Le projet, un principe organisateur, mais des variations de

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Le projet, un principe organisateur,
mais des variations de conceptions
La volonté, c’est le désir surmonté par un projet raisonnable, mais retenu vif dans
l’impulsion, dans le jet du projet.
Paul Ricœur
(
1995). Volonté, 23-790 a, Encyclopædia Universalis
Le projet constitue un exemple de principe organisateur appartenant à la fois aux pratiques
sociales et aux pratiques éducatives. Les enseignements professionnels et techniques sont à
l'origine de l'utilisation du projet à des fins d'apprentissage, mais aujourd’hui une variété
d'acceptions est donnée au projet.
Pour tenter de sortir de la confusion, nous nous proposons de définir un cadre de lecture pour
ce concept désormais devenu polyvalent. A la lumière des différents caractères attribués au
projet, nous reprendrons la lecture de l'histoire de son usage à des fins d'apprentissage. Puis,
nous analyserons deux cas contemporains de l'usage du projet : l'émergence récente du projet
pluridisciplinaire à caractère professionnel (PPCP) au lycée professionnel et les réalisations
sur projet en technologie au collège.
L'histoire du projet rend compte d'acceptions différentes
Le projet comme méthode d'enseignement provient des mouvements d’éducation et de
formation d’architecte puis d’ingénieurs qui butèrent en Italie à la fin du XVIe siècle
(Knoll, 1997) L’histoire du projet dans des situations d'apprentissage peut être divisée en cinq
périodes :
1590 - 1765 : Les projets dans les écoles d’architecture et les grandes écoles en Europe
1765 - 1880 : Le projet, une méthode d’enseignement transplantée aux Etats-Unis
1880 - 1915 : Le travail sur projets dans les écoles publiques aux USA
1915 - 1965 : La définition d’une méthode de projet et sa réimplantation en Europe
1965 à nos jours : Reprises cycliques de l’idée de projet sous différentes acceptions
L'archétype du projet architectural
Le projet en architecture constitue un archétype dont la connaissance est indispensable pour
comprendre les sens contemporains qui sont donnés aux projets techniques. A la fin du XVIe
siècle, les architectes qui veulent faire admettre leur spécificité professionnelle fondent une
Académie pour enseigner l’art de la construction. Dans ce cadre les trois caractères
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du projet
sont présents. Les projets sont des exercices hypothétiques stimulants conçus à l’image des
concours architecturaux qui sont la référence au réel des pratiques. La nature de ces projets
est bien celle d’un essai, d’une projection de ce que sera le bâti
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. L’élève-architecte traduit
son dessein dans les plans qu’il remet au concours. Ces exercices respectent des délais et
1 Le caractère existentiel du projet renvoie aux mobiles de l’activité, le caractère méthodologique du projet à
sa faisabilité et le caractère opératoire à sa finalisation (cf. Crindal, A. (2003). Les figures du projet dans
l’enseignement de la technologie au collège in Projet(s) ?, Alinéa, n°,14, 167-192.
2 Boutinet, J-P. (1994). La problématique du projet, in ROPS, Le projet. Un défi nécessaire face à une société
sans projet. Paris : L’Harmattan, pp. 9-13.
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demandent de convaincre un jury. Parallèlement à ces activités pratiques un enseignement
théorique est conduit dans des cours et en ateliers.
L’usage du projet est décidé à partir d’une redéfinition des pratiques sociales (être considéré
comme artiste et non plus comme artisan) qui repose sur quatre critères :
- Les objets de travail sont redéfinis. D’une construction transformée au fur et à mesure de
l’exécution, il s’agit de passer à une construction, imaginée une fois pour toute, dont les
caractéristiques sont communicables à autrui et dont le contrôle a posteriori est prévisible.
- L’activité technique est rationalisée. Les instruments sont redéfinis, les plans véhiculent les
informations techniques, ils fixent des critères (le temps et les ressources attribuées par
exemple).
- Des compétences spécifiques se développant, des métiers sont distingués : L’architecte
détermine l'œuvre : le projet de construction. Il le transpose en un contrat et en vérifie la
conformité d’exécution. L’entrepreneur réalise l'ouvrage : le bâti.
- Des rôles sociaux sont codifiés dans une nouvelle organisation du travail (maître
d’œuvre/maître d’ouvrage) qui traduit une hiérarchie naissante (ingénieur/technicien).
