PROCHE-ORIENT
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vôtre ? N’êtes-vous point trop liés,
comme catholiques, à l’un des grou -
pes au cœur des tensions ?
VA : Cet objectif de travailler à la paix
nous motive tous. Aujourd’hui, comme
jésuites au Proche-Orient, nous ne
sommes pas là pour renforcer, pour
défendre les communautés chrétien -
nes en Orient, comme ce fut peut-être
le cas à une époque. Il est vrai qu’au
début nous sommes venus pour diri -
ger les séminaires, former les prêtres,
renforcer les Églises locales, les Égli -
ses rattachées à Rome. On pouvait
avoir comme objectif plus ou moins
déclaré de convaincre les orthodoxes
de se joindre à Rome. On a dépassé
tout ça. Aujourd’hui, la présence jé -
suite est d’abord une présence d’ou-
verture aux autres, principalement au
monde arabe, au monde musulman
aussi. Nous voulons être la fenêtre ou
la porte de l’Église vers ce monde
musulman, une présence évangélique
parmi les musulmans et ceux qui
promeuvent le dialogue interreligieux.
Plus fortement encore, nous voulons
faire saisir la fécondité que peuvent
avoir ces religions lorsqu’elles vivent
ensemble, lorsqu’elles travaillent en -
semble. Nous voulons aider les gens
à découvrir ce qu’ils peuvent s’appor -
ter les uns aux autres, qu’ils soient
d’une religion ou d’une autre, d’une
tradition ou d’une autre.
PB : Les chrétiens, dans la région,
peuvent nous apparaître dispersés,
appartenant à diverses communautés
ou traditions. N’y a-t-il pas là un obsta -
cle à votre engagement pour la paix
et l’unité ?
VA : On peut parler de la division des
chrétiens partout dans le monde et
cela saute aux yeux particulièrement
en Orient. Pour être plus précis, les
communautés chrétiennes catholi -
ques sont divisées selon des rites. On
les appelle des Églises uniates, c’est-
à-dire qu’elles sont unies à l’Église de
Rome, à l’Église catholique romaine.
Au Liban, ce sont surtout les maro -
nites. Mais il y a aussi les byzantins,
les grecs catholiques et ensuite les
arméniens catholiques, les syriaques,
les chaldéens et les latins bien sûr –
le rite le plus commun dans la Compa -
gnie de Jésus. Certaines de ces Égli -
ses ont une certaine indépendance
quoique en lien avec Rome ; il y a trois
patriarches catholiques au Liban. On
peut avoir une impression de division :
pourquoi y a-t-il tant de groupes, de
rites ? De façon un peu provocatrice,
on pourrait dire : « Tout ce monde ne
devrait-il pas s’unir et se fondre dans
l’Église catholique romaine ?
En fait, même si elles doivent fon-
damentalement être unies, la diversi -
té qui remonte aux tous premiers
siècles de l’Église, aux manières de
célébrer la liturgie, aux langues
liturgiques différentes, avec parfois
une spiritualité et une théologie
propres, tout cela crée vraiment un
facteur de richesse. Ces rites ne sont
pas issus de divisions, à l’origine,
mais simplement des contextes so -
ciaux et linguistiques des endroits
où ils se sont développés : à Antioche,
à Jérusalem, à Constantinople, à
Alexan drie aussi. Entre ces Églises
chrétiennes orientales, on ne doit pas
parler de division mais plutôt de
diversité dans l’unité.
PB : Il y a aussi d’autres groupes
chrétiens qui ne sont pas parmi les
uniates.
VA : En effet, en premier lieu l’Église
orthodoxe, l’Église majoritaire dans
les pays du Proche-Orient, notam -
ment avec les coptes en Égypte. C’est
le cas partout au Proche-Orient sauf
au Liban. Le Liban fait un peu ex -
ception car au Liban on peut dire
qu’environ 60 % des chrétiens sont de
rite maronite.
PB : Les chrétiens sont tout de même
minoritaires dans l’ensemble des pays
de votre Province jésuite ?
VA : C’est vrai, même au Liban où les
chrétiens ne sont plus majoritaires
dans le pays comme ils l’avaient peut-
être été au temps de l’indépendance.
Aujourd’hui, au Liban, les chrétiens
représentent environ 35 % de la popu -
lation.
PB : Comment encouragez-vous les
chrétiens à vivre leur caractère mino -
ritaire dans leur milieu ? Je pose la
question en me disant que cela peut
nous éclairer, nous qui vivons dans un
pays où, à cause de la déchristianisa-
tion, les chrétiens peuvent aussi se
sentir « minoritaires ».
VA : Oui, on pourrait faire un lien mais
la situation est bien différente. Ici, en
Orient, la religion n’est pas seulement
une affaire privée mais c’est d’abord
une identité, peut-être la première
identité qui marque les citoyens. Le
fait d’être minoritaire dans un pays
arabo-musulman fait que les chré -
tiens ne sont pas seulement des gens
qui ont une foi différente, mais la
tentation existe qu’au niveau de la
société, s’ils sont « acceptés », ils
soient traités ou se sentent traités
comme des citoyens de seconde
zone. Dans certains contextes, l’islam
leur a donné un statut, les a reconnus
comme « gens du Livre », et comme
devant être à ce titre « protégés »,
mais, justement, protégés parce qu’ils
ne sont pas égaux.
Alors, un des enjeux actuels des
chrétiens dans cette région, quelque
Une église de rite grec catholique, à
Beyrouth.