Le projet, un principe organisateur, mais des variations de conceptions La volonté, c’est le désir surmonté par un projet raisonnable, mais retenu vif dans l’impulsion, dans le jet du projet. Paul Ricœur (1995). Volonté, 23-790 a, Encyclopædia Universalis Le projet constitue un exemple de principe organisateur appartenant à la fois aux pratiques sociales et aux pratiques éducatives. Les enseignements professionnels et techniques sont à l'origine de l'utilisation du projet à des fins d'apprentissage, mais aujourd’hui une variété d'acceptions est donnée au projet. Pour tenter de sortir de la confusion, nous nous proposons de définir un cadre de lecture pour ce concept désormais devenu polyvalent. A la lumière des différents caractères attribués au projet, nous reprendrons la lecture de l'histoire de son usage à des fins d'apprentissage. Puis, nous analyserons deux cas contemporains de l'usage du projet : l'émergence récente du projet pluridisciplinaire à caractère professionnel (PPCP) au lycée professionnel et les réalisations sur projet en technologie au collège. L'histoire du projet rend compte d'acceptions différentes Le projet comme méthode d'enseignement provient des mouvements d’éducation et de formation d’architecte puis d’ingénieurs qui débutèrent en Italie à la fin du XVIe siècle (Knoll, 1997) L’histoire du projet dans des situations d'apprentissage peut être divisée en cinq périodes : 1590 - 1765 : Les projets dans les écoles d’architecture et les grandes écoles en Europe 1765 - 1880 : Le projet, une méthode d’enseignement transplantée aux Etats-Unis 1880 - 1915 : Le travail sur projets dans les écoles publiques aux USA 1915 - 1965 : La définition d’une méthode de projet et sa réimplantation en Europe 1965 à nos jours : Reprises cycliques de l’idée de projet sous différentes acceptions L'archétype du projet architectural Le projet en architecture constitue un archétype dont la connaissance est indispensable pour comprendre les sens contemporains qui sont donnés aux projets techniques. A la fin du XVIe siècle, les architectes qui veulent faire admettre leur spécificité professionnelle fondent une Académie pour enseigner l’art de la construction. Dans ce cadre les trois caractères1 du projet sont présents. Les projets sont des exercices hypothétiques stimulants conçus à l’image des concours architecturaux qui sont la référence au réel des pratiques. La nature de ces projets est bien celle d’un essai, d’une projection de ce que sera le bâti 2. L’élève-architecte traduit son dessein dans les plans qu’il remet au concours. Ces exercices respectent des délais et 1 Le caractère existentiel du projet renvoie aux mobiles de l’activité, le caractère méthodologique du projet à sa faisabilité et le caractère opératoire à sa finalisation (cf. Crindal, A. (2003). Les figures du projet dans l’enseignement de la technologie au collège in Projet(s) ?, Alinéa, n°,14, 167-192. 2 Boutinet, J-P. (1994). La problématique du projet, in ROPS, Le projet. Un défi nécessaire face à une société sans projet. Paris : L’Harmattan, pp. 9-13. Projet-Crindal 1 demandent de convaincre un jury. Parallèlement à ces activités pratiques un enseignement théorique est conduit dans des cours et en ateliers. L’usage du projet est décidé à partir d’une redéfinition des pratiques sociales (être considéré comme artiste et non plus comme artisan) qui repose sur quatre critères : - Les objets de travail sont redéfinis. D’une construction transformée au fur et à mesure de l’exécution, il s’agit de passer à une construction, imaginée une fois pour toute, dont les caractéristiques sont communicables à autrui et dont le contrôle a posteriori est prévisible. - L’activité technique est rationalisée. Les instruments sont redéfinis, les plans véhiculent les informations techniques, ils fixent des critères (le temps et les ressources attribuées par exemple). - Des compétences spécifiques se développant, des métiers sont distingués : L’architecte détermine l'œuvre : le projet de construction. Il le transpose en un contrat et en vérifie la conformité d’exécution. L’entrepreneur réalise l'ouvrage : le bâti. - Des rôles sociaux sont codifiés dans une nouvelle organisation du