JULB 7 1er TRI_2007 - Institut Jules Bordet Instituut

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N°10
TRIMESTRIEL – AVRIL-MAI-JUIN 2008
BELGIQUE/BELGIË
PP/PB
B-714
Bureau de dépôt Bruxelles X Brussel
Éditeur responsable: Harry Bleiberg, 1 rue Héger-Bordet, 1000 Bruxelles – N° d’agréation: P501016 – Autorisation de fermeture B-714 – Ne paraît pas en juillet-août
LE JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE
L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
In corpore sano: bien manger
pourrait-il influencer
le développement
ou l’évolution d’un cancer? p.
p. 55
Plan cancer:
Laurette Onkelinx
p.
p. 44
Une mutation du gène K-ras
prédit l’absence de réponse
au panitumumab
p. 20
20
Le cancer à l’heure
de l’épigénétique
p. 26
26
Efficacité et effets secondaires
des thérapies biologiques
ciblées
p. 19
19
RÉDACTEURS EN CHEF
Harry BLEIBERG
Ahmad AWADA
RÉDACTEUR EN CHEF ASSOCIÉ
Marianne PAESMANS
RECHERCHE CLINIQUE
Ahmad AWADA
ÉDITORIAUX
2 Médicaments : progrès fulgurants de la recherche.
Madame la Ministre, comment faut-il réagir ?
Harry Bleiberg
3 Biologie moléculaire. Quel profit en tire le patient?
Ahmad Awada
RECHERCHE TRANSLATIONNELLE
Fatima CARDOSO
RECHERCHE FONDAMENTALE
Christos SOTIRIOU
Pierre HEIMANN
HÉMATO-ONCOLOGIE
Willy FERREMANS
Philippe MARTIAT
PSYCHO-ONCOLOGIE
Nicole DELVAUX
Darius RAZAVI
SPÉCIALISTES EN ONCOLOGIE
Vincent NINANE
Jean-Luc VAN LAETHEM
BORDET-IRIS
Jean-Pierre KAINS
Martine PICCART
WALLONIE
POLITIQUE DE SANTÉ
4 Plan cancer
Laurette Onkelinx
NUTRITION ET CANCER
5 In corpore sano : bien manger pourrait-il influencer le développement
ou l’évolution d’un cancer ?
Hervé Naman, Centre Azuréen de Cancérologie, Mougins, France
7 Alimentation – Agriculture – Santé
Martine Gadenne et Michel Van Koninckxloo
ACTIVITÉ DU RÉSEAU
10 Iris Recherche
Une politique incitative à la conduite de projets de recherche clinique
Nathan Clumeck
Vincent RICHARD
ERASME
Marie MARCHAND
COMITÉ DE RÉDACTION
Ahmad AWADA
Harry BLEIBERG
Arsène BURNY
Vincent NINANE
Jean-Claude PECTOR
Martine PICCART
Jean-Luc VAN LAETHEM
CONSEILLERS SCIENTIFIQUES
Marc ABRAMOWICZ
Guy ANDRY
Michel AOUN
Jean-Jacques BODY
Dominique BRON
Dominique DE VALERIOLA
Olivier DE WITTE
André EFIRA
Patrick FLAMEN
Thierry GIL
Michel GOLDMAN
André GRIVEGNEE
Alain HENDLISZ
Jean KLASTERSKY
Denis LARSIMONT
Marc LEMORT
Dominique LOSSIGNOL
Thi Hien NGUYEN
Thierry ROUMEGUERE
Eric SARIBAN
Jean-Paul SCULIER
Philippe SIMON
25 Inauguration d’un nouveau centre d’oncologie-radiothérapie au CHU TIVOLI
Anne Leleux
INFORMATION SCIENTIFIQUE
11 Prophylaxie de la neutropénie fébrile : quelle stratégie ?
Michel Aoun
14 La greffe haploidentique de cellules souches hématopoïétiques :
chemin de crête entre tolérance et cytotoxicité
Philippe Lewalle
17 Chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP)
dans la prise en charge de la carcinose péritonéale
Gabriel Liberale et Issam El Nakadi
NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES
19 Efficacité et effets secondaires des thérapies biologiques ciblées
Ahmad Awada, Alain Hendlisz et Martine J. Piccart-Gebhart
20 Une mutation du gène K-ras prédit l’absence de réponse au panitumumab.
Des traitements sur mesure se profilent dans le cancer colorectal
Harry Bleiberg
22 Révolution dans l’approche du cancer du sein
Ahmad Awada et Martine J. Piccart-Gebhart
RECHERCHE FONDAMENTALE
26 Le cancer à l’heure de l’épigénétique
François Fuks
ASSISTANTE DE RÉDACTION
Martine HAZARD – Tél. 02/541 32 01
[email protected]
COMITÉ DE LECTURE
Marianne PAESMANS
Jean-Claude PECTOR
Marielle SAUTOIS
Le contenu des articles publiés
dans ce journal n’engage
que la responsabilité de leur(s) auteur(s)
AU-DELÀ DE LA MÉDECINE
24 La gestion du risque dans le transport de tissu humain
Alain Moureau
28 L’art et la mort
Pierre Sterckx
Couverture : photo en microscopie électronique de Candida albicans, un eucaryote
de 3 à 5 µm de diamètre, avec une paroi épaisse dont la couche la plus externe est cotonneuse
et qui lui donne cet aspect de «balle de tennis».
Edwards J.E. jt. N Engl Med. vol. 324, 1991, pp.1060-1062.
www.jcancerulb.be
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
ÉDITORIAUX
Médicaments : progrès fulgurants de la recherche.
Madame la Ministre, comment faut-il réagir ?
Biologie moléculaire.
Quel profit en tire le patient?
Grâce à l’initiative de plusieurs oncologues belges (1) et de Madame la Ministre Onkelinx, la Belgique dispose enfin d’un Plan Cancer
(page 4). Trente-deux points qui touchent à la prévention; aux soins, traitements et soutien aux patients et à la recherche, aux
technologies innovantes et aux modalités d’évaluation. La tâche est immense, chaque secteur est en déficit et nécessite une
prise en charge urgente.
L
Les articles publiés dans ce numéro de Jcancer évoquent non seulement les progrès remarquables dans la découverte de nouveaux médicaments en oncologie, mais surtout la rapidité avec laquelle ces découvertes sont réalisées. Au début de ma carrière,
peu de médicaments étaient disponibles.
Les années 80-90 étaient des années sombres. Depuis le cisplatine nous n’avions rien vu venir. Puis sont arrivés les taxanes
(approbation FDA 1992), l’herceptine (approbation FDA 1998) et les premiers agents biologiques. Ahmad Awada et Martine Piccart
(page 22) nous montrent comment en moins de dix ans nous sommes passés de l’empirisme au rationnel, du dénuement à
l’abondance. Aujourd’hui les agents en développement se comptent par dizaines dans la plupart des laboratoires pharmaceutiques. Les bénéfices en survie sont importants.
Au début des années 90, l’espérance de vie d’un patient avec un cancer du côlon métastatique était de 6 mois sans traitement et
de un an avec la chimiothérapie par 5-fluorouracile.
Aujourd’hui, grâce à la possibilité d’administrer plusieurs lignes de chimiothérapies, la survie médiane (délai après lequel la moitié
des patients sont toujours en vie) est supérieure à 2 ans, et certains d’entre-eux vont vivre plus de 5 ans. Bien plus, les patients
porteurs uniquement de métastases hépatiques vont pouvoir bénéficier, après chimiothérapie, d’une chirurgie qui permettra
de guérir un certain nombre d’entre-eux. D’autres patients avec une localisation de la maladie qui la rendait incurable, comme
la carcinose péritonéale, peuvent également bénéficier, aujourd’hui, d’une chirurgie qui, combinée à la chimiothérapie et l’hyperthermie, promet une survie prolongée et même, peut-être, une guérison (Liberale et al., page 17). Avec la découverte de l’herceptine,
le concept de traitement sur mesure s’est développé. Une étude publiée début avril dans le JCO (page 20) a identifié un groupe de
patients, ceux présentant une mutation pour KRAS pour lequel aucune réponse n’a pu être obtenue grâce à l’administration de
panitumumab, un anticorps monoclonal humanisé ciblant le récepteur de ‘l’epidermal growth factor’ développé dans le cancer
du côlon métastatique. Voici un de nos rêves qui commence à se réaliser: mieux cibler nos patients: offrir plus de chances
d’obtenir un effet thérapeutique pour ceux qui sont sensibles, moins d’effets secondaires inutiles pour les autres et une réduction
correspondante des coûts pour la sécurité sociale. Finalement, François Fuks (page 26) nous annonce pour demain de nouveaux
médicaments agissant sur ‘l’épigénétique’ qui vont permettre de ‘déméthyler’ les gènes ‘suppresseurs de tumeur’ et rendre à
la cellule sa capacité d’éliminer elle-même le cancer. Pour quand ? Pas difficile de répondre, très vite. Les premières phases de
développement ont déjà lieu.
Et voilà où je souhaitais en venir : les découvertes dans le domaine du médicament et globalement de la recherche vont plus vite
que la capacité des décideurs à pouvoir suivre. Au-delà du contentement que l’on peut éprouver à voir un progrès rapide se profile
déjà la question de savoir comment gérer l’abondance, comment faire face aux coûts des traitements dans un système social fondé
sur la solidarité. Le coût des médicaments est certainement lié aux coûts de la recherche et du développement, néanmoins la
médecine est aussi à l’image de la société, et tout comme pour l’énergie ou les céréales, les médicaments sont la cible des spéculateurs et des actionnaires. Une prise en charge rapide, innovante et efficace de ces problèmes est urgente. Les solutions devront
être trouvées hors de nos concepts habituels. Si un médicament est cher, retarder le remboursement n’est pas la solution.
Refuser à nos patients l’accès rapide à des médicaments innovants n’est pas non plus la solution car, à terme, nous serions
entraînés dans une spirale négative, avec des survies de moins en moins bonnes. Dès lors Plan Cancer : oui ! Soutien absolu :
oui ! Tout est prioritaire ! Mais, à l’image du Plan Cancer qui avait été initié en France, il faudrait aussi mettre en place une commission de type ‘Attali’ (2), centrée sur la médecine, qui contribuerait à découvrir les solutions de notre futur.
Harry Bleiberg,
Rédacteur en chef
a biologie moléculaire a fait d’énormes progrès ces dernières années. Avec comme conséquence, une compréhension plus
poussée du fonctionnement de la cellule cancéreuse par rapport à la cellule normale. De plus, les progrès en bioinformatique et biostatistique ont permis d’intégrer et d’analyser une quantité substantielle d’informations, en particulier génomiques.
Ces progrès n’ont de sens que s’ils se manifestent au lit du patient cancéreux. Ces dernières années, nous avons été témoins des
avancées remarquables dans l’utilisation de ces approches chez le patient cancéreux, cependant étant donné la complexité
de cette maladie – plus précisément nous devrions parler de ces maladies cancéreuses – les progrès restent lents.
Nous allons résumer dans ce numéro les progrès récents dans l’approche thérapeutique des cancers solides (seins, poumons,
gastro-intestinaux, …) et tracer les orientations de la recherche qui visent particulièrement à individualiser les traitements. Cette individualisation, si elle était atteinte, permettrait une meilleure efficacité des traitements prescrits, une diminution de la prescription des
traitements inutiles et un allègement tant souhaité dans les dépenses liées aux soins de santé. Dans ce numéro, en collaboration avec Martine Piccart, je résume l’approche actuelle du cancer du sein basée sur le progrès de la biologie moléculaire.
Les traitements classiques du cancer sont la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie (cancers du sein
et de la prostate) et finalement l’immunothérapie. Récemment, une nouvelle classe thérapeutique appelée thérapie biologique
ciblée a vu le jour grâce aux progrès de la biologie moléculaire. Le succès de cette stratégie thérapeutique dépend de deux
facteurs : l’identification d’une bonne cible (idéalement celle qui joue un rôle majeur dans la genèse du cancer) et un médicament bloquant précisément cette cible avec le moins d’effets collatéraux. De plus, les chercheurs et les médecins cliniciens
ont compris qu’il fallait attaquer non seulement les cibles dans la cellule cancéreuse mais aussi les cellules et les structures de
son environnement qui sont propices à son développement, à savoir les vaisseaux de la tumeur et le système immunitaire.
Finalement beaucoup de ces médicaments ciblés ont montré leur efficacité lorsqu’ils sont combinés avec la chimiothérapie ou
encore la radiothérapie. Le tableau suivant résume les tumeurs où des traitements ciblés ont montré une efficacité scientifiquement établie ainsi que leurs effets secondaires potentiels.
Tumeur
Cible
Médicament ciblé donné
seul ou en association
Effets secondaires potentiels
Cancers epidermoïdes
de la sphère ORL
EGFR*
Cetuximab + radiothérapie
Acné, rougeur de la peau
Thyroïde
VEGFR°
Zactima; Axitinib
Éruption de la peau, fatigue
Poumon
EGFR*
Tarceva
Acné, diarrhée, éruption cutanée, fatigue
Sein
HER-2/neu*
Herceptine(H) ou Lapatinib (L)
+ chimiothérapie
Toxicité cardiaque (H),
éruption cutanée et diarrhée (L)
Colon
EGFR*
Cetuximab/Panitumumab
+ chimiothérapie
Acnée, diarrhée, réactions allergiques
Colon, sein
VEGF°
Bevacizumab + chimiothérapie
Hypertension, accidents vasculaires
Rein
VEGFR°
+ autres kinases*
Sutent, Nexavar, Torisel,
Bevacizumab
Hypertension, fatigue, éruption cutanées
accidents vasculaire, chute des globules
Cancer stromal
de l’intestin (GIST)
C-kit*
Glivec
Fatigue, œdèmes, chute des globules
* Cibles qui se trouvent dans la tumeur
° Cibles liées aux vaisseaux qui nourrissent la tumeur
D’autres médicaments biologiques ciblés, actuellement en cours d’étude, vont sans aucun doute rejoindre prochainement
l’arsenal thérapeutique des patients cancéreux.
En plus des thérapies biologiques ciblées et afin d’individualiser le traitement, la recherche actuelle s’efforce d’affiner de plus
en plus le traitement anticancéreux en utilisant les progrès récents en génomique (carte génétique de la tumeur), pharmacogénétique (gènes impliqués dans le comportement des médicaments anti-cancéreux une fois administrés chez le patient) et imagerie médicale (PET/scan, résonance magnétique nucléaire dynamique, …). Ces nouvelles technologies ont pour but de préciser le pronostic du patient ainsi que de prédire au mieux l’efficacité d’un traitement.
(1) Livre Blanc. A.Awada et al. Éditeur responsable Alexis Andries. Chaussée de Tervuren 133, boîte 2-3001 Louvain.
(2) La Commission pour la libération de la croissance française, ou, du nom de son président Jacques Attali, la «Commission Attali», est une commission
chargée par le président de la République française Nicolas Sarkozy de rédiger un rapport fournissant des recommandations et des propositions afin
de relancer la croissance économique de la France.
L’Institut Jules Bordet suit de près ces progrès et beaucoup de ses équipes ont un rôle majeur et même pionnier tant en clinique qu’en recherche. Il est aussi important de savoir que c’est grâce au soutien très important des Amis de l’Institut Bordet
que cette recherche a la possibilité d’exister tant sur le plan financier que dans l’acquisition des nouveaux appareillages essentiels aux bons soins de nos malades et indispensables pour assurer les conditions de recherche optimales.
Ahmad Awada,
Chef de la Clinique d’Oncologie Médicale
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
POLITIQUE DE SANTÉ
NUTRITION ET CANCER
i l’initiative du Plan National Cancer s’est inscrite dans l’espace-temps politique limité du gouvernement intérimaire, elle n’aurait cependant aucun sens si son action ne devait répondre à l’exigence du long terme. L’ayant imposé comme une des 10 priorités dudit «gouvernement provisoire», il
m’importe que sa conception s’inscrive dans la durée: au-delà des «30 actions» inauguratrices, ce
Plan National Cancer devra évoluer et se préciser en des programmes pluriannuels destinés à en affiner la trajectoire et à définir des foyers d’action spécifiques.
S
Mais, avant tout, pourquoi le cancer ? Les raisons du premier choix sont nombreuses mais je voudrais néanmoins en privilégier trois. Premièrement, la place occupée par la maladie cancéreuse parmi
les causes de mortalité dans notre pays en fait une priorité naturelle de toute politique de santé. En second lieu, la probable
augmentation de la prévalence du cancer dans nos sociétés vieillissantes : si l’OMS répertoriait 25 millions de patients atteints
d’un cancer dans le monde en 2000, la même OMS estime qu’ils seront 75 millions en 2030. Enfin, par son impact dans la vie
des patients, de leurs familles et de la société, le cancer présente un défi singulier.
Ensuite, pourquoi un plan ? Tout d’abord parce que je suis convaincue que la maladie ne peut être combattue que par une
approche scientifique pluridisciplinaire et via une prise en charge globale des patients qui exige une complémentarité et une
coordination des actions. Celles-ci sont essentielles à planifier correctement au vu du nombre d’acteurs et de l’importance des
moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le fléau. Enfin, la parution du «Livre Blanc» a souligné la nécessité d’une action
conjuguée dans le domaine du cancer.
