliqués dans la prolifération cellulaire ont émergé comme étant à la base des signatures géniques de mauvais pronostique. Les patientes qui portent ces tumeurs bénéficieront probablement le plus de la chimiothérapie cytotoxique et de schémas thérapeutiques avec intensification de la dose. Les études cliniques sont en cours dans ce domaine. Les récepteurs hormonaux ont été considérés pendant longtemps comme des factures pronostiques. La méta-analyse avec un suivi de 15 ans a permis de constater que leur valeur pronostique est limitée: ces cancers avec récepteurs hormonaux négatifs récidivent surtout tôt après le diagnostic tandis ceux avec récepteurs hormonaux positifs récidivent plus tard, de sorte que les probabilités de survie ne diffèrent pas fondamentalement à 10-15 ans après le diagnostic. L’implication thérapeutique de cette constatation est qu’il est probablement important de continuer l’hormonothérapie au-delà de 5 ans et que les tumeurs récepteurs hormonaux négatifs nécessitent un traitement le plus efficace possible immédiatement après le diagnostic. Il n’y a pas pour le moment de médicaments qui ont montré clairement une bonne activité dans les tumeurs «triple négative» ou «basal-like». Les antiangiogénèses (ex. bevacizumab), les antiEGFR (ex. cetuximab), les dérivés du platine, les inhibiteurs de la topoisomérase et les inhibiteurs de l’enzyme PARP (molécule impliquée dans la réparation de l’ADN) sont en cours d’investigation, particulièrement dans ce groupe de tumeurs. Au-delà du trastuzumab, le lapatinib, administré oralement s’est révélé actif dans les tumeurs HER-2-/neu prétraitées ou non par trastuzumab car il a l’avantage de passer la barrière hémato-encéphalique et prévenir ou traiter les métastases cérébrales dont l’incidence est de 30 à 40% dans ce groupe de patientes avec tumeurs surexprimant HER-2/neu. Un nombre considérable de nouvelles thérapies ciblées est en cours d’investigation dans le cancer du sein. Citons, à titre d’exemple, les inhibiteurs de l’IGF(R) et les anti Ras/Raf/MAPK Pi3K/Akt. Les premiers résultats des vaccins anti HER-2/neu sont prometteurs. Au niveau de la thérapie hormonale, il n’y a pas eu de percées thérapeutiques récentes. Des inhibiteurs d’enzymes appelés sulfatases impliqués dans le métabolisme des oestrogènes sont en cours d’investigation et pourraient représenter une nouvelle «famille» d’agents hormonaux. En conclusion, l’approche du cancer du sein connait une évolution remarquable basée sur les progrès de la biologie moléculaire. Les tumeurs sont mieux classifiées, le pronostic est mieux défini et des thérapies biologiques ont vu le jour. Il est urgent de rapidement valider les outils moléculaires diagnostiques et pronostiques afin de les implémenter en pratique clinique. De plus, il est heureux de constater l’apparition de thérapies moins empiriques qui portent en elles l’espoir de mieux individualiser les traitements et d’améliorer l’index thérapeutique. ■ La pharmacogénétique, par l’analyse des variants de cytochromes a permis de subdiviser les patientes traitées par tamoxifene en situation adjuvante en bons et mauvais métaboliseurs du tamoxifène. Le gène HER-2/neu a émergé comme un facteur de mauvais pronostic et surtout comme un facteur prédictif de réponse à l’anticorps monoclonal appelé trastuzumab. Son efficacité en monothérapie et surtout en combinaison avec la chimiothérapie a été bien documentée tant en situation métastatique qu’adjuvante, avec une excellente tolérance à part la dysfonction myocardique qui reste peu fréquente et est observée surtout quand le trastuzumab est associé avec les anthracyclines. ... your partner of choice for the treatment of metastatic breast cancer, advanced ovarian cancer and malignant brain tumors. Un progrès important de la biologie moléculaire a été la classification des cancers du sein en au moins quatre groupes de tumeurs distinctes : le groupe des tumeurs exprimant le récepteur, HER-2/neu, le groupe des tumeurs «triple négatif» avec absence d’expression des récepteurs hormonaux et du récepteur neu, le groupe «luminal A» avec une forte expression des récepteurs hormonaux (et probablement une bonne réponse au traitement hormonal) et sans autres facteurs d’agressivité tumorale et finalement le groupe «luminal B» dont la sensibilité aux traitements hormonaux est imparfaite et qui présente souvent d’autres facteurs de risque (tel qu’une prolifération importante). L’implication clinique de cette subdivision est qu’il est essentiel que les patients de chaque groupe soient englobés dans des études cliniques séparées comportant les thérapies les plus adaptées à la carcinogénèse de leurs tumeurs. 