Le projet est naturellement implanté dans les grandes écoles et les universités techniques
A la fin du XVIIIe siècle, la profession d’ingénieur est étroitement liée aux Arts et, par là
même, à l’architecture. La formation des ingénieurs commence dans ce que seront les grandes
écoles et les grandes universités techniques et industrielles :
- L’Ecole des Ponts et Chaussées (1747)
- L’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris (1829)
- L’Ecole Polytechnique Ducale de Karlsruhe (1833)
- Le Massachusetts Institue of Technology de Boston (1864)
Le modèle de formation des grandes écoles utilise bien évidemment les mêmes principes que
celui des académies d'arts (cours, classe-atelier et apprentissage par projets).
Quatre conceptions américaines successives pour les projets dans l’enseignement
• La méthode de projet reprise aux Etats-Unis est transformée par Robinson
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, (autour de 1870)
qui conçoit le projet également comme un moment de réalisation. Il se distingue de la
formation européenne l’ingénieur de type scientifiqueétait considéré comme idéal. Le
projet doit aller jusqu'à la fabricationpour permettre aux élèves de devenir des ingénieurs
pratiques (le caractère opératoire du projet est alors renforcé), mais aussi des citoyens
démocratiquesqui comprennent à cette occasion l’égalité des hommes et la dignité de tout
type de travail.
• Cette conception coûteuse en temps de formation n'est pas généralisable et une alternative à
cette solution est apportée en transférant l’enseignement des travaux manuels de l’université
vers l’école secondaire
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. A l’Ecole d’Enseignement Manuel, les élèves sont familiarisés avec
l’art des travaux manuels (travail du bois, sur le tour, à la forge, en fonderie et en mécanique)
suivant deux pratiques :
- des unités d’enseignement proposaient une série d’exercices de base qui consistaient à
apprendre “l’alphabet et l'usage d'outils techniques ;
- à la fin de chaque unité et à la fin de l'année scolaire, des projets étaient développés comme
des exercices synthétiques”. Les techniques apprises dans les unités étaient appliquées dans
3 Professeur de génie mécanique à l’Université d’Urbana en Illinois
4 Woodward en 1879, fonde la première Ecole d’Enseignement Manuel à St Louis
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leur contexte. L’instruction était conçue en progressant systématiquement des principes
élémentaires aux applications pratiques soit, selon l’expression de Woodward, de
l’instruction” vers la “construction” (le caractère méthodologique du projet est ici renforcé).
• Cependant sous l'influence de John Dewey la conception de Woodward est renouvelée. Le
travail manuel devait être basé sur les expériences de l’enfant afin que la créativité soit
d'égale importance avec les habiletés techniques, d'où l'idée “d’occupations constructives
(Dewey, 1900). Dans cette conception, le travail manuel conduit les enfants à travailler sur
des entités naturelles avant qu'ils ne soient confrontés à des parties artificielles de la
connaissance. Les élèves acquièrent les connaissances et les habiletés nécessaires à la
réalisation du projet au cours de celui-ci. Ainsi l’instructionne précède plus le projet, mais
elle y est intégrée dans un projet de travail constructif”. Ce travail par projet qui vise un
développement social répond aux exigences psychologiques de l'époque : les enfants ne
devaient pas être instruits d’une manière passive, ils devaient s’engager dans des
apprentissages visant à développer l’initiative, la créativité et le jugement (la dualité des
caractères opératoire et existentiel du projet est soulignée par cette conception que Dewey
donne au projet).
En 1918, Kilpatrick tente de généraliser le propos au travers de La méthode de projet”. Il
définit le projet comme une activité intentionnelle impliquantela motivation de l’élève
devient la dimension essentielle de la méthode”. Dans la mesure l'enfant entreprend
intentionnellement une activité, Kilpatrick considère qu’il y a projet (dans cette acception, le
caractère existentiel du projet est exclusif). Ainsi le projet n'est plus lié aux activités
techniques constructives. L'idéal est atteint lorsque le but, la planification, l’exécution et
l’évaluation sont à la fois provoqués et réalisés par les élèves et non pas par l’enseignant.
Mais, cet apprentissage spontané et libre que les éducateurs passionnés de "pédagogie de
projet" ont depuis admiré et tenté de reproduire a-t-il existé ?
