38-41-DOSSIER-INTERVIEW:Mise en page 1 12/03/09 15:09 Page 38 dOsSIEr Les investisseurs long terme INVESTISSEMENT À LONG TERME Comment relever le défi ? Le débat d’Asset Management Magazine Alain Leclair, président de l’AFG Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2i Même s’il existe des désaccords entre eux, Alain Leclair, président de l’AFG, et Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2I, font cause commune pour le développement de l’investissement long terme en France. Entre incitations fiscales et allègement des contraintes de passif des institutionnels, des solutions émergent du débat. Reste à convaincre les politiques de la nécessité d’orienter l’épargne sur le financement de l’économie réelle plutôt que sur celui de la dette publique. Propos recueillis par Stéphanie Baugas Villers, Laure Closier et Guillaume Errard A sset Management Magazine — Les fonds de pension constituent l’éternel « serpent de mer » en France. Quel est le frein à leur développement ? Jean-Pierre Grimaud — Le frein est politique. Dès le départ, le débat a été posé en opposition de systèmes : on a opposé le système par capitalisation, que représentent les fonds de pension, à celui par répartition, alors qu’il n’existe aucune opposition, mais bien une complémentarité. Aujourd’hui, subsiste encore idéologiquement un frein à accepter l’idée qu’il faut les associer l’un à l’autre. On met des « faux nez » 38 Asset Management Magazine n°50 Mars 2009 à ces fonds par capitalisation. Et l’assurance vie en est un exemple. A.M.M. — Faut-il modifier la réglementation ? J.-P.G. — Ce n’est pas un problème de réglementation mais de modèle. L’assurance vie est présentée comme un outil de long terme. En réalité, il s’agit d’une enveloppe d’épargne avec laquelle vous êtes à l’abri fiscalement, si vous ne sortez pas avant huit ans. Mais, comme l’assuré peut sortir à tout moment, lorsque vous 38-41-DOSSIER-INTERVIEW:Mise en page 1 10/03/09 16:09 Page 39 © Faustine Cornette de Saint-Cyr dOsSIEr Alain Leclair, président de l’AFG (Association française de la gestion financière) faites une analyse du passif, vous avez un risque de liquidité. Au final, l’assurance vie n’est pas un vrai produit de retraite mais un produit d’épargne. Alain Leclair — Je suis totalement d’accord avec Jean-Pierre. On a donné le sentiment aux gens que la liquidité était gratuite à tout moment. Or elle a un prix. À titre d’exemple, avec Gérard de la Martinière, président de la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurance) jusqu’en octobre dernier, nous avons publié un rapport dans lequel nous suggérions de prendre en priorité des mesures en faveur de l’épargne longue. Malheureusement, d’autres priorités ont été décidées à la place. Nous sommes dans une époque schizophrène où on veut tout et son contraire, comme consolider l’emploi et améliorer le SMIC. A.M.M. — Quand les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion sont d’accord sur un sujet aussi important que l’investissement de long terme, sur qui faut-il alors mettre la pression ? A.L. — Sur les politiques. Ce que nous continuons de faire auprès de l’État français et de la Commission européenne. Nous avons besoin d’une vision à long terme. L’environnement, les transports, l’énergie, l’éducation, la recherche sont des facteurs de long terme qui demandent Jean-Pierre Grimaud, président de l’AF2I (Association des investisseurs institutionnels) de l’investissement et, par conséquent, des marchés financiers. Mais, pour investir à long terme, il faut s’en donner les moyens. Or, en France, toute la mécanique fiscale a été structurée pour favoriser le financement à court terme, à commencer par le financement de l’État. On a créé une sorte de « mille-feuilles fiscal ». Quand les Français veulent acheter un bien immobilier, ils acceptent de subir une privation, car ils y voient un intérêt. Ils sont prêts à investir à long