Les monopoles naturels
Jean Magnan de Bornier
Table des matières
1 Définition du monopole naturel 2
1.1 L’évolution du concept de monopole naturel ............ 2
1.2 La définition moderne du monopole naturel ............ 2
1.2.1 la subadditivité des coûts .................. 2
1.2.2 Subadditivité et rendements ................ 3
1.2.3 Rendements d’échelle et monopole naturel ........ 6
1.3 Les monopoles naturels dans les économies contemporaines . . . 6
2 Les problèmes posés par les monopoles naturels 7
2.1 Rappel sur les monopoles en général ................ 8
2.2 Les monopoles naturels et la concurrence ............. 10
2.3 Les effets de réseau ......................... 12
3 Les politiques publiques envers les monopoles naturels 13
3.1 Le cas américain : le monopole réglementé ............ 14
3.1.1 Quelques jalons historiques ................ 14
3.1.2 Les techniques de réglementation ............. 14
3.1.3 Les effets pervers de la réglementation ........... 15
3.1.4 Les évolutions récentes de la réglementation ....... 19
3.2 La gestion publique des monopoles naturels ............ 22
3.2.1 Pourquoi la gestion directe? ................ 22
3.2.2 À la recherche de méthodes de gestion ........... 23
4 Les solutions de marché au problème du monopole naturel 27
4.1 Les marchés contestables ...................... 27
4.2 La concurrence "pour" le marché .................. 28
4.3 les contrats à long terme ...................... 29
4.4 La concurrence dans la nouvelle réglementation .......... 29
1
ORGANISATIONS ET MARCHÉS II 2
1 Définition du monopole naturel
1.1 L’évolution du concept de monopole naturel
Si le terme de monopole naturel a pu être utilisé dès le début du XIXème siècle
(en particulier, en France, par Pellegrino ROSSI ), c’est John Stuart MILL qui a le
premier décrit le concept, quand il remarquait, à propos de la distribution de l’eau
et du gaz à Londres :
il est évident par exemple qu’on pourrait économiser beaucoup de
travail si Londres était approvisionnée par une seule compagnie d’eau
ou de gaz plutôt que par la pluralité existante
Après J-S MILL un autre anglais, FARRER, s’intéresse à la question (en 1883)
mais c’est surtout aux États-Unis que la question fait l’objet de recherches pous-
sées à la fin du XIXème siècle, à une époque où la montée des firmes géantes
est patente et suscite des inquiétudes dans la population et parmi les économistes.
Trois d’entre eux se sont distingués dans ces débats : Henry C. ADAMS, Richard
ELY et John BatesCLARK. Le premier, ADAMS, qui écrit en 1887, définit les mo-
nopoles naturels par la présence de rendements croissants; dans cette situation la
concurrence n’est pas possible, car une grande firme sera toujours mieux placée
que les plus petites et n’aura aucun mal à les éliminer. Le contôle étatique est né-
cessaire pour limiter le pouvoir de ces firmes. ELY définit le monopole naturel de
manière plus large, à partir de trois propriétés alternatives : la rareté absolue d’un
bien, l’existence d’un secret de fabrication, d’un privilège spécial ou d’un brevet
garantissant l’exclusivité à son détenteur, ou enfin des propriétés particulères de
l’industrie, telles que : des rendements croissants, une structure des coûts de pro-
duction telle que les coûts fixes sont importants relativement aux coûts variables,
l’impossibilité d’un grand nombre de firmes. Quant à CLARK, c’est surtout par
son activisme en faveur de lois antitrust et de la mise place de réglementations
qu’il contribue à ce mouvement.
1.2 La définition moderne du monopole naturel
1.2.1 la subadditivité des coûts
La définition moderne du monopole naturel est dûe à FAULHABER qui, en
1973, introduit la notion de sous-additivité des coûts de production. Dans le cas
simplifié d’une firme monoproduit, cette condition s’écrit :
C(Q)< C(Q1) + C(Q2)Q, Q1>0, Q2>0, /Q1+Q2=Q
Cette formule signifie simplement qu’il est plus économique de produire n’im-
porte quelle quantité Qdans le cadre d’une firme unique plutôt que par deux
ORGANISATIONS ET MARCHÉS II 3
firmes, ou plusieurs : il est facile de montrer, par récurrence, que si la propriété
ci-dessus est vraie, elle peut s’étendre à un nombre quelconque de firmes. Cette
condition définit un monopole naturel absolu. Il y a simplement monopole naturel
relatif si l’inégalité est large. D’autre part, on peut affaiblir un peu cette condition
en limitant sa validité à une zone assez large comprenant la production effective du
bien en question : pour un bien dont la demande courante n’excède pas la quantité
Q0, si l’inégalité ci-dessus est vérifiée non pas quel que soit Qmais, par exemple,
pour tout Q[0,2Q0], on dira qu’on est en présence d’un monopole naturel
au sens large. La plupart des entreprises produisent et commercialisent plusieurs
catégories de biens : par exemple un producteur d’automobiles offre des modèles
variés : ce sont des firmes multiproductrices. La définition du monopole naturel
n’est pas différente, mais doit être reformulée; il convient dans ce cas de noter la
production non comme un nombre, mais comme un vecteur : q= (q1, q2, ..qn). La
condition de sous-additivité des coûts de production devient alors :
C(q)< C(q1)+C(q2)q, q1= (q1
1, q1
2, ...q1
n), q2= (q2
1, q2
2, ...q2
n)tel que q=q1+q2
1.2.2 Subadditivité et rendements
Cette définition habituelle du monopole naturel est en relation avec les ren-
dements, et plus spécifiquement les rendements croissants. On peut en effet mon-
trer, dans le cas d’une firme monoproduit, qu’un coût moyen décroissant1entraîne
la sous-additivité : soit une fonction de coût moyen CM(Q)décroissante; on a
alors :
CM(Q1+Q2)< CM(Q1)
CM(Q1+Q2)< CM(Q2)
(Q1+Q2)CM(Q1+Q2)< Q1CM(Q1) + Q2(CM(Q2)
ce qui est la définition de la sous-additivité. Cependant, si un coût moyen dé-
croissant est une condition suffisante pour la sous-additivité, il n’en est pas une
condition nécessaire; si la fonction de coût moyen est globalement décroissante,
tout en connaissant quelques petites portions croissantes, la propriété de sous-
additivité peut très bien être vraie de manière stricte (voir graphique 1).
