LES JÉSUITES AU PROCHE

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PROCHE-ORIENT
LES JÉSUITES AU
PROCHE-ORIENT
Un entretien avec le P. Victor Assouad, S.J., Provincial
Le Proche-Orient a connu tant de
turbulences au cours des dernières
décennies. Les jésuites sont présents
dans plusieurs pays de la région ;
ils accompagnent les chrétiens et
cherchent avec eux des chemins de
paix. Le supérieur provincial nous
explique comment ils le font, tout en
faisant ressortir les enjeux importants
auxquels la Compagnie de Jésus,
l’Église et l’ensemble des citoyens
sont confrontés.
R
Pierre Bélanger : Père Provincial,
pouvez-vous nous parler de la Province jésuite du Proche-Orient, des
défis auxquels elle fait face?
Victor Assouad : C’est une Province
qui comprend plusieurs pays où la
situation est assez complexe. Il y a le
Liban, où se trouve la maison provinciale, la Syrie, l’Égypte, la Turquie
depuis l’année 2000 et, depuis août
2013, le Maghreb (Algérie et Maroc).
Environ 135 jésuites sont membres de
notre Province.
PB : Les membres de votre Province
sont-ils majoritairement originaires
de l’un ou l’autre de ces pays ?
VA : Il y a chez nous des jésuites de
14 nationalités différentes. Il y a des
Français, puisqu’autrefois nous étions
liés à la Province de Lyon, avant que
nous ne devenions une Vice-Province
indépendante. La France a donc eu ici
un rôle important mais, rapidement, il
y a eu des jésuites venus d’un peu
partout, notamment des Pays-Bas –
ce qui explique que le P. Kolvenbach,
l’ancien supérieur général de la
Compagnie de Jésus, soit l’un des
nôtres – de Malte, de Pologne, puis
d’autres pays. Mais aujourd’hui, c’est
une Province qui compte surtout sur
des jésuites du monde arabe. Nous
avons quelque 35 jeunes en formation
et, parmi eux, 32 sont orientaux : Libanais, Syriens ou Égyptiens. Je devrais
ajouter que notre Province a aussi
une présence en Terre Sainte puisque
les jésuites qui vivent en Terre Sainte
en dehors de l’Institut biblique de
Jérusalem, qui dépend directement
de Rome, font aussi partie de notre
Province.
J’en profite pour dire ce qui caractérise notre Province. Au cours des
dernières années, on en a entendu
parler surtout à cause de la guerre en
Syrie. C’est en effet un drame important qui nous préoccupe beaucoup.
Mais nous avons été confrontés à
plusieurs autres conflits : l’Égypte a
connu une période tourmentée et on
sait que la guerre a longtemps sévi au
Liban. Encore récemment, il y a eu
des troubles en Turquie ; l’Algérie a
connu ses années noires et c’est
sans parler de l’interminable conflit
israélo-palestinien. Souvent, donc,
notre Province a été marquée par des
contextes de guerre, de violence.
Pourtant, en tant que chrétiens, nous
nous rappelons aussi que ce fut dans
les territoires de notre Province que
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le Christ a vécu et que se sont développées les premières communautés chrétiennes. En Palestine bien sûr,
mais les Évangiles soulignent que
Jésus est venu à Tyr et à Sidon (au
Liban) et que sa famille s’est réfugiée
en Égypte. La Syrie et la Turquie ont
vu le développement des communautés chrétiennes, à Antioche et à
tous les endroits que saint Paul a
visités. Tout cela nous donne du goût
dans notre apostolat.
À propos de notre mission, si la
région a été ou est encore blessée
par la guerre, nous voudrions vraiment œuvrer aujourd’hui à un travail
de paix, de réconciliation, dans cette
partie du monde où les religions
monothéistes, abrahamiques – en
arabe on parle même de « religions
célestes » ou de « religions du Livre »
– soient facteurs de paix, de rapprochement des personnes plutôt que
facteurs de division, de guerre ou de
violence. C’est là, fondamentalement,
notre mission dans ces pays. Travailler à ce que la foi soit mise au service
du rapprochement des hommes entre
eux plutôt qu’à leur division.
Plaque à l’entrée de la Maison provinciale, à Beyrouth.