terme et à se priver de la liquidité – sauf cas de sortie exceptionnel – à condition bien sûr qu’ils reçoivent une incitation meilleure que celle qu’ils ont à court terme. À partir de là, il faut un certain courage politique, qui, reconnaissons-le, n’est pas évident à avoir dans une période de crise où le monde économique et bancaire manque de liquidité immédiate. A.M.M. — La France possède-t-elle les outils pour investir à long terme ? A.L. — La France manque d’instruments, si ce n’est le Perco, qui est un outil propre à détenir les capitaux jusqu’à sa retraite. Le Perco, comme le PERP d’ailleurs, n’a pas été suffisamment bien valorisé dans la structure fiscale pour inciter à investir à long terme. J.-P.G. — L’État a créé l’assurance vie dans les années 1980. Il fallait bien trouver un réceptacle Bloquer l’épargne un peu plus longtemps permettrait aux institutionnels de porter un peu plus de risques de type actions, nécessaires pour le financement de l’économie. On ne peut pas, en permanence, financer l’économie par la seule dette. Jean-Pierre Grimaud ” Asset Management Magazine n°50 Mars 2009 39 38-41-DOSSIER-INTERVIEW:Mise en page 1 10/03/09 16:09 Page 40 dOsSIEr Les investisseurs long terme En France, toute la mécanique fiscale a été structurée pour favoriser le financement à court terme, à commencer par le financement de l’État. Alain Leclair ” pour porter la dette. Alors, certes, il existe aussi le Perco et le PERP, mais ce ne sont que des mesures partielles. Le débat n’a pas été poussé assez loin. Par exemple, la hiérarchie de la rémunération de l’épargne n’est pas bonne. Évidemment, ce n’est pas politiquement correct de dire que le Livret A devrait offrir 0,50 %, mais on devrait le faire. Car, si on laisse des sommes importantes sur le Livret A, ce sont autant de sommes qui ne sont pas placées sur d’autres véhicules d’investissement finançant l’économie sur le long terme. A.M.M. — Est-il opportun de remettre en cause la liquidité des contrats d’assurance vie ? A.L. — Je suis persuadé que les particuliers sont prêts à se priver de la liquidité immédiate. Il est nécessaire de fournir un schéma où l’individu serait récompensé par une incitation forte pour sa privation de liquidité. Et cette incitation n’existe quasiment pas en France. Chez nos amis anglais, tous les citoyens seront prochainement, selon le rapport Turner, obligés d’épargner – hors fiscalité et hors Solvency II –, via un fonds de pension, environ 3 % pour la retraite. Les sociétés dans lesquelles ils travaillent verseront, elles, 2 % et l’État 1 %. © Faustine Cornette de Saint-Cyr A.M.M. — Pourquoi les Britanniques vontils créer un fonds à cotisation définie ? J.-P.G. — Pour la simple et bonne raison que leurs fonds de pension traditionnels à prestation définie sont en déficit de passif. Plutôt que de laisser les problèmes s’amplifier, le gouvernement britannique a encouragé les ménages et les entreprises à placer les sommes en vue de la retraite sur des fonds à cotisation définie. 40 A.L. — En France, beaucoup de partenaires sociaux sont prêts à reconnaître qu’il faut intégrer des fonds de capitalisation dans les systèmes de retraite, même de répartition. Lorsque Lionel Jospin a créé le FRR, on a parlé de fonds Asset Management Magazine n°50 Mars 2009 de lissage, mais c’était bien l’acceptation implicite qu’on faisait de la capitalisation dans des systèmes de répartition. Et, pourtant, la France a pris trop de retard sur ce sujet, qui est forcément moins alléchant que le financement de la dette de l’État. Les encours pour l’assurance vie sont tels que si nous proposons un système substitutif ou plus avantageux, on risque d’ébranler le socle de l’assurance vie. Or, en France, lorsqu’on ébranle quelque chose qui fonctionne… À titre d’exemple, lorsque le rapport Pébereau sur la dette publique a été publié, s’est posée la question d’inclure ou non le paiement des retraites