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«SaintFiacre,dit-on,étaitfortàl’étroitdanssasolitude;
en sorte que dans certains temps où les hôtes lui
survenaientenplusgrandnombrequedecoutume,ilne
pouvaitnilesnourrir,nileslogertous.SaintFaron,àquiil
tpartdesapeine,luiaccordadanslaforêtvoisinetout
leterrainqu’ilpourraitdéfricheretenvironnerd’unfossé
envingt-quatreheures.Surcetteparolelesaintpart:il
tracesurlaterreavecsabêchel’enceintequ’ilsepropose
dejoindreàsonermitage;àmesurequ’il avance,les
arbrestombentdepartetd’autreetlefossésecreuse
delui-même.Ilyavaitlàparhasardunefemmeàqui
lemenupeupleadonnélenomde«Becnaude»,mot
injurieuxquiestencoreenusagedansquelquesprovinces
deFrance.Etonnéedeceprodigedontelleneconnaissait
paslacause,ellechargealesaintd’opprobresetcourut
l’accuserdemagieetdesortilègedevantsaintFaronqui
retournaitàMeaux.Lesaintévêquerevientaussitôtsur
sespas.Fiacre,livréàlatristesse,abandonnel’ouvrage
ets’assiedsurunepierrequisetrouvaitauprèsdelui;la
pierres’amollitcommelacireetreçoitl’empreintedeson
corps.Cesecondmiracle,auquelilnes’attendaitpaslui-
même,faitéclatersoninnocence;saintFaronenglorie
leSeigneur;etl’injusteaccusatriceestconfondue.»
La vie de saint Fiacre
Saint Fiacre est l’un de ces nombreux moines irlandais qui, au VIIe
siècle, vinrent fonder des ermitages sur le continent. L’évêque
de Meaux, saint Faron, lui donna un terrain pour s’établir dans la
région : c’est l’origine du prieuré de Saint-Fiacre-en-Brie, où ses
reliques ont suscité un important pèlerinage. Il était notamment
considéré comme le patron des jardiniers, et on le voit souvent
représenté sa bêche à la main.
L’épisode de la Becnaude et de la pierre miraculeuse était très
célèbre, mais à partir de la n du XVIIe siècle, on commença à le
trouver peu décent. Bossuet, par exemple, était réticent à le voir
évoquer dans la vie du saint que préparait alors Dom Mabillon :
« Il faudroit un peu adoucir l’endroit de la Becnaude (…) et en
supprimer le nom, qui n’est pas assez sérieux pour être imprimé.
La raison voudroit qu’on ne parlât point de la pierre : mais il
y a là comme une instruction à la modestie, il faut seulement
adoucir l’endroit avec des « on dit, on croit communément sur
le témoignage de quelques auteurs assez anciens » et ainsi du
reste ».
Le vitrail exécuté en 1927-1928 pour orner la chapelle Saint-
Fiacre de la cathédrale constitue l’aboutissement de ce rejet de
la tradition médiévale, désormais jugée trop naïve et trop crue.
Il nous montre bien la vie du saint, embarqué dans un navire
puis accueilli par saint Faron qui lui permet de fonder son ermi-
tage. Mais la Becnaude et la pierre amollie ont été évacuées de
l’histoire…
Pour en savoir plus sur le culte de saint Fiacre, voir choix de
textes n°2 « usages et rituels » et n° 3 « les évêques de
Meaux au Moyen Âge ».
Dom Toussaints du Plessis, Histoire de l’église de Meaux, 1731, livre I, p. 55.
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