Toutefois, pour en revenir à l’environnement sociétal de cette action, j’ai pris soin d’éviter que l’initiative ne suscite des attentes
que le contexte actuel ne permettrait pas de rencontrer à court terme. C’est la raison pour laquelle la communication sur le
Plan National Cancer a d’emblée mis en exergue le paramètre budgétaire, tout en insistant sur l’exigence que le Plan
débouche sur des mesures concrètes. Ce double défi définit l’exercice et repose sur la prémisse que, d’une part, toutes les
bonnes idées ne nécessitent pas des investissements prohibitifs, et que de l’autre, le Plan évoluera et se réalisera à mesure
que les moyens financiers se libèrent. Presque paradoxalement, la question des marges disponibles justifie à elle seule le lancement d’un Plan National Cancer, car celui-ci servira d’aiguillon pour une allocation systématique de moyens conséquents
dans la lutte contre le cancer.
Profane de la médecine, j’ai été, comme tous, confrontée à cette maladie : parents, proches collaborateurs et amis ont été
frappés par ce fléau qui n’épargne personne. Ayant reçu la charge de la Santé Publique, je me suis naturellement entourée
d’experts; j’entends toutefois profiter de ma «qualité» de profane pour jeter un regard neuf et ouvert sur la problématique du
cancer. C’est pourquoi j’ai à cœur de consulter tous azimuts : patients bien sûr, praticiens, établissements de soins, secteurs
spécialisés de l’industrie… Consulter, mais aussi rassembler : les tables rondes* auront permis de réunir les divers acteurs
autour d’un projet commun, plus particulièrement pour ce qui concerne les aspects transversaux à plusieurs niveaux de compétence, telles la prévention et la recherche, domaines qui méritent à coup sûr toute notre attention. Consultations, visites,
tables rondes clôturées le 10 mars ont permis la rédaction d’une première ébauche du Plan National Cancer.
J’espère que ceux qui ont participé à ce cycle de réflexion ont la certitude d’avoir été entendus. Car il est clair que les actions
ont été le fruit d’un exercice participatif, et non d’une approche «top down». Seule une conception participative permet, à mes
yeux, d’aborder le douloureux phénomène du cancer. Chacun d’entre nous est – ou a été – confronté, de près ou de loin, à
cette maladie, à la souffrance et au désarroi qui en découlent. C’est ensemble que nous pouvons dégager les armes pour la
combattre.
Cet «ensemble» transcende bien entendu les seules frontières de notre pays : dans cette Europe de la santé qui se construit,
nous devons, dans la mesure du possible, inscrire notre action dans des partenariats internationaux, de façon à maximiser les
résultats de l’investissement en matière de recherche, grâce à des synergies et des économies d’échelle, notamment en
recherche translationnelle et l’accès à des techniques innovantes. Par ailleurs, notre taux de mortalité étant – du moins pour
certaines formes de cancers –, un des plus élevés d’Europe, il y a lieu de s’interroger sur les causes de ces statistiques défavorables et d’en tirer des leçons bénéfiques.
La médecine est à une croisée des chemins: jamais, elle n’a disposé de tant d’instruments ni d’une telle qualité d’instruments mais
leur mise à disposition pose des défis budgétaires de plus en plus complexes et pose des dilemmes nulle part ailleurs plus
sensibles que dans la lutte contre le cancer. Si le Plan National Cancer réussit à dégager des pistes utiles, il constituera d’ores
et déjà une avancée substantielle. Nous ne devons rien moins aux hommes et aux femmes qui se battent contre le cancer.
Laurette Onkelinx,
Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique
* Six tables rondes ont été programmées: prévention et information, dépistage et diagnostic précoce (11.02), soins et traitements, et soutien au patient
et à son entourage (18.02), recherche et technologies innovantes, et évaluation de l’approche globale du cancer (25.02).
In corpore sano : bien manger
pourrait-il influencer le développement
ou l’évolution d’un cancer ?*
Hervé Naman, Directeur, Centre Azuréen de Cancérologie,
Mougins – Sophia Antipolis, France, hervé[email protected]
* Ce travail fait suite à une conférence donnée par David Servan-Schreiber sur «Nutrition et cancer:
que dire aux patients?» Cannes, le 14 mars 2008.
On sait ensuite combien les religions
ont pris à leur compte des règles fondatrices alimentaires, érigées en préceptes : la cacherout, le Hallal. Ces
règles sont devenues par là-même
sacrées. Les religions ont également
développé des traditions en tenant
compte des «éléments sains» à intégrer dans leurs régimes alimentaires
tels que fruits, légumes, épices… Ces pratiques ont même subsisté au-delà des enseignements religieux et jouent un rôle non
négligeable dans le maintien de la cohésion communautaire et
des diasporas.
es cardiologues insistent à chaque occasion auprès de leurs
consultants sur la nécessité d’une «bonne hygiène de vie»
et fustigent les méfaits du déséquilibre alimentaire, de la sédentarité et du surpoids. Ce discours est souvent malheureusement écouté d’une oreille distraite par certains patients. Il ne
fait (presque) plus l’objet d’aucune attention de la part des média
tant il est devenu banal.
L
Le cancérologue est moins disert sur le sujet diététique que son
confrère ; il est souvent d’ailleurs, totalement muet. Or, il est
notoire qu’il sait mieux que quiconque que l’alimentation est un
facteur environnemental qui intervient dans la genèse de nombreux cancers, en apportant à la fois des facteurs de risque et
des facteurs protecteurs.
On connaît bien le rôle fédérateur des plats traditionnels; mais
quelle est l’approche alimentaire globale de notre société actuelle, celle des fast-foods et des sushis? Une alimentation saine,
pour rester en bonne santé. Conseil repris et relayé par l’industrie agroalimentaire qui a compris que, plutôt que de désinformer,
comme cela a pu être le cas par le passé, il était plus rentable
d’occuper le créneau lucratif des «bio».
De surcroît, le malade atteint de cancer et sa famille sont avides
d’informations. Ils sont prêts à suivre le moindre conseil. Conseils
au final souvent prodigués par des personnes peu avisées et
pour des motifs qui ne relèvent pas toujours de la simple bienveillance…
Les cancers sont au deuxième rang des causes de mortalité en
France et en Belgique, après les maladies cardio-vasculaires et
lorsqu’une approche diététique de la maladie est faite, le sujet
devient polémique. Il passionne le public, enflamme les médecins et trouve un écho multimédia retentissant.
Claude Lévi-Strauss explique que l’homme
est le seul animal à cuire ses aliments.
Et qu’ainsi, le passage du cru au cuit est l’indice
du passage de la nature à la culture
David Servan Schreiber a vendu aujourd’hui plus de trois cent
mille exemplaires de son ouvrage «Anticancer» (1), qui va être
traduit et édité dans trente-deux pays. Il est venu présenter à
Mougins, à l’occasion d’une Golden controverse (2), les théories
qu’il y développe, certaines preuves à l’appui. Son livre est maintenant relayé par un blog (3), assorti d’un comité de surveillance
auquel participent des cancérologues praticiens convaincus
dont des hospitalo-universitaires.
Tout un chacun sait que manger n’est pas un acte sans conséquences : incorporer un aliment (littéralement : in corpore) fait
franchir à un corps étranger la frontière entre le monde extérieur
et notre propre corps. Ainsi, ingérer, incorporer un aliment, ce
serait adopter une partie de ses propriétés. La démarche faite
par David Servan Schreiber procède de cette réflexion, qui paraît
assez élémentaire. Elle va cependant plus loin, en essayant de
nous démontrer comment des aliments tels que le chou ou
l’ail, certains fruits comme les fruits rouges, la grenade, ou
certaines épices telles le curcuma peuvent contribuer à prévenir ou à combattre le cancer.
… l’alimentation est un facteur environnemental
qui intervient dans la genèse de nombreux
cancers, en apportant à la fois des facteurs
de risque et des facteurs protecteurs
Depuis 1982, le Fonds Mondial de Recherche sur le Cancer
se consacre à la prévention du cancer dans le monde entier.
Son premier rapport sur la prévention nutritionnelle a été publié
en 1997. En dix ans, la recherche sur le sujet s’est considérablement développée, des preuves scientifiques se sont accumulées. Ainsi, la récente publication du nouveau rapport en
2007 a permis, grâce à une analyse exhaustive de la littérature,
et à l’aide d’une méthodologie rigoureuse, d’émettre des recommandations à l’attention des acteurs de santé publique mais
Lorsque l’on parle d’alimentation, on déborde le simple cadre
nosologique pris en compte par les diététiciens. Dans un ouvrage
moins célèbre que «Tristes tropiques» mais fondateur de la
science éthologique qu’il a contribué à créer, «L’origine des
manières de table», Claude Lévi-Strauss explique que l’homme
est le seul animal à cuire ses aliments. Et qu’ainsi, le passage du
cru au cuit est l’indice du passage de la nature à la culture.
>>>
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
NUTRITION ET CANCER
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moins trois gènes du complexe I seraient en cause (MCL-1,
HIF-1ALPHA, VEGF). Et les auteurs précisent en conclusion
qu’un traitement antioxydant pourrait permettre de prévenir
ou de supprimer les métastases. (8, 9)
aussi de tout un chacun, visant à réduire la mortalité par cancer (4). Il propose dix mesures hygiéno-diététiques pour diminuer
le risque de cancer; les directives et recommandations à l’origine
de ces mesures reposent sur des preuves scientifiques jugées
«convaincantes» ou «probables» et sont consensuelles. Les
preuves jugées «limites mais évocatrices» n’ont pas été retenues.
Par exemple : être physiquement actif au quotidien a un effet
protecteur indépendant «convaincant» contre les cancers colorectaux et «probable» contre les cancers du sein et de l’endomètre. On se souvient à ce sujet de l’étude de cohorte prospective E3N (5, 6) qui a étudié les facteurs de risque de cancer
parmi une population de près de 100 000 femmes affiliées à la
Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale. Les résultats révèlent que plus on pratique d’activité physique, plus on diminue le
risque de cancer du sein, dès lors qu’il s’agit d’une activité physique soutenue, «même chez les populations présentant des
antécédents familiaux ou d’autres facteurs de risque de cancer
du sein» (6, 7). Le rapport du Fonds Mondial de Recherche sur le
Cancer précise à ce sujet qu’augmenter son activité physique
ne passe pas forcément par la pratique d’un sport, et peut être
intégré aux activités de la vie quotidienne. Il est également
conseillé d’allaiter de façon exclusive jusqu’à l’âge de six mois,
l’allaitement prolongé ayant un effet protecteur pour la mère
et l’enfant en limitant le risque de cancer du sein chez la
femme et en participant à la lutte contre le surpoids et l’obésité
chez l’enfant.
Ainsi, les indices sinon les preuves dans le domaine de la
nutrition sont suffisamment nombreux pour plaider sa prise en
compte par les équipes médicales. Cette approche est d’ailleurs
prise en compte par de nombreuses institutions outre-Atlantique. Le département d’«integrative medecine» du Memorial
Sloan Kettering de New York a pour but d’assurer une prise en
charge globale du patient, afin de lui octroyer la meilleure qualité de vie possible pendant les soins. Ce service enregistre plus
de mille inscrits par mois. Il est le promoteur d’un programme
de recherche clinique et met en ligne une base de données
exhaustive en botanique 9. Y sont recensées les plantes médicinales, mais aussi tous les légumes, les fruits et les épices.
Être physiquement actif au quotidien
a un effet protecteur indépendant «convaincant»
contre les cancers colorectaux et «probable»
contre les cancers du sein et de l’endomètre
Très modestement, notre institution a initié un programme éducationnel avec ces deux objectifs : formation des médecins et
des intervenants paramédicaux sous forme d’un enseignement
donné par des biochimistes et des nutritionnistes, éducation
des patients, des «surviveurs» et de leurs proches sous forme
d’ateliers périodiques limités à une vingtaine de participants.
Une expérience pilote va également être menée avec la participation bienveillante de grands chefs étoilés, sous forme de
cours de cuisine.
La cinquième recommandation examine la conservation, la transformation et la préparation des aliments. Le rôle néfaste du sel
est confirmé, la salaison étant l’une des causes reconnues du
cancer de l’estomac, les apports de sels devant rester en-deçà
des six grammes quotidiens. Les céréales mal conservées,
moisies, sont contaminées par des alpha toxines intervenant
dans la genèse de l’hépatocarcinome.
Parce que cette prise en compte de l’alimentaire par les oncologues est justifiée par les faits scientifiques qui se multiplient et
s’accumulent jour après jour. Parce cette information est due à
des patients demandeurs d’informations objectives et loyales,
aujourd’hui encore mauvais autodidactes ou mal informés. ■
Les patients ayant ou ayant eu un cancer font également l’objet
de recommandations: les longs «surviveurs» doivent bénéficier
des conseils d’un nutritionniste, et les conseils alimentaires ou
hygiéno-diététiques prodigués dans le rapport 2007 doivent
s’appliquer à cette catégorie de patients.
Les articles sont de plus en plus nombreux dans la littérature
scientifique sur le sujet. Cent soixante et un hommes atteints
d’un cancer de la prostate et en attente de chirurgie ont été répartis en quatre groupes, un quart avait pris quotidiennement
30 grammes de graines de lin, un quart avait suivi un régime
faible en graisse saturée, un quart avait fait les deux associés,
tandis que le dernier quart recevait un placebo. Après un suivi
médian de 30 jours, les patients ont été opérés et les tumeurs
réséquées ont été analysées. Il apparaît que la prolifération
tumorale était 30 à 40% inférieure dans les groupes recevant
la supplémentation (7, 8).
(1) David Servan-Schreiber Anticancer – Robert Laffont 2007.
(2) David Servan-Schreiber sur «nutrition et cancer: que dire aux patients?»
Cannes, le 14 mars 2008.
(3) Guerir.fr
(4) World Research Cancer Fund: http://www.dietandcancerreport.org
(5) Françoise Clavel-Chapelon. Directrice de recherche Inserm-Institut
Gustave Roussy www.e3n.net
(6) Tehard B et al. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2006 Jan;15(1):
57-64.
(7) W. Demark-Wahnefried et Al., Proc. ASCO 2007 – Abstract 1510.
(8) Ishikawa K et al. ROS-Generating Mitochondrial DNA Mutations Can
Regulate Tumor Cell Metastasis. Science. 2008 Apr 3
(9) http://www.mskcc.org/mskcc/html/1979.cfm
Un article très récent montre le rôle potentiel des mutations de
l’ARN mitochondrial dans la maladie métastatique. Les auteurs
suggèrent que certaines de ces mutations seraient responsables d’une oxydation au niveau cellulaire qui activerait l’expression
des gènes impliqués dans la survenue de métastases. Au
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
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Alimentation – Agriculture – Santé
Michel Van Koninckxloo, Ingénieur agronome
et Docteur en sciences agronomiques de l’ULB
Directeur scientifique du Centre pour l’Agronomie et l’Agro-industrie
de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Directeur-Président
de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO)
[email protected]
Martine Gadenne, Docteur en sciences de l’ULB
Responsable du laboratoire de biotechnologie du Centre pour l’Agronomie
et l’Agro-industrie de la Province de Hainaut (CARAH asbl), Maître-assistant
de la Haute École Provinciale du Hainaut Occidental (HEPHO)
Que ne ferions-nous pas pour vivre éternellement et en bonne
santé? Cette double espérance est souvent exploitée de manière
abusive par les manipulateurs et charlatans de tous ordres qui
profitent de la crédulité intrinsèque du genre humain à l’égard
de tout ce qui a trait à la santé.
Michel Van Koninckxloo
Martine Gadenne
causes. Parmi les craintes viscérales et ancestrales des hommes
se trouve en bonne place l’empoisonnement. C’est ainsi que,
depuis une quarantaine d’années, le grand public associe le
cancer (en général) aux méfaits des détergents (années 60), des
pesticides, des engrais chimiques, au manque de fibres, d’antioxydants ou d’anti-inflammatoires, aux déséquilibres dans les
proportions d’acides gras de diverses configurations, bref, à
une alimentation toujours rendue malsaine lors de sa production ou de sa transformation par l’intervention de l’homme qui
la «dénaturalise».
La tentation est grande, même parmi l’élite intellectuelle, d’attribuer nos maux aux produits de l’agriculture moderne et, réciproquement, d’espérer le salut dans une alimentation qui serait «bio».
Lorsqu’il s’agit de discréditer l’agriculture conventionnelle intensive, celle qui assure l’essentiel de nos besoins, les journalistes
ne trouvent pas de mots assez forts pour frapper les imaginations. Selon eux, l’agriculture est fondamentalement polluante,
les épandages d’engrais ou de pesticides (sans distinction entre
insecticides, fongicides ou herbicides) sont toujours «massifs»,
et s’il est question de culture d’OGM, le vocabulaire antiatomique est de mise : dissémination, contamination…
… sans les techniques modernes de protection
des cultures et de conservation des denrées
alimentaires, les famines, comme celles
de l’Irlande au 19e siècle, et les épidémies
de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle,
seraient toujours inévitables en Europe!
Toute cette dialectique a jeté le trouble dans l’esprit des citadins
et des politiciens qu’ils élisent… Avec pour résultats, du côté
positif, un renforcement de la législation qui vise à mieux protéger le consommateur, le producteur et l’environnement et, du
côté négatif, un spectaculaire coup de frein donné à la recherche agronomique et biochimique pour tout ce qui concerne la
mise sur le marché de nouvelles molécules ou de plantes
issues du génie génétique.