PB : Est-ce que les jésuites vous apparaissent outillés pour atteindre cet
objectif dans le contexte qui est le
VA : Cet objectif de travailler à la paix
nous motive tous. Aujourd’hui, comme
jésuites au Proche-Orient, nous ne
sommes pas là pour renforcer, pour
défendre les communautés chrétiennes en Orient, comme ce fut peut-être
le cas à une époque. Il est vrai qu’au
début nous sommes venus pour diriger les séminaires, former les prêtres,
renforcer les Églises locales, les Églises rattachées à Rome. On pouvait
avoir comme objectif plus ou moins
déclaré de convaincre les orthodoxes
de se joindre à Rome. On a dépassé
tout ça. Aujourd’hui, la présence jésuite est d’abord une présence d’ouverture aux autres, principalement au
monde arabe, au monde musulman
aussi. Nous voulons être la fenêtre ou
la porte de l’Église vers ce monde
musulman, une présence évangélique
parmi les musulmans et ceux qui
promeuvent le dialogue interreligieux.
Plus fortement encore, nous voulons
faire saisir la fécondité que peuvent
avoir ces religions lorsqu’elles vivent
ensemble, lorsqu’elles travaillent ensemble. Nous voulons aider les gens
à découvrir ce qu’ils peuvent s’apporter les uns aux autres, qu’ils soient
d’une religion ou d’une autre, d’une
tradition ou d’une autre.
PB : Les chrétiens, dans la région,
peuvent nous apparaître dispersés,
appartenant à diverses communautés
ou traditions. N’y a-t-il pas là un obstacle à votre engagement pour la paix
et l’unité ?
VA : On peut parler de la division des
chrétiens partout dans le monde et
cela saute aux yeux particulièrement
en Orient. Pour être plus précis, les
communautés chrétiennes catholiques sont divisées selon des rites. On
les appelle des Églises uniates, c’està-dire qu’elles sont unies à l’Église de
Rome, à l’Église catholique romaine.
Au Liban, ce sont surtout les maro-
nites. Mais il y a aussi les byzantins,
les grecs catholiques et ensuite les
arméniens catholiques, les syriaques,
les chaldéens et les latins bien sûr –
le rite le plus commun dans la Compagnie de Jésus. Certaines de ces Églises ont une certaine indépendance
quoique en lien avec Rome ; il y a trois
patriarches catholiques au Liban. On
peut avoir une impression de division :
pourquoi y a-t-il tant de groupes, de
rites ? De façon un peu provocatrice,
on pourrait dire : « Tout ce monde ne
devrait-il pas s’unir et se fondre dans
l’Église catholique romaine ?
Une église de rite grec catholique, à
Beyrouth.
En fait, même si elles doivent fondamentalement être unies, la diversité qui remonte aux tous premiers
siècles de l’Église, aux manières de
célébrer la liturgie, aux langues
liturgiques différentes, avec parfois
une spiritualité et une théologie
propres, tout cela crée vraiment un
facteur de richesse. Ces rites ne sont
pas issus de divisions, à l’origine,
mais simplement des contextes sociaux et linguistiques des endroits
où ils se sont développés : à Antioche,
à Jérusalem, à Constantinople, à
Alexandrie aussi. Entre ces Églises
chrétiennes orientales, on ne doit pas
parler de division mais plutôt de
diversité dans l’unité.
PB : Il y a aussi d’autres groupes
chrétiens qui ne sont pas parmi les
uniates.
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VA : En effet, en premier lieu l’Église
orthodoxe, l’Église majoritaire dans
les pays du Proche-Orient, notamment avec les coptes en Égypte. C’est
le cas partout au Proche-Orient sauf
au Liban. Le Liban fait un peu exception car au Liban on peut dire
qu’environ 60 % des chrétiens sont de
rite maronite.
PB : Les chrétiens sont tout de même
minoritaires dans l’ensemble des pays
de votre Province jésuite ?
VA : C’est vrai, même au Liban où les
chrétiens ne sont plus majoritaires
dans le pays comme ils l’avaient peutêtre été au temps de l’indépendance.
Aujourd’hui, au Liban, les chrétiens
représentent environ 35 % de la population.
PB : Comment encouragez-vous les
chrétiens à vivre leur caractère minoritaire dans leur milieu ? Je pose la
question en me disant que cela peut
nous éclairer, nous qui vivons dans un
pays où, à cause de la déchristianisation, les chrétiens peuvent aussi se
sentir « minoritaires ».