Dewey critique cette conception par le fait que les élèves sont incapables de planifier par eux-
mêmes les projets et les activités. Il critique également la notion d’activité intentionnelle,
dans la mesure l'intention se transforme lorsqu'il s'agit de passer à une méthode d’action.
Ceci revient à défendre le concept traditionnel du projet qu'il présente comme une méthode
parmi d'autres.
Le management de projet , un modèle pour organiser la production
Nous ne pouvons taire le fait qu'en dehors de tout objectif d'apprentissage, le terme de projet
est repris dans le monde économique et que cette acception aura une influence sur les
pratiques scolaires. A l’occasion de la 2de guerre mondiale en 1941, le management par projet
est une forme de réorganisation de la production industrielle conçue aux USA pour répondre à
l'urgence de la production de moyens de transport maritime (construction de cargos, Liberty
ships, par la firme Kaiser). Il s'agit de centrer une équipe plus réduite sur un objectif singulier
afin de réduire les délais de production en optimisant les pratiques professionnelles (le
caractère méthodologique du projet prédomine dans cette conception). Ultérieurement les
formes données à ce type de gestion de l'entreprise vont constituer des références successives
pour les enseignements techniques et professionnels : la Task-Force, les grands
projets comme Ariane et plus récemment l’ingénierie simultanée sont dans la veine du sens
"d'efficacité" qui est conféré au projet dans l’entreprise.
L'usage du même terme pour une pratique de conception-production et une pratique
d'enseignement perdure encore de nos jours dans le terme de projet technique. Comme
modèle d'organisation du travail scolaire référencé aux entreprises travaillant par projet et
démarche pour apprendre dans une expérience constructive collective, le projet technique est
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porteur de l’ambivalence praxis/poïésis. D’un côté la praxis renvoie à un faire efficace, une
démarche et ses technicités constatées dans les habitus qui conduisent à la bonne
construction. De l’autre la poïésis renvoie à la création mais aussi au sujet qui est créateur.
Dans sa visée éducative, le projet technique vise à la fois un travail sur la matière et un travail
sur soi.
La renaissance de la méthode de projet dans les années 1960
A la fin des années 1960, les projets réapparaissent en Europe occidentale comme une
transplantation du modèle américain. Ils sont mis en avant pour leur caractère pratique,
interdisciplinaire et de leur mission sociale, ils constituent une alternative possible aux cours
traditionnels. Cependant cette réimplantation est confuse car elle s'appuie sur des idées
contradictoires appartenant à la fois à Dewey et Kilpatrick. Dans les années 1970 en
Allemagne, une forme singulière consistait en des « jours à projet », ou des « semaines à
projet », durant lesquels le curriculum normal était suspendu
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(le processus était parfois si
ouvert que pratiquement tout ce que les élèves avaient envie de faire pouvait être qualifié
comme étant un projet). Cette euphorie d’un projet principalement orienté par son caractère
existentiel s’évapora rapidement ; la réalité et la complexité des apprentissages qu’il évoquait
ne pouvaient s’inscrire dans les organisations canoniques des programmes d’enseignement.
Le PPCP, un nouveau dispositif de projet dans l'enseignement
professionnel intég
Le PPCP s’inscrit dans une réforme globale du lycée professionnel qui institue
l’“enseignement professionnel intégré ” (1999), dans laquelle une des composantes est
l’intégration de la formation générale à la formation professionnelle. Le PPCP s’inscrit
également dans l’histoire pédagogique particulière du lycée professionnel. Différentes
réformes ont mis en place des dispositifs sur projet ayant des relations plus ou moins proches
avec les enseignements disciplinaires et conduisant plusieurs professeurs à travailler
ensemble : les PACTE, les PAE
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et les modules en classe de seconde dans lesquels sont
intervenus conjointement des professeurs d’enseignement général et d’enseignement
professionnel.
Aujourd'hui, les élèves de lycée professionnel ont dans leur cursus de 15 à 17 h
hebdomadaires d’enseignement “professionnel” selon les niveaux et une des pratiques
préconisées dans cette tranche horaire est le “projet technique”. Pour l’enseignant, ce projet
consiste à organiser les différentes étapes nécessaires à une réalisation technique et à la faire
réaliser par les élèves, avec plus ou moins d’autonomie selon le niveau d’étude. Dans le
5 Ceci correspond en partie à la mise en place des 10% en France.
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Les PACTE (projet d’action culturelle et éducative) en 1979, sont proposés pour concrétiser les désirs des
élèves, pour les motiver. Ils absorbent les anciens « 10% », et ouvrent l’école sur son environnement.