La tendance actuelle est de penser que ce qui est plus «naturel»
serait plus «sain» pour l’homme et son environnement. D’où la
mode des aliments «bio», des carburants «bio», des cosmétiques
«bio», des textiles «bio». Pour mieux faire la différence, il est de
bon ton de jeter le discrédit sur tout ce qui est issu du génie
scientifique telles l’agriculture moderne, la chimie, la génétique
moléculaire qui ne sont bonnes qu’à enrichir les multinationales,
à empoisonner le consommateur et à ruiner les plus démunis.
Il est remarquable de constater que le vocable d’agrocarburant
remplace progressivement celui de biocarburant depuis que
son bien-fondé salvateur est remis en cause !
S’il est un lieu commun d’affirmer qu’une alimentation variée et
équilibrée contribue à une bonne santé, il est bon de rappeler,
aussi désagréable que ce soit, que tous les êtres vivants, y compris les hommes, doivent par essence mourir un jour et que,
sauf accident, c’est par définition en mauvaise santé que cela
se produit…
C’est oublier un peu vite que de tout temps l’agriculteur a dû
séparer le bon grain de l’ivraie, que les pires poisons se trouvent
dans la nature, dans les champignons, les plantes et les animaux
sauvages et que, sans les techniques modernes de protection
des cultures et de conservation des denrées alimentaires, les
famines, comme celles de l’Irlande au 19e siècle, et les épidémies de «mal des Ardents» dues à l’ergot du seigle, seraient
toujours inévitables en Europe !
En fait, l’espoir légitime que l’on se donne, par une bonne alimentation et hygiène de vie, est de conserver le maximum de
nos facultés le plus longtemps possible.
En Occident, les progrès fulgurants des sciences, des techniques et de la médecine ont permis un allongement remarquable de l’espérance de vie et une indéniable amélioration de sa
qualité. Ces progrès ont sans doute contribué à engendrer un
double phénomène: l’augmentation de la prévalence des maladies dites de vieillesse et l’idée perverse que la maladie et la
souffrance sont inacceptables et qu’il convient d’en extirper les
Pour montrer à quel point notre attitude est irrationnelle lorsqu’il
s’agit d’alimentation, pensons à la distinction d’approche et
de réceptivité du citoyen lorsque les progrès de la science
s’appliquent à la médecine ou à l’agriculture : haro sur les
OGM lorsqu’il s’agit d’agriculture mais vivent les cultures de
cellules souches génétiquement modifiées capables de régé-
7
>>>
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
NUTRITION ET CANCER
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nérer nos organes endommagés ou de remédier aux maladies génétiques…
techniques, des savoirs et des savoir-faire qui conduit l’agriculture à devenir un secteur de spécialistes et non plus d’héritiers.
Remettons les pendules à l’heure ! L’agriculture moderne est
porteuse d’espoir et non de misère :
Les progrès de l’agriculture sont également liés à l’amélioration
des plantes. De tout temps, les sélectionneurs et puis les chercheurs se sont employés à proposer de nouvelles variétés plus
productives, plus robustes, mieux adaptées à la demande et à
leur environnement. Mais les techniques de sélection traditionnelles sont empiriques, très longues et aléatoires. Les sélectionneurs croisent chaque année, manuellement, individuellement
et quasiment à l’aveugle, des milliers d’individus de plantes
cultivées parmi lesquelles ils repèreront quelques dizaines de
descendants dont l’un ou l’autre engendrera, 10 ans de travail
plus tard, une nouvelle variété commercialisable. C’est pour
accélérer ce processus et le rendre moins aléatoire que des
chercheurs (belges entre autres) ont mis au point des techniques permettant d’identifier et de transférer des gènes codants
pour des caractéristiques recherchées par les cultivateurs (productivité, résistance à des maladies ou à des herbicides), les
transformateurs (composition des acides gras, caractéristiques
de l’amidon) ou les consommateurs (alicaments, caractéristiques organoleptiques, capacité de conservation…).
– avec l’émergence des pays asiatiques, les besoins alimentaires de la planète ne feront que croître;
– les produits issus de l’agriculture moderne sont de grande
qualité, ou en tout cas répondent aux qualités exigées par le
marché (qualité bactériologique, aspect, conservation, goût
neutre…);
– l’agriculture occidentale, et européenne en particulier, a permis de fournir, ces cinquante dernières années, au plus grand
nombre des denrées alimentaires végétales et animales variées,
en suffisance (jusqu’à l’excès certaines années) et d’une qualité sanitaire inégalée dans l’histoire des hommes.
Il est de notre devoir de poursuivre cet effort et de permettre à
la population mondiale d’en tirer leçons et profit. D’un point
de vue éthique, l’agriculture se doit d’être à la fois intensive et
efficiente car il faut tirer le meilleur parti des terres arables qui
ne sont pas extensibles et des intrants indispensables à la croissance de plantes ainsi qu’au maintien de la fertilité des sols.
Aujourd’hui, les OGM et les manipulations génétiques effraient
le grand public. Pourtant, les hommes n’ont rien inventé, par
l’utilisation des techniques de génétiques moléculaires, ils ne
font qu’imiter la nature: mutagenèse, transfert de gènes, dédoublement chromosomique sont autant de processus qui se sont
opérés naturellement tout au long de l’histoire du vivant et qui
sont à la base de la diversité génétique des êtres vivants.
L’agriculture occidentale, et européenne
en particulier, a permis de fournir,
ces cinquante dernières années, au plus grand
nombre des denrées alimentaires végétales
et animales variées, en suffisance
Par exemple, le blé qui représente l’une des ressources alimentaires les plus importantes pour l’homme, est issu, il y a environ
10.000 ans, de la fusion des génomes de trois plantes d’espèces différentes dont les croisements sont normalement stériles.
Depuis ces 30 dernières années, les techniques de génétique
moléculaire ont fortement évolué. Elles permettent aujourd’hui
d’identifier des gènes à la base de la régulation de certaines
fonctions et de les transférer d’un organisme à l’autre dans le
but de développer des applications intéressantes tant pour la
médecine que pour la sélection des plantes et des animaux
d’élevage.
Pour faire croître une plante, il faut de la lumière, du carbone
(CO² atmosphérique), de l’eau et des éléments minéraux prélevés dans le sol. Mais rien ne se perd ni ne se crée, tout se
transforme, il convient donc de rendre au sol les éléments
minéraux prélevés par les récoltes. C’est pour cela qu’il faut
apporter régulièrement des engrais. D’autre part, chaque plante
d’un champ est un individu qui fait l’objet de l’implacable loi
naturelle de la lutte pour la survie. Elle est assaillie par une multitude de concurrents (pour les ressources), de prédateurs et de
parasites (insectes, champignons, bactéries, virus…). L’ampleur
de la moisson sera donc directement proportionnelle à la capacité du cultivateur de protéger ses cultures des maladies et
des ravageurs.
L’argumentaire des anti-OGM est encore actuellement fondé
sur les techniques d’obtention des premiers OGM (ex. l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques pour la sélection des recombinants OGM). Cependant, les chercheurs ont
toujours apporté des alternatives par rapport aux critiques formulées sur les méthodes utilisées mais dont on ne fait jamais
écho dans les médias.
Est-ce pour autant que tout est parfait, que toutes nos denrées
sont saines et savoureuses, que nos techniques de production
sont toujours sans risque pour le fermier, le consommateur et
l’environnement ? Non bien sûr, et j’ajouterais heureusement,
car il est rassurant qu’il reste du travail à accomplir pour les
générations à venir !
L’emploi judicieux (les bonnes quantités aux bons moments
et sous la forme adéquate, comme pour un médicament) des
fertilisants ainsi que des produits phytosanitaires est délicat,
demande beaucoup de connaissances (physiologie, biologie,
écologie), du savoir-faire et de bonnes molécules. Ces pratiques
doivent être adaptées à chaque espèce, dans certains cas à
chaque variété cultivée et toujours aux conditions environnementales. Il y a donc un travail permanent d’actualisation des
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
À titre d’exemple, le gène de résistance à la kanamycine, antibiotique utilisé dans les premières constructions par les généticiens pour la sélection des recombinants, a fortement été décrié
par les détracteurs des OGM qui évoquaient un risque potentiel
de transfert de ce gène à la flore commensale de l’homme.
Cet antibiotique avait pourtant été choisi parce qu’il n’est plus
guère utilisé en médecine, a aujourd’hui été remplacé, pour
répondre à ces critiques, par un gène de résistance à un type
d’herbicide (ALS).
8
Par ailleurs, pour répondre au risque de dissémination des
plantes OGM dans l’environnement, les chercheurs avaient proposé l’introduction d’un gène de stérilité germinative. Cette solution présentait toutefois l’inconvénient d’obliger le cultivateur
à racheter chaque année des semences. À toute médaille, il y
a un revers.
essence éphémères, ils sont conçus pour répondre à un besoin
exprimé à un moment donné dans un contexte donné. Ils sont
comme la vie ou les sociétés : évolutifs.
Ce gène de stérilité germinative a fait l’objet de critiques surréalistes, il fut appelé par les médias «Terminator». L’argumentaire
des détracteurs était fondé sur le mythe du paysan producteur
de ses propres semences, oubliant que depuis 50 ans les agriculteurs dotés de bon sens savent très bien qu’il vaut mieux
acheter chaque année des semences certifiées pour garantir
une moisson abondante et de qualité. Les variétés actuelles de
maïs et betteraves cultivées de manière traditionnelle chez nous
depuis des décennies sont toutes des hybrides, et personne
ne s’en émeut alors qu’elles ne peuvent être ressemées sous
peine de voir la population fille hétérogène et improductive. Il en
va de même pour quasiment toutes les semences de légumes
et plantes ornementales.
… les hommes n’ont rien inventé,
par l’utilisation des techniques de génétiques
moléculaires, ils ne font qu’imiter la nature:
mutagenèse, transfert de gènes, dédoublement
chromosomique sont autant de processus
qui se sont opérés naturellement tout au long
de l’histoire du vivant et qui sont à la base
de la diversité génétique des êtres vivants.
C’est très bien ainsi, l’avenir doit continuer à appartenir à la
génération suivante !
Pour cela, il faut réhabiliter le travail des chercheurs dans toutes
les sciences, et en particulier dans les sciences du vivant en
agronomie. Il faut refuser les amalgames et les discours alarmistes simplistes et sans nuances. Les pratiques culturales sont
aussi diverses que variées: elles dépendent du type de culture
(dans les vergers, les insectes posent des problèmes inconnus
en céréaliculture), des conditions de milieux et de considérations
politiques, économiques, sociales et même philosophiques.
Toute généralisation est abusive et trompeuse.
Il ne faut pas être dupe et se tromper de combat, le mouvement anti-OGM est en fait un mouvement politique qui œuvre
contre l’hégémonie de certaines multinationales, en utilisant,
et c’est là où la démarche est discutable, la crédulité des
hommes à l’égard de leur alimentation. En réalité, les plantes
OGM ne sont ni plus ni moins saines que celles qui sont obtenues par croisements et sélections traditionnels. Par contre, il
pourrait s’avérer dangereux et dramatique pour les progrès de
la science et de l’économie de l’Europe occidentale de renoncer à des techniques prometteuses. Heureusement qu’on n’a
pas renoncé, sous le couvert du principe de précautions, à
l’électricité, la roue, la vapeur, l’atome… autant de techniques
qui ont pourtant causé un grand nombre d’accidents mais
dont les avantages se sont révélés bien supérieurs aux
risques encourus.
Pour poursuivre ses progrès dans sa capacité à fournir à tous
les hommes de la planète des produits sains et savoureux,
l’agriculture a un besoin impérieux :
– de nouvelles molécules dont l’action soit bien ciblée,
– de nouvelles variétés mieux adaptées aux conditions pédoclimatiques et aux attentes du consommateur,
– de plus de savoir-faire en matière de gestion des systèmes
complexes tels les agroécosystèmes.
De ce qui précède, il ressort qu’au lieu de discréditer dangereusement les produits de la science et des laboratoires, l’homme
devrait admettre sa condition : il appartient à la nature. Il est lui
aussi une espèce animale au même titre que toutes celles qui
existent ou ont existé. Dès lors, ces produits, aussi élaborés
soient-ils, sont aussi «naturels» que ceux des plantes ou des
animaux «sauvages». À l’échelle des temps géologiques et de
l’univers, il n’y a pas de différence entre la galerie du lapin et le
tunnel sous la Manche, l’un et l’autre ne sont que le fruit du travail
éphémère de petits mammifères appelés à disparaître. Rappelons-nous que l’atmosphère que nous respirons aujourd’hui est
le fruit de l’action des premiers organismes vivants sur la planète
et qu’à cette époque l’oxygène était le pire des poisons…
L’urgence des besoins à satisfaire est incompatible avec des
considérations de riches telles que le refus de l’utilisation des
techniques du génie génétique pour accélérer la création de
nouvelles variétés ou le rejet des engrais «chimiques» (c’està-dire préparés ou conditionnés par l’homme) ou des pesticides (refuse-t-on les médicaments ?) sous de fallacieux prétextes de sauvegarde de la santé et de l’environnement.
Bref, nous craignons le cancer et la dégradation de l’environnement, c’est pourquoi nous mangeons de tout y compris
des OGM et du bio. Nous pensons par ailleurs que l’agriculture
intensive et raisonnée que nous connaissons dans nos régions
est chaque année davantage une écoagriculture qui s’intègrera
harmonieusement dans la future noosphère.
■
Nous ne nions pas que l’impact de l’homme sur son environnement soit très sensible, il pourrait même, à l’instar de ce qui vient
d’être dit, lui être fatal, mais il est surtout susceptible d’évoluer.
Les produits et les techniques issus de notre génie sont par
9
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
ACTIVITÉ DU RÉSEAU
INFORMATION SCIENTIFIQUE
>>>
IRIS RECHERCHE
Une politique incitative à la conduite
de projets de recherche clinique
Nathan Clumeck, Directeur Général Médical, IRIS, Président, asbl iris-recherche
[email protected]
La recherche clinique est le parent pauvre de la recherche biomédicale dans notre pays. En effet, elle est largement dépendante
de l’industrie pharmaceutique dont les motivations sont essentiellement l’enregistrement et/ou la valorisation de ses molécules.
La création de l’asbl iris-recherche résulte d’une réflexion des instances d’iris sur la nécessité de stimuler la recherche, notamment
translationnelle ou de santé publique, au sein du réseau des hôpitaux publics bruxellois par le biais du financement de projets indépendants et multisites. Les objectifs poursuivis sont l’optimisation
de la qualité des soins par l’accès à de nouvelles techniques diagnostiques et à de nouvelles thérapies ainsi que l’évaluation d’outils
épidémiologiques et l’amélioration de la prise en charge clinique
grâce à une approche multidisciplinaire.
quelque 21 projets multi-sites et pluridisciplinaires. Six projets
ont été retenus et ont bénéficié d’un financement.
Parmi les projets lauréats en 2007, quatre s’inscrivent dans une
optique de prévention :
1. «Prédiction du risque fracturaire absolu par validation de
facteurs de risque et dépistage de l’ostéoporose dans une
cohorte bruxelloise suivie pendant 10 ans» du Professeur
Jean-Jacques Body (promoteur)
2. «Amélioration de la prise en charge multidisciplinaire des
patients drépanocytaires en région bruxelloise: mise en place
d’une base de données cliniques des patients drépanocytaires, accessible à tous les médecins concernés: l’observatoire bruxellois des syndromes drépanocytaires», du Professeur
Françoise Vertongen (promoteur).
L’asbl iris-recherche recueille ainsi chaque année des fonds privés
(provenant de dons de firmes pharmaceutiques, de personnes
privées ou morales) qui lui permettent de soutenir des projets de
recherche (achat de matériel, engagement de personnel dédié
à la collecte ou à l’analyse de données), d’accorder des bourses
aux chercheurs, de participer au financement de voyages d’études ou de formation. La création de cet organe représentait
pour le réseau iris un enjeu stratégique. Elle était nécessaire à
la valorisation des hôpitaux publics pour faire d’eux des partenaires complémentaires aux institutions académiques, tout en
préservant la mission de service public qui est la leur.
La patientèle du réseau iris représente, quantitativement, une
source de données pour la recherche très importante, puisque
le réseau iris ne compte pas moins de 1.000.000 contactspatients par année tous services confondus (consultations, hospitalisations, urgences, …).
Grâce au nombre important de contacts-patients du réseau,
l’asbl iris-recherche peut donc soutenir des projets de recherche
orientés vers des maladies qui ont un retentissement important
en termes de santé publique.
Cette asbl s’articule autour de 3 organes: l’Assemblée Générale,
constituée des représentants des différents hôpitaux du réseau
iris et de sa faîtière; le Conseil d’Administration, présidé par le
Pr. Nathan Clumeck et le comité scientifique présidé par le Pr.
Jean-Jacques Body.
Ce comité, constitué de personnalités des différentes universités
du pays, sélectionne les projets financés en les classant sur base
de leur intérêt scientifique, de leur faisabilité et de leur pertinence
pour le réseau. Il est le garant d’une évaluation objective et indépendante de la qualité des études.
En 2007, 225.000 C ont pu être distribués. L’appel à projets a
suscité beaucoup d’intérêt et ce ne sont pas moins de 70
promoteurs et co-promoteurs qui y ont répondu et introduit
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
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3. «L’Hépatite C de génotype 4 en Belgique: épidémiologie et
réponse au traitement. Série rétrospective et registre prospectif» du Professeur Chantal de Galocsy (promoteur);
Prophylaxie de la neutropénie fébrile :
quelle stratégie ?