travail (maître d’œuvre/maître d’ouvrage) qui traduit une hiérarchie naissante (ingénieur/technicien). Le projet est naturellement implanté dans les grandes écoles et les universités techniques A la fin du XVIIIe siècle, la profession d’ingénieur est étroitement liée aux Arts et, par là même, à l’architecture. La formation des ingénieurs commence dans ce que seront les grandes écoles et les grandes universités techniques et industrielles : - L’Ecole des Ponts et Chaussées (1747) - L’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris (1829) - L’Ecole Polytechnique Ducale de Karlsruhe (1833) - Le Massachusetts Institue of Technology de Boston (1864) Le modèle de formation des grandes écoles utilise bien évidemment les mêmes principes que celui des académies d'arts (cours, classe-atelier et apprentissage par projets). Quatre conceptions américaines successives pour les projets dans l’enseignement • La méthode de projet reprise aux Etats-Unis est transformée par Robinson3, (autour de 1870) qui conçoit le projet également comme un moment de réalisation. Il se distingue de la formation européenne où l’ingénieur de type “scientifique” était considéré comme idéal. Le projet doit aller jusqu'à la “fabrication” pour permettre aux élèves de devenir des ingénieurs “pratiques” (le caractère opératoire du projet est alors renforcé), mais aussi des citoyens “démocratiques” qui comprennent à cette occasion l’égalité des hommes et la dignité de tout type de travail. • Cette conception coûteuse en temps de formation n'est pas généralisable et une alternative à cette solution est apportée en transférant l’enseignement des travaux manuels de l’université vers l’école secondaire4. A l’Ecole d’Enseignement Manuel, les élèves sont familiarisés avec l’art des travaux manuels (travail du bois, sur le tour, à la forge, en fonderie et en mécanique) suivant deux pratiques : - des unités d’enseignement proposaient une série d’exercices de base qui consistaient à apprendre “l’alphabet” et l'usage d'outils techniques ; - à la fin de chaque unité et à la fin de l'année scolaire, des projets étaient développés comme des “exercices synthétiques”. Les techniques apprises dans les unités étaient appliquées dans 3 4 Professeur de génie mécanique à l’Université d’Urbana en Illinois Woodward en 1879, fonde la première Ecole d’Enseignement Manuel à St Louis Projet-Crindal 2 leur contexte. L’instruction était conçue en progressant systématiquement des principes élémentaires aux applications pratiques soit, selon l’expression de Woodward, de “l’instruction” vers la “construction” (le caractère méthodologique du projet est ici renforcé). • Cependant sous l'influence de John Dewey la conception de Woodward est renouvelée. Le travail manuel devait être basé sur les expériences de l’enfant afin que la créativité soit d'égale importance avec les habiletés techniques, d'où l'idée “d’occupations constructives” (Dewey, 1900). Dans cette conception, le travail manuel conduit les enfants à travailler sur des entités naturelles avant qu'ils ne soient confrontés à des parties artificielles de la connaissance. Les élèves acquièrent les connaissances et les habiletés nécessaires à la réalisation du projet au cours de celui-ci. Ainsi “l’instruction” ne précède plus le projet, mais elle y est intégrée dans un projet de travail “constructif”. Ce travail par projet qui vise un développement social répond aux exigences psychologiques de l'époque : les enfants ne devaient pas être instruits d’une manière passive, ils devaient s’engager dans des apprentissages visant à développer l’initiative, la créativité et le jugement (la dualité des caractères opératoire et existentiel du projet est soulignée par cette conception que Dewey donne au projet). • En 1918, Kilpatrick tente de généraliser le propos au travers de “La méthode de projet”. Il définit le projet comme une “activité intentionnelle impliquante” où la motivation de l’élève devient la dimension essentielle de “la méthode”. Dans la mesure où l'enfant entreprend intentionnellement une activité, Kilpatrick considère qu’il y a projet (dans cette acception, le caractère existentiel du projet est exclusif). Ainsi le projet n'est plus