L'histoire du goût du vin dans le Val de Loire du XIIème au XIXème siècle BELŒIL D. 25, rue Guy Moquet, 44110 Châteaubriant. Dans cette région qui va de Nantes au Val d'Allier, les premiers ceps de vigne ont sans doute été plantés à la fin de l'antiquité. À Cheille, près d'Azay-le-Rideau, les archéologues ont découvert les vestiges d'un pressoir du IIème siècle de notre ère. La viticulture s'implante véritablement sur les bords de la Loire et de la Seine au siècle suivant, après que l'empereur Probus (276-282) ait autorisé par édit la culture de la vigne sur l'ensemble de la Gaule. Malheureusement, si quelques textes du IVème siècle témoignent de la qualité des vins produits à Paris(1), aucun texte historique de la fin de l'empire romain ne fait allusion aux vins de la Loire. Leurs premières mentions historiques ne remontent qu'au VIème siècle et sont l'œuvre de Grégoire de Tours(2) qui évoque dans son Historiae Francorum la présence de vignes dans les environs d'Orléans(3), de Tours(4), d'Angers(5) et de Nantes(6). vins du Val de Loire du XIIème au XIXème siècle mais aussi à définir quelles étaient leurs motivations, leurs attentes. Nous développerons cette problématique autour de trois grandes séquences historiques. Au Moyen Âge, le Val de Loire produit des vins rouges de grande qualité pour les cours européennes et les grands établissements ecclésiastiques. Au XVIIème siècle, le commerce hollandais favorise la création dans le Val de Loire de vastes vignobles de vin blanc de diverses qualités. À partir du XVIIIème siècle, le Val de Loire doit faire face à la démocratisation de la consommation du vin. 1 Les vins du Val de Loire au Moyen Âge : des vins rouges de grande qualité Après la dissociation territoriale du royaume de France au IXème siècle, le Val de Loire se retrouve morcelé en plusieurs entités politiques indépendantes les unes des autres. La situation n'a pas évolué au XIème siècle. Seule la région d'Orléans appartient au domaine royal et se retrouve donc sous l'administration directe du roi de France, qui effectue de fréquents séjours sur ses terres d'Orléans(9). Le reste de la Vallée de la Loire appartient au duché de Bretagne, au comté d'Anjou, au comté de Touraine, au comté de Bourbon et même pour une faible part au duché de Bourgogne. Dès le XIIème siècle, le Val de Loire pratique une active viticulture commerciale grâce au fleuve qui permet d'écouler aisément sa production vinicole(7). Le XIXème siècle voit la fin du trafic fluvial sur la Loire, principalement à cause du développement du chemin de fer et de l'ensablement de la Loire, tandis que la crise du Phylloxéra remet en cause les pratiques agraires traditionnelles, comme le complant en Loire inférieure, et les réseaux commerciaux. Du IXème au XIème siècle, le vin est une denrée rare et chère que seuls les aristocrates et les ecclésiastiques peuvent consommer. La quasi-totalité des vignobles appartiennent alors à la noblesse ou à l'Eglise car le peuple, qui pratique une agriculture de subsistance lui permettant juste de quoi survivre, ne peut s'offrir le luxe de planter des vignes et encore moins d'acheter du vin. Par ailleurs, les très anciennes relations commerciales entre la Vallée de la Loire et l'Angleterre ont été interrompues par les Vikings, qui se sont emparés de la Basse-Loire(10). Le commerce fluvial ne reprendra qu'au milieu du Xème siècle après la victoire décisive du comte breton Alain Barbetorte sur les Vikings en 937. L'histoire du goût(8) du vin dans le val de Loire est un sujet difficile, notamment en raison du manque de sources qui prive l'historien de ses principaux moyens d'investigation. Retracer cette histoire revient à rechercher qui étaient les amateurs des Après ces deux siècles de fer, le XIème siècle est une période de reconstruction. Les villes du Nord de l'Europe connaissent alors un puissant développement économique. Les Flandres deviennent alors la région la plus riche d'Europe. Pour les bourgeois 1- L'empereur Julien (361-363) fait même l'éloge du vin parisien qu'il avait sans doute appris à connaître en 360 lorsqu'il s'était rendu à Paris pour se faire proclamer Auguste. 2- Georgius Florentius Gregorius devient évêque de Tours en 573 à l'âge de 35 ans. Il conserve cette charge jusqu'à sa mort en 594. Sa fonction lui permet de jouer un rôle de premier plan dans la vie politique de la Gaule au VIème siècle. Son ouvrage majeur Historiae Francorum (in : Monumenta Germaniae historica, Scriptores rerum merovingicarum, éd. B. Krusch & W. Levison, Hanovre, 1951), qui se compose de dix livres relatant l'histoire du peuple franc jusqu'en 591, constitue un des rares témoignages sur les premiers Mérovingiens. 3- Livre VI, chap. 44 & IX, chap. 17 4- Livre VII, chap. 22. 5- Livre VIII, chap. 32. 6- Livre V, chap. 31 et Livre IX, chap. 24. 7- Une gabarre met en moyenne six jours pour se rendre d'Orléans à Nantes. Au retour, le navire peut mettre entre 15 et 30 jours, selon les conditions météorologiques. 