Michel Aoun, Département des Maladies Infectieuses, Institut Jules Bordet
[email protected]
a neutropénie fébrile induite par la chimiothérapie est associée à une augmentation de la morbidité, de la mortalité et des
coûts des traitements anticancéreux. Elle implique souvent une
réduction des doses ou un délai de la chimiothérapie, ce qui
peut avoir un effet délétère dans les cas où la dose-intensité
de la chimiothérapie joue un rôle important.
L
Par conséquent, une prévention de la neutropénie fébrile qui
viserait à diminuer les complications infectieuses qui y sont
associées et à maintenir la dose-intensité planifiée de la chimiothérapie pourrait améliorer le contrôle de la maladie cancéreuse, et éventuellement la survie.
Deux stratégies principales ont été développées: l’administration
de facteurs de croissance hématopoiétique de la lignée myéloïde
(FCM) et la prophylaxie par antibiotiques.
Le filgrastim, pegfilgrastim, lénograstim et sargramastim ont
tous la capacité de stimuler la prolifération et la différentiation
des cellules progénitrices et de raccourcir la durée de la maturation en neutrophiles à 1 jour au lieu de 6 1, 2, comme le montre la figure 1.
4. «Prévention primaire du cancer du sein: élaboration d’un outil
de mesure quantitative du risque de cancer du sein incluant la
densité mammaire mammographique» du Docteur Fabienne
Liebens (promoteur).
Lorsque la chimiothérapie est non myélo-ablative, la sévérité et
la durée de la neutropénie sont atténuées par les FCM (Figure
2 A) 3; dans le cas contraire, les FCM n’ont que peu d’impact
sur la durée de neutropénie sévère alors que la majorité des
infections surviennent durant cette période (Figure 2 B).
Le cinquième projet retenu est une étude randomisée en double
aveugle sur «L’effet de la colonisation vaginale par des lactobacilles sur le streptocoque B-hémolytique du groupe B pendant
la grossesse» par le Docteur Magali Eykerman (promoteur).
Qu’en est-il de l’évidence clinique de l’action des FCM en prophylaxie de la neutropénie fébrile ?
Le dernier projet est pédiatrique et développé par le Docteur
Anne Vergison (promoteur) : «Épidémiologie et dynamique de
la flore commensale nasopharyngée chez l’enfant en classe
maternelle».
Les subsides octroyés ont permis aux promoteurs d’initier leurs
projets respectifs et selon les cas d’obtenir des aides financières
complémentaires auprès d’autres sponsors qui contribuent au
développement final de celui-ci.
Une bourse, d’une valeur de 1.500 C, a été attribuée à Chantal
Lerminiaux de l’HUDERF. Elle lui permettra de s’inscrire à l’École
de Santé Publique UCL/ULB pour l’obtention d’un Certificat
Interuniversitaire en Qualité de soins.
B
Figure 2 : Cinétique de récupération des neutrophiles
sous l’effet de G-CSF.
A. Après chimiothérapie non myélo-ablative.
B. Après chimiothérapie myélo-ablative.
Une méta-analyse récente, basée sur 17 études cliniques randomisées et incluant 3493 patients, a montré que les facteurs de
croissance diminuent le risque de neutropénie fébrile de 46%, la
mortalité liée à l’infection de 45% et la mortalité précoce de 40%.
La dose-intensité relative de la chimiothérapie délivrée, est améliorée par les FCM, tandis que des douleurs osseuses et musculaires sont rapportées dans 20% des cas.
Y a-t-il y a une différence d’efficacité entre les différentes formulations de FCM ?
La comparaison directe entre différentes formulations de FCM
dans les études individuelles n’a pas montré de différence mais
ces études n’avaient pas une puissance statistique adéquate
pour démontrer l’équivalence. Une méta-analyse, publiée récemment, a revu les essais comparant pegfilgrastim et filgrastim 4
(5 études randomisées pour un total de 617 patients). Elle a
montré une réduction de 50% du risque relatif de neutropénie
fébrile avec le pegfilgrastim à dose unique, par rapport aux
doses quotidiennes de filgrastim, sans augmenter l’incidence
des douleurs osseuses.
Le 3 mars 2008, le comité scientifique a délibéré pour établir la
liste des projets qui seront primés en 2008. La remise de prix
officielle se déroulera dans les bureaux du «Journal du médecin»
partenaire de l’asbl.
■
PLUS D’INFO ? asbl iris recherche
Rue Dejoncker 46 – 1060 Bruxelles
Tél.: 02/543 78 27 – [email protected]
A
Récemment, des recommandations pour l’utilisation prophylactique des FCM dans les tumeurs solides ont été formulées par
l’EORTC et l’ASCO 5, 6. Elles sont rapportées dans la figure 3.
Ces recommandations tiennent compte de type de chimiothérapie administrée et du risque de neutropénie fébrile qui y
est associé, du type de néoplasie ainsi que son stade et, par
conséquent, de la visée de la chimiothérapie prévue, soit curative,
Figure 1: Schéma de production des neutrophiles dans la moëlle
sous l’effet de FCM endogène et exogène.
11
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
INFORMATION SCIENTIFIQUE
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soit palliative. En effet, quand la dose-intensité de la chimiothérapie n’est pas prouvée plus efficace qu’un régime moins
toxique, il est conseillé de réduire ou d’espacer les administrations ou de choisir un autre régime. Ces recommandations
prennent également en compte les facteurs prédisposants spécifiques à chaque patient tels que l’âge, les réserves médullaires,
un épisode antérieur de neutropénie fébrile et d’autres facteurs
de co-morbidité.
Historiquement, le concept de la prophylaxie par antibiotiques
chez les patients neutropéniques est né dans les années 70, par
la décontamination du tube digestif par des antibiotiques non
résorbables. Plusieurs schémas à l’époque, du genre gentamicine-vancomycine ou néomycine-colistine ou polymoxycine
B-vancomycine, associés à la nystatine ont été utilisés dans
le but de supprimer la flore gastro-intestinale. Plusieurs études
randomisées, prospectives ont montré une diminution des
infections alors que d’autres ne montraient pas d’effet. Cette
discordance était liée à la non-compliance et à la mauvaise
tolérance avec nausées, vomissements et diarrhée. Il faut ajouter à cela la démonstration que les glycopeptides (vancomycine ou teicoplanine) donnés oralement chez des sujets sains,
sélectionnaient systématiquement de l’Entérocoque faecium
résistant aux glycopeptides.
En 1980, le trimethoprim-sulfamethoxazole et l’acide nalidixique
ont été utilisés en prophylaxie chez les patients neutropéniques
avec des résultats mitigés. Le trimethoprim-sulfamethoxazole était
associé à des réactions allergiques cutanées, à une colonisation
accrue par du P. aeruginosa et surtout un allongement de la durée
de la neutropénie tandis qu’avec l’acide nalidixique il y avait rapidement une émergence de bacilles à Gram-négatif résistants.
Au milieu des années 80, il y a eu l’arrivée des fluoroquinolones
avec des propriétés plus attractives :
– bonne activité sur les entérobactéries;
– acitivité sur P. aeruginosa avec certains agents comme
la ciprofloxacine, et certainement aux concentrations
obtenues dans les selles : 100 à 2000 µg/g;
– bonne tolérance,
– peu de toxicité,
– préservation de la flore anaérobie.
On peut dès lors comprendre le succès de leur utilisation dans
cette indication.
Deux larges études, randomisées, en double aveugle, contrôlées
par placebo, utilisant levofloxacine en prophylaxie ont été réalisées récemment chez des patients cancéreux ayant reçu une
chimiothérapie, ce qui a permis de clarifier un tant soit peu ce
concept qui reste néanmoins controversé 7, 8.
La première conduite par Cullen et al, a inclus des patients ambulatoires traités pour tumeur solide ou lymphome, à faible risque
de développer une neutropénie (7.9%). La stratégie prophylactique par lévofloxacine a permis de diminuer de 56% le risque
relatif d’un premier épisode de neutropénie fébrile, de 29% le
risque d’infection et de 36% le risque d’hospitalisation. Cependant, le nombre nécessaire de patients à traiter pour éviter un
épisode de neutropénie fébrile avoisine 70. Par conséquent, il
faut essayer de sélectionner les patients qui ont le risque le
plus élevé et qui pourraient bénéficier d’une telle stratégie. En
effet, la population des tumeurs solides est hétérogène et le
risque de neutropénie fébrile varie considérablement : 27,9%
pour le cancer testiculaire, 17,3% pour le cancer pulmonaire à
petites cellules et 11,5% pour le cancer mammaire 9.
Tableau 3 :
Effets de l’antibioprophylaxie :
méta-analyse de 95 études randomisées
Tableau 1 :
Antibioprophylaxie chez les patients
pour tumeur solide ou lymphome
Lévofloxacine
Placebo
Valeur p
Fièvre
1er cycle
tous les cycles
3.5%
10.8%
7.9%
15.2%
<0.001
0.01
Infection probable
34.2%
41.5%
0.004
Hospitalisation
pour une infection
15.7%
21.8%
0.004
Infection sévère
1.0%
2.0%
0.15
Décès
4/784
4/781
NS
La deuxième conduite par Bucaneve et al, a concerné des
patients hospitalisés à haut risque de neutropénie fébrile (85%).
Dans ces conditions, la lévofloxacine a permis de réduire les
épisodes fébriles, les bactériémies à bacille à Gram-négatif et
bactéries à Gram-positif et le taux d’infection en général. Le
nombre nécessaire de patients à traiter pour éviter un épisode
fébrile n’est que de 5. Il y a eu une émergence de résistance dans
le bras recevant lévofloxacine, parmi les bactéries à Gram-négatif (77 versus 17%) et les bactéries à Gram-positif (91 versus 64%).
OR
95 % CI
Fièvre
0.67
056-0.81
Infection
Cliniquement documentée
Microbiologiquement documentée
Gram négatif
Gram positif
Bactériémie
0.53
0.50
0.26
0.29
0.64
0.36-0.80
0.35-0.70
0.20-0.35
0.22-0.38
0.52-0.77
Décès
0.67
0.55-0.81
Effets secondaires
1.69
1.14-2.50
Quels sont les inconvénients de l’antibioprophylaxie ?
– L’émergence de résistance: l’incidence d’E. coli résistant aux
fluoroquinolones, isolé des hémocultures, a augmenté parallèlement à l’introduction de la prophylaxie: 0% durant la période
de 1983 à 1990.
28% durant la période de 1991 à 1993 11.
– Excès de toxicité (rash cutané, rupture de tendons).
– Risque de Clostridium difficile avec des souches virulentes.
Ceci implique des mesures d’hygiène strictes en parallèle à
l’implantation d’une antibioprophylaxie afin de limiter l’installation
et la diffusion d’un éventuel clone résistant au sein de l’hôpital
et au-delà.
Quelle fluoroquinolone utiliser en prophylaxie ?
Les deux fluoroquinolones les plus utilisées sont la ciprofloxacine et la lévofloxacine. La ciprofloxacine possède un avantage théorique sur le P. aeruginosa tandis que la lévofloxacine
a un avantage théorique sur les bactéries à Gram-positif. Les
deux molécules ont fait leurs preuves. Dès lors, suivant l’épidémiologie locale et notamment l’incidence du P. aeruginosa
et la prédominance Gram-négatifs versus Gram-positifs, il y a
moyen de faire un choix adéquat.
Tableau 2 :
Antibioprophylaxie chez des patients
traités par chimiothérapie intensive
pour leucémie aiguë ou tumeur solide
et lymphome avec greffe de cellules souches
hématopoiétiques
Quelle stratégie choisir entre FCM et antibioprophylaxie ?
Lévofloxacine
Placebo
Fièvre
85%
86%
0.001
Infection
(microbiologiquement
documentée)
Gram-positif
Gram-négatif
22%
39%
<0.001
11%
4%
16%
11%
Bactériémie
Gram-positif
18%
4%
34%
11%
<0.001
<0.01
10/373
18-363
0.15
Mortalité
Manifestation
Une seule étude randomisée prospective a essayé de comparer FCM et ciprofloxacine + amphotéricine B dans 40 cas
de cancer du sein métastatique. Le nombre d’épisodes de
neutropénie fébrile était similaire dans les deux bras : 7/18
versus 7/22 12.
À noter que la stratégie FCM est plus coûteuse tandis que l’antibiothérapie favorise l’émergence de résistance et est potentiellement associée à des effets secondaires.
Valeur p
Qu’en est-il de la combinaison FCM plus antibiotiques ?
Ceci est devenu systématique chez les patients avec tumeur
hématologique à haut risque de neutropénie fébrile.
Dans les tumeurs solides, pour la prophylaxie, on dispose d’une
étude randomisée dans le cancer pulmonaire à petites cellules
comparant antibioprophylaxie seule et antibioprophylaxie plus
FCM. Celle-ci a montré que l’adjonction de FCM à l’antibiothérapie est efficace pour réduire la fréquence des épisodes de
neutropénie fébrile et des infections, au cours du premier cycle
de chimiothérapie, mais en même temps ceci alourdit les coûts
de manière substantielle 13.
Les avantages de l’antibioprophylaxie ont été revus dans une
méta-analyse récente 10 et sont résumés dans le tableau 3 :
Figure 3
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13
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INFORMATION SCIENTIFIQUE
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D’autres études dans le cancer du sein ont montré un résultat
similaire en faveur de la combinaison FCM et antibioprophylaxie. Cependant, ces études comprenaient un contrôle historique plutôt qu’une comparaison directe 14,15.
En conclusion, il est possible d’affirmer que nous disposons
actuellement de deux stratégies de prophylaxie de la neutropénie fébrile qui ont fait leurs preuves et qui chacune a ses avantages et ses inconvénients. Par conséquent, chaque situation
d’un patient sous chimiothérapie va nécessiter une évaluation
précise du risque de neutropénie fébrile, ce qui permettra de
sélectionner ceux qui ont besoin d’une prévention, de choisir
une stratégie plutôt qu’une autre ou éventuellement de combiner les deux stratégies.
■
Références
1. Skubitz k; Wintrobe’s Clinical Hematology, 10th Edition,
Williams & Wilkins, 1999.
2. Lord BI et al. 1989: 86: 9499-503.
3. Crawford J, et al. N Engl J Med. 1991: 325: 164-70.
4. Kuderer NM et al. J Clin Oncol 2007; 25: 3158-3167.
5. Aapro MS et al. Eur J Cancer 2006: 42: 2433-2453.
6. Smith TJ et al. J Clin Oncol 2006; 24: 3187-3205
7. Cullen M et al. N Eng J Med 2005; 353: 988-998.
8. Bucaneve G et al. N Engl J Med 2005; 353: 977-987.
9. Cullen MH et al. J Clin Oncol 2007; 25: 4821-4828.
10.Gafter-Gvili A et al.; Ann Intern Med 2005; 142: 979-995.
11.Cometta A et al. N Engl J Med 1994; 330: 1240-1241.
12.Schröder CP et al. J Antimicrob Chemother 1999; 43: 741-743.
13.Timmer Bonte JMH et al. Clin Oncol 2006; 24: 2991-2997
14.Martin M et al. Clinical Breast Cancer 2004; 5: 353-357
15. Von Minckwitz G et al. Ann Oncol 2008; 19: 292-298.
La greffe haploidentique de cellules
souches hématopoïétiques: chemin de crête
entre tolérance et cytotoxicité
Philippe Lewalle, Unité d’Hématologie Clinique et Laboratoire
d’Hématologie Expérimentale, Institut Jules Bordet – [email protected]
La greffe de cellules souches hématopoïétiques est utilisée
depuis les années 1970 pour traiter la leucémie. Un donneur
HLA identique familial ou non familial n’est toutefois disponible
que dans environ 60% des cas. Pour les autres on pourra en
général trouver dans leurs familles un ou plusieurs donneurs
haploidentiques, c’est-à-dire 50% génotypiquement identique.
(figure 1).
plus immunosuppresseur, on diminue le risque de rejet du
greffon par le patient. D’autre part en réalisant, ex vivo, une
déplétion profonde en lymphocytes T du greffon, on réduit le
risque de GVHD. En effet, c’est une partie des lymphocytes
infusés aux patients lors de la greffe qui s’activent contre les
tissus du patient (peau, foie, tube digestif) en les reconnaissant comme étrangers et qui sont responsables de la GVHD.
Ces lymphocytes sont appelés lymphocytes alloréactifs.
La greffe haploidentique se caractérise par la difficulté immunologique de surmonter la barrière du complexe majeur d’histocompatibilité. Si on procédait à une greffe haploidentique de la
même façon qu’à une greffe classique, les complications seraient
insurmontables (rejet du greffon ou maladie du greffon contre
l’hôte (GVHD) mortelle). C’est à la fin des années 2000 qu’ont
été jetées les bases nécessaires au succès clinique de ce type
de greffe. D’une part, en rendant le conditionnement nettement
Le conditionnement avant greffe haploidentique est basé sur
l’irradiation corporelle totale et l’association de drogues immunosuppressives (Fludarabine, Endoxan, sérum anti-lymphocytaire ATG).
La déplétion lymphocytaire T du greffon diminue de 1000 à
10 000 fois le nombre de lymphocytes T du donneur infusé et
retire la majorité des lymphocytes T alloréactifs. Cette déplétion se fait par la sélection positive immunomagnétique des cellules souches hématopoïétiques CD34+. Les cellules souches
Figure 1: Le système HLA.