lié aux activités techniques constructives. L'idéal est atteint lorsque le but, la planification, l’exécution et l’évaluation sont à la fois provoqués et réalisés par les élèves et non pas par l’enseignant. Mais, cet apprentissage spontané et libre que les éducateurs passionnés de "pédagogie de projet" ont depuis admiré et tenté de reproduire a-t-il existé ? Dewey critique cette conception par le fait que les élèves sont incapables de planifier par euxmêmes les projets et les activités. Il critique également la notion d’activité intentionnelle, dans la mesure où l'intention se transforme lorsqu'il s'agit de passer à une méthode d’action. Ceci revient à défendre le concept traditionnel du projet qu'il présente comme une méthode parmi d'autres. Le management de projet , un modèle pour organiser la production Nous ne pouvons taire le fait qu'en dehors de tout objectif d'apprentissage, le terme de projet est repris dans le monde économique et que cette acception aura une influence sur les pratiques scolaires. A l’occasion de la 2de guerre mondiale en 1941, le management par projet est une forme de réorganisation de la production industrielle conçue aux USA pour répondre à l'urgence de la production de moyens de transport maritime (construction de cargos, Liberty ships, par la firme Kaiser). Il s'agit de centrer une équipe plus réduite sur un objectif singulier afin de réduire les délais de production en optimisant les pratiques professionnelles (le caractère méthodologique du projet prédomine dans cette conception). Ultérieurement les formes données à ce type de gestion de l'entreprise vont constituer des références successives pour les enseignements techniques et professionnels : la Task-Force, les grands projets comme Ariane et plus récemment l’ingénierie simultanée sont dans la veine du sens "d'efficacité" qui est conféré au projet dans l’entreprise. L'usage du même terme pour une pratique de conception-production et une pratique d'enseignement perdure encore de nos jours dans le terme de projet technique. Comme modèle d'organisation du travail scolaire référencé aux entreprises travaillant par projet et démarche pour apprendre dans une expérience constructive collective, le projet technique est Projet-Crindal 3 porteur de l’ambivalence praxis/poïésis. D’un côté la praxis renvoie à un faire efficace, une démarche et ses technicités constatées dans les habitus qui conduisent à la bonne construction. De l’autre la poïésis renvoie à la création mais aussi au sujet qui est créateur. Dans sa visée éducative, le projet technique vise à la fois un travail sur la matière et un travail sur soi. La renaissance de la méthode de projet dans les années 1960 A la fin des années 1960, les projets réapparaissent en Europe occidentale comme une transplantation du modèle américain. Ils sont mis en avant pour leur caractère pratique, interdisciplinaire et de leur mission sociale, ils constituent une alternative possible aux cours traditionnels. Cependant cette réimplantation est confuse car elle s'appuie sur des idées contradictoires appartenant à la fois à Dewey et Kilpatrick. Dans les années 1970 en Allemagne, une forme singulière consistait en des « jours à projet », ou des « semaines à projet », durant lesquels le curriculum normal était suspendu5 (le processus était parfois si ouvert que pratiquement tout ce que les élèves avaient envie de faire pouvait être qualifié comme étant un projet). Cette euphorie d’un projet principalement orienté par son caractère existentiel s’évapora rapidement ; la réalité et la complexité des apprentissages qu’il évoquait ne pouvaient s’inscrire dans les organisations canoniques des programmes d’enseignement. Le PPCP, un nouveau dispositif de projet dans l'enseignement professionnel intégré Le PPCP s’inscrit dans une réforme globale du lycée professionnel qui institue l’“enseignement professionnel intégré ” (1999), dans laquelle une des composantes est l’intégration de la formation générale à la formation professionnelle. Le PPCP s’inscrit également dans l’histoire pédagogique particulière du lycée professionnel. Différentes réformes ont mis en place des dispositifs sur projet ayant des relations plus ou moins