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Les investisseurs long terme
INVESTISSEMENT
À LONG TERME
Comment relever le défi ?
Le débat d’Asset Management Magazine
Alain Leclair, président de l’AFG
Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2i
Même s’il existe des désaccords entre eux, Alain Leclair, président de l’AFG,
et Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2I, font cause commune pour
le développement de l’investissement long terme en France. Entre incitations fiscales
et allègement des contraintes de passif des institutionnels, des solutions émergent
du débat. Reste à convaincre les politiques de la nécessité d’orienter l’épargne
sur le financement de l’économie réelle plutôt que sur celui de la dette publique.
Propos recueillis par Stéphanie Baugas Villers, Laure Closier et Guillaume Errard
A
sset Management Magazine — Les
fonds de pension constituent l’éternel « serpent de mer » en France.
Quel est le frein à leur développement ?
Jean-Pierre Grimaud — Le frein est politique.
Dès le départ, le débat a été posé en opposition
de systèmes : on a opposé le système par capitalisation, que représentent les fonds de pension, à celui par répartition, alors qu’il n’existe
aucune opposition, mais bien une complémentarité. Aujourd’hui, subsiste encore idéologiquement un frein à accepter l’idée qu’il faut les
associer l’un à l’autre. On met des « faux nez »
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à ces fonds par capitalisation. Et l’assurance
vie en est un exemple.
A.M.M. — Faut-il modifier la réglementation ?
J.-P.G. — Ce n’est pas un problème de réglementation mais de modèle. L’assurance vie est
présentée comme un outil de long terme. En
réalité, il s’agit d’une enveloppe d’épargne avec
laquelle vous êtes à l’abri fiscalement, si vous
ne sortez pas avant huit ans. Mais, comme l’assuré peut sortir à tout moment, lorsque vous
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Alain Leclair, président de l’AFG (Association française
de la gestion financière)
faites une analyse du passif, vous avez un
risque de liquidité. Au final, l’assurance vie n’est
pas un vrai produit de retraite mais un produit
d’épargne.
Alain Leclair — Je suis totalement d’accord
avec Jean-Pierre. On a donné le sentiment aux
gens que la liquidité était gratuite à tout moment. Or elle a un prix. À titre d’exemple, avec
Gérard de la Martinière, président de la FFSA
(Fédération française des sociétés d’assurance)
jusqu’en octobre dernier, nous avons publié
un rapport dans lequel nous suggérions de
prendre en priorité des mesures en faveur de
l’épargne longue. Malheureusement, d’autres
priorités ont été décidées à la place. Nous
sommes dans une époque schizophrène où on
veut tout et son contraire, comme consolider
l’emploi et améliorer le SMIC.
A.M.M. — Quand les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion sont
d’accord sur un sujet aussi important que
l’investissement de long terme, sur qui
faut-il alors mettre la pression ?
A.L. — Sur les politiques. Ce que nous continuons de faire auprès de l’État français et de
la Commission européenne. Nous avons besoin
d’une vision à long terme. L’environnement, les
transports, l’énergie, l’éducation, la recherche
sont des facteurs de long terme qui demandent
Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2I
(Association des investisseurs institutionnels)
de l’investissement et, par conséquent, des
marchés financiers. Mais, pour investir à long
terme, il faut s’en donner les moyens. Or, en
France, toute la mécanique fiscale a été structurée pour favoriser le financement à court
terme, à commencer par le financement de
l’État. On a créé une sorte de « mille-feuilles
fiscal ». Quand les Français veulent acheter un
bien immobilier, ils acceptent de subir une privation, car ils y voient un intérêt. Ils sont prêts
à investir à long terme et à se priver de la liquidité – sauf cas de sortie exceptionnel – à
condition bien sûr qu’ils reçoivent une incitation meilleure que celle qu’ils ont à court terme.
À partir de là, il faut un certain courage politique, qui, reconnaissons-le, n’est pas évident
à avoir dans une période de crise où le monde
économique et bancaire manque de liquidité
immédiate.
A.M.M. — La France possède-t-elle les outils pour investir à long terme ?
A.L. — La France manque d’instruments, si ce
n’est le Perco, qui est un outil propre à détenir
les capitaux jusqu’à sa retraite. Le Perco,
comme le PERP d’ailleurs, n’a pas été suffisamment bien valorisé dans la structure fiscale
pour inciter à investir à long terme.
J.-P.G. — L’État a créé l’assurance vie dans les
années 1980. Il fallait bien trouver un réceptacle
Bloquer l’épargne
un peu plus longtemps
permettrait
aux institutionnels
de porter un peu
plus de risques
de type actions,
nécessaires pour
le financement de
l’économie. On ne peut
pas, en permanence,
financer l’économie
par la seule dette.
Jean-Pierre Grimaud
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En France, toute
la mécanique fiscale a
été structurée pour
favoriser le financement
à court terme, à
commencer par le
financement de l’État.
Alain Leclair
”
pour porter la dette. Alors, certes, il existe aussi
le Perco et le PERP, mais ce ne sont que des
mesures partielles. Le débat n’a pas été poussé
assez loin. Par exemple, la hiérarchie de la rémunération de l’épargne n’est pas bonne. Évidemment, ce n’est pas politiquement correct
de dire que le Livret A devrait offrir 0,50 %,
mais on devrait le faire. Car, si on laisse des
sommes importantes sur le Livret A, ce sont autant de sommes qui ne sont pas placées sur
d’autres véhicules d’investissement finançant
l’économie sur le long terme.
A.M.M. — Est-il opportun de remettre en
cause la liquidité des contrats d’assurance
vie ?
A.L. — Je suis persuadé que les particuliers
sont prêts à se priver de la liquidité immédiate.