Les cellules sanguines ne sont pas les seules à posséder des antigènes
caractéristiques de l’individu, mais il y en a aussi sur toutes les cellules
de l’organisme. Les antigènes sont des molécules à la surface
des cellules qui permettent l’identification par le système immunitaire.
Cette discrimination du soi et du non soi est à l’origine du rejet lors
d’une greffe. Ces antigènes d’histocompatibilité sont dus à l’existence
d’un système antigénique découvert à l’origine sur les globules blancs :
d’où le nom de système HLA (Human Leucocyte Antigen).
De ce point de vue aussi les êtres humains possèdent des caractéristiques très individuelles, puisque chacun a une «constellation» HLA
génétiquement différente, ses «empreintes génétiques» en quelque
sorte. La probabilité que deux individus soient HLA identiques est
très faible, statistiquement 1/40 000 individus. Les types d’HLA sont
héréditaires, et sont transmis sous formes d’haplotype, c’est-à-dire que
nous recevons en bloc de chaque parent les six gènes HLA (HLA-A, B,
C, DR, DP et DQ) localisés sur le même chromosome. Nous partageons
dès lors 50% de nos gènes HLA avec chacun de nos parents, avec
tous nos enfants et avec statistiquement la moitié de nos frères et sœurs.
sont retenues sur une colonne par un aimant après avoir été
marquées par un anticorps couplé à une microparticule magnétique, les lymphocytes ne sont pas retenus et sont évacués.
Dans un second temps les cellules souches sont récupérées
par retrait de l’aimant et lavage de la colonne.
Grâce au soutien du FNRS-Télévie, des Amis de l’Institut Bordet,
de la Fondation belge contre le cancer et de la Fondation MEDIC,
nous avons pu mettre sur pied un tel programme en janvier
2007 avant son remboursement par l’INAMI.
Nos résultats actuels se situent aux alentours de 40% de survie
en rémission à 3 ans, ce qui se compare très favorablement aux
greffes non apparentées pratiquées à un même stade de la
maladie. De plus, ces patients qui n’avaient pas de donneurs
HLA identiques n’auraient eu quasi aucune chance de survie
sans ce type de greffe. Ces résultats nous ont amenés à participer à une étude européenne qui va permettre de préciser
la place de la greffe haploidentique par rapport aux greffes
non familiales.
Figure 2 : Rôle des lymphocytes T dans l’allogreffe.
Dans l’allogreffe, une partie des lymphocytes T issus du greffon,
les lymphocytes alloréactifs, sont capables de déclencher une réaction
immune dirigée contre les cellules du receveur (peau, foie, tube digestif,
etc.) et sont responsables de la réaction délétère du greffon contre
l’hôte ou GVH (graft versus host). D’autre part, le pouvoir curatif
de l’allogreffe repose essentiellement sur le contrôle de la maladie par
des lymphocytes T du greffon, soit des lymphocytes spécifiques contre
des antigènes leucémiques, non exprimés par les cellules saines,
soit des lymphocytes spécifiques contre des antigènes normaux mais
largement surexprimés par les cellules leucémiques, soit des antigènes
spécifiques des cellules hématopoïétiques du patient mais non exprimés
sur les cellules du donneur. Cet effet du greffon contre la leucémie ou
GVL (graft versus leukemia) se traduit par une éradication de la leucémie.
Une partie des lymphocytes issus du greffon, les lymphocytes T
régulateurs, interviennent aussi pour induire la tolérance entre le receveur
et le greffon. Dans les premiers mois après greffe les lymphocytes T
directement issus du greffon sont également importants pour assurer
l’immunité anti-infectieuse, essentiellement anti-virale, du receveur.
Il faut toutefois préciser que la déplétion profonde, ex vivo, en
lymphocytes T du greffon, se fait au prix élevé d’un risque accru
d’infections sévères et potentiellement d’un risque de rechute.
(figure 2). Si le taux de survie semble très bon, le taux de morbidité lié aux maladies infectieuses est élevé (80%). Malgré les
prophylaxies et thérapies préemptives antifongiques et antivirales, l’aspergillus fumigatus et le cytomégalovirus demeurent
des problèmes cliniques majeurs chez les patients greffés en
haploidentique. Les défenses immunitaires du patient mettent
plus d’un an à se reconstituer et il faut deux à trois mois avant
de pouvoir développer des réponses lymphocytaires T spécifiques anti-CMV. La reconstitution immunitaire post-greffe
haploidentique peut toutefois être accélérée par le transfert de
lymphocytes T spécifiques. Tous nos patients reçoivent des
lymphocytes T anti-CMV, activés et amplifiés in vitro, au jour +45
dans le cas de donneur séropositif pour le CMV.
contrôle de l’équilibre entre GVHD et effet GVL, représente le
«Graal» des transplanteurs de cellules souches hématopoïétiques. Jusqu’à ce jour, toute stratégie de greffe est un compromis
insatisfaisant entre le besoin de tolérance et la recherche d’effet
cytotoxique anti-leucémique.
De plus, dans les leucémies myéloïdes aiguës, des données
intéressantes indiquent que le taux de guérison après greffe
haploidentique pourrait être supérieur à toute autre forme de
greffe lorsqu’il existe un Killing Inhibitory Receptor (KIR) mismatch entre les lymphocytes NK du donneur et du receveur, ce
qui induit un effet «greffon contre la leucémie» (GVL) potentiellement puissant, lié aux cellules NK.
Nos résultats actuels se situent aux alentours
de 40% de survie en rémission à 3 ans,
ce qui se compare très favorablement aux greffes
non apparentées pratiquées à un même stade
de la maladie
L’immunothérapie cellulaire anti-tumorale, comme complément
aux traitements classiques et son optimisation dans les greffes
de cellules souches hématopoïétiques, représente une des voies
d’investigation pour l’amélioration de la survie des patients
leucémiques.
Le bénéfice d’un effet GVL est classiquement largement attribué aux lymphocytes T que ce soit dans le cadre global de la
réactivité allogénique entre deux personnes ou dans celui de la
reconnaissance spécifique d’antigène restreint ou surexprimé
par les cellules leucémiques.
Ces dernières années, de nombreux groupes se sont concentrés
sur les stratégies de vaccination, dans le contexte autologue ou
allogénique. Soit passive, par l’induction ex vivo de clones lymphocytaires anti-leucémiques, soit active, par l’induction in vivo
de réponses immunitaires apparaissant déficientes chez les patients (vaccins par cellules dendritiques, peptides ou protéines
+adjuvants). Mais il est difficile d’évaluer leur efficacité en tant
qu’outils thérapeutiques car la génération d’une réponse antitumorale efficace reste actuellement largement imprévisible.
D’abord démontré dans la leucémie myéloïde chronique, l’effet
GVL est aujourd’hui largement reconnu comme l’acteur majeur
de l’éradication de certaines malignités.
Dès lors, en raison de la déplétion T majeure du greffon, l’infusion de lymphocytes T en post-greffe peut jouer un rôle déterminant dans les greffes haploidentiques.
Néanmoins, il existe encore des patients répondant peu aux
infusions de lymphocytes du donneur (DLI), tout en développant des GVHD aiguës sévères. La séparation parfaite, ou le
Les progrès dans le domaine de la vaccination anti-cancéreuse
ont néanmoins mis à l’avant-plan deux notions qui ont eu un
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INFORMATION SCIENTIFIQUE
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impact important sur l’orientation des recherches en immunothérapie cellulaire :
1) L’inhibition de la réaction immunitaire anti-cancéreuse chez le
malade par des lymphocytes T régulateurs ou suppresseurs.
En effet, la reconnaissance d’épitopes tumoraux par des
clones lymphocytaires de haute avidité in vitro ne garantit pas
leur efficacité lors d’un transfert in vivo, probablement en
raison de l’environnement immunitaire défavorable.
Gabriel Liberale
2) L’administration de lymphocytes anti-tumoraux de haute
avidité est plus efficace pour induire des régressions tumorales après administration d’une chimiothérapie non-myéloablative à visée immunosuppressive. Probablement par la
destruction de lymphocytes régulateurs et de par le «vide»
lymphocytaire créé qui permet une expansion maximale des
lymphocytes infusés (régulation homéostatique).
L’immunothérapie cellulaire anti-tumorale,
comme complément aux traitements classiques
et son optimisation dans les greffes de cellules
souches hématopoïétiques, représente une
des voies d’investigation pour l’amélioration
de la survie des patients leucémiques
La régulation homéostatique, le très faible taux de maladie
résiduelle en post-greffe et les stimulations antigéniques du
nouveau système immunitaire «donneur», font de la période
post-greffe une période unique pour la manipulation immunologique et l’expansion in vivo de lymphocytes T cytotoxiques
spécifiques. Le futur de l’allogreffe inclut dès lors la manipulation de l’environnement cellulaire post-greffe en utilisant des
populations cellulaires sélectionnées ou des facteurs solubles
d’immunomodulation (figure 3).
La question de savoir s’il est possible de mieux séparer l’effet
GVH et GVL et de diminuer dans les allogreffes les rechutes
par une stratégie combinée d’infusion de lymphocytes T antileucémiques spécifiques et de vaccins anti-leucémiques par
cellules dendritiques ou antigènes+adjuvant est passionnante
et reste largement ouverte (figure 4). Nos recherches visent à
caractériser la réponse lymphocytaire T anti-leucémique en postgreffe et à comprendre le contexte immunologique nécessaire
à sa génération. Nous nous intéressons particulièrement à l’inhibition de la réaction immunitaire par des lymphocytes T régulateurs ou suppresseurs. L’injection immédiate de lymphocytes
après greffe nous oblige également à développer des stratégies
pour sélectionner les lymphocytes spécifiques ou pour les dépléter en lymphocytes alloréactifs responsables de la GVHD.
Les premières approches semblent prometteuses en laboratoire, mais la recherche doit continuer, pour que la greffe haploidentique puisse devenir une option de choix dans le traitement
des leucémies.
■
Gabriel Liberale et Issam El Nakadi, Clinique de Chirurgie Digestive,
Institut Jules Bordet – [email protected][email protected]
Figure 3 : Le processus complet de l’allogreffe peut se diviser en plusieurs
phases qui peuvent être espacées dans le temps. Dans les greffes
haploidentiques l’espacement dans le temps est indispensable.
Dans un premier temps il faut essentiellement détruire complètement,
par l’irradiation et des drogues immunosuppressives, le système
immunitaire du receveur pour empêcher les réactions de rejet du greffon
(et accessoirement utiliser une drogue ou l’irradiation pour renforcer
l’action anti-leucémique).
Dans un deuxième temps, après 24 heures, il faut infuser les cellules
souches avec un nombre très réduit de lymphocytes T du donneur pour
permettre la prise du greffon, cette déplétion profonde en lymphocytes T
du greffon est l’élément clé des greffes haploidentiques.
Après 30 jours, lorsque les premiers lymphocytes T régulateurs du greffon
ont entrepris leur travail de tolérance, des lymphocytes T largement enrichis ou exclusivement anti-infectieux peuvent être infusés au patient
pour accélérer sa récupération immunitaire et le protéger de réactivations
d’infections virales.
Après 60 jours, on peut commencer à exploiter l’effet «greffe
contre leucémie» en réinjectant des lymphocytes T anti-leucémiques
du donneur au patient (immunothérapie adoptive). Ces injections
de lymphocytes peuvent être combinées à des vaccinations par des
cellules dendritiques.
Figure 4 : La manipulation du système immunitaire après greffe
comprend :
1) La vaccination active par des cellules dendritiques, dérivées en culture
ex vivo de monocytes circulants, et chargées par des antigènes tumoraux,
sous forme de peptides et de protéines recombinantes synthétiques
ou de lysats dérivés des cellules leucémiques elles-mêmes.
2) La vaccination passive ou transfert adoptif de lymphocytes T
anti-leucémiques spécifiques générés et expansés in vitro durant
trois à cinq semaines de culture.
Il y a quelques années encore, la plupart des articles en cancérologie commençaient par ‘comme la chirurgie ne fait plus de progrès… d’autres options thérapeutiques, entendez chimiothérapie,
sont nécessaires.’ Aujourd’hui on se rend compte que les chirurgiens sont toujours sur le devant de la scène (chirurgie du rectum,
résection des métastases hépatiques, carcinose péritonéale) et
restent souvent les seuls à pouvoir offrir une option curative à
nos patients. Cet article sur la CHIP nous apprend plus encore :
les seuls progrès en cancérologie sont ceux d’une oncologie
intégrée qui tire avantage du savoir de chaque discipline.
Issam El Nakadi
ces patients sont porteurs d’une maladie localisée ‘au péritoine’
et non d’une maladie généralisée 5. Ce traitement associe dans
le même temps opératoire une chirurgie d’exérèse complète
pour traiter la maladie macroscopique à une CHIP pour traiter la
maladie résiduelle microscopique. Lors de la chirurgie, l’exploration de la cavité péritonéale doit être complète. Celle-ci permet
de quantifier la CP par un score, celui le plus souvent utilisé
étant le ‘Peritoneal Cancer Index’ de Sugarbaker, afin d’en évaluer le pronostic 6 (figure 1).
La cytoréduction chirurgicale complète est nécessaire avant de
réaliser la CHIP. En effet la pénétration tissulaire des molécules
de chimiothérapie étant limitée à quelques couches de cellules,
elle ne sera efficace que sur une maladie résiduelle millimétrique
et/ou inframillimétrique 7 . Le principe d’exérèse complète des
lésions macroscopiques ne sera pas détaillé ici, il a été décrit
par Sugarbaker 8. Le péritoine tumoral est réséqué et/ou détruit
par électrofulguration (figure 2). L’exérèse complète est un
élément primordial dans le traitement de la CP puisqu’on ne
peut espérer un traitement curatif en présence de résidus macroscopiques (survie nulle à 5 ans chez des patients traités par
CHIP après une cytoréduction incomplète) 4.
La carcinose péritonéale (CP) représente une étape dramatique dans l’évolution de tout cancer et a été considérée jusqu’il
y a peu comme une extension incurable de la maladie chez des
patients atteints de cancers digestifs avec une survie à 2 ans
voisine de 10%. Le traitement standard des CP était jusqu’il y’a
peu la chimiothérapie systémique, associée si nécessaire à une
chirurgie de confort. Les CP sont souvent associées à une maladie métastatique située en dehors de la cavité péritonéale.
Cependant, dans 20-25% des cas, notamment pour les cancers
digestifs, elles sont confinées à l’abdomen 1 . Depuis quelques
années, un nouveau traitement des CP associant une chirurgie
de cytoréduction à une chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP) a été mis au point et a permis de guérir certains patients 2. Bien que développée depuis une vingtaine
d’années, cette nouvelle modalité thérapeutique n’a été reconnue comme un standard dans le traitement de la CP d’origine
colorectale et péritonéale que ces dernières années suite aux
publications de deux études. L’étude de Zoetmulder fut la première étude prospective randomisée à montrer le bénéfice de
la CHIP par rapport au traitement standard (chimiothérapie
associé ou non à une chirurgie palliative). La survie médiane
des patients était respectivement de 12,6 mois et 22,3 mois
dans le groupe standard versus CHIP, bien que dans cette
étude une partie des patients dans le bras CHIP n’ait bénéficié que d’une résection incomplète de la CP (résidus macroscopiques) 3 . D’autre part, une étude multicentrique, non randomisée, a rapporté les résultats carcinologiques sur 506
patients traités dans 28 institutions par chirurgie cytoréductive associée à une chimiothérapie intrapéritonéale pour une
CP d’origine colorectale. La survie globale à 1, 3 et 5 ans est
respectivement de 72%, 39% et 19%. Les facteurs cliniques
et thérapeutiques pronostiques qui ressortaient en analyse
multivariée étaient le type de résection avec des survies à 1, 3
et 5 ans respectivement de 38-87%, 6-47% et 0-31% en
fonction du type d’exérèse réalisée (CR0, CR1 ou CR2 *) 4.
Dans cette nouvelle approche thérapeutique on considère que
La CHIP permet d’atteindre des concentrations locales de chimiothérapie qui sont 20 à 1000 fois supérieures à celles permises par voie systémique. L’hyperthermie associée à la CHIP
Figure 1 : Peritoneal cancer index (PCI) décrivant l’extension
de la carcinose péritonéale (decrit par PH Sugarbaker).
La cavité abdominale est divisée en 13 régions. Chacune étant scorée
de 0 à 3: 0 = pas de maladie, 1=nodule entre 1 et 5 mm, 2 = nodules
entre 5 mm et 5 cm, et 3 = nodules de plus de 5 cm.
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INFORMATION SCIENTIFIQUE
NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES
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permet d’y adjoindre un effet
cytotoxique synergique lié aux
effets propres de l’hyperthermie et à une meilleure pénétration des drogues dans les
cellules 9. Il est essentiel que la
CHIP soit administrée immédiatement après la chirurgie de
résection afin d’éviter que les
A
B
cellules tumorales résiduelles
Figure 3 : Administration de la
ne soient piégées dans les ad- Figure 2 : Péritoine tumoral avant (A) et après (B) traitement
par électrofulguration.
chimiothérapie en intrapéritonéalehérences postopératoires. En
sous hyperthermie selon
la technique du Colysée.
effet, ces adhérences physiologiques se forment en moins de 20 minutes après la chirurgie 10.
