22-Reperes-octobre-2011:Mise en page 1 22/09/11 18:17 Page 208 Repères pliquer la loi à des situations nouvelles qui appellent un travail d’ajustement, mais il se voit souvent contraint d’inventer des réponses moins guidées par le droit que par l’éthique « descendue sur la place publique ». Que répondre à la personne qui, plongée dans la détresse par le divorce entre son sexe génétique et son sexe psychologique, réclame un changement d’état civil ? Quelle suite donner à la demande du jeune Perruche qui exige indemnisation de son handicap dont une juste appréciation de son état par le laboratoire chargé du diagnostic prénatal lui aurait épargné de supporter le poids ? Dans tous ces cas, on voit bien que le juge, privé de repères certains, n’a d’autre choix que de tâtonner en direction de la juste réponse. Et cette conjoncture qui se retrouve ailleurs fait bien ressortir l’allure inductive de jugements dans lesquels la conviction de la solution à donner précède la construction de l’argumentation juridique qui la justifiera. Comme l’écrit l’auteur, « les questions nouvelles que doit résoudre le juge révèlent les limites de notre modèle classique d’interprétation du droit » fondé, pour l’essentiel, sur le modèle du syllogisme déductif. Or, ce que confirme la pratique, c’est souvent la réalité d’un raisonnement inductif appuyé sur ce que Georges Gurvitch appelait le « droit intuitif ». En nul autre domaine ne se dévoile avec plus d’évidence la prise de risque que constitue l’acte de juger. Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que d’en convaincre par l’exploration de l’un des grands champs d’inventivité juridique. Karol Wojtyla PERSONNE ET ACTE Traduction par Gwendoline Jarczyk, avertissement, introduction et annotations de Aude Suramy Saint-Maur, Parole et silence, coll. « Collège des Bernardins », 2011, 358 p., 32 € Réédition un peu révisée d’une traduction parue dès 1983 au Centurion, Personne et acte est un essai philosophique publié en 1969 en polonais par le futur Jean-Paul II. Il y a une polémique (présentée dans l’avertissement) sur la traduction américaine de cet ouvrage, intitulée The Acting Person, sortie en 1979 et récusée par l’auteur, devenu pape depuis peu et ne reconnaissant pas son texte. La version française ici présentée a été traduite, semble-t-il, de l’allemand, considéré comme fidèle à la version approuvée par l’auteur. Quoi qu’il en soit, si Karol Wojtyla n’était pas devenu Jean-Paul II, on peut douter du destin de ce livre, « difficile » de lecture, assez lourd et redondant, sec, souvent apodictique et déductif. Mais peu d’acteurs politiques et religieux de cette envergure peuvent se targuer d’avoir écrit un tel livre, et il est donc intéressant de le connaître. Il frappe surtout par son insistance presque unilatérale sur l’acte ou l’action libre de la personne, dont on pourrait même penser qu’elle n’est rien sans sa manifestation dans l’acte. Dans l’acte se réalise ou se « déroule » pour ainsi dire la « transcendance » de la personne. Il serait naturellement exagéré de prétendre qu’on est dans l’existentialisme. Wojtyla n’est pas Sartre ; il raisonne toujours dans les catégories aristotéliciennes et thomistes, en leur donnant une inflexion existentielle, très dynamique. Pour des raisons qui m’échappent, l’introductrice veut trou- Jacques Le Goff 208