V Bossuet, Chateaubriand, mes amis, réveillez-les ! TRIBUNE

TRIBUNE
6 | La Lettre du Rhumatologue No 362 - mai 2010
Bossuet, Chateaubriand, mes amis,
réveillez-les !
R. Trèves*
V
oilà que cela me reprend, et cela me
prend souvent, comme une manie,
une marotte, presque une obses-
sion, tel un écorché auditivement vif : les
tics du langage en général, et en médecine
en particulier.
Je m’étais commis déjà par le passé à étaler
sans honte des mots malins ou des expres-
sions honnies, sans que cela ait suscité de
reparties pleines de probation, mais plutôt
des soutiens amusés, voire complices.
Je vous livre pêle-mêle des mots et abus
langagiers ; certains sont déjà connus et
d’autres passeraient presque inaperçus :
“au jour d’aujourd’hui”, c’est assez
moche, convenez-en, et surtout totalement
impropre ;
impacter (c’est assez pédant), c’est
comme quid” ;
slides (hum, je ne vais pas réveiller
Shakespeare pour si peu !) ;
forwarder (et ça continue) ;
draft (là, ça s’aggrave) ;
le “pomponentendu : Je vous forwarde
les slides, en sachant que ce n’est qu’un
draft, c’est joli, assez coquet et plein de
belles sonorités ;
“j’ai envie de dire” ou bien “je voudrais
vous demander si” (c’est lourd, mais lourd
à un point !) ;
au niveau de… (répété à l’envi, cela fait
psittacisme !) ;
“bilanter”, corticothéraper” et “radio-
théraper” (oh, que de barbarismes !) ;
“habiter sur (cest très rien, ma foi ;
lisez plutôt Le Baron perché d’Italo Calvino,
c’est mieux) ;
“présente des douleurs” : quel manque
de discernement ! En général, on présente
un bilan ou quelqu’un à autrui… ;
“a bénéficié de…” (franchement, vous
trouvez que subir une ponction lombaire
douloureuse mérite le verbe bénéficier,
voire la très romantique expression “triturer
une calcification ?) ;
caucasien”Demandez-leur d’uti-
liser plutôt caucasoïde, sinon, que de
patients d’Abkhazie ou du Daguestan ou
de l’ Ossétie… ;
il y a des termes martiaux (je sais bien
que la médecine est un art, mais tout de
même…) comme “arme thérapeutique”,
ou bien “arsenal”;
il y a des termes sociétaux et ouvrié-
ristes comme “atelier, “outil”. Ah ! Que
de travailleurs manuels, j’en suis confondu ;
le dernier nouveau-né du genre,
c’est “lancer”, par exemple “lancer le
rituximab”, ou autre biothérapie, ou le
protocole, comme lancer une marque ou
un objet (pas mal !) ;
pour les muets, je conseille le spectacle
assez drôle du présentateur qui écarte un
peu les bras (genre “Haut les mains”) et
fait un petit geste avec l’index et le majeur
de chaque main pour signifier “entre guille-
mets”, singerie très anglo-saxonne, doigts
en crochets s’il vous plaît !
enfin, il y a des “pallier à”, des “pose
problème”, des “pose question”, j’aurais
voulu éviter d’en parler ou d’en reparler
mais, finalement, je ne peux me retenir !
Maintenant, cessez de me supporter, lisez
vos journaux et regardez des chaînes de
télévion : et vous serez bercés des mots
“juste génial”, “incontournable”, “c’est que
du bonheur, “culte”, “mythique”. Pointer
du doigt ces anomalies du langage, ces
barbarismes ou ces solécismes n’a rien
de méchant, mais je crains, que mes amis
Bossuet et Chateaubriand, parmi d’autres
émus, dépités en maugréant ne s’en retour-
nent dans leurs tombes !
* Service de rhumatologie, hôpital Dupuy-
tren, CHU de Limoges.
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