Aucune anastomose n’est réalisée auparavant afin d’éviter de Références
1. Elias D et al. Surg Oncol Clin North Am 2001; 10: 915-933.
piéger des cellules tumorales à leur niveau. Le soluté contenant
2. Elias D et al. Cancer 2001; 92: 71-7.
la chimiothérapie est administré à ventre ouvert dans la cavité
3. Verwaal V et al. J Clin Oncol 2003; 21: 3737-3743.
péritonéale, la peau en traction vers le haut selon la ‘Colyseum
4. O. Glehen et al. J Clin Oncol 2004; 22: 3284-3294.
technique’ (figure 3).
5. Sugarbaker PH. Semin Surg Oncol 1998; 14:254-261.
La CHIP est administrée par 4 drains, à une température de
42-43 °C durant 30 à 90 minutes selon l’équipe et/ou le type
et la concentration de la molécule utilisée. Il est évident que
pour chaque drogue utilisée lors de la CHIP, une étude pharmacologique doit avoir été réalisée au préalable 11 .
6.
7.
8.
9.
10.
11.
Jacquet P et al. Cancer Treat Res 1996; 82: 359-374.
Los G et al. Cancer Res 1989; 48: 3380-3384.
Sugarbaker PH. Cancer Treat Res. 1996; 82: 235-53.
Elias D et al. Hepato-Gastroenterol 1994; 41: 207-213.
Zoetmulder FA. Boston: Kluw 1er Acad Publisher: 1996; 155-162.
D Elias et al. Ann Oncol 2004; 15(10): 1558-65.
La réalisation de la CHIP nécessite un appareillage spécifique
(débitmètre, capteur thermique, …) permettant le contrôle de
l’homogénéité de répartition de la chimiothérapie dans la
cavité abdominale et le contrôle constant de la température
au sein de celle-ci (figure 4). La durée de l’intervention varie
de 6 à 15 heures et dépend essentiellement de l’étendue de
la carcinose péritonéale à traiter.
18
bloque tous les récepteurs de la famille HER ont montré
une activité très prometteuse dans les tumeurs du sein
résistant à l’Herceptine® (lapatinib et HKI-272) ou les
tumeurs du sein à caractère inflammatoire (lapatinib).
Il est bien établi que l’index thérapeutique des agents chimiothérapeutiques est étroit.
L’efficacité antitumorale est souvent observée à des doses
proches de la dose maximale tolérée. Les toxicités, parfois
menaçantes pour la vie, ont été bien définies pour la majorité
des médicaments. Des moyens supportifs ont été développés
pour certains effets secondaires souvent aigus et réversibles
(ex. facteurs de croissance hématopoïétiques pour pallier la toxicité hématologique).
2. Les anticorps monoclonaux agissant sur une cible particulière
semblent cliniquement plus actifs que les petites molécules
agissant sur la même cible (ex. médicaments bloquant les
récepteurs au VEGF).
3. Les anticorps monoclonaux agissant sur une cible thérapeutique, qu’elle soit dans la cellule tumorale (ex. EGFR; HER2)
ou en relation avec la cellule endothéliale (ex. VEGF), sont
d’autant plus actifs qu’ils sont administrés tôt dans l’histoire
de la maladie cancéreuse, particulièrement quand ils sont
combinés avec la chimiothérapie (ex. Herceptine®, Avastin®)
ou avec la radiothérapie (cetuximab dans les tumeurs de la
sphère ORL).
Récemment, grâce aux progrès de la biologie moléculaire, de
nouvelles armes thérapeutiques ont été développées en cancérologie. Globalement, ces médicaments sont soit des petites
molécules agissant principalement au niveau intracellulaire soit
des anticorps monoclonaux agissant au niveau des domaines
extracellulaires des récepteurs membranaires. Ces nouveaux
agents ont été administrés soit seuls soit en combinaison avec
la chimiothérapie et/ou la radiothérapie.
4. Le premier exemple réussi de réversion de la résistance à un
agent chimiothérapeutique a été documenté dans le cancer
du côlon résistant au CPT-11. Dans ces circonstances, l’activité de l’anticorps monoclonal anti EGFR (cetuximab) seul est
de 11%, alors qu’additionné au CPT-11, un taux de réponse
de 25% est obtenu.
Efficacité des thérapies biologiques ciblées
Effets secondaires des thérapies
biologiques ciblées
En ce qui concerne l’efficacité, on pourrait retenir les éléments
généraux suivants :
Bien que les thérapies biologiques ciblées aient montré quelques
effets secondaires comparables à la chimiothérapie, on a surtout observé l’émergence de nouvelles toxicités qui sont soit
propres au médicament en question soit propres à la famille
du médicament (ex. toxicités cutanées et anti-EGFR). Nous
référons les lecteurs pour de plus amples informations à deux
revues récentes des effets secondaires des petites molécules
et des anticorps monoclonaux nouvellement développés 1, 2.
1. Définition de la cible
Conclusions
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
Introduction
Avec les nouveaux agents biologiques, apparaît le concept
novateur de relation étroite possible entre efficacité antitumorale et le type de toxicité médicamenteuse.
Le traitement curatif de la carcinose péritonéale nécessite de
sélectionner et d’évaluer les patients tant sur le plan oncologique (exclusion d’une maladie extra-abdominale) que sur le plan
général (exclusion des patients présentant une co-morbidité
importante). De plus, malgré les performances techniques de la
chirurgie, il faut garantir au patient une qualité de vie ultérieure
la plus normale possible. L’éclaircie du pronostic apportée
dans la prise en charge de cette pathologie par le développement de la chirurgie cytoréductrice et de la CHIP ne doit pas
en faire oublier les risques. Actuellement, la mortalité postopératoire est comprise entre 3 et 8% pour les équipes entraînées et la morbidité entre 23 et 60%. La cause principale de
mortalité étant le choc septique et la complication majeure
étant la fistule digestive.
Le traitement multimodal associant la chirurgie de cytoréduction
à la CHIP dans le traitement de la carcinose péritonéale d’origine
colorectale est un progrès considérable car il permet de traiter
à visée curative des patients autrefois considérés comme incurables. Les taux de survie à 5 ans sont de 30%, équivalents à
ceux de patients porteurs d’un cancer colorectal avec métastases hépatiques résécables. Le regard porté sur les patients
présentant une CP primitive ou due à un cancer colorectal doit
changer. Ils ne doivent plus être considérés comme porteurs
d’une maladie généralisée et incurable mais comme porteurs
d’une maladie localisée et potentiellement curable.
■
Ahmad Awada, Alain Hendlisz et Martine J. Piccart-Gebhart,
Clinique d’Oncologie Médicale – Service de Médecine, Institut Jules Bordet
[email protected]
Figure 4 : Appareil permettant l’administration de la chimiothérapie
à débit constant avec contrôle de la température à différents niveaux
de la cavité abdominale par sonde de thermométrie (SUNCHIP,
Gamidatech).
a) Quand la cible est bien définie, qu’elle a un rôle primordial
dans la carcinogenèse et que le médicament est spécifique,
le résultat antitumoral est substantiel (ex. la cible bcr-abl
dans la leucémie myéloïde chronique traitée par Glivec®;
les tumeurs sarcomateuses stromales de l’intestin exprimant
le c-Kit et traitées par Glivec®; le cancer du sein HER-2
positif traité par Herceptine®).
b) Quand la cible est définie, mais qu’elle n’est que partiellement responsable de la carcinogenèse et que le médicament est moins spécifique, l’efficacité anti-tumorale est
plutôt modeste (ex. EGFR/cancer du côlon/cetuximab ;
EGFR/cancer du poumon/gefitinib ou erlotinib). Ce résultat
pourrait être amélioré par une sélection appropriée des
caractéristiques propres aux malades (non fumeurs) ou
aux tumeurs (adénocarcinome, mutations particulières
de l’EGFR dans le cancer du poumon).
c) Les médicaments qui bloquent simultanément plusieurs
cibles (de préférence dans la cellule tumorale et endothéliale), même avec une intensité variable, semblent plus prometteurs que les médicaments décrits dans le point b). À
titre d’exemple, le sorafenib (actif dans le rein et l’hépatocarcinome) et le sutent (actif dans le rein, sein, GIST et
d’autres tumeurs) entrent dans cette catégorie. De plus,
le lapatinib (bloque HER-2 et EGFR) et le HKI-272 qui
Quelques messages-clés peuvent être extraits :
1. Certains effets secondaires sont communs à une famille thérapeutique, comme par exemple l’hypertension artérielle et
les thromboses artérielles observées avec les médicaments
antiangiogéniques.
2. Certains effets secondaires sont liés au blocage d’une cible
présente aussi bien dans la tumeur que dans les tissus
normaux, comme par exemple le rash et la toxicité cutanée
observés avec les anti-EGFR.
3. Même si les toxicités liées à la chimiothérapie et à un médicament biologique ciblé semblent identiques, le mécanisme
d’action ainsi que le devenir du malade sous traitement peuvent être fort différents. Par exemple la toxicité cardiaque
des anthracyclines est définitive alors que l’Herceptine® est
responsable d’un dysfonctionnement cellulaire des cellules
myocardiques qui semble largement réversible.
>>>
19
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES
>>>
4. Les toxicités peuvent n’être bien documentées qu’après une
grande et longue expérience clinique. On peut citer à titre
d’exemple la toxicité cardiaque de l’Herceptine® et l’hypothyroïdie liée au sutent et au sorafenib (par blocage probable du RET).
5. Certains symptômes qui sont classiquement des effets du
cancer lui-même, comme par exemple la fatigue et la dépression peuvent aussi être liés aux thérapies biologiques ciblées.
Faire la part des choses n’est pas aisé. De plus, les chercheurs cliniciens doivent être attentifs à des complications
rares, mais souvent graves, comme la fibrose pulmonaire
observée avec les anti-EGFR et les anti-mTor, ou la toxicité
cérébrale de l’Avastin®.
6. La toxicité cutanée des anti-EGFR a été proposée (mais sans
confirmation définitive) comme un marqueur pharmacodynamique de la réponse tumorale. L’étude «EVEREST» rapportée
par le Docteur Van Cutsem et des investigateurs belges, a
tenté d’augmenter les doses de cetuximab dans le cancer du
côlon métastatique en fonction du degré de développement
de la toxicité cutanée. Les résultats préliminaires suggèrent
que cette stratégie peut augmenter l’activité antitumorale.
la chimiothérapie, améliorer l’index thérapeutique est une priorité
mais, dans certains cas, l’utilisation de la toxicité pour titrer
l’efficacité des traitements se fait jour. L’activité antitumorale
pourrait être améliorée en sélectionnant au mieux la cible thérapeutique, le médicament biologique susceptible de l’affecter
et la population de patients qui présentent les plus grandes
chances de réponse.
Dans un futur proche, cette sélection des malades pourrait être
améliorée grâce au développement de la pharmacogénétique
(déterminants liés aux patients) ainsi que de la pharmacogénomique (caractéristiques génétiques de la tumeur). L’ensemble
nécessite une collaboration étroite entre scientifiques, précliniciens et cliniciens du corps académique ainsi que des laboratoires pharmaceutiques.
■
Cet article a été publié dans «Oncologie», Éditorial – vol. 8,
883-885 nr 10, décembre 2006.
Perspectives
Références
Les thérapies biologiques ciblées sont clairement devenues partie intégrante de nos possibilités thérapeutiques. Comme pour
1. Gilberto de Castro Jr and Ahmad Awada. Curr Opin Oncol 2006;
18: 307-315.
2. Jean Klastersky. Curr Opin Oncol 2006: 18: 316-320.
Une mutation du gène K-ras prédit l’absence
de réponse au panitumumab1. Des traitements
sur mesure se profilent dans le cancer colorectal
e panitumumab est un anticorps monoclonal complètement
humanisé qui se fixe sur le récepteur de ‘l’Epidermal Growth
Factor’ (EGF). Le récepteur EGF (EGFR) a été reconnu comme
cible thérapeutique dans plusieurs cancers chez l’homme, dont
le cancer colorectal (CCR). La liaison de l’EGFR avec le récepteur active des voies RAS/RAF/MAPK, STAT et PI3K/AKT qui
modulent la prolifération, l’adhésion, l’angiogenèse et la migration des cellules cancéreuses 2.
L
Les anticorps anti-EGFR, cetuximab et panitumumab, administrés en monothérapie dans le CCR ont permis d’obtenir
une réponse ou une stabilisation dans 10% et 30% des cas
respectivement 3, 4. Le cetuximab est enregistré en Europe et
remboursé en Belgique en combinaison avec l’irinotécan
après progression sous une ligne antérieure d’irinotécan.
K-ras (homologue humain du virus oncogène Kirsten rat sarcoma-2) sert de code à une petite molécule de liaison qui est
naturellement inactive (dite sauvage, wild type, wt). Cependant,
K-ras peut se présenter sous une forme mutée (m). Ces mutations sont responsables d’une activation des voies de signalisation correspondantes en aval de l’EGFR. De telles mutations
se retrouvent dans 30 à 50% des CCR et sont corrélées avec un
mauvais pronostic et une absence de réponse aux inhibiteurs
de EGFR 5, 6.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
20
Dans une étude randomisée de 463 patients progressant sous
FOLFOX et FOLFIRI (et exprimant EGFR), panitumumab a été
testé en monothérapie par comparaison avec des patients ne
recevant que les meilleurs soins supportifs (MSS). Les patients
progressant sous MSS pouvaient recevoir le panitumumab après
documentation de la progression de leur maladie. Cette attitude
n’a pas permis de mettre en évidence une différence de survie
entre les deux groupes malgré une amélioration statistiquement
significative, mais de faible amplitude, de la survie sans progression qui était l’objectif primaire de l’étude en raison du crossover des patients traités par MSS seulement, après progression.
Une analyse a été réalisée en comparant l’effet du traitement
chez les patients présentant le K-ras wild type et muté. Le statut
K-ras a pu être établi chez 92% des patients. L’effet du panitumumab sur la survie sans progression (PFS) était, par comparaison avec les patients MSS, significativement plus grand
chez les patients K-ras-wt, PFS médian de 12.3 semaines vs.
7.3 semaines respectivement et sans effet sur les patients
K-ras-m, 7.4 et 7.3 semaines respectivement, avec une interaction statistiquement significative entre le traitement et le statut K-ras. Cette différence n’est pas apparente sur la survie
globale, probablement en raison du cross-over. Alors que la
tumeur ne régressait jamais dans le bras MSS, dans le bras
panitumumab le taux de réponse était de 17% pour les K-ras-wt
et 0% pour les K-ras m. Il est remarquable que, sur cette série
de 69 patients, évaluables, le statut K-ras m prédit de manière
parfaite l’absence de réponse/activité sous panitumumab.
Harry Bleiberg, Ahmad Awada et Marianne Paesmans
Cette observation est importante, bien que nécessitant validation lors d’une étude prospectivement menée, elle conforte,
après l’Herceptine dans le cancer du sein chez les patientes
HER2/neu positives, que l’identification de marqueurs biologiques appropriés devrait nous aider à mieux cibler nos patients:
offrir plus de chances d’obtenir un effet thérapeutique pour
ceux qui sont sensibles, peu d’effets secondaires inutiles pour
les autres et une réduction correspondante des coûts pour la
sécurité sociale.
■
Références
1. Amado RG et al. J Clin Oncol 2008; 26: 1
2. Mendelson J et al. Semin. Oncol 2006; 33: 369.
3. Cunningham D et al. N Engl J Med 2004; 351: 337.
4. Van Cutsem E et al. J Clin Oncol 2007; 25: 1668.
5. Ince WL et al. J Natl Cancer Institute 2005; 97: 981.
6. Lièvre A et al. Cancer Res 2006; 66: 3992.
La survie et la qualité de vie de votre malade atteint
d’un cancer peuvent dépendre de traitements disponibles
dans les programmes de recherche:
Contacts:
HÔPITAL ERASME :
Dr Marie Marchand: 02/555 41 93 – [email protected]
BORDET-IRIS :
Dr Tatiana Besse-Hammer: 02/541 31 48 – [email protected]
21
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
NOUVELLES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES
Une révolution dans
l’approche du cancer du sein
basée sur les progrès
de la biologie moléculaire
Ahmad Awada
es cliniciens savent depuis toujours que le cancer du sein est
une maladie très hétérogène, son pronostic est hasardeux
et son évolution est jusqu’à un certain niveau imprévisible.
Des progrès ont été réalisés dans la prise en charge de cette
maladie mais malheureusement, ces progrès ont été lents.
On sait peu sur l’origine de cette maladie, du moins dans sa
forme non-héréditaire. Des virus et des facteurs environnementaux et hormonaux ont été impliqués ainsi que des modifications
épigénétiques.
L
Moins de 50% des cancers du sein héréditaires ont été élucidés
par la découverte d’une mutation soit au niveau du gène BRCA1
ou BRCA2 et ont amené à des approches préventives (mastectomie bilatérale, ovariectomie) ou diagnostiques (RMN des
seins). Au niveau chirurgical, la tumorectomie a remplacé, quand
c’était possible, la mastectomie et la technique du ganglion sentinelle a remplacé dans des conditions précises l’évidement
axillaire avec sa morbidité physique et fonctionnelle. Finalement,
la radiothérapie a également fait des progrès avec comme
conséquence une diminution de la cardiotoxicité.
Les progrès récents en biotechnologie ont eu comme conséquence une avancée tangible dans la compréhension de la biologie moléculaire de cette maladie complexe. La biostatistique
et bioinformatique ont permis d’intégrer des milliers d’informations en relation avec des modifications géniques et protéiques
au sein de la tumeur.
