Le malheur est une espèce de talisman1 dont la vertu consiste à corroborer2 notre constitution primitive : il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent. L’infortune avait rendu le colonel encore plus secourable et meilleur qu’il ne l’avait été, il pouvait donc s’initier au secret des souffrances féminines qui sont inconnues à la plupart des hommes. Néanmoins, malgré son peu de défiance, il ne put s’empêcher de dire à sa femme : « Vous étiez donc bien sûre de m’emmener ici ? - Oui, répondit-elle, si je trouvais le colonel Chabert dans le plaideur3 ». L’air de vérité qu’elle sut mettre dans cette réponse dissipa les légers soupçons que le colonel eut honte d’avoir conçus. Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. Par de tendres soins et par sa constante douceur elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées, se faire pardonner les malheurs que, suivant ses aveux, elle avait innocemment causés ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sorte de mélancolie, les charmes auxquels elle le savait faible ; car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ; elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet homme, mais certes elle voulait l’anéantir socialement. Le soir du troisième jour elle sentit que, malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l’aise, elle monta chez elle, s’assit à son secrétaire4, déposa le masque de tranquillité qu’elle conservait devant le comte Chabert, comme une actrice qui, rentrant fatiguée dans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte et laisse dans la salle une image d’elle-même à laquelle elle ne ressemble plus. Elle se mit à finir une lettre commencée qu’elle écrivait à Delbecq, à qui elle disait d’aller, en son nom, demander chez Derville communication des actes qui concernaient le colonel Chabert, de les copier et de venir aussitôt la trouver à Groslay. A peine avait-elle achevé, qu’elle entendit dans le corridor5 le bruit des pas du colonel, qui, tout inquiet, venait la retrouver. « Hélas ! dit-elle à haute voix, je voudrais être morte ! Ma situation est intolérable... - Eh ! bien, qu’avez-vous donc ? demanda le bonhomme. - Rien, rien », dit-elle. Elle se leva, laissa le colonel et descendit pour parler sans témoin à sa femme de chambre, qu’elle fit partir pour Paris, en lui recommandant de remettre ellemême à Delbecq la lettre qu’elle venait d’écrire, et de la lui rapporter aussitôt qu’il l’aurait lue. Puis la comtesse alla s’asseoir sur un banc où elle était assez en vue pour que le colonel vînt l’y trouver aussitôt qu’il le voudrait. Le colonel, qui déjà cherchait sa femme, accourut et s’assit près d’elle. « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? » Honoré de Balzac, Le colonel Chabert (1832). 1 2 3 4 5 Un talisman est un objet magique. Corroborer : appuyer, confirmer quelque chose. Plaideur : celui qui plaide, qui est en procès. Secrétaire : bureau sur lequel on écrit. Corridor : couloir. Le malheur est une espèce de talisman6 dont la vertu consiste à corroborer7 notre constitution primitive : il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent. L’infortune avait rendu le colonel encore plus secourable et meilleur qu’il ne l’avait été, il pouvait donc s’initier au secret des souffrances féminines qui sont inconnues à la plupart des hommes. Néanmoins, malgré son peu de défiance, il ne put s’empêcher de dire à sa femme : « Vous étiez donc bien sûre de m’emmener ici ? - Oui, répondit-elle, si je trouvais le colonel Chabert dans le plaideur8 ». L’air de vérité qu’elle sut mettre dans cette réponse dissipa les légers soupçons que le colonel eut honte d’avoir conçus. Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. Par de tendres soins et par sa constante douceur elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées, se faire pardonner les malheurs que, suivant ses aveux, elle avait innocemment causés ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sorte de mélancolie, les charmes auxquels elle le savait faible ; car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ; elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet homme, mais certes elle voulait l’anéantir socialement. Le soir du troisième jour elle sentit que, malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l’aise, elle monta chez elle, s’assit à son secrétaire9, déposa le masque de tranquillité qu’elle conservait devant le comte Chabert, comme une actrice qui, rentrant fatiguée dans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte et laisse dans la salle une image d’elle-même à laquelle elle ne ressemble plus. Elle se mit à finir une lettre commencée qu’elle écrivait à Delbecq, à qui elle disait d’aller, en son nom, demander chez Derville communication des actes qui concernaient le colonel Chabert, de les copier et de venir aussitôt la trouver à Groslay. A peine avait-elle achevé, qu’elle entendit dans le corridor10 le bruit des pas du colonel, qui, tout inquiet, venait la retrouver. « Hélas ! dit-elle à haute voix, je voudrais être morte ! Ma situation est intolérable... - Eh ! bien, qu’avez-vous donc ? demanda le bonhomme. - Rien, rien », dit-elle. Elle se leva, laissa le colonel et descendit pour parler sans témoin à sa femme de chambre, qu’elle fit partir pour Paris, en lui recommandant de remettre ellemême à Delbecq la lettre qu’elle venait d’écrire, et de la lui rapporter aussitôt qu’il l’aurait lue. Puis la comtesse alla s’asseoir sur un banc où elle était assez en vue pour que le colonel vînt l’y trouver aussitôt qu’il le voudrait. Le colonel, qui déjà cherchait sa femme, accourut et s’assit près d’elle. « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? » Honoré de Balzac, Le colonel Chabert (1832). 6 7 8 9 10 Un talisman est un objet magique. Corroborer : appuyer, confirmer quelque chose. Plaideur : celui qui plaide, qui est en procès. Secrétaire : bureau sur lequel on écrit. Corridor : couloir. OUTILS D'ANALYSE Le malheur est une espèce de talisman Métaphore : le malheur rend les personnes gentilles encore plus gentilles (c'est le cas du CC) Le malheur est une espèce de talisman dont la vertu consiste à corroborer notre constitution primitive : il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent. Présent de vérité générale : la première phrase est une vérité (projet de La Comédie humaine) notre constitution primitive / car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas Article possessif « notre » et pronom personnel « nous » : il fait appel au lecteur, qui est pris à témoin. Ce que vit le CC, nous pourrions tous le vivre. Le malheur est une espèce de talisman dont la vertu consiste à corroborer notre constitution primitive : il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent. suivant ses aveux= d'après ce qu'elle dit car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ; Interventions directes du narrateur : il intervient 3 fois. La seconde est la plus intéressante : il ne croit pas la comtesse, il ironise. il ne put s’empêcher de dire à sa femme / Le colonel, qui déjà cherchait sa femme, accourut et s’assit près d’elle. / « Rosine, lui dit-il, qu’avezvous ? » Termes désignant Mme Ferraud (vue par le colonel Chabert) : il la considère toujours comme sa femme, il a un lien affectif. On ne trouve qu'une fois l'expression « son premier mari » : quand elle est tendre avec lui (sinon, nous trouvons « cet homme »). L’air de vérité / semblait / une sorte de mélancolie à haute voix / assez en vue (indications de manière) Champ lexical des apparences : la comtesse joue un jeu quand elle est en présence du colonel. Elle se débrouille pour qu'il la voie et qu'il l'entende. elle admirable /tendres soins /constante douceur/charmes Pronom personnel « elle » : elle agit, elle monopolise l'attention... Alors que le CC devient complément dans les phrases : « il » devient « lui », « le ». Champ lexical de la gentillesse : elle fait croire qu'elle est tendre. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne Point de vue interne : le narrateur connaît les savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet pensées de la comtesse. Cela révolte le lecteur, homme, mais certes elle voulait l’anéantir qui enses saitefforts, plus que le CC. Ce cacher n'est que socialement. Le soir du troisième jour elle sentit que, malgré elle ne pouvait les plus tard dans le roman que celui-ci saura qu'elle le inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l’aise, manipulait. elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées, elle voulait l’intéresser à sa situation, elle voulait l’anéantir socialement. Répétition du verbe « vouloir » : elle ne pense qu'à elle. Egoïsme. elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet homme Compléments circonstanciels de but : on comprend pourquoi elle agit, quel est son mobile (elle est sans pitié). elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet homme, mais certes elle voulait l’anéantir socialement. Gradation + verbes à l'infinitif + champ lexical de la violence : rien ne l'arrête, elle veut détruire le CC, le tuer une deuxième fois. manœuvres Terme militaire / terme qui a une connotation militaire : elle se comporte comme un officier face à l'ennemi. Pas de pitié. déposa le masque de tranquillité qu’elle conservait devant le comte Chabert Métaphore : quand elle se retrouve toute seule, elle montre son vrai visage. comme une actrice qui, rentrant fatiguée dans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte et laisse dans la salle une image d’ellemême à laquelle elle ne ressemble plus. Comparaison : paraître gentille devant le CC est quelque chose de très difficile pour elle, car elle le déteste. Elle se mit à finir une lettre commencée qu’elle écrivait à Delbecq, à qui elle disait d’aller, en son nom, demander chez Derville communication des actes qui concernaient le colonel Chabert, de les copier et de venir aussitôt la trouver à Groslay. / Elle se leva, laissa le colonel et descendit pour parler sans témoin à sa femme de chambre, qu’elle fit partir pour Paris, en lui recommandant de remettre elle-même à Delbecq la lettre qu’elle venait d’écrire, et de la lui rapporter aussitôt qu’il l’aurait lue. Verbes d'action au passé simple : quand le CC a le dos tourné, elle agit, elle écrit une lettre pour obtenir ce qu'elle veut. Son vrai visage apparaît dans ces moments-là. « Hélas ! dit-elle à haute voix, je voudrais être morte ! Ma situation est intolérable... Exclamations + hyperboles : elle se plaint pour apitoyer le CC. La phrase est la plus cruelle du texte : il est le plus à plaindre (il voudrait être vivant). - Eh ! bien, qu’avez-vous donc ? Questions + prénom + GN « le bonhomme » : le CC est gentil. Le narrateur a de la sympathie demanda le bonhomme. pour lui. « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? » INTRODUCTION. En 1832, Balzac publie Le Colonel Chabert, récit qui met en scène un ancien soldat de Napoléon qu’on croit mort et qui tente de retrouver son identité, sa femme et ses biens. Le séjour du colonel Chabert à Groslay est un piège dans lequel la comtesse Ferraud veut faire tomber son premier mari pour qu’il cesse de se battre pour retrouver son nom et exiger qu’elle lui verse de l’argent. En sortant de chez l’avoué Derville, elle l’entraîne dans son coupé, sans lui donner d’explications, et le conduit chez elle, à la campagne. Elle est donc dans son domaine alors que le colonel est en terrain inconnu. Pendant quelques jours, elle déploie ses talents de comédienne pour arriver à ses fins. Nous allons étudier l’extrait dans lequel le narrateur décrit les manigances de la comtesse en nous demandant comment la comtesse piège si facilement le pauvre colonel. Nous verrons tout d’abord qu’elle est une actrice de talent et une séductrice puis nous montrerons qu’elle est cruelle. AXE 1 : Une actrice de talent 1. Un air de vérité 2. Une séductrice 3. Une manipulatrice AXE 2 : Une femme cruelle 1. Une volonté inébranlable 2. Le colonel est faible et tendre 3. Une stratégie militaire déloyale CONCLUSION. La comtesse, femme déterminée et égoïste, joue le jeu de la tendresse auprès de son premier mari pour mieux l’anéantir. Les artif ices qu’elle déploie auprès de lui montrent qu’elle est une actrice redoutable et déloyale. Il est évident que le pauvre colonel, honteux de sa méfiance envers