Il est nécessaire de fournir un schéma où l’individu serait récompensé par une incitation
forte pour sa privation de liquidité. Et cette incitation n’existe quasiment pas en France. Chez
nos amis anglais, tous les citoyens seront prochainement, selon le rapport Turner, obligés
d’épargner – hors fiscalité et hors Solvency II –,
via un fonds de pension, environ 3 % pour la
retraite. Les sociétés dans lesquelles ils travaillent verseront, elles, 2 % et l’État 1 %.
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A.M.M. — Pourquoi les Britanniques vontils créer un fonds à cotisation définie ?
J.-P.G. — Pour la simple et bonne raison que
leurs fonds de pension traditionnels à prestation définie sont en déficit de passif. Plutôt que
de laisser les problèmes s’amplifier, le gouvernement britannique a encouragé les ménages
et les entreprises à placer les sommes en vue
de la retraite sur des fonds à cotisation définie.
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A.L. — En France, beaucoup de partenaires
sociaux sont prêts à reconnaître qu’il faut intégrer des fonds de capitalisation dans les systèmes de retraite, même de répartition. Lorsque
Lionel Jospin a créé le FRR, on a parlé de fonds
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de lissage, mais c’était bien l’acceptation implicite qu’on faisait de la capitalisation dans des
systèmes de répartition. Et, pourtant, la France
a pris trop de retard sur ce sujet, qui est forcément moins alléchant que le financement de la
dette de l’État. Les encours pour l’assurance
vie sont tels que si nous proposons un système
substitutif ou plus avantageux, on risque
d’ébranler le socle de l’assurance vie. Or, en
France, lorsqu’on ébranle quelque chose qui
fonctionne… À titre d’exemple, lorsque le rapport Pébereau sur la dette publique a été publié,
s’est posée la question d’inclure ou non le paiement des retraites dans la dette sociale. Finalement, ils ne l’ont pas été. En d’autres termes,
l’État a reconnu que le paiement des retraites
n’est pas une dette.
A.M.M. — L’épargne salariale se développe
en France, mais elle est gérée directement
par une société de gestion. N’est-ce pas
dangereux ?
A.L. — En France, on n’a pas compris que,
lorsqu’on opte pour un système par capitalisation, il faut prendre en compte les risques de
la capitalisation. On veut mettre en place des
systèmes par capitalisation qui vont imiter le
système par répartition. Mais non ! Quand on
fait de la répartition, il faut prendre en compte
les risques de la répartition. Je pense qu’il faut
mettre de côté l’opposition capitalisation/ répartition et discuter de la nécessité de financer
à long terme les entreprises, les infrastructures.
Autrement dit : financer le monde de demain.
Or, dans cette optique, il faut des capitaux
longs. L’État gravement endetté peut-il le financer ? Non. Peut-il emprunter davantage
pour le faire ? Non. Peut-il augmenter les impôts ? Non. En revanche, c’est possible avec
un complément fort d’épargne long terme. Et il
en existe. C’est l’une de nos richesses en Europe. Mais il est mal utilisé.
J.-P.G. — Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que
la proportion d’actions entre une caisse de
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retraite par répartition, une institution de prévoyance, un assureur vie et un fonds de pension traditionnel anglais va croissant. L’idée
serait donc de bloquer l’épargne un peu plus
longtemps. Dès lors, les institutionnels pourraient porter un peu plus de risques de type actions, nécessaires pour le financement de
l’économie. On ne peut pas, en permanence,
financer l’économie par la seule dette.
A.M.M. — Les sociétés de gestion affirment qu’il est important d’avoir un horizon
à long terme. Ce discours est-il en adéquation avec la problématique des institutionnels ?
J.-P.G. — Il faut bien comprendre que l’argent
que nous gérons ne nous appartient pas. En
tant qu’institutionnel, nous pouvons tenir un
discours de long terme, mais dans la limite de
nos capacités de risque. Nous ne sommes que
des intermédiaires de l’épargne, à l’image des
banques et des sociétés de gestion, ce qui
crée des contraintes de passif que nous cherchons à combler par des investissements à
l’actif. Je voudrais bien mettre 30 % d’actions
dans mon portefeuille, mais je n’en ai pas les
capacités techniques, car l’horizon d’investissement qui est le nôtre est de plus en plus
court.
A.M.M. — Selon vous, il faut donc attendre
une période de plus grande stabilité pour se
lancer dans des chantiers de long terme.
A.L. — Ou bien que les conditions économiques globales nous y obligent.
J.-P.G. — Il s’agit d’un travail très important,
mais très complexe et surtout peu porteur politiquement. Il est donc plus facile à mettre en
place dans des périodes fastes ou de rupture
fondamentale.
A.L. — Les plans de relance économique avec
les infrastructures à financer constituent une
opportunité pour le faire. C’est bien ainsi ce qui
s’est produit dans les années 1970 pour le téléphone, les autoroutes, le nucléaire et ce qu’il
faudra accomplir pour l’économie verte. Le
grand public pourra dans ce cas comprendre
l’utilité de la finance.
J.-P.G. — C’est l’une des opportunités à saisir.
Nous sentons bien qu’il faut changer de mode
de développement économique. Pour cela, il faut
investir dans l’économie durable, ce qui nécessite des changements d’infrastructures dans le
monde entier. Des aménagements qui ne se font
pas en deux ou trois ans, mais plutôt en quinze
ou vingt ans. Cependant, l’horizon politique est
plutôt un horizon de court terme… ■■■
Je voudrais bien
mettre 30 % d’actions
dans mon portefeuille,
mais je n’en ai pas
les capacités
techniques.
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