Choix de textes n°6 Du texte à l’image. Le christianisme est une religion du Livre (byblos, «le livre» en grec a donné le mot «Bible») : les scènes figurées sur les murs et les fenêtres d’une cathédrale puisent leur signification dans les textes bibliques ou hagiographiques et dans leurs commentaires. Au Moyen Âge, les œuvres d’art qui ornaient les églises (sculptures, peintures, vitraux, tapisseries) étaient un moyen d’expliquer aux fidèles (en grande partie illettrés et, pour les laïcs, ignorant généralement le latin) les notions véhiculées par ces textes que seuls les clercs pouvaient connaître. Mais il ne faut pas oublier que ce message figuré s’accompagnait d’un discours. Les sermons permettaient d’exposer aux chrétiens la doctrine de l’Eglise, en l’émaillant d’images et d’exemples. La parole relaie donc, à chaque célébration, le texte. C’est dans cette tradition que s’inscrivent les grandes envolées oratoires de Bossuet, « l’aigle de Meaux », qui malgré ses obligations à la cour eut à cœur de haranguer régulièrement les fidèles de son diocèse. Cette sélection d’extraits prend donc le parti de faire dialoguer une œuvre présente dans la cathédrale de Meaux, et un texte qui peut en être rapproché. On pourra ainsi faire travailler les élèves sur le rapport entre un écrit et sa « concrétisation » dans le monde sensible. Le Jugement Dernier « Alors je vis un grand trône blanc et celui qui y siégeait : devant sa face la terre et le ciel s’enfuirent sans laisser de traces. Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône, et des livres furent ouverts. Un autre livre fut ouvert : le livre de vie, et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans les livres. La mer rendit ses morts, la mort et l’Hadès rendirent leurs morts, et chacun fut jugé selon ses œuvres. Alors la mort et l’Hadès furent précipités dans l’étang de feu. L’étang de feu, voilà la seconde mort ! Et quiconque ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de vie fut précipité dans l’étang de feu. » Cet extrait de l’Apocalypse n’est que partiellement illustré par le portail sculpté de Meaux, qui puise à plusieurs autres sources. Les représentations du Jugement dernier que l’on trouve au portail de la plupart des grandes cathédrales gothiques sont en effet la synthèse iconographique de plusieurs textes, et ce sont en définitive les notions de Pardon et de Rédemption qui y sont le plus développées, nuançant le risque de finir dans « l’étang de feu », puisque l’âme du pécheur peut être rachetée). L’Enfer est cependant présent, mais il n’occupe ici que le coin inférieur droit du tympan. Quant au jugement des âmes d’après leurs œuvres (c’est-à-dire leurs actions, bonnes ou mauvaises) inscrites dans un livre, il est rarement représenté de façon littérale, mais il est souvent transposé dans le thème de la « pesée des âmes » par saint Michel. Le tympan de Meaux, lui, passe totalement sous silence cet épisode du Jugement Dernier. Pour en savoir plus, voir visite n°2 : « le portail du Jugement Dernier ». 1 www.iledefrance.fr/patrimoines-et-inventaire Apocalypse, chapitre 20 « Plein de grâce et de puissance, Étienne opérait des prodiges et des signes remarquables parmi le peuple. Mais, sur ces entrefaites, des gens de la synagogue dite des Affranchis, avec des Cyrénéens et des Alexandrins, des gens de Cilicie et d’Asie, entrèrent en discussion avec Étienne et, comme ils étaient incapables de s’opposer à la sagesse et à l’Esprit qui marquaient ses paroles, ils subornèrent des gens pour dire : « Nous l’avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu. » Ils ameutèrent le peuple, les anciens et les scribes, se saisirent d’Étienne à l’improviste et le conduisirent au Sanhédrin. » Étienne parle devant le Sanhédrin. « Ces paroles les exaspérèrent et ils grinçaient des dents contre Étienne. Mais lui, rempli d’Esprit saint, fixait le Ciel : il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. « Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles. Puis, tous ensemble, ils se jetèrent sur lui, l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient posé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul.Tandis qu’ils le lapidaient, Étienne prononça cette invocation : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et sur ces mots il mourut ». Actes des Apôtres, chapitres 6-7 Le tympan sculpté sur le portail du bras sud du transept illustre fidèlement les différents épisodes des Actes des Apôtres, tout comme son modèle à Notre-Dame de Paris. Seule la vision céleste donnée au saint pendant sa comparution devant le Sanhédrin n’est pas représentée. En revanche, on reconnaît dans la scène de la lapidation (2e registre, à gauche) un personnage assis sur le côté, pour garder les vêtements des bourreaux : c’est le jeune Saul, appelé à se convertir plus tard et à devenir saint Paul. L’ensemble du tympan est centré sur le martyre de saint Etienne et n’évoque ni les épisodes précédents (son choix comme diacre par les apôtres) ni les miracles qui ont suivi sa mort, tels que les rapporte saint Augustin dans la Cité de Dieu (repris par la Légende dorée de Jacques de Voragine). - Cilicie : région de l’actuel sud de la Turquie. - Sanhédrin : conseil suprême du judaïsme, siégeant à Jérusalem. Pour travailler sur ce tympan sculpté avec les élèves, voir activité n°3 : « comparer deux cathédrales ». 