proches avec les enseignements disciplinaires et conduisant plusieurs professeurs à travailler ensemble : les PACTE, les PAE6 et les modules en classe de seconde dans lesquels sont intervenus conjointement des professeurs d’enseignement général et d’enseignement professionnel. Aujourd'hui, les élèves de lycée professionnel ont dans leur cursus de 15 à 17 h hebdomadaires d’enseignement “professionnel” selon les niveaux et une des pratiques préconisées dans cette tranche horaire est le “projet technique”. Pour l’enseignant, ce projet consiste à organiser les différentes étapes nécessaires à une réalisation technique et à la faire réaliser par les élèves, avec plus ou moins d’autonomie selon le niveau d’étude. Dans le 5 Ceci correspond en partie à la mise en place des 10% en France. - Les PACTE (projet d’action culturelle et éducative) en 1979, sont proposés pour concrétiser les désirs des élèves, pour les motiver. Ils absorbent les anciens « 10% », et ouvrent l’école sur son environnement. Dépendants du volontariat, ils se concrétisent sous la forme d’une étude, d’une activité ou d’une réalisation à entreprendre en commun. MEN, circulaire 79-289 du 11 septembre 1979, Christian Beullac. - Les P.A.E. (projet d’action éducative), à partir de 1981, sont formalisés suivant une conduite du projet qui passe par une analyse des besoins, une définition des objectifs, une procédure de suivi et d’évaluation. Ils préconisent le développement de la pédagogie du projet. MEN, note de service 81-305 du 24 août 1981, Alain Savary. 6 Projet-Crindal 4 secteur tertiaire, il est possible de comparer le projet technique avec l’“Etude de cas” qui consiste à simuler une situation professionnelle afin d’en maîtriser les caractéristiques tout en s’entraînant aux démarches permettant d’obtenir le service visé. Pour être efficace, l’enseignant chef de projet conçoit, décide et distribue des séries de tâches, la valeur éducative des activités prévues repose sur la qualité de l’exécution de ces tâches. Dans cette conception, le projet est une méthode de l’enseignant tandis que, pour les élèves, il représente un exercice scolaire conçu pour vérifier l’acquisition de leurs compétences. Le PPCP se distingue de ce projet technique par le fait que c'est aux lycéens que l'on dévolue le projet. Dans leur aspect opératoire, les activités poursuivies doivent être significatives d'une appartenance aux techniques de la filière professionnelle, elles s’inscrivent pleinement dans le désir d’action qui caractérise les élèves du lycée professionnel. Dans son aspect existentiel en s’impliquant au sein d’un collectif d’acteurs pour participer à une expérience construite en relation avec des pratiques sociales, le lycéen se projette dans ce que seront ses missions en s’initiant à des pratiques de son futur métier. Sur le plan de la méthode, un PPCP, c’est un nouveau type de dispositif que les élèves, accompagnés par leurs enseignants, investissent pour leur formation. Ce sont les professeurs et —dans l'idéal— un partenaire professionnel qui définissent le scénario de ce dispositif en termes d’activités, de ressources, de compétences à mettre en jeu, de rôles spécifiques à tenir pour atteindre un but partagé et contractualisé. Une recherche prospective récente 7 indique que la mise en place de ce travail sur projet produit des changements pour l’ensemble des acteurs (élèves, professeurs, partenaires) : • Pour les professeurs et pour les partenaires, le PPCP est une situation nouvelle qui réclame un changement de point de vue : il s'agit de se placer entre l'école et l'entreprise. Ce qui pose, au moins pour les enseignants, la question de nouveaux gestes professionnels. • Pour les élèves, ce serait la possibilité d'entrer dans un rôle nouveau : - par la scénarisation et le contrat posé, les élèves s’approprient des rôles réalistes et font du PPCP leur projet ; - lorsque le caractère professionnel est tenu et qu’un minimum de pluridisciplinarité est mis en œuvre alors les élèves peuvent utiliser le PPCP comme un dispositif de passage entre leur période de formation en entreprise et leurs apprentissages disciplinaires. La cohérence entre les ambitions provenant du « projet », de