2008-BE-208 Ahmad Awada et Martine Piccart Service de Médecine – Clinique d’Oncologie Médicale Institut Bordet Les bons métaboliseurs avaient un meilleur pronostic mais avaient aussi plus de bouffées de chaleur et un risque majoré d’arrêt du traitement. Les médicaments interférant avec le métabolisme du tamoxifène en dérivés actifs comme quelques psychotropes sont à proscrire. Les anthracyclines, les taxanes, les agents akylants et les antimétabolites sont à la base de la chimiothérapie anticancéreuse du cancer du sein. Les antioestrogènes et les inhibiteurs d’aromatase sont la base du traitement hormonal et finalement le trastuzumab est le premier traitement anti HER-2/neu. Plus récemment, des nouvelles formulations de taxanes (par exemple l’abraxane), des antimicrotubules actifs en cas de résistance aux taxanes (ex. ixabepilone) et une nouvelle génération d’antimicrotubules (ex. E7389, un analogue de l’halochondrine B) ont vu le jour. 23 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 AU-DELÀ DE LA MÉDECINE… ACTIVITÉ DU RÉSEAU La gestion du risque dans le transport de tissu humain Inauguration d’un nouveau centre d’oncologie-radiothérapie au CHU TIVOLI Alain Moureau, World Courier Belgium [email protected] de groupage de marchandises. Vos précieux échantillons de tissus humains se retrouvent donc souvent en très bonne compagnie (objets de toute nature, ordinateurs et matériel électronique, pièces détachées, effets personnels, etc). On comprend que le transport d’organe à visée de transplantation est chose délicate et nécessite des procédures bien validées garantissant l’arrivée de l’organe à destination dans des conditions d’utilisation optimales. Même en-dehors de ces indications particulières, beaucoup de tissus humains transitent d’un lieu à un autre à la recherche d’un institut expert et, de plus en plus dans le cadre d’études, en transit vers un laboratoire centralisé qui garantit à tous les prélèvements la même qualité d’analyse. Il essentiel que ces échantillons, souvent uniques, arrivent à bon port et parfaitement utilisables. De nos jours et dans nos contrées, il est inconcevable qu’un patient n’accède pas aux traitements ou aux soins appropriés par manque d’infrastructure adéquate. De même, il nous paraît tout aussi inacceptable qu’un patient soit éloigné d’un protocole médical ou d’une étude clinique parce que son prélèvement de tissu n’est pas livré au bon laboratoire ou, pire, qu’il ait été livré dans de mauvaises conditions de conservation et ne puisse en conséquence être analysé correctement. Nous apprenons depuis notre jeune âge que la vie n’a pas de prix mais avec un peu de recul, on sait que la santé est régulièrement «influencée» par des critères d’ordre financier. Le transport n’est donc plus de type «groupé» mais il est individualisé. Il permet de respecter les délais imposés par les exigences de la communauté scientifique et surtout de mieux contrôler les paramètres de température L’idée de cet article est de vous aider à poser les bonnes questions lorsque vous serez confronté au problème d’un transport d’une «marchandise» sensible : – Qu’est ce qu’un «bien» sensible ? – Puis-je me permettre de perdre un prélèvement de tissu humain ? – Mon colis nécessite-t-il un contrôle de température ? – Quel est le «prix à payer» pour minimiser les risques liés à tous types de transport ? Si l’art de soigner relève de multiples disciplines, le monde du transport express connaît également ses subdivisions et ses spécificités. La comparaison s’arrêtera là mais, globalement, il est possible de définir deux types