Ces progrès sont à la base de la découverte de cibles pour des
thérapies biologiques non chimiothérapeutiques. Au-delà de
l’histologie classique, la biologie moléculaire commence à mieux
définir le pronostic de quelques groupes de patientes et prochainement, espérons-le, un progrès dans la prédiction de la
réponse ou, mieux encore, la résistance à un traitement prescrit.
La conséquence de ces avancées est l’individualisation des
traitements avec l’espoir d’avoir une meilleure efficacité dans la
prise en charge des malades, d’éviter des effets secondaires
inutiles et finalement d’améliorer le coût/bénéfice des traitements
anticancéreux.
Au niveau pronostic, les facteurs historiques classiques restent
d’actualité. La taille, le grade, le nombre de ganglions envahis
gardent une valeur pronostique importante mais imparfaite.
L’analyse des milliers de gènes dans une tumeur est à la base
de la découverte de signatures, dites géniques, de bon ou de
mauvais pronostics. Ces signatures sont en cours d’évaluation
pour leur utilité clinique dans des études à grande échelle. Le
grade 2 histologique s’est avéré génétiquement être soit un
grade 1 ou un grade 3 et non une entité à part. Cela conduira
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
22
Martine J. Piccart-Gebhart
sans aucun doute à une meilleure définition du risque chez la
patiente atteinte d’un cancer du sein.
Les gènes impliqués dans la prolifération cellulaire ont émergé
comme étant à la base des signatures géniques de mauvais
pronostique. Les patientes qui portent ces tumeurs bénéficieront probablement le plus de la chimiothérapie cytotoxique et
de schémas thérapeutiques avec intensification de la dose.
Les études cliniques sont en cours dans ce domaine.
Les récepteurs hormonaux ont été considérés pendant longtemps comme des factures pronostiques. La méta-analyse avec
un suivi de 15 ans a permis de constater que leur valeur pronostique est limitée: ces cancers avec récepteurs hormonaux négatifs récidivent surtout tôt après le diagnostic tandis ceux avec
récepteurs hormonaux positifs récidivent plus tard, de sorte que
les probabilités de survie ne diffèrent pas fondamentalement
à 10-15 ans après le diagnostic. L’implication thérapeutique de
cette constatation est qu’il est probablement important de continuer l’hormonothérapie au-delà de 5 ans et que les tumeurs
récepteurs hormonaux négatifs nécessitent un traitement le
plus efficace possible immédiatement après le diagnostic.
Il n’y a pas pour le moment de médicaments qui ont montré
clairement une bonne activité dans les tumeurs «triple négative»
ou «basal-like». Les antiangiogénèses (ex. bevacizumab), les antiEGFR (ex. cetuximab), les dérivés du platine, les inhibiteurs de
la topoisomérase et les inhibiteurs de l’enzyme PARP (molécule
impliquée dans la réparation de l’ADN) sont en cours d’investigation, particulièrement dans ce groupe de tumeurs.
Au-delà du trastuzumab, le lapatinib, administré oralement
s’est révélé actif dans les tumeurs HER-2-/neu prétraitées ou
non par trastuzumab car il a l’avantage de passer la barrière
hémato-encéphalique et prévenir ou traiter les métastases
cérébrales dont l’incidence est de 30 à 40% dans ce groupe de
patientes avec tumeurs surexprimant HER-2/neu.
Un nombre considérable de nouvelles thérapies ciblées est en
cours d’investigation dans le cancer du sein. Citons, à titre
d’exemple, les inhibiteurs de l’IGF(R) et les anti Ras/Raf/MAPK
Pi3K/Akt. Les premiers résultats des vaccins anti HER-2/neu
sont prometteurs.
Au niveau de la thérapie hormonale, il n’y a pas eu de percées
thérapeutiques récentes. Des inhibiteurs d’enzymes appelés
sulfatases impliqués dans le métabolisme des oestrogènes
sont en cours d’investigation et pourraient représenter une
nouvelle «famille» d’agents hormonaux.
En conclusion, l’approche du cancer du sein connait une évolution remarquable basée sur les progrès de la biologie moléculaire. Les tumeurs sont mieux classifiées, le pronostic est mieux
défini et des thérapies biologiques ont vu le jour. Il est urgent de
rapidement valider les outils moléculaires diagnostiques et pronostiques afin de les implémenter en pratique clinique. De plus,
il est heureux de constater l’apparition de thérapies moins
empiriques qui portent en elles l’espoir de mieux individualiser
les traitements et d’améliorer l’index thérapeutique.
■
La pharmacogénétique, par l’analyse des variants de cytochromes a permis de subdiviser les patientes traitées par tamoxifene
en situation adjuvante en bons et mauvais métaboliseurs du
tamoxifène.
Le gène HER-2/neu a émergé comme un facteur de mauvais
pronostic et surtout comme un facteur prédictif de réponse à
l’anticorps monoclonal appelé trastuzumab. Son efficacité en
monothérapie et surtout en combinaison avec la chimiothérapie
a été bien documentée tant en situation métastatique qu’adjuvante, avec une excellente tolérance à part la dysfonction
myocardique qui reste peu fréquente et est observée surtout
quand le trastuzumab est associé avec les anthracyclines.
... your partner
of choice for
the treatment
of metastatic
breast cancer,
advanced
ovarian cancer
and malignant
brain tumors.
Un progrès important de la biologie moléculaire a été la classification des cancers du sein en au moins quatre groupes de
tumeurs distinctes : le groupe des tumeurs exprimant le
récepteur, HER-2/neu, le groupe des tumeurs «triple négatif»
avec absence d’expression des récepteurs hormonaux et du
récepteur neu, le groupe «luminal A» avec une forte expression des récepteurs hormonaux (et probablement une bonne
réponse au traitement hormonal) et sans autres facteurs
d’agressivité tumorale et finalement le groupe «luminal B» dont la
sensibilité aux traitements hormonaux est imparfaite et qui
présente souvent d’autres facteurs de risque (tel qu’une prolifération importante).
L’implication clinique de cette subdivision est qu’il est essentiel que les patients de chaque groupe soient englobés dans
des études cliniques séparées comportant les thérapies les plus
adaptées à la carcinogénèse de leurs tumeurs.
2008-BE-208
Ahmad Awada et Martine Piccart
Service de Médecine – Clinique d’Oncologie Médicale
Institut Bordet
Les bons métaboliseurs avaient un meilleur pronostic mais
avaient aussi plus de bouffées de chaleur et un risque majoré
d’arrêt du traitement. Les médicaments interférant avec le métabolisme du tamoxifène en dérivés actifs comme quelques psychotropes sont à proscrire.
Les anthracyclines, les taxanes, les agents akylants et les antimétabolites sont à la base de la chimiothérapie anticancéreuse
du cancer du sein. Les antioestrogènes et les inhibiteurs d’aromatase sont la base du traitement hormonal et finalement le
trastuzumab est le premier traitement anti HER-2/neu.
Plus récemment, des nouvelles formulations de taxanes (par
exemple l’abraxane), des antimicrotubules actifs en cas de
résistance aux taxanes (ex. ixabepilone) et une nouvelle génération d’antimicrotubules (ex. E7389, un analogue de l’halochondrine B) ont vu le jour.
23
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
AU-DELÀ DE LA MÉDECINE…
ACTIVITÉ DU RÉSEAU
La gestion du risque dans
le transport de tissu humain
Inauguration d’un nouveau centre
d’oncologie-radiothérapie au CHU TIVOLI
Alain Moureau, World Courier Belgium
[email protected]
de groupage de marchandises.
Vos précieux échantillons de tissus
humains se retrouvent donc souvent en très bonne compagnie
(objets de toute nature, ordinateurs
et matériel électronique, pièces détachées, effets personnels, etc).
On comprend que le transport d’organe à visée de transplantation est chose délicate et nécessite des procédures bien validées
garantissant l’arrivée de l’organe à destination dans des conditions d’utilisation optimales. Même en-dehors de ces indications
particulières, beaucoup de tissus humains transitent d’un lieu à
un autre à la recherche d’un institut expert et, de plus en plus
dans le cadre d’études, en transit vers un laboratoire centralisé
qui garantit à tous les prélèvements la même qualité d’analyse.
Il essentiel que ces échantillons, souvent uniques, arrivent à bon
port et parfaitement utilisables.
De nos jours et dans nos contrées, il est inconcevable qu’un
patient n’accède pas aux traitements ou aux soins appropriés
par manque d’infrastructure adéquate. De même, il nous paraît
tout aussi inacceptable qu’un patient soit éloigné d’un protocole
médical ou d’une étude clinique parce que son prélèvement de
tissu n’est pas livré au bon laboratoire ou, pire, qu’il ait été livré
dans de mauvaises conditions de conservation et ne puisse en
conséquence être analysé correctement.
Nous apprenons depuis notre jeune âge que la vie n’a pas de
prix mais avec un peu de recul, on sait que la santé est régulièrement «influencée» par des critères d’ordre financier.
Le transport n’est donc plus de type
«groupé» mais il est individualisé. Il permet
de respecter les délais imposés par les exigences
de la communauté scientifique et surtout de
mieux contrôler les paramètres de température
L’idée de cet article est de vous aider à poser les bonnes questions lorsque vous serez confronté au problème d’un transport
d’une «marchandise» sensible :
– Qu’est ce qu’un «bien» sensible ?
– Puis-je me permettre de perdre un prélèvement de tissu
humain ?
– Mon colis nécessite-t-il un contrôle de température ?
– Quel est le «prix à payer» pour minimiser les risques liés à
tous types de transport ?
Si l’art de soigner relève de multiples disciplines, le monde du
transport express connaît également ses subdivisions et ses
spécificités.
La comparaison s’arrêtera là mais, globalement, il est possible de définir deux types de sociétés de transport express :
a) Les grandes sociétés de courrier dont les acronymes sont
bien connus (DHL, TNT, UPS, etc). Dans notre jargon, nous
les appelons les «intégrateurs».
La logistique de ces sociétés est toujours axée sur un service
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
Anne Leleux, Chef du service d'oncologie médicale,
Coordinateur du Programme de Soins Oncologiques,
CHU Tivoli, La Louvière
24
Si ce système présente l’énorme
avantage de minimiser les coûts,
il est, par contre, fort rigide et ce manque de flexibilité ne permet pas toujours aux «intégrateurs» de livrer une marchandise
hautement périssable dans les meilleurs délais ni d’en
garantir sa pérennité (contrôle de température).
Créés en 1976 lors de la construction de l’hôpital, le service
de radiothérapie et l’hôpital de jour oncologique permettent
d’accueillir les patients atteints d’un cancer ou d’une affection hématologique.
Des réunions de concertation pluridisciplinaire sont organisées dans chaque discipline sur un mode hebdomadaire
ou bihebdomadaire.
Nous pouvons également compter sur la collaboration de
nombreux para-médicaux (infirmières spécialisées en oncologie et radiothérapie, psychologue, esthéticienne, diététiciennes, pharmaciennes, assistantes sociales, data manager, secrétaires, aides logistiques, …).
■
En 32 ans, le domaine de l’oncologie a connu un essor vertigineux. Les technologies se sont sophistiquées, l’approche
pluridisciplinaire des patients cancéreux s’est imposée,
les alternatives thérapeutiques se sont multipliées.
Sans entrer dans des détails techniques inhérents à notre
métier, il arrive que la température intérieure d’un avion cargo
ne soit pas toujours stable et il n’est pas rare qu’un «container»
reste des heures sur un tarmac surchauffé avec comme résultat immédiat qu’un prélèvement diagnostique ne puisse être
analysé correctement.
Cette évolution et l’importante augmentation d’activité
dans ce domaine nous ont amenés récemment à investir
dans de tout nouveaux locaux, beaucoup plus spacieux,
plus lumineux et bien mieux équipés.
Autre cas de figure, un prélèvement sous «carbo-glace» se
retrouve bloqué à la douane du pays de destination parce
qu’un document réglementaire n’est pas conforme aux exigences. Hélas, personne ne viendra rajouter le précieux
matériau réfrigérant et, en quelques heures, vous risquez
de perdre le fruit d’un long labeur, voire de poser un mauvais diagnostic sur un patient.
La disposition et l’architecture ont été élaborées dans un
souci de convivialité, d’efficacité et de qualité des soins.
Ce centre d’oncologie ambulatoire permet une prise en
charge intégrée des patients atteints d’un cancer, puisqu’il
réunit sur un même plateau :
b) Il existe cependant d’autres alternatives et, pour autant qu’elles
soient utilisées à bon escient, elles peuvent réellement répondre aux besoins générés par les exigences pointues des
milieux pharmaceutiques et médicaux. Vers le milieu des
années soixante, des sociétés de courrier spécialisées telles
que World Courier, Purolator, etc. ont donc vu le jour.
– une aire de consultation et d’accueil;
– un hôpital de jour consacré exclusivement à l’oncologie,
qui permet d’accueillir simultanément 11 patients dans
des conditions de confort optimales ;
– une unité de radiothérapie équipée d’appareils à la
pointe de la technologie (dont un accélérateur linéaire
«dernier cri»).
Ces sociétés se sont d’emblée éloignées des critères logistiques établis par les «grands intégrateurs». Elles ont choisi
d’autres modes de fonctionnement et se sont profilées vers
les marchés de niches (dont le monde pharmaceutique).
Le transport n’est donc plus de type «groupé» mais il est individualisé. Il permet de respecter les délais imposés par les exigences de la communauté scientifique et surtout de mieux contrôler
les paramètres de température (contrôle permanent du niveau de
carbo-glace et changement automatique du matériel eutectique).
vers des partenaires de transport spécialisé lorsque l’enjeu
humain de ce que vous voulez transporter est significatif ou capital.
Cette décision est plus facile à prendre dans le cadre d’une
transplantation, d’un transport de moëlle ou de cellules souches
mais elle s’avère tout aussi bénéfique pour le transport d’un
tissu humain ayant nécessité une intervention chirurgicale.
intervenants (chauffeurs, compagnies aériennes, etc.) et par
l’utilisation d’emballages qualifiés ou validés.
Ces emballages répondront toujours à des contraintes de température et de pression et en fonction du matériau de fabrication (polyuréthane ou polystyrène), ils seront facilement réutilisables ou recyclables. Des sociétés telles que Exam Packaging, Multibox et autres distribuent ces produits en Belgique.
Il donne également la possibilité d’«enlever» ou de «livrer» n’importe quel type de prélèvement clinique, substance réglementée,
produit de base, molécule en phase d’investigation ou produit fini
à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, 365 jours par an.
Tout le matériel adéquat est fourni lors de l’enlèvement. Une petite
révolution lorsqu’on sait que cela se passe à l’échelle planétaire.
Certes, la prise de risque existe toujours mais elle est fortement
réduite par le contrôle opérationnel accru sur les différents
Les équipes médicales se sont également étoffées : la
radiothérapie compte 3 médecins et le service d’oncologie médicale est composé de 2 hématologues et 3
oncologues médicaux (bientôt 4).
Le 27 mai dernier ont été inaugurés les nouveaux locaux
du Centre René Goffin (centre d’oncologie-hématologieradiothérapie) au CHU Tivoli, à La Louvière.
>>>
Une décision influencée uniquement par des critères d’ordre
financier est davantage exposée à des dérapages «logistiques»
difficiles à maîtriser et dont les conséquences peuvent être dramatiques pour le patient.
Compte tenu des avantages considérables présentés par les
services de courrier express de type «intégré», il serait dommage
de ne pas en bénéficier pour des transports de marchandises
usuelles ou courantes. Par contre, il y a lieu d’orienter votre choix
Laissez vous guider par le bon sens et… votre sens critique! ■
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
RECHERCHE FONDAMENTALE
François Fuks, PhD, Directeur du Laboratoire d’Épigénétique du Cancer,
Faculté de Médecine, Hôpital Erasme
[email protected]
Introduction
Un des grands mystères en biologie est le fait que des cellules
ayant le même ADN soient capables d’exprimer des fonctions
différentes et uniques. Il est communément accepté que c’est
la séquence de l’ADN et rien que cette séquence qui détermine le devenir d’une cellule et par là, la constitution d’un organisme. Pourtant, ce dogme est mis en cause depuis peu par
les épigénéticiens : ils s’intéressent non pas à la séquence de
l’ADN mais aux modifications chimiques se produisant au sein
de la chromatine, principalement véhiculées par des modifications de l’ADN et des histones. La modification majeure de
l’ADN est la méthylation de la cytosine, qui est la marque d’une
chromatine transcriptionnellement silencieuse chez les vertébrés.
Quant aux histones, différentes modifications post-traductionnelles ont été décrites, comme l’acétylation, la phosphorylation
ou la méthylation. L’ensemble de ces modifications constituerait un «code histone», dont le décryptage n’en est qu’à ses
prémices, permettant d’associer à chaque combinaison de
modifications un état particulier de la chromatine, et ainsi de
l’expression génique.
