
La dimension philosophique de Sémiramis
AnnalSS 7, 2010
même. La définition de la philosophie est en effet extensive. Ce fait est
particulièrement sensible si l’on considère l’époque des Lumières:
Quand on traite de la «philosophie» du XVIII
e
siècle, il faut abattre les
cloisons que le positivisme du siècle suivant dressa entre métaphysique et
science. La «philosophie», et d’abord celle des Lettres philosophiques, est un
mélange de métaphysique, de science, d’attaques contre la religion et
d’audaces politiques. Et quand nous disons un mélange, nous restons
tributaires d’un mode de pensée qui était étranger aux «philosophes» du
XVII
e
siècle, l’unité de la « philosophie » leur apparaissant aussi essentielle
qu’à nous les distinctions entre les trois domaines métaphysiques,
scientifique et polémique (Pomeau 1956: 185-186).
La philosophie inclue d’ailleurs non seulement une dimension critique et
politique, mais aussi une dimension morale. La figure du philosophe peut se
rapprocher de celle du moraliste et du satiriste au point parfois de se
confondre avec elles. Cependant, il ne faudrait pas croire que nous avons
affaire à une conception de la philosophie totalement étrangère à notre
monde moderne, puisque le philosophe a toujours été en quelque sorte celui
qui se mêle des affaires de la cité.
Le deuxième ordre de difficulté renverrait à la mise en œuvre
problématique de la philosophie au théâtre. Les contraintes sont en effet
nombreuses et, notamment chez Voltaire, l’alliance entre la tragédie de
facture, ou du moins d’inspiration classique, et d’une philosophie moderne
peut apparaître comme particulièrement artificielle
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. Cette tension est celle
qu’on retrouve chez le personnage lui-même. En effet, Voltaire est classique
par son goût, son admiration esthétique des grands modèles du siècle
précédent, son mépris de l’art géométrique. Il est moderne par ses idées, sa
conception de la tâche d’un écrivain.
Il peut donc exister des contradictions entre le dramaturge et le
philosophe et Voltaire peut donner l’impression d’hésiter, car il est
conscient de cette tension contradictoire entre les exigences de l’art et celle
de la philosophie. De nombreuses déclarations de Voltaire vont dans le sens
d’une conception de l’art comme instrument de la morale ou comme
véhicule de la philosophie
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. Cette conception se retrouve bien sûr dans la
Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne. Ce texte sert de préface à
Sémiramis et voici ce que Voltaire y déclare : «La véritable tragédie est l’école
de la vertu ; et la seule différence qui soit entre le théâtre épuré et les livres
de morale, c’est que l’instruction se trouve dans la tragédie toute en action,
c’est qu’elle y est intéressante, et qu’elle se montre relevée des charmes d’un
art qui ne fut inventé autrefois que pour instruire la Terre et pour bénir le
ciel, et qui, par cette raison fut appelé le langage des dieux»
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