elle, va tomber dans son piège. Ouvertures : Cette image que Balzac donne de la comtesse est représentative des Parisiennes de la Restauration et de leur obsession pour l’argent. Ou : à la fin, elle réussit, puique le colonel Chabert ne devient qu'un prénom, puis un numéro : le 164. ou : Derville conclut le roman en parlant au nom de l'auteur et en dénonçant les horreurs que l'on peut commettre pour l'argent. Plan rédigé : I. Une actrice de talent 1. Un air de vérité Le texte commence par l’expression « l’air de vérité ». L’air de vérité est l’air qu’adopte une actrice avant de rentrer en scène pour rendre son personnage « vrai » aux yeux des spectateurs. Or, à la fin du texte, le narrateur emploie la comparaison de l’actrice pour dépeindre la comtesse qui dépose son « masque de tranquillité (…) et laisse dans la salle une image d’elle-même à laquelle elle ne ressemble plus ». Dès qu’elle ne joue plus de rôle, la comtesse redevient ce qu’elle est au fond d’elle-même, une intrigante. En effet, jouer un rôle n’a qu’un temps, le temps de la représentation. En coulisse, l’actrice redevient elle-même. Parce que toutes ses « manœuvres » ne vont pas sans inquiétude ni fatigue, elle a besoin de « se trouver un moment à l’aise » pour déposer « le masque de tranquillité qu’elle conservait devant le comte Chabert ». La métaphore théâtrale, « déposer le masque » et la comparaison « comme une actrice » font écho au rôle qu’elle joue auprès de son premier mari. Son rôle d’actrice lui pèse, parce qu’elle ne « ressemble » pas au personnage patient et dévoué qu’elle joue. 2. Une séductrice Dans le deuxième paragraphe, les termes employés appartiennent au champ lexical de la séduction : « admirable », « tendres soins », « constante douceur » « effacer le souvenir des souffrances », « mélancolie », « déployer […] les charmes auxquels elle le savait faible ». Elle connaît son premier mari et sait qu’il est sensible à son charme. Le deuxième paragraphe baigne dans une atmosphère de calme et de douceur jusqu’au début de la troisième phrase, milieu et pivot du texte, qui tombe brutalement après toute cette délicatesse : « pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui ». C’est le propre de la séduction que de vouloir attirer quelqu’un à soi pour son propre bénéfice. La séduction est le contraire du don. Le verbe à l’infinitif « s’emparer, synonyme de « voler », est particulièrement agressif. Les deux infinitifs « s’emparer et disposer » appartiennent à deux propositions circonstancielles de but coordonnées ; la comtesse a pour seul objectif de dominer son premier mari. L’adverbe « souverainement », qui signif ie ici « totalement », renforce le verbe « disposer » qui s’utilise pour des objets et non pas pour des êtres humains. Elle ne pense qu’à son intérêt personnel et n’a aucune considération pour lui. Elle n’hésite pas à mentir puisque le narrateur intervient pour rétablir la vérité dans les propos de la comtesse : « suivant ses aveux ». Le narrateur intervient encore dans cette première partie du texte en dégageant, au présent de vérité générale, une sorte de maxime universelle : « car nous sommes accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ». La comtesse sait donc parfaitement ce qu’elle fait. Elle déploie tout son charme et son talent d’actrice pour dominer son premier mari qui ne perçoit pas sa comédie. Ainsi, cette femme mobilise toutes ses forces pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé : faire disparaître le colonel Chabert. Cela lui est d’autant plus facile que le colonel n’oppose aucune résistance à ses charmes. 