de sociétés de transport express : a) Les grandes sociétés de courrier dont les acronymes sont bien connus (DHL, TNT, UPS, etc). Dans notre jargon, nous les appelons les «intégrateurs». La logistique de ces sociétés est toujours axée sur un service JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 Anne Leleux, Chef du service d'oncologie médicale, Coordinateur du Programme de Soins Oncologiques, CHU Tivoli, La Louvière 24 Si ce système présente l’énorme avantage de minimiser les coûts, il est, par contre, fort rigide et ce manque de flexibilité ne permet pas toujours aux «intégrateurs» de livrer une marchandise hautement périssable dans les meilleurs délais ni d’en garantir sa pérennité (contrôle de température). Créés en 1976 lors de la construction de l’hôpital, le service de radiothérapie et l’hôpital de jour oncologique permettent d’accueillir les patients atteints d’un cancer ou d’une affection hématologique. Des réunions de concertation pluridisciplinaire sont organisées dans chaque discipline sur un mode hebdomadaire ou bihebdomadaire. Nous pouvons également compter sur la collaboration de nombreux para-médicaux (infirmières spécialisées en oncologie et radiothérapie, psychologue, esthéticienne, diététiciennes, pharmaciennes, assistantes sociales, data manager, secrétaires, aides logistiques, …). ■ En 32 ans, le domaine de l’oncologie a connu un essor vertigineux. Les technologies se sont sophistiquées, l’approche pluridisciplinaire des patients cancéreux s’est imposée, les alternatives thérapeutiques se sont multipliées. Sans entrer dans des détails techniques inhérents à notre métier, il arrive que la température intérieure d’un avion cargo ne soit pas toujours stable et il n’est pas rare qu’un «container» reste des heures sur un tarmac surchauffé avec comme résultat immédiat qu’un prélèvement diagnostique ne puisse être analysé correctement. Cette évolution et l’importante augmentation d’activité dans ce domaine nous ont amenés récemment à investir dans de tout nouveaux locaux, beaucoup plus spacieux, plus lumineux et bien mieux équipés. Autre cas de figure, un prélèvement sous «carbo-glace» se retrouve bloqué à la douane du pays de destination parce qu’un document réglementaire n’est pas conforme aux exigences. Hélas, personne ne viendra rajouter le précieux matériau réfrigérant et, en quelques heures, vous risquez de perdre le fruit d’un long labeur, voire de poser un mauvais diagnostic sur un patient. La disposition et l’architecture ont été élaborées dans un souci de convivialité, d’efficacité et de qualité des soins. Ce centre d’oncologie ambulatoire permet une prise en charge intégrée des patients atteints d’un cancer, puisqu’il réunit sur un même plateau : b) Il existe cependant d’autres alternatives et, pour autant qu’elles soient utilisées à bon escient, elles peuvent réellement répondre aux besoins générés par les exigences pointues des milieux pharmaceutiques et médicaux. Vers le milieu des années soixante, des sociétés de courrier spécialisées telles que World Courier, Purolator, etc. ont donc vu le jour. – une aire de consultation et d’accueil; – un hôpital de jour consacré exclusivement à l’oncologie, qui permet d’accueillir simultanément 11 patients dans des conditions de confort optimales ; – une unité de radiothérapie équipée d’appareils à la pointe de la technologie (dont un accélérateur linéaire «dernier cri»). Ces sociétés se sont d’emblée éloignées des critères logistiques établis par les «grands intégrateurs». Elles ont choisi d’autres modes de fonctionnement et se sont profilées vers les marchés de niches (dont le monde pharmaceutique). Le transport n’est donc plus de type «groupé» mais il est individualisé. Il permet de respecter les délais imposés par les exigences de la communauté scientifique et surtout de mieux contrôler les paramètres de température (contrôle permanent du niveau de carbo-glace et changement automatique du matériel eutectique). vers des partenaires de transport spécialisé lorsque l’enjeu humain de ce que vous voulez transporter est significatif ou capital. Cette décision est plus facile à prendre