2 www.iledefrance.fr/patrimoines-et-inventaire La mort de saint Étienne La vie de saint Fiacre « Saint Fiacre, dit-on, était fort à l’étroit dans sa solitude ; en sorte que dans certains temps où les hôtes lui survenaient en plus grand nombre que de coutume, il ne pouvait ni les nourrir, ni les loger tous. Saint Faron, à qui il fit part de sa peine, lui accorda dans la forêt voisine tout le terrain qu’il pourrait défricher et environner d’un fossé en vingt-quatre heures. Sur cette parole le saint part : il trace sur la terre avec sa bêche l’enceinte qu’il se propose de joindre à son ermitage ; à mesure qu’il avance, les arbres tombent de part et d’autre et le fossé se creuse de lui-même. Il y avait là par hasard une femme à qui le menu peuple a donné le nom de « Becnaude », mot injurieux qui est encore en usage dans quelques provinces de France. Etonnée de ce prodige dont elle ne connaissait pas la cause, elle chargea le saint d’opprobres et courut l’accuser de magie et de sortilège devant saint Faron qui retournait à Meaux. Le saint évêque revient aussitôt sur ses pas. Fiacre, livré à la tristesse, abandonne l’ouvrage et s’assied sur une pierre qui se trouvait auprès de lui ; la pierre s’amollit comme la cire et reçoit l’empreinte de son corps. Ce second miracle, auquel il ne s’attendait pas luimême, fait éclater son innocence ; saint Faron en glorifie le Seigneur ; et l’injuste accusatrice est confondue. » Saint Fiacre est l’un de ces nombreux moines irlandais qui, au VIIe siècle, vinrent fonder des ermitages sur le continent. L’évêque de Meaux, saint Faron, lui donna un terrain pour s’établir dans la région : c’est l’origine du prieuré de Saint-Fiacre-en-Brie, où ses reliques ont suscité un important pèlerinage. Il était notamment considéré comme le patron des jardiniers, et on le voit souvent représenté sa bêche à la main. L’épisode de la Becnaude et de la pierre miraculeuse était très célèbre, mais à partir de la fin du XVIIe siècle, on commença à le trouver peu décent. Bossuet, par exemple, était réticent à le voir évoquer dans la vie du saint que préparait alors Dom Mabillon : « Il faudroit un peu adoucir l’endroit de la Becnaude (…) et en supprimer le nom, qui n’est pas assez sérieux pour être imprimé. La raison voudroit qu’on ne parlât point de la pierre : mais il y a là comme une instruction à la modestie, il faut seulement adoucir l’endroit avec des « on dit, on croit communément sur le témoignage de quelques auteurs assez anciens » et ainsi du reste ». Le vitrail exécuté en 1927-1928 pour orner la chapelle SaintFiacre de la cathédrale constitue l’aboutissement de ce rejet de la tradition médiévale, désormais jugée trop naïve et trop crue. Il nous montre bien la vie du saint, embarqué dans un navire puis accueilli par saint Faron qui lui permet de fonder son ermitage. Mais la Becnaude et la pierre amollie ont été évacuées de l’histoire… Pour en savoir plus sur le culte de saint Fiacre, voir choix de textes n°2 « usages et rituels » et n° 3 « les évêques de Meaux au Moyen Âge ». 3 www.iledefrance.fr/patrimoines-et-inventaire Dom Toussaints du Plessis, Histoire de l’église de Meaux, 1731, livre I, p. 55. Une oraison de Bossuet « Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse ; partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, tout la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement. » Impossible de parler de la cathédrale de Meaux sans évoquer la figure tutélaire de Bossuet, qui y fut évêque de 1681 à sa mort en 1704. Ce prélat était particulièrement réputé pour son éloquence, qu’il déployait aussi bien devant la cour que dans son diocèse. Plusieurs témoignages contemporains rapportent la forte impression qu’il faisait en chaire, où il prêchait volontiers « cinq grands quarts d’heure », en s’appuyant sur des extraits de l’Écriture sainte. Nous n’avons pas conservé les sermons qu’il fit à Meaux ; mais on connaît ses discours les plus célèbres, qui ont été prononcés pour le roi et la cour. L’extrait ci-dessus, tiré de l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, montre la force de son art oratoire. Bien que la chaire de la cathédrale ait été remaniée au XIXe siècle, elle comporte toujours la cuve du XVIIe siècle dans laquelle Bossuet a dû s’installer pour haranguer ses ouailles. www.iledefrance.fr/patrimoines-et-inventaire Pour travailler sur Bossuet avec les élèves, voir activité n°10, « Autour de Bossuet». 4