la « pluridisciplinarité » et du « caractère professionnel » est obtenue à partir d'un dispositif nouveau de formation qui reprend le principe originel du projet. En convoquant des connaissances nouvelles contextualisées, en les réarrangeant et en les ordonnant, les élèves entrent dans leur rôle de jeune professionnel. La disparité des démarches et des représentations sur le projet en technologie au collège Les représentations des élèves de collège8 Pour une frange de la population scolaire avoisinant les 20 %, au niveau de la classe sixième, il existe une résistance à l’anticipation, l'élève ne se projette pas, il vit l'activité scolaire dans 7 CRINDAL, A. et JOUIN, B. (2003). Le PPCP, Nature et évolution de connaissances dans un nouveau dispositif d’initiation aux pratiques professionnelles. Rapport de recherche - UMR STEF ENS-Cachan – INRP 8 Les résultats de cette partie s' appuient sur le travail de thèse : CRINDAL, A. (2001) Enquête sur les figures de la démarche de projet en technologie. Thèse de sciences de l' éducation. ENS-Cachan. Projet-Crindal 5 un court terme. En revanche, si l’on s’appuie sur les représentations qu’ils ont des projets vécus dans lesquels ils ont été acteurs et sur les représentations qu’ils se font des processus industriels pour des projets non vécus, la majorité des élèves apparaît disposée à s'approprier après coup une bonne partie des facteurs intervenants dans une réalisation sur projet en technologie. Les pratiques des enseignants dans quatre études de cas conduites de 1996 à 1998 Les pratiques des enseignants sont significatives du nomadisme du concept de projet : - L'indistinction projet/produit repose sur l'idée que seul le résultat matériel compte. - Le glissement du projet vers une série planifiée de tâches provient du fait que l'enseignant prend à sa charge la progression chronologique des activités qu'il organise en ne laissant dans le projet qu'une place insignifiante pour l'élève. - La non-distinction cycle de vie du produit/démarche de projet technique fait amalgame entre les modèles économiques du marché et les processus de conception-production. - Les visées exprimées par les enseignants montrent une alternance d’inclusion/exclusion entre les caractères existentiel, méthodologique et opératoire du projet, elles sont significatives de l'instabilité des intentions accordées à ces pratiques. Nous notons également que les pratiques proposées dans ces projets font autoréférence au monde scolaire et qu'elles ne permettent pas d'être comparées à des pratiques sociales prises comme référence. Des routines sur les pratiques de projet sont inscrites dans la formation des enseignants Une étude longitudinale des dossiers de CAPET interne (1989 à 1996) montre que les enseignants-candidats détaillent de plus en plus dans la démarche qu'ils formalisent dans leur dossier les moments de l'intention et de l'exécution, et qu'ils obèrent toujours les tâches de décision. Progressivement, la diversité des rôles (comme concepteur, gestionnaire, producteur, distributeur, voire usager) s'efface au profit d'une posture unique de conducteur du projet. Certifiée en formation, la transposition du rôle de cet acteur singulier en milieu scolaire attribue à l’enseignant toutes les décisions. Ce modèle de démarche dénature toute relation avec les pratiques sociales en privilégiant un contexte ultra simplifié qui est loin de permettre une confrontation avec ce que sont les pratiques du travail dans une entreprise. D’une diversité incohérente à une variabilité réfléchie des démarches • Une diversification provenant de la juxtaposition d’acceptions non justifiées Ainsi les figures des démarches de projet varient d’un formateur à l’autre, d’un texte fondateur à l’autre, d’une série d’épreuves de concours à une autre : - des conceptions de formateurs oscillent entre un projet strictement "exécutoire" (pour y inclure un maximum de technicités correspondant l'idée qu'ils se font du curriculum) et un projet strictement existentiel (pour favoriser la motivation des étudiants et leur reconnaissance sociale) ; - de 1988 à 1996 l'importance attribuée au contexte du projet technique diminue sensiblement : les premiers projets