Le séquençage de nombreux génomes eucaryotes indique que
l’augmentation de la «biocomplexité» au cours de l’évolution
n’est pas directement corrélée à l’accroissement du nombre
de gènes (par exemple ≥30.000 chez l’humain par rapport à
environ 15.000 chez la mouche). Ces données suggèrent fortement que la biocomplexité n’est régulée qu’en partie par le
nombre de gènes. En d’autres termes, «nous sommes plus que
la somme de nos gènes» et l’ère post-génomique actuelle
promet de cerner de façon plus précise les bases moléculaires
de notre identité. À cet égard, il semble de plus en plus clair que
l’épigénétique est riche d’une information qui se superpose à
celle du code génétique et dont l’importance apparaît cruciale
dans la différenciation cellulaire et le développement embryonnaire à travers, par exemple, le phénomène d’empreinte génomique, la reprogrammation du génome et la plasticité des cellules
nuclear enveloppe
DNA
souches. En outre, des altérations de l’information épigénétique
sont fréquemment associées à différentes maladies, et notamment au cancer. Il s’ensuit que l’épigénétique laisse présager
d’une prochaine révolution dans la connaissance du vivant, et
de l’entrée de la biologie et du traitement du cancer dans une
nouvelle ère de leur développement.
La méthylation de l’ADN et la chromatine :
un couple uni dans le silence
La compréhension des mécanismes de verrouillage des gènes
par les méthyltransférases de l’ADN – ou DNMT a bénéficié du
véritable essor ces dernières années de l’étude de la chromatine
(dans sa forme la plus compactée, celle-ci constitue les chromosomes) (figure 1). On s’est en effet rendu compte que le
silence des gènes par la méthylation de l’ADN agit «main dans la
main» avec la structure de la chromatine, Dans la cellule, l’ADN
est associé à des protéines très abondantes, appelées histones,
et cette association ADN-histones constitue le nucléosome,
l’unité de base de la chromatine. On sait à présent que la fermeture de la chromatine, qui conduit au silence des gènes, est
directement liée à deux catégories d’enzymes, d’une part les
désacétylases (ou HDAC) qui décrochent des groupes acétyls
aux histones et d’autre part les méthyltransférases d’histones (ou
HMT), qui ajoutent aux histones des résidus méthyls. On parle
alors respectivement de méthylation et de désacétylation des
histones. Conjointement au déchiffrage des mécanismes de
fermeture de la chromatine, une avancée majeure a très récemment été réalisée dans notre laboratoire d’Épigénétique du
Cancer (Faculté de Médecine, Erasme). Nos chercheurs ont en
effet démontré que les protéines DNMT sont physiquement
associées aux enzymes modificatrices de la chromatine, les
HDAC et les HMT, ce qui conduit à un verrouillage particulièrement intense des gènes 1-5.
Il semble de plus en plus clair que l’épigénétique
est riche d’une information qui se superpose
à celle du code génétique et dont l’importance
apparaît cruciale dans la différenciation cellulaire
et le développement embryonnaire
Cette interconnexion épigénétique a par exemple été démontrée entre les DNMT et une protéine appelée EZH2 6 (figure 2).
Très récemment, nous avons démontré l’importance de ce lien
dans les leucémies promyélocytiques aiguës (APL). Dans cette
maladie, une translocation chromosomique donne naissance à
une protéine de fusion dénommée PML-RAR. Cette protéine
chimère s’est révélée interagir de façon inappropriée aux protéines Polycomb et aux méthyltransférases de l’ADN, recrutant
ainsi un duo de choc qui réduit au silence des gènes suppresseurs de tumeurs, et par extension, contribue au verrouillage de
leur fonction anti-tumorale 7.
Nucleosome: fundamental
unit of chromatin
(DNA + histones)
Figure 2 : Quand deux machineries épigénétiques se rencontrent
pour verrouiller l’expression génique dans les cancers (Viré et Fuks
Nature, 2006; Villa, Fuks, Di Croce, Cancer Cell, 2007).
Figure 3 : Vers une thérapie épigénétique du cancer.
Des perspectives de thérapies
anti-cancéreuses inédites
des cancers à base d’inhibiteurs des méthyltransférases de
l’ADN et des désacétylases est certainement envisageable.
Des essais en phase clinique à base d’inhibiteurs des DNMT et
HDAC ont permis d’obtenir une rémission chez des patients
atteints de certaines formes de leucémies. Le problème à
l’heure actuelle est que les inhibiteurs connus sont assez
toxiques.
Est-on passé à côté de tout un pan des mécanismes qui conduisent aux cancers? De nombreux chercheurs qui étudient l’épigénétique le pensent. Outre les anomalies génétiques de la
séquence de l’ADN, les altérations du schéma de méthylation
de l’ADN pourraient en effet être tout aussi importantes dans la
formation des cancers.
De toute évidence, le traitement pour être efficace devra être
très spécifique et sélectif quant aux gènes à réactiver. En vue
d’atteindre cet objectif, il sera fondamental de cerner de façon
précise les mécanismes par lesquels les DNMT et le remodelage
de la chromatine sont intimement connectés. Comme décrit
ci-dessus, des avancées notables ont été réalisées en ce sens.
Dans le contexte du cancer du côlon l’ajout
conjugué de drogues qui inhibent l’action
des DNMT et des HDAC ouvre la chromatine
de gènes suppresseurs de tumeurs, conduisant
ainsi à leur réactivation
Les recherches futures viseront notamment à déterminer la
séquence des événements qui relient les DNMT aux enzymes
HDAC et HMT, et qui conduisent à l’extinction de l’expression
génique. D’ores et déjà, l’engouement actuel pour l’étude de la
méthylation de l’ADN et de la chromatine a permis d’ouvrir un
nouveau chapitre des connaissances sur la régulation des gènes
et laisse entrevoir de toutes nouvelles cibles pour la mise au point
de médicaments originaux en vue de lutter contre le cancer.
Les études de plusieurs laboratoires indiquent que ces altérations sont retrouvées dans près de 65% des cancers ! Plus
précisément, les gènes suppresseurs de tumeurs sont trop
méthylés et ainsi anormalement réduits au silence. La question
fondamentale est maintenant de savoir comment cet excès de
méthylation participe à la formation des cancers. À cet égard,
la relation intime évoquée ci-dessus entre les protéines DNMT
et les désacétylases d’histones HDAC pourrait apporter les
premiers éléments de réponse à cette question.
Gageons que les modifications épigénétiques continueront dans
les années à venir à révéler leurs secrets à grands pas, ouvrant
la voie à des perspectives thérapeutiques anti-cancéreuses
inédites.
■
Tout d’abord, de nombreuses régions d’ADN régulatrices hyperméthylés dans les cancers sont associées à une faible acétylation des histones. C’est le cas par exemple des gènes de
susceptibilité au cancer du sein ou encore de gènes associés
aux leucémies. Par ailleurs, il a été montré dans le contexte
du cancer du côlon que l’ajout conjugué de drogues qui inhibent l’action des DNMT et des HDAC ouvre la chromatine
de gènes suppresseurs de tumeurs, conduisant ainsi à leur
réactivation.
Références
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Fuks F et al. DNA. Nature Genetics 2000; 24: 88-91.
Di Croce L. et al. Science 2002; 295: 1079-82.
Hughes-Davies L. et al. Cell 2003; 115: 523-35.
Fuks F. Curr Opin Genet Dev. 2005; 15: 490-5.
Brenner C. et al. EMBO J. 2005; 24: 336-46.
Viré E. et al. The Polycomb group protein EZH2 directly controls
DNA methylation. Nature 2006; 439: 871-4.
7. Villa R. et al. Role of the polycomb repressive complex 2
in acute promyelocytic leukemia. Cancer Cell 2007; 12(6): 843-4.
8. Brenner et al. Developmental Cell 2007; 12(6): 843-4.
Ces observations sont très intéressantes parce qu’elles permettent d’entrevoir des traitements en vue de réactiver les gènes
dont la méthylation est altérée dans les cancers. En effet, au
contraire des anomalies de la séquence de l’ADN, l’hyperméthylation des gènes est un phénomène réversible. Une thérapie
Figure 1 : La chromatine compacte le génome et contribue
à la régulation des gènes.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
AU-DELÀ DE LA MÉDECINE…
densité d’être, il lui faut introduire une
histoire d’amour au sein de la mondanité. Le sentiment et la sexualité
entremêlés offrent, en effet, un répit
d’intensité vitale au narrateur d’Un
amour de Swann. Se profile, hélas,
la jalousie, source de mensonges et de tristesse.
Même le retour sur soi, l’expérience intérieure ne nous sauvent
pas de la pulsion de mort, bien au contraire, et Proust le
savait bien : plus on s’introspecte, plus on creuse sa propre
tombe. C’est alors que, dans la dernière phase de son œuvre
(Le temps retrouvé), Proust découvre le pouvoir de l’art face à
la mort et à son néant. C’est une extase, un défi dont Bergotte (1)
fait l’héroïque expérience. Il meurt en découvrant l’éternelle
jouvence d’un tableau de Vermeer. En effet, l’art redonne à
jamais du présent. Il est trans-temporel. Bergotte meurt, mais il
a touché en son dernier instant de vie quelque chose qui a
nom d’éternité.
Pierre Sterckx, Critique d’art
«Ce n’est pas le dernier instant qui est fatal, disait Francis
Ponge, tous les instants sont fatals» ce qui était une façon très
belle (un sablier poétique) de dire avec Heidegger : «L’homme
est un être-pour-la-mort». La littérature, la philosophie, ne peuvent s’opposer à ‘elle’, pas plus que la technologie et la science.
Embaumer un pharaon, c’est mettre la mort en conserve.
Aussi longtemps que l’art faisait alliance avec la religion, il
pouvait incarner tous les mythes de vie éternelle que celle-ci
promettait. La religion, inversement, ne pouvait se priver d’œuvres d’art car les croyants y percevaient des scènes et figures
de l’ordre de l’irreprésentable. On peut donc dire sans hésiter
que tout l’art universel, depuis les grottes paléolithiques jusqu’aux fresques baroques, fut un art funéraire. Il semble même
que, au vu d’œuvres contemporaines (celles de Damien Hirst,
entre autres), deux siècles de laïcité n’aient pas vraiment modifié cette situation… Les œuvres mortifères abondent.
Cependant nous n’allons pas au Louvre pour nous agenouiller
devant une Madone, disait Malraux, mais pour y admirer une
statue. Agnostiques, sommes-nous donc démunis (dépourvus
d’art) devant la grande faucheuse? L’exemple de Marcel Proust
va nous permettre de répondre en proposant une résistance
laïque à l’incontournable menace d’un néant individué.
(1) Bergotte est un écrivain reconnu, admiré du narrateur, il incarne
le romancier-type de la Recherche, personnage de Proust qui apparaît
dans plusieurs romans. Il souffre d’insomnies et de cauchemars;
s’enfermant chez lui, il couvre le monde de son mépris, mais ses œuvres
commencent à moins plaire; dans La Prisonnière, l’une des plus célèbres
pages de Proust, il raconte sa mort : en pleine crise d’urémie, il se lève
pour aller voir la Vue de Delft de Vermeer. En regardant le «petit pan
de mur jaune», il s’écroule mort.
Proust commence sa vie d’adulte et d’écrivain dans la mondanité. Il hante les dîners, les salons et les bals. Mais cette étourderie festive le lasse rapidement et il en souligne la vacuité. Le
divertissement n’affronte pas la mort. Pour atteindre une certaine
J
usqu’il y a peu, un traitement de quatre
cycles d’anthracyclines associées au
cyclophosphamide (AC) constituait un
traitement standard de chimiothérapie adjuvante dans le cancer du sein. Un article
de Stephen Jones (Baylor-Sammons Cancer
Center, Dallas, Texas)¹, publié en décembre
2006, a quelque peu modifié les connaissances. Il a pu démontrer que le docétaxel
et le cyclophosphamide (TC) prolongeaient
significativement la survie sans maladie après
cinq ans, par rapport au schéma AC. Une
analyse récente², réalisée sept ans après le
traitement, confirme l’avantage significatif du
schéma TC par rapport à AC sur le plan de
la survie (Figure 1).
Proportion Surviving
L’art et la mort
Traitement adjuvant par docétaxel
ou une anthracycline
dans le cancer du sein opérable ?
Figure 1 : Survie avec TC et AC, sept ans
après le début du traitement.
Stephen Jones répond ici à quelques questions en rapport avec sa publication.
AVN: Votre étude révèle que le docétaxel
associé au cyclophosphamide offre des
avantages significatifs par rapport à
l’association d’une anthracycline et de
cyclophosphamide. Ceci s’applique-t-il
à tous les sous-groupes ?
Damien Hirst réalise des installations où il traite du rapport entre l’art, la vie et la mort. Pour les cabinets
médicaux, il expose dans des vitrines des objets provenant «de la vie réelle», comme des tables,
des cendriers, des mégots, des médicaments, des papillons, des poissons... Pour «que l’art soit plus réel
que ne l’est une peinture», il travaille à une série constituée de cadavres d’animaux (cochon, vache,
mouton, requin, tigre, etc.). Les bêtes (parfois coupées en deux, afin qu’apparaissent l’intérieur et
l’extérieur) sont plongées dans le formol et présentées dans des aquariums. Ces sculptures sont appelées
à disparaître (la putréfaction n’est que ralentie), elles perdent peu à peu leurs couleurs et se délitent.
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
N°10 – AVRIL-MAI-JUIN 2008
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AVN : Certains oncologues s’interrogent
à propos des quatre cycles de TC.
Est-ce suffisant?
Stephen Jones : Nous avons opté pour le
docétaxel car il s’agit d’un taxane puissant.
Des études comparant le docétaxel avec
d’autres taxanes suggèrent un effet puissant
et l’absence de cardiotoxicité. Cet effet est
certainement perceptible à une dose de
75mg/m2, comme celle que nous avons
utilisée ici. En outre, on observe une forte
synergie entre le docétaxel
et le cyclophosphamide.
Ces facteurs ont probablement contribué à la
plus grande efficacité que
nous avons observée de
TC par rapport à AC.
AVN: Avez-vous une idée
de la cardiotoxicité observée dans les deux
bras de l’étude ?
Month
Damien Hirst
The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, 1991
Tiger shark, glass, steel, 5% formaldehyde solution
213 x 518 x 213 cm
même en faveur du bras TC. Les résultats
en terme de survie globale étaient également statistiquement significatifs en faveur
du bras TC.
Stephen Jones: Dans l’étude initiale après
cinq ans de suivi, la survie sans rechute
était statistiquement significative en faveur
du bras TC. Dans la dernière analyse après
sept ans de suivi, nous avons examiné les
sous-groupes sur base de l’âge, de l’expression ou non des récepteurs ER-/PR-,
ER+ ou PR+ et des tumeurs ganglions positifs ou ganglions négatifs. Dans tous ces
sous-groupes, le bras TC montrait une tendance avantageuse par rapport au bras AC.
Nous avons également comparé les patientes HER2-positives et HER2-négatives et
avons constaté que le bénéfice était le
Stephen Jones : Dans
l’étude initiale, après cinq
ans de suivi, une patiente
est décédée des suites
d’une insuffisance cardiaque dans le groupe
AC, et aucune dans le groupe TC. Dans
l’analyse complémentaire, après sept ans
de suivi, on notait trois décès dans le bras
traité par anthracyclines (AC), lesquels
étaient dus à une insuffisance cardiaque,
une myélofibrose et un syndrome myélodysplasique. On n’observait pas de décès
supplémentaires d’origine toxique dans le
bras TC, dans l’analyse après sept ans.
AVN : Que pensez-vous de l’utilisation
générale d’anthracyclines dans le contexte adjuvant, tenant compte de vos observations et de celles de Dennis Slamon,
communiquées en 2006 ?
Stephen Jones: Les constatations de notre
étude ont une signification fondamentale.
Pour nombre de patientes, il est à présent
possible d’éviter les risques liés aux anthracyclines.
L’étude de Dennis Slamon sur le schéma
TCH (docétaxel + carboplatine + trastuzumab), fournit des preuves supplémentaires
indiquant que la topo-isomérase IIa (topo
IIa), la cible des anthracyclines, n’est pour
ainsi dire active que dans environ un tiers
de la population HER2-positive.
De ce fait, nous disposons à présent de deux
schémas thérapeutiques efficaces n’utilisant
pas d’anthracyclines (TCH et TC), et qui
mettent en doute la nécessité présumée
des anthracyclines dans le traitement adjuvant du cancer du sein chez la majorité des
patientes.
AVN : Comment utilisez-vous le schéma
TC en dehors d’une étude clinique?
Quelles patientes reçoivent le schéma
TC en pratique quotidienne?
Stephen Jones: Depuis 2005, nous faisons
systématiquement une distinction sur la
base de l’état HER2 lors du traitement du
cancer du sein invasif. Pour les patientes
HER2-négatives, cette étude fournit des
preuves de niveau 1.
Le schéma TC peut être utilisé chez des
patientes qui n’ont pas besoin de six mois
de chimiothérapie adjuvante. Il trouve également sa place chez les patientes pour
lesquelles le schéma AC était un choix
logique : les patientes à risque modéré
n’ayant pas d’envahissement ganglionnaire
ou les patientes à faible risque, présentant
1 à 3 ganglions envahis (surtout les tumeurs
ER-positives). En outre, il constitue également une option pour les patientes souffrant d’une cardiopathie ou celles qui ont
déjà reçu auparavant une anthracycline. De
la sorte, on évite la cardiotoxicité.
Alex Van Nieuwenhove.
publié dans le magazine ONCO 2/1
SANOFI-AVENTIS - 2007. ABSTRACT 12.
Références
1. Jones SE, Savin MA, Ann Holmes F et al. J
Clin Oncol 2006; 24(34): 5381-7.
2. Jones SE, Holmes FA, O’Shaughnessy JA et
al. San Antonio Breast Cancer Symposium.
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