Dépendants du volontariat, ils se concrétisent sous la forme d’une étude, d’une activité ou d’une réalisation à
entreprendre en commun. MEN, circulaire 79-289 du 11 septembre 1979, Christian Beullac.
- Les P.A.E. (projet d’action éducative), à partir de 1981, sont formalisés suivant une conduite du projet qui
passe par une analyse des besoins, une définition des objectifs, une procédure de suivi et d’évaluation. Ils
préconisent le développement de la pédagogie du projet. MEN, note de service 81-305 du 24 août 1981, Alain
Savary.
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secteur tertiaire, il est possible de comparer le projet technique avec l’“Etude de cas” qui
consiste à simuler une situation professionnelle afin d’en maîtriser les caractéristiques tout en
s’entraînant aux démarches permettant d’obtenir le service visé.
Pour être efficace, l’enseignant chef de projet conçoit, décide et distribue des séries de tâches,
la valeur éducative des activités prévues repose sur la qualité de l’exécution de ces tâches.
Dans cette conception, le projet est une méthode de l’enseignant tandis que, pour les élèves, il
représente un exercice scolaire conçu pour vérifier l’acquisition de leurs compétences.
Le PPCP se distingue de ce projet technique par le fait que c'est aux lycéens que l'on dévolue
le projet. Dans leur aspect opératoire, les activités poursuivies doivent être significatives
d'une appartenance aux techniques de la filière professionnelle, elles s’inscrivent pleinement
dans le désir d’action qui caractérise les élèves du lycée professionnel. Dans son aspect
existentiel en s’impliquant au sein d’un collectif d’acteurs pour participer à une expérience
construite en relation avec des pratiques sociales, le lycéen se projette dans ce que seront ses
missions en s’initiant à des pratiques de son futur métier. Sur le plan de la méthode, un PPCP,
c’est un nouveau type de dispositif que les élèves, accompagnés par leurs enseignants,
investissent pour leur formation. Ce sont les professeurs et —dans l'idéal— un partenaire
professionnel qui définissent le scénario de ce dispositif en termes d’activités, de ressources,
de compétences à mettre en jeu, de rôles spécifiques à tenir pour atteindre un but partagé et
contractualisé.
Une recherche prospective récente
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indique que la mise en place de ce travail sur projet
produit des changements pour l’ensemble des acteurs (élèves, professeurs, partenaires) :
• Pour les professeurs et pour les partenaires, le PPCP est une situation nouvelle qui réclame
un changement de point de vue : il s'agit de se placer entre l'école et l'entreprise. Ce qui pose,
au moins pour les enseignants, la question de nouveaux gestes professionnels.
• Pour les élèves, ce serait la possibilité d'entrer dans un rôle nouveau :
- par la scénarisation et le contrat posé, les élèves s’approprient des rôles réalistes et
font du PPCP leur projet ;
- lorsque le caractère professionnel est tenu et qu’un minimum de pluridisciplinarité est
mis en œuvre alors les élèves peuvent utiliser le PPCP comme un dispositif de passage
entre leur période de formation en entreprise et leurs apprentissages disciplinaires.
La cohérence entre les ambitions provenant du « projet », de la « pluridisciplinarité » et du
« caractère professionnel » est obtenue à partir d'un dispositif nouveau de formation qui
reprend le principe originel du projet. En convoquant des connaissances nouvelles
contextualisées, en les réarrangeant et en les ordonnant, les élèves entrent dans leur rôle de
jeune professionnel.
La disparité des démarches et des représentations sur le projet en
technologie au collège
Les représentations des élèves de collège
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Pour une frange de la population scolaire avoisinant les 20 %, au niveau de la classe sixième,
il existe une résistance à l’anticipation, l'élève ne se projette pas, il vit l'activité scolaire dans
7 CRINDAL, A. et JOUIN, B. (2003). Le PPCP, Nature et évolution de connaissances dans un nouveau dispositif
d’initiation aux pratiques professionnelles. Rapport de recherche - UMR STEF ENS-Cachan – INRP
8 Les résultats de cette partie s'appuient sur le travail de thèse : CRINDAL, A. (2001) Enquête sur les figures de
la démarche de projet en technologie. Thèse de sciences de l'éducation. ENS-Cachan.
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