Résumé
L’assistance au suicide pose une question sociale, juridique et éthique complexe.
Le présent rapport fait état de la situation juridique actuelle, surtout en relation
avec l’art. 115 du Code pénal (CP) et avec son interprétation dans la pratique.
Cette problématique est discutée dans une perspective éthique et critique, de
manière à proposer au législateur et aux praticiens du droit une série de recom-
mandations concrètes. Auparavant, différents cadres d’analyse sont présentés. Ils
relèvent de ces multiples points de vue historique, médical, sociologique, politique
et éthique. Ceux-ci ont leur importance quand on veut porter un jugement sur la
situation présente et formuler des recommandations à son propos.
La Commission nationale d’éthique (CNE/NEK) éprouve une profonde ambivalen-
ce au sujet de l’assistance au suicide. Cette procédure conduit à une situation
conflictuelle pour les proches et, de manière particulière, pour les membres des
professions médicales. Les dilemmes éthiques qu’elle pose en pratique sont déli-
cats. La Commission est d’avis que la solution à ces dilemmes ne se trouve pas
sur un plan théorique et général, mais seulement dans la complexité de chaque
cas particulier. De même, la personne à qui s’adresse la demande de contribuer à
l’assistance à un suicide doit prendre une décision en conscience. L’aide au suici-
de ne saurait donc devenir une procédure routinière. Il n’existe aucune règle
générale qui puisse simplement s’appliquer dans la pratique pour justifier et
conduire une aide au suicide. Deux valeurs fondamentales sont essentielles quand
on veut considérer l’aspect personnel de l’éthique de l’assistance au suicide et les
mesures à prendre aux niveaux juridique et institutionnel. Ces valeurs mettent
tension deux pôles opposés: la sollicitude pour l’être souffrant qui a perdu tout
espoir, d’une part, et le respect à l’égard de sa libre autodétermination, d’autre
part. Les recommandations ou régulations que l’on pourrait proposer n’ont pas
vocation à donner l’avantage à l’un ou à l’autre de ces deux pôles; elles doivent
juste en tenir compte et faire prendre conscience de l’existence de cette tension.
Du point de vue éthique, il s’agit de distinguer la situation où il est question d’un
suicide assisté et celle où il en va d’une euthanasie à la demande d’un malade,
même si les actes pratiqués dans ces deux situations peuvent être assez sem-
blables. Pour des raisons éthiques, la Commission soutient la réglementation suis-
se en vigueur sous la forme de l’art. 115 CP, d’après lequel l’assistance au suici-
de est légale tant qu’elle n’est pas motivée par des mobiles égoïstes. Elle ne pré-
conise donc aucune modification de la règle pénale sur ce point, mais elle recom-
mande de l’encadrer par des textes législatifs complémentaires. Pour traiter
correctement les problèmes que suscite l’assistance au suicide, la Commission
estime nécessaire de placer cette délicate question sous la surveillance de l’Etat.
L’objectif recherché est de garantir que des critères de qualité seront dûment
observés lors de la vérification de la pertinence des décisions qui pourraient être
prises et de la conformité de la procédure à des règles éthiques que nous décri-
rons plus loin.
La Commission aborde dans la suite du texte des problèmes particuliers comme
la question de savoir si l’aide au suicide peut être effectuée auprès de personnes
souffrant de maladies psychiques. Elle observe à ce propos une attitude prudente
et elle réclame une priorité au traitement psychiatrique et à l’approche psychothé-
rapeutique. Quand le désir de mettre fin à ses jours est l’expression ou le symp-
tôme de la maladie psychique dont souffre la personne, l’assistance au suicide doit
être exclue. Cette position écarte en principe les malades psychiques, bien qu’il
faille toujours examiner chaque cas pour lui-même. D’autres questions concernent
les mineurs capables de discernement, l’assistance au suicide dans les hôpitaux et
dans les EMS (établissements médico-sociaux), les implications qui s’ensuivent
76
intensément réfléchi ou ont grandement appris de l’expérience vécue lors de la
mort d’un proche. La plupart s’inquiètent de ce que, lorsque viendra leur heure,
leur propre volonté ne vienne à compter pour rien. La Commission ne veut ni ne
peut mesurer la qualité de ces réflexions éminemment personnelles. Ce n’est pas
son rôle. Elle voit plutôt sa tâche comme consistant à clarifier les conditions-
cadres à partir desquelles la société pourra fonder sa réflexion et prendre ses
désions. C’est pourquoi la dimension publique de ce débat prend un tour si impor-
tant et, en même temps, si délicat.
Les membres de la Commission ont essayé de travailler dans cet esprit. Le 5 mai
2004, la Commission a tenu une séance publique à Berne pour les membres des
Chambres fédérales, lors de laquelle elle a présenté une série de thèses en en
explicitant les enjeux pour les élu-e-s politiques. En dix thèses, le cœur des posi-
tions de la Commission à propos de l’assistance au suicide a été rendu public et
soumis à la discussion lors d’un symposium organisé les 17 et 18 septembre 2004,
à Zurich. A cette occasion, de nombreux points de vue émanant de différents
groupes de la société, suisses ou étrangers, ont pu être débattus. Les résultats
des débats menés lors de ces manifestations ont été utiles à la Commission pour
réviser et pour étayer ses thèses. C’est ainsi que nous nous proposons de présen-
ter ici nos recommandations aux autorités ainsi qu’au public.
Il s’agit de considérer nos prises de position comme une étape supplémentaire :
la Commission entend ainsi contribuer au débat en tentant de l’éclairer, mais sans
prétendre en rien épuiser le sujet. Nous avons tenté, au fil d’un processus qui a
formé petit à petit notre avis, non sans tensions ni controverses, de rendre justi-
ce en profondeur à la diversité des perspectives éthiques présentes dans nos
rangs et dans la société suisse.
Christoph Rehmann-Sutter, Février 2005