3. Une manipulatrice Le présent de vérité générale et le pronom personnel « nous » indiquent que le narrateur intervient à deux reprises pour que le lecteur en sache plus que le colonel en expliquant : « Le malheur est une espèce de talisman dont la vertu consiste à corroborer notre constitution primitive : il augmente la dé ance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent.» et « car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ». La première phrase du texte constitue une sorte d’introduction à notre texte et prépare le lecteur à n’éprouver aucune sympathie envers cette comédienne. Toujours à la première ligne de l’extrait, nous lisons que cet air de vérité dissipe les « légers soupçons que le colonel eut honte d’avoir conçus », « soupçons » qui sont les échos du passage précédant le séjour à Groslay. Tous les verbes qui suivent, hormis l’intrusion du narrateur qui dit « nous », ont la comtesse pour sujet : «Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. (...) elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées (…) ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sorte de mélancolie... » . C’est elle qui mène entièrement le jeu, comme un personnage principal au théâtre. II. Une femme cruelle 1. Une volonté inébranlable Après le champ lexical de la douceur et de tendresse de la première partie, nous lisons maintenant le champ lexical de la violence : « Décidée à tout pour arriver à ses fins », « elle voulait l’anéantir socialement ». Étymologiquement, « anéantir » signif ie réduire à néant, à rien, le verbe employé a donc un sens très fort. L’adverbe « socialement » indique qu’elle veut refuser au colonel Chabert le droit d’exister dans la société. Or, la première façon d’exister dans la société est d’y avoir un nom. Nous retrouvons cette identité que le colonel cherche à prouver par tous les moyens légaux et que sa femme va lui dénier. Il suffit qu’elle reconnaisse que l’homme en sa présence est bien le colonel Chabert pour lui redonner son identité perdue. Mais cette reconnaissance la met en danger : danger de perdre son mari et éventuellement ses enfants. 2. Le colonel est faible et tendre Nous avons vu que presque tous les verbes de ce texte ont la comtesse pour sujet. Le colonel n’est qu’objet ici, objet direct ou indirect. Il est rarement sujet de la phrase : les seules fois où le colonel est sujet, il l’est du verbe « avoir honte » (« le colonel eut honte ») ou quand il se coucie d'elle (« Le colonel, qui déjà cherchait sa femme, accourut et s’assit près d’elle »). Il n’oppose donc aucune volonté à celle de son exfemme. Il est nommé à la troisième ligne « le colonel » puis « premier mari » lorsque la comtesse fait semblant de s’intéresser à lui. Ensuite, il n’est plus que le pronom personnel « il » ou « lui » et « le ». Il devient « cet homme » lorsque la comtesse veut s’en débarrasser, et enfin « le comte Chabert », lorsqu’elle joue la comédie de l’épouse repentie devant lui. Il n’existe dans ce passage que comme sujet d’un verbe exprimant une position de faiblesse ou comme objet dont la comtesse va « disposer » à sa guise. Le colonel Chabert se montre tendre, attentionné avec sa femme, comme le montrent les répliques au discours direct, à la fin de l'extrait : « Eh ! bien, qu’avez-vous donc ? demanda le bonhomme. », « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? ». Il lui pose une question, l'appelle par son prénom. Le narrateur utilise, à ce momentlà du texte, l'expression « le bonhomme » pour le désigner. 3. Une stratégie militaire déloyale L’épouse du comte Ferraud joue parfaitement son rôle pendant trois jours ; mais « au soir du troisième jour », elle s’inquiète tout de même : « Malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres ». Nous quittons le champ lexical du théâtre pour trouver celui de la stratégie militaire, avec le mot « manœuvres ». Il s’agit bien d’une stratégie puisqu’elle s’assied « à son secrétaire » pour mettre au point l’attaque finale contre le colonel, inconscient de ses manigances. Tout en lui parlant, elle agit, comme le montrent les nombreux verbes d'actions au passé simple : « Elle se mit à n ir une lettre commencée qu’elle écrivait à Delbecq », «Elle se leva, laissa le colonel et descendit pour parler sans témoin à sa femme de chambre, qu’elle t partir pour Paris». Nous savons qu’elle va écrire une lettre à Delbecq, lui demandant de copier les actes concernant le colonel chez Derville. Elle ne peut pas gagner la bataille toute seule contre le vétéran de la bataille d’Eylau, parce que sa stratégie n’est pas loyale, elle a besoin d’un masque et d’une aide.