Pour une firme multiproductrice, les relations entre rendement et sous-additivité
sont beaucoup plus complexes : tout d’abord la notion de coût moyen n’existe
plus, et ensuite il convient de prendre en compte non seulement les économies
d’échelle mais aussi les économies d’envergure2. Ce dernier terme désigne les
1la décroissance du coût moyen est un indice que le rendement est croissant, mais non une
preuve absolue : si les prix des facteurs sont décroissants au fur et à mesure que la firme accroît
ses achats, des rendements constants ou même décroissants peuvent aboutir à un coût moyen
décroissant.
2respectivement economies of scale et economies of scope en anglais
ORGANISATIONS ET MARCHÉS II 4
Q
C(Q)
Zone de coût moyen décroissant
FIG. 1 – Sous-additivité et coût moyen décroissant
ORGANISATIONS ET MARCHÉS II 5
économies réalisées du fait de la multiproduction; les économies d’envergure
existent quand on a (cas de deux produits) :
C(q1, q2)C(q1,0) + C(0, q2),q1, q2
Quand cette propriété est présente, il est plus avantageux en termes de coût, que
les deux (ou m) biens soient fabriqués dans la même entreprise (oudans les mêmes
entreprises) plutôt que dans des entreprises séparées. Mais quand il y a multipro-
duction, les économies d’échelle sont beaucoup plus difficiles à définir que dans
le cas monoproduit. En effet, l’accroissement de la production d’une entreprise
ne se mesure pas facilement : si la production du produit 1 augmente de 10%
et celle du produit 2 de 5%, de combien l’échelle de production de la firme a-t-
elle augmenté? On peut contourner cette difficulté, en se souvenant que pour une
firme monoproduit, le degré d’économies d’échelle Sse définit par le ratio coût
moyen/coût marginal :
S=
C(Q)
Q
C0(Q)=
dQ
Q
dC
C
Quand S > 1on a des économies d’échelle, et des déséconomies d’échelle pour
S < 1(démonstration laissée à la perspicacité du lecteur..). Étendons cette formu-
lation au cas des firmes multiproductrices : Pour une firme fabriquant N produits
en quantité q= (q1, q2, ..qN), le degré d’économies d’échelle multiproduit en qest
donné par :
SN(q) = C(q)
PN
i=1 qi.Ci(qi)
,Ci(qi)désignant le coût marginal du produit ien q. Ce concept n’est évidemment
guère intuitif, mais il constitue bien une extension de la formule coût moyen :coût
marginal au cas de multiproduction. Il existe aussi des concepts particuliers d’éco-
nomies d’échelle pour la firme multiproduit; le plus simple de ces concepts est
celui d’économies d’échelle radiales, que l’on mesure le long d’un rayon, c’est-
à-dire en supposant que les différents biens varient dans les mêmes proportions.
Pour deux biens par exemple, un rayon R(q0
1, q0
2)est l’ensemble des combinaisons
de produits proportionnelles à (q0
1, q0
2), c’est-à-dire l’ensemble des combinaisons
q1, q2= (αq0
1, αq0
2),pour α > 0. Si les quantités de facteurs augmentent d’un fac-
teur plus petit que αquand la production passe de (q0
1, q0
2)à(αq0
1, αq0
2), il y a des
économies d’échelle radiales (pour ce rayon particulier). Cette notion est certes
artificielle, car les firmes n’augmentent pas en général tous leurs outputs dans des
proportions identiques, elle constitue cependant un outil intéressant pour l’analyse
des firmes multiproductrices. Un autre concept relatif aux firmes multiproduit est
celui de coût incrémental d’un produit donné : on peut le définir comme le coût
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