les relier, il a été pour Kant de les séparer les unes des autres, de
les isoler en leur spécificité. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Notons encore que ce travail d'isolation des facultés n'a rien de
gratuit : il rend seul possible la constitution d'une « topique trans-
cendantale », la reconduction des représentations à leur site origi-
nel [Erörterung] qui permet de savoir quel usage légitime est le
leur.
Au lieu de considérer les objets connus, la Critique considère les
facultés de connaissance. La Critique procède synthétiquement en
allant des facultés aux sciences qu'elles rendent possibles ; dans
les Prolégomènes, Kant procédera analytiquement, en allant des
sciences données aux facultés qui les rendent possibles : comment
la mathématique pure est-elle possible ? comment la physique
pure est-elle possible ? (cf. notamment, Prolégomènes, introduction
et § 4, p. 35-6 ; IV, 274-5). En fait, la méthode de la Critique est
mixte. — Le recours kantien à des facultés pour rendre compte des
sciences a été brocardé, par Nietzsche notamment, comme le type
même de l'explication verbale !
La Théorie des éléments de la Critique se trouve articulée à son
tour en une théorie de la réceptivité (sensibilité) [Esthétique] et une
théorie de la spontanéité de notre pouvoir de connaître (entendement
et raison) [Logique]. Une autre division est toutefois au travail dans
l'œuvre, et qui contrarie la première : une division entre une théorie
de la vérité (par collaboration de la sensibilité et de l'entendement)
et une théorie de l'illusion (avec le mésusage « constitutif » de la rai-
son). Une première articulation (celle mise en avant entre l'Esthéti-
que et la Logique transcendantales – fondée sur la division du pou-
voir de connaître en une réceptivité et une spontanéité – en cache
une autre, celle entre la partie analytique de la Critique consacrée à
la théorie des conditions de possibilité de l'expérience dont on
trouve le dispositif exposé dans l'Esthétique et l'Analytique trans-
cendantales (le pays de la vérité [das Land der Wahrheit – tout petit
pays : une île !]) et sa partie dialectique (l'océan de l'illusion [un
océan vaste et orageux, siège propre de l'illusion, cf. R 294]). Une
profonde division est à l'œuvre à l'intérieur de la Logique transcen-
dantale entre sa partie analytique et sa partie dialectique. A cet
égard, c'est alors la division entre une Analytique en un sens élargi
(incluant l'Esthétique) et une Dialectique qui est pertinente.