JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
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NUTRITION ET CANCER
aussi de tout un chacun, visant à réduire la mortalité par can-
cer(4). Il propose dix mesures hygiéno-diététiques pour diminuer
le risque de cancer; les directives et recommandations à l’origine
de ces mesures reposent sur des preuves scientifiques jugées
«convaincantes» ou «probables» et sont consensuelles. Les
preuves jugées «limites mais évocatrices» n’ont pas été retenues.
Par exemple: être physiquement actif au quotidien a un effet
protecteur indépendant «convaincant» contre les cancers colo-
rectaux et «probable» contre les cancers du sein et de l’endo-
mètre. On se souvient à ce sujet de l’étude de cohorte pros-
pective E3N(5, 6) qui a étudié les facteurs de risque de cancer
parmi une population de près de 100 000 femmes affiliées à la
Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale. Les résultats révè-
lent que plus on pratique d’activité physique, plus on diminue le
risque de cancer du sein, dès lors qu’il s’agit d’une activité phy-
sique soutenue, «même chez les populations présentant des
antécédents familiaux ou d’autres facteurs de risque de cancer
du sein»(6, 7). Le rapport du Fonds Mondial de Recherche sur le
Cancer précise à ce sujet qu’augmenter son activité physique
ne passe pas forcément par la pratique d’un sport, et peut être
intégré aux activités de la vie quotidienne. Il est également
conseillé d’allaiter de façon exclusive jusqu’à l’âge de six mois,
l’allaitement prolongé ayant un effet protecteur pour la mère
et l’enfant en limitant le risque de cancer du sein chez la
femme et en participant à la lutte contre le surpoids et l’obésité
chez l’enfant.
La cinquième recommandation examine la conservation, la trans-
formation et la préparation des aliments. Le rôle néfaste du sel
est confirmé, la salaison étant l’une des causes reconnues du
cancer de l’estomac, les apports de sels devant rester en-deçà
des six grammes quotidiens. Les céréales mal conservées,
moisies, sont contaminées par des alpha toxines intervenant
dans la genèse de l’hépatocarcinome.
Les patients ayant ou ayant eu un cancer font également l’objet
de recommandations: les longs «surviveurs» doivent bénéficier
des conseils d’un nutritionniste, et les conseils alimentaires ou
hygiéno-diététiques prodigués dans le rapport 2007 doivent
s’appliquer à cette catégorie de patients.
Les articles sont de plus en plus nombreux dans la littérature
scientifique sur le sujet. Cent soixante et un hommes atteints
d’un cancer de la prostate et en attente de chirurgie ont été ré-
partis en quatre groupes, un quart avait pris quotidiennement
30 grammes de graines de lin, un quart avait suivi un régime
faible en graisse saturée, un quart avait fait les deux associés,
tandis que le dernier quart recevait un placebo. Après un suivi
médian de 30 jours, les patients ont été opérés et les tumeurs
réséquées ont été analysées. Il apparaît que la prolifération
tumorale était 30 à 40% inférieure dans les groupes recevant
la supplémentation(7, 8).
Un article très récent montre le rôle potentiel des mutations de
l’ARN mitochondrial dans la maladie métastatique. Les auteurs
suggèrent que certaines de ces mutations seraient responsa-
bles d’une oxydation au niveau cellulaire qui activerait l’expression
des gènes impliqués dans la survenue de métastases. Au
moins trois gènes du complexe I seraient en cause (MCL-1,
HIF-1ALPHA, VEGF). Et les auteurs précisent en conclusion
qu’un traitement antioxydant pourrait permettre de prévenir
ou de supprimer les métastases.(8, 9)
Ainsi, les indices sinon les preuves dans le domaine de la
nutrition sont suffisamment nombreux pour plaider sa prise en
compte par les équipes médicales. Cette approche est d’ailleurs
prise en compte par de nombreuses institutions outre-Atlan-
tique. Le département d’«integrative medecine» du Memorial
Sloan Kettering de New York a pour but d’assurer une prise en
charge globale du patient, afin de lui octroyer la meilleure qua-
lité de vie possible pendant les soins. Ce service enregistre plus
de mille inscrits par mois. Il est le promoteur d’un programme
de recherche clinique et met en ligne une base de données
exhaustive en botanique9. Y sont recensées les plantes médi-
cinales, mais aussi tous les légumes, les fruits et les épices.
Être physiquement actif au quotidien
a un effet protecteur indépendant «convaincant»
contre les cancers colorectaux et «probable»
contre les cancers du sein et de l’endomètre
Très modestement, notre institution a initié un programme édu-
cationnel avec ces deux objectifs: formation des médecins et
des intervenants paramédicaux sous forme d’un enseignement
donné par des biochimistes et des nutritionnistes, éducation
des patients, des «surviveurs» et de leurs proches sous forme
d’ateliers périodiques limités à une vingtaine de participants.
Une expérience pilote va également être menée avec la parti-
cipation bienveillante de grands chefs étoilés, sous forme de
cours de cuisine.
Parce que cette prise en compte de l’alimentaire par les onco-
logues est justifiée par les faits scientifiques qui se multiplient et
s’accumulent jour après jour. Parce cette information est due à
des patients demandeurs d’informations objectives et loyales,
aujourd’hui encore mauvais autodidactes ou mal informés.
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(1) David Servan-Schreiber Anticancer – Robert Laffont 2007.
(2) David Servan-Schreiber sur «nutrition et cancer: que dire aux patients?»
Cannes, le 14 mars 2008.
(3) Guerir.fr
(4) World Research Cancer Fund: http://www.dietandcancerreport.org
(5) Françoise Clavel-Chapelon. Directrice de recherche Inserm-Institut
Gustave Roussy www.e3n.net
(6) Tehard B et al. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2006 Jan;15(1):
57-64.