VA : Oui, on pourrait faire un lien mais
la situation est bien différente. Ici, en
Orient, la religion n’est pas seulement
une affaire privée mais c’est d’abord
une identité, peut-être la première
identité qui marque les citoyens. Le
fait d’être minoritaire dans un pays
arabo-musulman fait que les chrétiens ne sont pas seulement des gens
qui ont une foi différente, mais la
tentation existe qu’au niveau de la
société, s’ils sont « acceptés », ils
soient traités ou se sentent traités
comme des citoyens de seconde
zone. Dans certains contextes, l’islam
leur a donné un statut, les a reconnus
comme « gens du Livre », et comme
devant être à ce titre « protégés »,
mais, justement, protégés parce qu’ils
ne sont pas égaux.
Alors, un des enjeux actuels des
chrétiens dans cette région, quelque
PROCHE-ORIENT
vôtre ? N’êtes-vous point trop liés,
comme catholiques, à l’un des groupes au cœur des tensions ?
PROCHE-ORIENT
chose qui a été tellement souligné
dans ce qu’on a appelé le « printemps
arabe », c’est de mettre en avant le
concept de citoyenneté : indiquer clairement que nous sommes d’abord des
citoyens à part entière de ces pays.
Ensuite, on peut être chrétiens, musulmans, juifs ou autres, mais d’abord
citoyens, et, de ce fait-là, participer
de plain-pied à la vie de ces pays.
C’est un des enjeux les plus importants. C’est pour ça qu’en fin de compte, nous évitons de dire que nous
sommes une « minorité » dans ces pays.
Non ! Nous sommes des citoyens
égaux en droits et en devoirs et nous
voulons jouer à plein notre rôle de
citoyens.
À Beyrouth, clochers et minarets font
souvent bon voisinage.
PB : Est-ce difficile de promouvoir cette
façon de voir ? Peut-on avoir l’impression, à distance, que des groupes musulmans ou des gouvernements de
pays musulmans n’acceptent pas
facilement cette égalité de tous les
citoyens ?
VA : Je dirais qu’il y a deux courants
qui se croisent, qui parfois se rejoignent
et parfois s’opposent. On voudrait en
même temps une société qui tienne
compte du facteur de la religion,
parce que c’est une identité qui nous
caractérise et que celle-ci ne doit pas
être reléguée dans la sphère du privé
– car la foi a une dimension sociale –
et en même temps une société où
l’appartenance religieuse ne vienne
pas limiter la participation à la cons-
truction de la société civile, qu’elle
soit plutôt un stimulant pour l’engagement dans la société. Cette façon de
voir est celle que nous, chrétiens, promouvons, mais elle est aussi présente, quoique moins visible ou moins
mise en évidence dans les médias,
dans le monde musulman. Ces masses, en particulier de jeunes, qui sont
descendues dans la rue au moment
du printemps arabe pour réclamer le
respect de la dignité de la personne,
appuyaient cette manière de voir.
Voici un exemple concret. Bien
des femmes musulmanes, aujourd’hui,
sont fières d’être musulmanes et
revendiquent le droit de porter le
foulard. C’est leur droit et on ne doit
pas, au nom d’une société sécularisée, empêcher le port du foulard
islamique. En revanche, ces mêmes
femmes réclament les droits des
citoyens masculins, celui de voter
d’abord, ou encore de conduire un
véhicule.
PB : Parlons tout de même des
tensions qu’on sent ici et là dans le
monde, entre musulmans et les autres
membres des sociétés où ceux-ci
vivent. À partir de votre longue fréquentation du monde musulman, pouvezvous nous éclairer ? Est-ce que, dans
nos sociétés, on a raison de craindre
la présence de groupes islamistes qui
semblent revendicateurs ?
VA : Malheureusement, d’abord dans
le monde arabe et puis en Occident,
on voit la montée de courants islamistes fondamentalistes, fanatiques
et intolérants. Tout le monde connaît
Al-Qaïda. Ces groupes font beaucoup
de mal non seulement en Occident,
mais aussi dans nos pays. Par exemple en Syrie, dans les rangs de l’opposition syrienne, on a identifié des
groupes radicaux. Le régime en place
se sert d’ailleurs de cela pour dire :
« Nous combattons des terroristes.
Vous, en Occident, si vous soutenez l’opposition, vous appuyez ces groupes et
vous vous nuisez à vous-mêmes ».