dans le cadre d’une transplantation, d’un transport de moëlle ou de cellules souches mais elle s’avère tout aussi bénéfique pour le transport d’un tissu humain ayant nécessité une intervention chirurgicale. intervenants (chauffeurs, compagnies aériennes, etc.) et par l’utilisation d’emballages qualifiés ou validés. Ces emballages répondront toujours à des contraintes de température et de pression et en fonction du matériau de fabrication (polyuréthane ou polystyrène), ils seront facilement réutilisables ou recyclables. Des sociétés telles que Exam Packaging, Multibox et autres distribuent ces produits en Belgique. Il donne également la possibilité d’«enlever» ou de «livrer» n’importe quel type de prélèvement clinique, substance réglementée, produit de base, molécule en phase d’investigation ou produit fini à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, 365 jours par an. Tout le matériel adéquat est fourni lors de l’enlèvement. Une petite révolution lorsqu’on sait que cela se passe à l’échelle planétaire. Certes, la prise de risque existe toujours mais elle est fortement réduite par le contrôle opérationnel accru sur les différents Les équipes médicales se sont également étoffées : la radiothérapie compte 3 médecins et le service d’oncologie médicale est composé de 2 hématologues et 3 oncologues médicaux (bientôt 4). Le 27 mai dernier ont été inaugurés les nouveaux locaux du Centre René Goffin (centre d’oncologie-hématologieradiothérapie) au CHU Tivoli, à La Louvière. >>> Une décision influencée uniquement par des critères d’ordre financier est davantage exposée à des dérapages «logistiques» difficiles à maîtriser et dont les conséquences peuvent être dramatiques pour le patient. Compte tenu des avantages considérables présentés par les services de courrier express de type «intégré», il serait dommage de ne pas en bénéficier pour des transports de marchandises usuelles ou courantes. Par contre, il y a lieu d’orienter votre choix Laissez vous guider par le bon sens et… votre sens critique! ■ 25 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 RECHERCHE FONDAMENTALE François Fuks, PhD, Directeur du Laboratoire d’Épigénétique du Cancer, Faculté de Médecine, Hôpital Erasme [email protected] Introduction Un des grands mystères en biologie est le fait que des cellules ayant le même ADN soient capables d’exprimer des fonctions différentes et uniques. Il est communément accepté que c’est la séquence de l’ADN et rien que cette séquence qui détermine le devenir d’une cellule et par là, la constitution d’un organisme. Pourtant, ce dogme est mis en cause depuis peu par les épigénéticiens : ils s’intéressent non pas à la séquence de l’ADN mais aux modifications chimiques se produisant au sein de la chromatine, principalement véhiculées par des modifications de l’ADN et des histones. La modification majeure de l’ADN est la méthylation de la cytosine, qui est la marque d’une chromatine transcriptionnellement silencieuse chez les vertébrés. Quant aux histones, différentes modifications post-traductionnelles ont été décrites, comme l’acétylation, la phosphorylation ou la méthylation. L’ensemble de ces modifications constituerait un «code histone», dont le décryptage n’en est qu’à ses prémices, permettant d’associer à chaque combinaison de modifications un état particulier de la chromatine, et ainsi de l’expression génique. Le séquençage de nombreux génomes eucaryotes indique que l’augmentation de la «biocomplexité» au cours de l’évolution n’est pas directement corrélée à l’accroissement du nombre de gènes (par exemple ≥30.000 chez l’humain par rapport à environ 15.000 chez la mouche). Ces données suggèrent fortement que la biocomplexité n’est régulée qu’en partie par le nombre de gènes. En d’autres termes, «nous sommes plus que la somme de nos gènes» et l’ère post-génomique actuelle promet de cerner de façon plus précise les bases moléculaires de notre identité. À cet égard, il semble de plus en plus clair que l’épigénétique est riche d’une information qui se superpose à celle du code génétique et dont l’importance apparaît cruciale dans la différenciation