dans la dette sociale. Finalement, ils ne l’ont pas été. En d’autres termes, l’État a reconnu que le paiement des retraites n’est pas une dette. A.M.M. — L’épargne salariale se développe en France, mais elle est gérée directement par une société de gestion. N’est-ce pas dangereux ? A.L. — En France, on n’a pas compris que, lorsqu’on opte pour un système par capitalisation, il faut prendre en compte les risques de la capitalisation. On veut mettre en place des systèmes par capitalisation qui vont imiter le système par répartition. Mais non ! Quand on fait de la répartition, il faut prendre en compte les risques de la répartition. Je pense qu’il faut mettre de côté l’opposition capitalisation/ répartition et discuter de la nécessité de financer à long terme les entreprises, les infrastructures. Autrement dit : financer le monde de demain. Or, dans cette optique, il faut des capitaux longs. L’État gravement endetté peut-il le financer ? Non. Peut-il emprunter davantage pour le faire ? Non. Peut-il augmenter les impôts ? Non. En revanche, c’est possible avec un complément fort d’épargne long terme. Et il en existe. C’est l’une de nos richesses en Europe. Mais il est mal utilisé. J.-P.G. — Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la proportion d’actions entre une caisse de 38-41-DOSSIER-INTERVIEW:Mise en page 1 10/03/09 16:09 Page 41 © Faustine Cornette de Saint-Cyr dOsSIEr retraite par répartition, une institution de prévoyance, un assureur vie et un fonds de pension traditionnel anglais va croissant. L’idée serait donc de bloquer l’épargne un peu plus longtemps. Dès lors, les institutionnels pourraient porter un peu plus de risques de type actions, nécessaires pour le financement de l’économie. On ne peut pas, en permanence, financer l’économie par la seule dette. A.M.M. — Les sociétés de gestion affirment qu’il est important d’avoir un horizon à long terme. Ce discours est-il en adéquation avec la problématique des institutionnels ? J.-P.G. — Il faut bien comprendre que l’argent que nous gérons ne nous appartient pas. En tant qu’institutionnel, nous pouvons tenir un discours de long terme, mais dans la limite de nos capacités de risque. Nous ne sommes que des intermédiaires de l’épargne, à l’image des banques et des sociétés de gestion, ce qui crée des contraintes de passif que nous cherchons à combler par des investissements à l’actif. Je voudrais bien mettre 30 % d’actions dans mon portefeuille, mais je n’en ai pas les capacités techniques, car l’horizon d’investissement qui est le nôtre est de plus en plus court. A.M.M. — Selon vous, il faut donc attendre une période de plus grande stabilité pour se lancer dans des chantiers de long terme. A.L. — Ou bien que les conditions économiques globales nous y obligent. J.-P.G. — Il s’agit d’un travail très important, mais très complexe et surtout peu porteur politiquement. Il est donc plus facile à mettre en place dans des périodes fastes ou de rupture fondamentale. A.L. — Les plans de relance économique avec les infrastructures à financer constituent une opportunité pour le faire. C’est bien ainsi ce qui s’est produit dans les années 1970 pour le téléphone, les autoroutes, le nucléaire et ce qu’il faudra accomplir pour l’économie verte. Le grand public pourra dans ce cas comprendre l’utilité de la finance. J.-P.G. — C’est l’une des opportunités à saisir. Nous sentons bien qu’il faut changer de mode de développement économique. Pour cela, il faut investir dans l’économie durable, ce qui nécessite des changements d’infrastructures dans le monde entier. Des aménagements qui ne se font pas en deux ou trois ans, mais plutôt en quinze ou vingt ans. Cependant, l’horizon politique est plutôt un horizon de court terme… ■■■ Je voudrais bien mettre 30 % d’actions dans mon portefeuille, mais je n’en ai pas les capacités techniques. Jean-Pierre Grimaud ” Asset Management Magazine n°50 Mars 2009 41