LA SEQUENCE VOCALIQUE –UI. QUELQUES ICONICITES ROMANES PARALLELES
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Le langage étant une dynamique, dans chacune de ces séquences c’est le
mouvement qu’il convient de voir, celui du passage du ă au i, du â au i, du u au i.
Nous nous associons à l’affirmation d’Alvaro Rocchetti dans sa communication à ce
colloque, suivant laquelle « les sons sont eux-mêmes le résultat de gestes articulatoires
et […] les mécanismes de la langue ne se fondent pas sur les sons émis, mais sur
les gestes que les organes de la phonation utilisent pour les produire »2.
Le suffixe –ui (disyllabique) est un suffixe populaire, anciennement très
productif (575 dérivés, dont 90 seulement font partie du standard actuel, selon
Vasiliu 19893) et par excellence dénominatif, c’est-à-dire qu’il agit sur une base
nominale pour en faire un verbe : sur mână (main) se forme a mânui (manier), sur
piatră (pierre) on obtient a pietrui (empierrer), sur lege (loi), a legiui (légiférer),
sur cerc (cercle) a încercui (encercler) sur preţ (prix) a preţui (priser, apprécier ou
appliquer un prix), sur palmă (paume) a pălmui (gifler) etc. L. Vasiliu4 classe les
valeurs sémantiques des verbes ainsi dérivés sous onze rubriques, au sens extrêmement
proche, ce qui la mène à la conclusion que « l’apport sémantique du suffixe –ui
n’est que celui de conférer au nom un contenu verbal »5. Cette conclusion recoupe
la constatation de Al. Graur (1962), qui découpe –ui en u et i, et pour lequel « le
seul rôle de u est celui de marquer que le verbe provient d’un substantif » (p. 159).
Cette conclusion, tirée par des chercheurs qui ne travaillent certainement pas dans
l’optique de la motivation du signe, me conforte dans l’idée que c’est le dynamisme du
parcours vocalique qui rend le mouvement caractéristique de l’image verbale.
Étant donné que la caractéristique essentielle du verbe est le temps et que
le temps se définit en termes de mouvement, ou de changement, il me semble plus
adapté d’utiliser ici la notion de parcours vocalique, qui n’est autre que celle de
hiérarchie, mais qui ajoute au sens de ‘hiérarchie’, notion assez statique, l’élément
‘mouvement’, indispensable.
En effet, quelle est la différence entre le nom et le verbe, et comment obtient-
on un verbe à partir d’un nom ? Pour qu’un vocable soit versé à l’univers temps, il
a besoin d’un mouvement intérieur, à la représentation initialement spatiale,
autrement dit il a besoin de « temps impliqué » ou, si l’on préfère, de « tension »,
suivant l’expression bien connue de Gustave Guillaume dans Temps et Verbe. Il me
semble qu’il y a là une grande similitude entre le plan du contenu et celui de la
forme : au mouvement intérieur (aspect, tension) sur le plan du contenu, correspond,
sur le plan de la forme, la traversée de l’entier du parcours vocalique, u → i.
Le suffixe verbal –ui présente une très nette préférence pour les bases
nominales, ainsi qu’il ressort d’études qui lui ont été consacrées. Nous voyons dans
ce suffixe l’augmentation du –i hérité, en vertu de l’existence de la hiérarchie et du
2 Cf. Rocchetti (1993), La langue, une gestuelle articulatoire perfectionnée ? et Saffi (2010), La
personne et son espace en italien.
3 Formarea cuvintelor în limba română. Sufixele. Derivarea verbală, p. 122.
4 Ibid., p. 119-120.
5 Cf., aussi Al. Graur (1962).