cellulaire et le développement embryonnaire à travers, par exemple, le phénomène d’empreinte génomique, la reprogrammation du génome et la plasticité des cellules nuclear enveloppe DNA souches. En outre, des altérations de l’information épigénétique sont fréquemment associées à différentes maladies, et notamment au cancer. Il s’ensuit que l’épigénétique laisse présager d’une prochaine révolution dans la connaissance du vivant, et de l’entrée de la biologie et du traitement du cancer dans une nouvelle ère de leur développement. La méthylation de l’ADN et la chromatine : un couple uni dans le silence La compréhension des mécanismes de verrouillage des gènes par les méthyltransférases de l’ADN – ou DNMT a bénéficié du véritable essor ces dernières années de l’étude de la chromatine (dans sa forme la plus compactée, celle-ci constitue les chromosomes) (figure 1). On s’est en effet rendu compte que le silence des gènes par la méthylation de l’ADN agit «main dans la main» avec la structure de la chromatine, Dans la cellule, l’ADN est associé à des protéines très abondantes, appelées histones, et cette association ADN-histones constitue le nucléosome, l’unité de base de la chromatine. On sait à présent que la fermeture de la chromatine, qui conduit au silence des gènes, est directement liée à deux catégories d’enzymes, d’une part les désacétylases (ou HDAC) qui décrochent des groupes acétyls aux histones et d’autre part les méthyltransférases d’histones (ou HMT), qui ajoutent aux histones des résidus méthyls. On parle alors respectivement de méthylation et de désacétylation des histones. Conjointement au déchiffrage des mécanismes de fermeture de la chromatine, une avancée majeure a très récemment été réalisée dans notre laboratoire d’Épigénétique du Cancer (Faculté de Médecine, Erasme). Nos chercheurs ont en effet démontré que les protéines DNMT sont physiquement associées aux enzymes modificatrices de la chromatine, les HDAC et les HMT, ce qui conduit à un verrouillage particulièrement intense des gènes 1-5. Il semble de plus en plus clair que l’épigénétique est riche d’une information qui se superpose à celle du code génétique et dont l’importance apparaît cruciale dans la différenciation cellulaire et le développement embryonnaire Cette interconnexion épigénétique a par exemple été démontrée entre les DNMT et une protéine appelée EZH2 6 (figure 2). Très récemment, nous avons démontré l’importance de ce lien dans les leucémies promyélocytiques aiguës (APL). Dans cette maladie, une translocation chromosomique donne naissance à une protéine de fusion dénommée PML-RAR. Cette protéine chimère s’est révélée interagir de façon inappropriée aux protéines Polycomb et aux méthyltransférases de l’ADN, recrutant ainsi un duo de choc qui réduit au silence des gènes suppresseurs de tumeurs, et par extension, contribue au verrouillage de leur fonction anti-tumorale 7. Nucleosome: fundamental unit of chromatin (DNA + histones) Figure 2 : Quand deux machineries épigénétiques se rencontrent pour verrouiller l’expression génique dans les cancers (Viré et Fuks Nature, 2006; Villa, Fuks, Di Croce, Cancer Cell, 2007). Figure 3 : Vers une thérapie épigénétique du cancer. Des perspectives de thérapies anti-cancéreuses inédites des cancers à base d’inhibiteurs des méthyltransférases de l’ADN et des désacétylases est certainement envisageable. Des essais en phase clinique à base d’inhibiteurs des DNMT et HDAC ont permis d’obtenir une rémission chez des patients atteints de certaines formes de leucémies. Le problème à l’heure actuelle est que les inhibiteurs connus sont assez toxiques. Est-on passé à côté de tout un pan des mécanismes qui conduisent aux cancers? De nombreux chercheurs qui étudient l’épigénétique le pensent. Outre les anomalies génétiques de la séquence de l’ADN, les altérations du schéma de méthylation de l’ADN pourraient en effet être tout aussi importantes dans la formation des cancers. De toute évidence, le traitement pour être efficace devra être très spécifique et sélectif quant aux gènes à réactiver. En vue d’atteindre cet objectif, il sera fondamental de cerner de