Il est clair, à mon avis, qu’on ne peut
pas accepter ces fondamentalistes et
on ne doit surtout pas les renforcer en
leur prêtant soutien financier, armement
ou appui à leur cause. Souvent les
chrétiens en Orient pâtissent de l’action
de ces groupes radicaux ; ils en sont les
premières victimes. Mais j’ajoute qu’il
est important de comprendre, en même
temps, pourquoi ces groupes extrémistes naissent et se renforcent, même
s’ils demeurent marginaux au sein de
l’islam.
Pourquoi donc deviennent-ils si
forts et si présents dans divers pays ?
Une hypothèse parfois avancée c’est
que cette mouvance représente le
véritable islam. Ces gens seraient
fondamentalistes parce qu’ils reviennent au vrai fondement, au cœur du
Coran qui refuse absolument de se
fondre dans le monde moderne. Ils
seraient les vrais musulmans, ceux
qui se réfèrent à la lettre du Coran.
La mosquée Muhammad al-Amin, où est enterré
l’ex-président libanais Rafic Hariri.
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Notre stratégie, à nous, jésuites,
c’est bien évidemment de ne pas
tolérer ou supporter des groupes
radicaux comme ceux dont j’ai parlé.
Mais, en même temps, nous cherchons à comprendre et à faire saisir
aux autres comment nos attitudes
peuvent susciter parfois des attitudes
d’intolérance. Bien des musulmans
peuvent ne pas se sentir en confiance
et accueillis dans le monde contemporain.
La chapelle du Collège jésuite
Notre-Dame de Jamhour, dans
la banlieue de Beyrouth.
Mon interprétation n’est pas
celle-là. L’histoire montre d’ailleurs
que l’islam ne s’est jamais identifié
dans son ensemble avec les groupes
qui pensent comme ça. De fait, toutes
les religions sont menacées de fondamentalisme ; les chrétiens, les juifs,
tout le monde. Dans notre histoire, il y
a eu des moments où des groupes
radicaux ou fondamentalistes ont pris
le devant de la scène. On doit chercher à comprendre pourquoi ça se
passe aujourd’hui pour l’islam. Je
pense qu’il y a plusieurs raisons.
Parfois, on l’a dit, ces radicaux
appartiennent à des groupes frustrés
économiquement. Plus souvent encore, je crois qu’ils se sentent aussi
agressés par le monde moderne, par
l’Occident, par la technologie. Ils sont
à la fois fascinés et agressés. Le fait
qu’aujourd’hui ces groupes aient de
l’argent et des moyens leur permet
donc de manifester leur frustration
devant cette agression qu’ils ressentent de manière violente. Nous disons
que l’islam nous fait peur, mais on ne
saisit pas facilement qu’en fait les
musulmans ont encore plus peur de
PB : Le dialogue avec l’islam avance
ici et là. À Montréal, notre Centre justice et foi est actif dans ce domaine.
Mais ce dialogue ne semble pas facile car il fait peu partie des perspectives de certains groupes islamiques.
Comment voyez-vous les choses?
VA : C’est vrai que dans l’islam il n’y a
pas de « référence » comme il y en a
dans l’Église catholique. Ceux qui
veulent entrer en dialogue avec les
catholiques savent que cette Église
comporte une « hiérarchie » qui peut
exprimer une position « commune » de
ses membres. Dans l’islam, c’est plus
dilué ; cette difficulté se retrouve
aussi dans le dialogue avec le protestantisme. Je pense que la première
étape implique le respect du temps.
Avant de vouloir faire un dialogue
constructif sur des manières de voir
ou des enjeux théologiques, il faut
accorder à l’islam l’espace, les conditions pour qu’il fasse son propre
cheminement, sa propre réflexion
face au monde moderne. Souvenonsnous que l’Église catholique a dû
aussi se confronter à la modernité…
PB : En effet, une grande avancée
dans le monde catholique est due au
développement de l’exégèse, de l’étude de la Bible avec les instruments
scientifiques, dans la deuxième moitié
du 20e siècle. Puis il y a eu le concile
Vatican II. On sent bien, d’ailleurs, que
cette rencontre avec la modernité
n’est pas terminée. Peut-être que le
monde musulman n’a pas eu ces
occasions de mise à jour ?
VA : Exactement. Ce processus est
commencé dans certains cercles,
mais il reste beaucoup à faire. Chaque religion doit faire ce type de
réflexion. Elle doit revisiter ses dogmes, relire sa propre foi pour assurer
Sur un mur de la Maison provinciale, on rappelle les jésuites contemporains décédés
de mort violente durant des conflits au Proche-Orient.