présentés dans les dossiers de concours du CAPET interne sont fortement contextualisés, tandis qu'à partir de 1995, les projets présentés ne prennent en compte que le progrès technique et les valeurs économiques ; - des modèles prescriptifs locaux aux fondements parfois singuliers renvoient à autant de figures contrastées du projet (une méthode universelle, une démarche sans projet, un projet sans démarche). Projet-Crindal 6 • Dans d' autres cas, la différenciation des démarches correspond à des choix explicites Les variations qui s’effectuent prennent en compte des besoins pédagogiques ou didactiques : - Pour certains enseignants, le constat d’absence de projection dans les représentations des élèves conduit à la mise en place d'outils pour remédier à cette carence. Le moment de l'intention est progressivement pris en compte dans les processus d'apprentissage sur les quatre années du collège. - Une recherche prospective sur trois sites témoins indique que la différenciation des rôles à endosser par les élèves transforme progressivement les figures terminales des réalisations sur projet en donnant aux élèves la possibilité d'intervenir sur l'ensemble du processus. - Les ruptures choisies dans la progressivité du programme de la technologie mis en place à partir de 1995 —tâches d'initiation au projet, expériences de réalisation sur projet et accès à une modélisation partielle des pratiques de projet— constituent trois figures différentes des démarches de projet conçues pour engager les enseignants dans la voie d’une variabilité réfléchie de leurs choix didactiques. De quelles cultures le projet peut-il se réclamer ? L'exemple de la technologie au collège met en évidence une variété de projets dont les acceptions ne sont pas discutées. A l’occasion du nouveau programme 9, la confusion demeure et elle laisse la majorité des praticiens sans armes face aux modifications qu’il leur conviendrait de mettre en place. L'entrée par une réalisation sur projet n’est pas définie de la même façon que le travail ordinaire d'une situation visant l’apprentissage de compétences (ce qui correspond aux unités dans le programme) ; elle se distingue également des pratiques antérieures d’un grand projet annuel (cf. le programme de 1985), l’entrée ne se fait pas a priori par les savoirs des disciplines techniques. Dans sa visée d'expérience, la situation d'apprentissage sur projet réclame des pratiques qui sortent du contrôle strict de l’enseignant. Les enjeux sont d’utilisation et d’approfondissement des compétences disciplinaires mais surtout de croisements de regards et d'apprentissage de rôles que l’on puisse comparer à des pratiques référencées au monde des entreprises. Dans les dispositifs proposés par les enseignants la prise en compte des objets, des instruments, des problèmes et des tâches ne peut plus être séparée des contextes et des rôles sociaux un réel questionnement doit être fait sur le choix des pratiques à prendre en référence. Afin de pouvoir mettre en rapport les choix pris pour les réalisations sur projet, ces pratiques doivent s’accompagner d’une veille technologique largement discutée. Beaucoup dépend de la définition que nous adoptons pour la culture valorisée, dit Jean-Louis Martinand 10. La définition qu’il propose dans un esprit de promotion de la pensée industrieuse et de la pratique technique caractérise les composantes de la culture générale comme "technicités partagées". Nous nous interrogeons avec lui sur quelles technicités sont valorisées et lesquelles sont par conséquent dévalorisées ? Le choix d’une référence est un choix culturel et politique, celui-ci est sans doute conditionné par les types de techniques valorisées dans les textes de prescription, dans la formation, dans les concours de recrutement, mais aussi par le statut que notre société confère à la pensée 9 Lebeaume, J. (1998). Un équilibre difficile : Projet et démarche, in Education technologique, n° 1. CRDP de Versailles 10 Martinand, J-L. (1999). Conclusions des XXIes JIES in technologies/Technologie, “Actes des XXIes Journées Internationales sur la Communication l’EDUCATION et la Culture Scientifique et Industrielle”. Chamonix : Giordan, Martinand, Raichwarg (Eds) pp. 123-128. Projet-Crindal 7 industrieuse dans la place qu'elle lui attribue pour le curriculum de chaque discipline et dans les arrangements pluridisciplinaires qu’elle admet. Penser la construction d'une discipline ou d’un dispositif spécifique comme celui du PPCP à partir de pratiques sociales, c’est différent d’une pensée organisée à partir de savoirs formalisés appartenant uniquement à l'univers de l'école. C'est concevoir une éducation au monde des techniques autonome dans laquelle l'action technique ne se sépare pas de sa réflexion : il s'agit d'éducation technologique. Ceci constitue un principe essentiel pour qui veut promouvoir une culture technique accessible à tous et non une culture scolaire centrée sur des technicités éducatives qui ignorent le monde qui nous entoure. Alain Crindal UMR STEF, ENS Cachan - INRP Repères bibliographiques BARBIER, J-M. (1996). Elaboration de projets d' action et de planification. Paris : PUF BELLANGER, L & COUCHAERE, M-J., (1995). Animer et gérer un projet. Paris : ESF BOUTINET, J-P. (1992). Anthropologie du projet. Paris : PUF. BRU, M. & NOT, L. (1987). Où va la pédagogie de projet ? 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Rapports de jury. CAPET interne de technologie, 1991-1997. MOLES, A. & CAUDE, R. (1964). Méthodologie. Vers une science de l’action. Paris : Gauthier Villars. RAK, I. ; TEXIDO, Ch. ; FAVIER, J. ; CAZENAUD, M. (1990). La démarche de projet industriel. Paris : Foucher, 1ère édition, 368 p. Annexe Une méthode d'analyse des situations de projet Projet-Crindal 8 CONTEXTE Volonté de technique Tensions Volonté d'implication Nécessité SENS Désir Economiques Plan Obstacles VALEURS TEMPS CONDITIONS Humaines Durée Opportunités Relations d'influence INTENTION EXECUTION Projeter Concevoir Produire Diffuser PROCESSUS DECISION Négocier-Gérer Structure linéaire Structure cyclique Relations d'influence PERSONNEL USAGER POINTS DE VUE INSTITUTIONNEL Individuel Collectif ACTEUR Interne au projet Externe au projet CITOYEN A partir de ce schéma, il est possible de lire la figure que prend un projet. Notre méthode prend en compte les variables suivantes : La figure est établie à partir de trois grandes caractéristiques (chaque trait significatif est ici en italique). 1. Les traits du contexte caractérisent la situation Une série de quatre traits décrit le contexte des projets. Chacun de ces traits peut être considéré suivant deux axes, soit technique, soit humain. Le sens élucide la portée du projet (nécessité technique ; désir des acteurs) Les valeurs traduisent les idéaux associés au projet (portée économique ; portée humaine) Le temps gouverne des repères pour l’action (dans un plan ; pour sa durée) Les conditions reflètent le champ des possibles (à partir d'obstacles à franchir ; d'opportunités à saisir). 2. Tout projet se développe au travers d'une démarche spécifique Trois moments constituent les unités minimales que les acteurs mettent en œuvre : - L’intention donne la direction au projet, sa visée. Il s'agit de concevoir “l’objet” qui devrait être réalisé. Ce moment est caractérisé par des tâches de définition de critères et de solutions. - L’exécution, c'est le moment où le produit est réalisé. Ce moment est caractérisé par des tâches de transformation, de fabrication, de production, de diffusion. - La décision est un troisième moment qui est assujetti aux deux autres. La décision se caractérise par des tâches de négociation et de validation relatives aux choix qui parcourent le projet. Ces trois moments ne se développent pas nécessairement d'une façon linéaire, ils sont en interaction. 3. Les acteurs ont différents points de vue sur le projet En interne, un acteur peut choisir un point de vue à titre personnel ou institutionnel. Il agit suivant des rôles de concepteur, d’organisateur, de réalisateur ou de diffuseur du résultat escompté. Il peut réaliser son activité en optant pour une posture soit individuelle, soit collective. Le même acteur peut adopter un point de vue externe à son activité. Dans un rôle d'usager, il s'intéresse au rapport produit/utilisation, dans un rôle de citoyen, il se préoccupe de l'impact des techniques. Projet-Crindal 9