façon précise les mécanismes par lesquels les DNMT et le remodelage de la chromatine sont intimement connectés. Comme décrit ci-dessus, des avancées notables ont été réalisées en ce sens. Dans le contexte du cancer du côlon l’ajout conjugué de drogues qui inhibent l’action des DNMT et des HDAC ouvre la chromatine de gènes suppresseurs de tumeurs, conduisant ainsi à leur réactivation Les recherches futures viseront notamment à déterminer la séquence des événements qui relient les DNMT aux enzymes HDAC et HMT, et qui conduisent à l’extinction de l’expression génique. D’ores et déjà, l’engouement actuel pour l’étude de la méthylation de l’ADN et de la chromatine a permis d’ouvrir un nouveau chapitre des connaissances sur la régulation des gènes et laisse entrevoir de toutes nouvelles cibles pour la mise au point de médicaments originaux en vue de lutter contre le cancer. Les études de plusieurs laboratoires indiquent que ces altérations sont retrouvées dans près de 65% des cancers ! Plus précisément, les gènes suppresseurs de tumeurs sont trop méthylés et ainsi anormalement réduits au silence. La question fondamentale est maintenant de savoir comment cet excès de méthylation participe à la formation des cancers. À cet égard, la relation intime évoquée ci-dessus entre les protéines DNMT et les désacétylases d’histones HDAC pourrait apporter les premiers éléments de réponse à cette question. Gageons que les modifications épigénétiques continueront dans les années à venir à révéler leurs secrets à grands pas, ouvrant la voie à des perspectives thérapeutiques anti-cancéreuses inédites. ■ Tout d’abord, de nombreuses régions d’ADN régulatrices hyperméthylés dans les cancers sont associées à une faible acétylation des histones. C’est le cas par exemple des gènes de susceptibilité au cancer du sein ou encore de gènes associés aux leucémies. Par ailleurs, il a été montré dans le contexte du cancer du côlon que l’ajout conjugué de drogues qui inhibent l’action des DNMT et des HDAC ouvre la chromatine de gènes suppresseurs de tumeurs, conduisant ainsi à leur réactivation. Références 1. 2. 3. 4. 5. 6. Fuks F et al. DNA. Nature Genetics 2000; 24: 88-91. Di Croce L. et al. Science 2002; 295: 1079-82. Hughes-Davies L. et al. Cell 2003; 115: 523-35. Fuks F. Curr Opin Genet Dev. 2005; 15: 490-5. Brenner C. et al. EMBO J. 2005; 24: 336-46. Viré E. et al. The Polycomb group protein EZH2 directly controls DNA methylation. Nature 2006; 439: 871-4. 7. Villa R. et al. Role of the polycomb repressive complex 2 in acute promyelocytic leukemia. Cancer Cell 2007; 12(6): 843-4. 8. Brenner et al. Developmental Cell 2007; 12(6): 843-4. Ces observations sont très intéressantes parce qu’elles permettent d’entrevoir des traitements en vue de réactiver les gènes dont la méthylation est altérée dans les cancers. En effet, au contraire des anomalies de la séquence de l’ADN, l’hyperméthylation des gènes est un phénomène réversible. Une thérapie Figure 1 : La chromatine compacte le génome et contribue à la régulation des gènes. JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 26 27 JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 AU-DELÀ DE LA MÉDECINE… densité d’être, il lui faut introduire une histoire d’amour au sein de la mondanité. Le sentiment et la sexualité entremêlés offrent, en effet, un répit d’intensité vitale au narrateur d’Un amour de Swann. Se profile, hélas, la jalousie, source de mensonges et de tristesse. Même le retour sur soi, l’expérience intérieure ne nous sauvent pas de la pulsion de mort, bien au contraire, et Proust le savait bien : plus on s’introspecte, plus on creuse sa propre tombe. C’est alors que, dans la dernière phase de son œuvre (Le temps retrouvé), Proust découvre le pouvoir de l’art face à la mort et à son néant. C’est une extase, un défi dont Bergotte (1) fait l’héroïque expérience. Il meurt en découvrant l’éternelle jouvence d’un tableau de Vermeer. En effet, l’art redonne à jamais du présent. Il est trans-temporel. Bergotte meurt, mais il a touché en son dernier instant de vie quelque chose qui a nom d’éternité. Pierre Sterckx, Critique d’art «Ce