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PROCHE-ORIENT
l’Occident et de l’envahissement des
valeurs occidentales que les Occidentaux ont peur de l’islam. Cette peur peut
alors s’exprimer de manière agressive.
PROCHE-ORIENT
don. Au nom de l’évangile, nous pouvons jouer un rôle dans cette région
du monde et nous ne manquons pas
de le faire. Pour ça aussi, notre foi est
un ferment très profond : nous nous
sentons envoyés partout dans notre
région, au nom de notre foi, comme
témoins de ces valeurs d’ouverture,
de dialogue, de réconciliation, de pardon.
Le sanctuaire Notre-Dame-du-Liban,
à Harissa, où chrétiens et
musulmans viennent honorer Marie.
sa pertinence à chaque période de
l’histoire. Nous, chrétiens, ne pouvons faire ça à la place des musulmans, en ce qui concerne l’islam.
jésuites au Canada autrefois, et il y en
a eu dans l’histoire plus récente de la
Compagnie de Jésus, notamment en
Amérique latine et en Afrique.
PB : Des jésuites ont souffert de la
guerre dans vos pays, pas seulement
la guerre actuelle en Syrie mais aussi
la guerre du Liban. Il y a même un mur,
ici à la maison provinciale, qui présente
des martyrs de ces différents conflits.
Est-ce que cela a une influence sur
votre spiritualité, dans votre manière
d’être jésuites au Proche-Orient ?
PB : Dans ce contexte, père Victor,
quelles sont vos sources d’espérance, vous qui animez cette Province ?
Qu’est-ce qui vous soutient dans
votre travail de leadership auprès
des jésuites qui vivent au Maghreb,
en Égypte, au Liban, en Syrie et en
Turquie ?
VA : Cette souffrance fait partie de
l’être jésuite dans notre région. Nous
avons toujours accepté, en tant que
jésuites, de nous trouver aux frontières, admettant qu’à ces frontières il y
a des dangers qu’on doit assumer, qui
peuvent aller jusqu’au martyre. Effectivement, nous avons eu des martyrs,
ici au Liban. En ce moment, en Syrie, il
y a des jésuites qui sont dans des
situations limites. Mais nous assumons cela comme faisant partie de
notre identité et de notre vocation.
Vous le savez, il y a eu des martyrs
VA : D’abord je dois dire que nous
avons le privilège d’être présents
dans des endroits qu’on peut considérer comme des avant-postes de ce
qui se passe dans le monde, des
endroits où se jouent des enjeux
importants pour l’être humain. Ce qui
nous motive, c’est que nous sommes
là au nom du Christ. De plus, j’y faisais
allusion au début de notre entretien,
nous croyons très fortement que les
valeurs de l’évangile que nous portons sont des valeurs qui nous poussent à être des agents d’ouverture, de
dialogue, de réconciliation, de par8
Je pense aussi que nous sommes
témoins de la foi qui anime d’autres
hommes, en particulier la foi musulmane. Nous pouvons constater que
cette foi suscite du côté des musulmans l’engagement, un certain sens
de ce Dieu toujours plus grand, une
manière de voir qui est admirable à
nos yeux. On a dit, avec raison, que
notre pape François insiste beaucoup
sur la miséricorde, sur l’importance
de montrer le visage miséricordieux
de Dieu. Je ne crois pas qu’il y ait de
religion qui parle autant de la miséricorde que l’islam. Nous, on dit : « Au
nom du Père, et du Fils, et du Saint
Esprit » ; les musulmans, quand ils
prennent la parole, disent : « Au nom
de Dieu, le très miséricordieux. » Je
crois que c’est un privilège pour
nous de travailler au milieu de ces
croyants, d’être témoins de la qualité,
de la beauté et de la profondeur de
leur foi.
PB : Auriez-vous un dernier message
à laisser à nos lecteurs ?
VA : En terminant, comme Provincial
du Proche-Orient aujourd’hui et au nom
de toute notre Province, je voudrais
souligner combien nous sommes
heureux de bénéficier d’un soutien et
d’une solidarité de la Compagnie de
Jésus de partout dans le monde, du
soutien de l’Église aussi. Cette solidarité est magnifique ; elle nous stimule dans nos engagements. Nous en
sommes très reconnaissants.
PB : Merci beaucoup, père Victor, de
votre témoignage. ■
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