(7) W. Demark-Wahnefried et Al., Proc. ASCO 2007 – Abstract 1510.
(8) Ishikawa K et al. ROS-Generating Mitochondrial DNA Mutations Can
Regulate Tumor Cell Metastasis. Science. 2008 Apr 3
(9) http://www.mskcc.org/mskcc/html/1979.cfm
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Alimentation – Agriculture – Santé
Michel Van Koninckxloo, Ingénieur agronome
et Docteur en sciences agronomiques de l’ULB
Directeur scientifique du Centre pour l’Agronomie et l’Agro-industrie
de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Directeur-Président
de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO)
Martine Gadenne, Docteur en sciences de l’ULB
Responsable du laboratoire de biotechnologie du Centre pour l’Agronomie
et l’Agro-industrie de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Maître-assistant
de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO)
La tentation est grande, même parmi l’élite intellectuelle, d’attri-
buer nos maux aux produits de l’agriculture moderne et, récipro-
quement, d’espérer le salut dans une alimentation qui serait «bio».
Lorsqu’il s’agit de discréditer l’agriculture conventionnelle inten-
sive, celle qui assure l’essentiel de nos besoins, les journalistes
ne trouvent pas de mots assez forts pour frapper les imagina-
tions. Selon eux, l’agriculture est fondamentalement polluante,
les épandages d’engrais ou de pesticides (sans distinction entre
insecticides, fongicides ou herbicides) sont toujours «massifs»,
et s’il est question de culture d’OGM, le vocabulaire antiatomi-
que est de mise: dissémination, contamination…
Toute cette dialectique a jeté le trouble dans l’esprit des citadins
et des politiciens qu’ils élisent… Avec pour résultats, du côté
positif, un renforcement de la législation qui vise à mieux pro-
téger le consommateur, le producteur et l’environnement et, du
côté négatif, un spectaculaire coup de frein donné à la recher-
che agronomique et biochimique pour tout ce qui concerne la
mise sur le marché de nouvelles molécules ou de plantes
issues du génie génétique.
S’il est un lieu commun d’affirmer qu’une alimentation variée et
équilibrée contribue à une bonne santé, il est bon de rappeler,
aussi désagréable que ce soit, que tous les êtres vivants, y com-
pris les hommes, doivent par essence mourir un jour et que,
sauf accident, c’est par définition en mauvaise santé que cela
se produit…
En fait, l’espoir légitime que l’on se donne, par une bonne ali-
mentation et hygiène de vie, est de conserver le maximum de
nos facultés le plus longtemps possible.
En Occident, les progrès fulgurants des sciences, des techni-
ques et de la médecine ont permis un allongement remarqua-
ble de l’espérance de vie et une indéniable amélioration de sa
qualité. Ces progrès ont sans doute contribué à engendrer un
double phénomène: l’augmentation de la prévalence des mala-
dies dites de vieillesse et l’idée perverse que la maladie et la
souffrance sont inacceptables et qu’il convient d’en extirper les
causes. Parmi les craintes viscérales et ancestrales des hommes
se trouve en bonne place l’empoisonnement. C’est ainsi que,
depuis une quarantaine d’années, le grand public associe le
cancer (en général) aux méfaits des détergents (années 60), des
pesticides, des engrais chimiques, au manque de fibres, d’anti-
oxydants ou d’anti-inflammatoires, aux déséquilibres dans les
proportions d’acides gras de diverses configurations, bref, à
une alimentation toujours rendue malsaine lors de sa produc-
tion ou de sa transformation par l’intervention de l’homme qui
la «dénaturalise».
… sans les techniques modernes de protection
des cultures et de conservation des denrées
alimentaires, les famines, comme celles
de l’Irlande au 19esiècle, et les épidémies
de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle,
seraient toujours inévitables en Europe!
La tendance actuelle est de penser que ce qui est plus «naturel»
serait plus «sain» pour l’homme et son environnement. D’où la
mode des aliments «bio», des carburants «bio», des cosmétiques
«bio», des textiles «bio». Pour mieux faire la différence, il est de
bon ton de jeter le discrédit sur tout ce qui est issu du génie
scientifique telles l’agriculture moderne, la chimie, la génétique
moléculaire qui ne sont bonnes qu’à enrichir les multinationales,
à empoisonner le consommateur et à ruiner les plus démunis.
Il est remarquable de constater que le vocable d’agrocarburant
remplace progressivement celui de biocarburant depuis que
son bien-fondé salvateur est remis en cause!
C’est oublier un peu vite que de tout temps l’agriculteur a dû
séparer le bon grain de l’ivraie, que les pires poisons se trouvent
dans la nature, dans les champignons, les plantes et les animaux
sauvages et que, sans les techniques modernes de protection
des cultures et de conservation des denrées alimentaires, les
famines, comme celles de l’Irlande au 19esiècle, et les épidé-
mies de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle, seraient
toujours inévitables en Europe!
Pour montrer à quel point notre attitude est irrationnelle lorsqu’il
s’agit d’alimentation, pensons à la distinction d’approche et
de réceptivité du citoyen lorsque les progrès de la science
s’appliquent à la médecine ou à l’agriculture: haro sur les
OGM lorsqu’il s’agit d’agriculture mais vivent les cultures de
cellules souches génétiquement modifiées capables de régé-
Que ne ferions-nous pas pour vivre éternellement et en bonne
santé? Cette double espérance est souvent exploitée de manière
abusive par les manipulateurs et charlatans de tous ordres qui
profitent de la crédulité intrinsèque du genre humain à l’égard
de tout ce qui a trait à la santé.
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Michel Van Koninckxloo Martine Gadenne