n’est pas le dernier instant qui est fatal, disait Francis Ponge, tous les instants sont fatals» ce qui était une façon très belle (un sablier poétique) de dire avec Heidegger : «L’homme est un être-pour-la-mort». La littérature, la philosophie, ne peuvent s’opposer à ‘elle’, pas plus que la technologie et la science. Embaumer un pharaon, c’est mettre la mort en conserve. Aussi longtemps que l’art faisait alliance avec la religion, il pouvait incarner tous les mythes de vie éternelle que celle-ci promettait. La religion, inversement, ne pouvait se priver d’œuvres d’art car les croyants y percevaient des scènes et figures de l’ordre de l’irreprésentable. On peut donc dire sans hésiter que tout l’art universel, depuis les grottes paléolithiques jusqu’aux fresques baroques, fut un art funéraire. Il semble même que, au vu d’œuvres contemporaines (celles de Damien Hirst, entre autres), deux siècles de laïcité n’aient pas vraiment modifié cette situation… Les œuvres mortifères abondent. Cependant nous n’allons pas au Louvre pour nous agenouiller devant une Madone, disait Malraux, mais pour y admirer une statue. Agnostiques, sommes-nous donc démunis (dépourvus d’art) devant la grande faucheuse? L’exemple de Marcel Proust va nous permettre de répondre en proposant une résistance laïque à l’incontournable menace d’un néant individué. (1) Bergotte est un écrivain reconnu, admiré du narrateur, il incarne le romancier-type de la Recherche, personnage de Proust qui apparaît dans plusieurs romans. Il souffre d’insomnies et de cauchemars; s’enfermant chez lui, il couvre le monde de son mépris, mais ses œuvres commencent à moins plaire; dans La Prisonnière, l’une des plus célèbres pages de Proust, il raconte sa mort : en pleine crise d’urémie, il se lève pour aller voir la Vue de Delft de Vermeer. En regardant le «petit pan de mur jaune», il s’écroule mort. Proust commence sa vie d’adulte et d’écrivain dans la mondanité. Il hante les dîners, les salons et les bals. Mais cette étourderie festive le lasse rapidement et il en souligne la vacuité. Le divertissement n’affronte pas la mort. Pour atteindre une certaine J usqu’il y a peu, un traitement de quatre cycles d’anthracyclines associées au cyclophosphamide (AC) constituait un traitement standard de chimiothérapie adjuvante dans le cancer du sein. Un article de Stephen Jones (Baylor-Sammons Cancer Center, Dallas, Texas)¹, publié en décembre 2006, a quelque peu modifié les connaissances. Il a pu démontrer que le docétaxel et le cyclophosphamide (TC) prolongeaient significativement la survie sans maladie après cinq ans, par rapport au schéma AC. Une analyse récente², réalisée sept ans après le traitement, confirme l’avantage significatif du schéma TC par rapport à AC sur le plan de la survie (Figure 1). Proportion Surviving L’art et la mort Traitement adjuvant par docétaxel ou une anthracycline dans le cancer du sein opérable ? Figure 1 : Survie avec TC et AC, sept ans après le début du traitement. Stephen Jones répond ici à quelques questions en rapport avec sa publication. AVN: Votre étude révèle que le docétaxel associé au cyclophosphamide offre des avantages significatifs par rapport à l’association d’une anthracycline et de cyclophosphamide. Ceci s’applique-t-il à tous les sous-groupes ? Damien Hirst réalise des installations où il traite du rapport entre l’art, la vie et la mort. Pour les cabinets médicaux, il expose dans des vitrines des objets provenant «de la vie réelle», comme des tables, des cendriers, des mégots, des médicaments, des papillons, des poissons... Pour «que l’art soit plus réel que ne l’est une peinture», il travaille à une série constituée de cadavres d’animaux (cochon, vache, mouton, requin, tigre, etc.). Les bêtes (parfois coupées en deux, afin qu’apparaissent l’intérieur et l’extérieur) sont plongées dans le formol et présentées dans des aquariums. Ces sculptures sont appelées à disparaître (la putréfaction n’est que ralentie), elles perdent peu à peu leurs couleurs et se délitent. JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008 28 AVN : Certains oncologues s’interrogent à propos des quatre cycles de TC. Est-ce suffisant? Stephen Jones : Nous avons opté pour le docétaxel car il s’agit d’un taxane puissant. Des études comparant le docétaxel avec d’autres taxanes suggèrent un effet puissant et l’absence de cardiotoxicité. Cet effet est certainement perceptible à une dose de 75mg/m2, comme celle que nous avons utilisée ici. En outre, on observe une forte synergie entre le docétaxel et le cyclophosphamide. Ces facteurs ont probablement contribué à la plus grande efficacité que nous avons observée de TC par rapport à AC. AVN: Avez-vous une idée de la cardiotoxicité observée dans les deux bras de l’étude ? Month Damien Hirst The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, 1991 Tiger shark, glass, steel, 5% formaldehyde solution 213 x 518 x 213 cm même en faveur du bras TC. Les résultats en terme de survie globale étaient également statistiquement significatifs en faveur du bras TC. Stephen Jones: Dans l’étude initiale après cinq ans de suivi, la survie sans rechute était statistiquement significative en faveur du bras TC. Dans la dernière analyse après sept ans de suivi, nous avons examiné les sous-groupes sur base de l’âge, de l’expression ou non des récepteurs ER-/PR-, ER+ ou PR+ et des tumeurs ganglions positifs ou ganglions négatifs. Dans tous ces sous-groupes, le bras TC montrait une tendance avantageuse par rapport au bras AC. Nous avons également comparé les patientes HER2-positives et HER2-négatives et avons constaté que le bénéfice était le Stephen Jones : Dans l’étude initiale, après cinq ans de suivi, une patiente est décédée des suites d’une insuffisance cardiaque dans le groupe AC, et aucune dans le groupe TC. Dans l’analyse complémentaire, après sept ans de suivi, on notait trois décès dans le bras traité par anthracyclines (AC), lesquels étaient dus à une insuffisance cardiaque, une myélofibrose et un syndrome myélodysplasique. On n’observait pas de décès supplémentaires d’origine toxique dans le bras TC, dans l’analyse après sept ans. AVN : Que pensez-vous de l’utilisation générale d’anthracyclines dans le contexte adjuvant, tenant compte de vos observations et de celles de Dennis Slamon, communiquées en 2006 ? Stephen Jones: Les constatations de notre étude ont une signification fondamentale. Pour nombre de patientes, il est à présent possible d’éviter les risques liés aux anthracyclines. L’étude de Dennis Slamon sur le schéma TCH (docétaxel + carboplatine + trastuzumab), fournit des preuves supplémentaires indiquant que la topo-isomérase IIa (topo IIa), la cible des anthracyclines, n’est pour ainsi dire active que dans environ un tiers de la population HER2-positive. De ce fait, nous disposons à présent de deux schémas thérapeutiques efficaces n’utilisant pas d’anthracyclines (TCH et TC), et qui mettent en doute la nécessité présumée des anthracyclines dans le traitement adjuvant du cancer du sein chez la majorité des patientes. AVN : Comment utilisez-vous le schéma TC en dehors d’une étude clinique? Quelles patientes reçoivent le schéma TC en pratique quotidienne? Stephen Jones: Depuis 2005, nous faisons systématiquement une distinction sur la base de l’état HER2 lors du traitement du cancer du sein invasif. Pour les patientes HER2-négatives, cette étude fournit des preuves de niveau 1. Le schéma TC peut être utilisé chez des patientes qui n’ont pas besoin de six mois de chimiothérapie adjuvante. Il trouve également sa place chez les patientes pour lesquelles le schéma AC était un choix logique : les patientes à risque modéré n’ayant pas d’envahissement ganglionnaire ou les patientes à faible risque, présentant 1 à 3 ganglions envahis (surtout les tumeurs ER-positives). En outre, il constitue également une option pour les patientes souffrant d’une cardiopathie ou celles qui ont déjà reçu auparavant une anthracycline. De la sorte, on évite la cardiotoxicité. Alex Van Nieuwenhove. publié dans le magazine ONCO 2/1 SANOFI-AVENTIS - 2007. ABSTRACT 12. Références 1. Jones SE, Savin MA, Ann Holmes F et al. J Clin Oncol 2006; 24(34): 5381-7. 2. Jones SE, Holmes FA, O’Shaughnessy JA et al. San Antonio Breast Cancer Symposium.