8- Sur l'histoire du goût et des saveurs du vin, voir : Centre culturel de l'ab- baye de Flaran, Le Vigneron, la viticulture et la vinification en Europe occidentale au Moyen Age et à l'époque moderne, Auch, 1991. - DION R., Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXème siècle, Flammarion, 20 éd., 1982. - ENJALBERT H., Histoire de la vigne et du vin. L'avènement de la qualité, Bordas, 1975. - FLANDRIN J.L., "La distinction par le goût", in : Histoire de la vie privée, tome III, Le Seuil, 1985. - GARRIER G. s.d., Le Vin des historiens, Actes du 1er symposium vin et histoire, Suze-laRousse, 1990. - GARRIER G., Histoire sociale et culturelle du vin, Bordas, 1995. - GILLET Ph., Par mets et par vins. Voyages et gastronomie en Europe, XVIème-XVIIIème siècle, Payot, 1985. - LACHIVER M., Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Fayard, 1988. - PEYNAUD E., Le goût du vin, Dunod, 1980. 9- Paris ne devient la résidence ordinaire des rois de France qu'à partir de Philippe Auguste (1180-1223). Le roi Robert II le Pieux (996-1031) réside fréquemment au château royal de Vitry-aux-Loges, près d'Orléans. Son fils Henri 1er (1031-1060) y trouve la mort en 1060. 10- En 853, les Vikings mènent leur premier raid sur Tours. L'année suivante, ils pillent Angers, Blois et Orléans. Ils reviennent à Orléans en 856 et à Blois en 857. Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2001 - N° 188 D É G U S TAT I O N E T A N A LY S E S E N S O R I E L L E La Loire, le plus long fleuve de France, traverse le pays sur plus de mille kilomètres. Son bassin hydrographique draine 20 % du territoire national. Venant du Vivarais où il naît à une altitude de 1408 mètres, le fleuve traverse le Massif Central et descend dans la plaine de Roanne à 268 mètres. Sur ce parcours de cent cinquante kilomètres, le fleuve reste un puissant torrent qui s'écoule à travers des vallées encaissées. Mais lorsqu'elle débouche sur les terrains perméables du Bassin Parisien, la Loire s'élargit et s'apaise. Commence alors la Vallée de la Loire, tant célébrée par les poètes depuis Baudri de Bourgueil au XIème siècle jusqu'à Max Jacob… 51 de ces villes qui ont fait fortune dans le commerce du drap, la consommation du vin est un moyen de distinction sociale et un raffinement aristocratique. Une forte demande de vin de qualité voit alors le jour dans les Flandres. Le commerce du vin, après des siècles de disparition, se développe rapidement. Pour l'approvisionner, une viticulture commerciale se met progressivement en place, notamment dans le Val de Loire. Le vignoble d'Orléans, qui s'étend entre la Loire et le Loiret, est le premier à en profiter en raison de la facilité des charrois de la Loire à la Seine à travers la Beauce. Les vins de Sancerre, de Nevers et de Saint-Pourçain sont expédiés par le fleuve à Orléans avant d'être envoyés vers Paris et les Flandres. Les autres vins du Val de Loire (Anjou, Touraine…) empruntent la Loire avant d'être exportés par la mer vers les Flandres. Cette prospérité se poursuit au XIIème siècle. Le commerce des vins de Loire continue de se développer, ce qui entraîne une extension géographique des vignobles dans le Val de Loire. Après le remariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri Plantagenêts(11), les vins de Loire trouvent de nouveaux débouchés en Angleterre. Les consommateurs des vins de Loire, qu'ils soient flamands ou anglais, recherchent des vins rouges de qualité. Les productions de Saint-Pourçain, d'Orléans et d'Anjou sont alors les plus réputées du Val de Loire. Deux plants fins sont utilisés, "l'auvergnat" et le "breton". Ils nécessitent de nombreux soins de la part des viticulteurs (labour, culture, façon…) pour des rendements faibles mais de grande qualité. Le degré alcoolique de ces vins est élevé. Il faut dire qu'à époque, c'est ce qui distingue un vin comme étant de qualité. Dans de nombreux textes médiévaux, les vins de Loire sont d'ailleurs qualifiés de "vins forts"(12), comme les vins de Bourgogne et du Bordelais. Le premier de ces deux cépages archaïques ou cépages lombrusques cultivés dans le Val de Loire est le Pinot Noir. Surnommé "l'auvergnat" en Orléanais depuis le XIIIème siècle, ce plant noble provient en réalité de Bourgogne. Son surnom indique sans doute qu'il est parvenu sur le cours moyen de la Loire à partir de la Limagne. Le cépage est d'ailleurs surnommé en Touraine "l'Orléanais". Le Pinot Noir est cultivé dans les vignobles de l'Orléanais, de Touraine et du Bourbonnais. Le vin rouge d'Orléans est réputé dès le XIIème siècle. Sa réputation est internationale puisque le roi d'Angleterre lui-même en est amateur(13). Rabelais en vante les mérites dans son Cinquième livre (p. 34). Deschamps place le vin rouge d'Orléans au même rang que les vins d'Auxerre, de Beaune et de Bordeaux. Selon Roger Dion, les vignerons orléanais avaient un secret. Ils ne fumaient pas leurs vignes ce qui avait pour effet de limiter la croissance des feuilles et de favoriser la qualité du raisin produit. Comme nous le verrons par la suite, la prospérité des vins d'Orléans dura jusqu'au début du XVIIIème siècle. Comme à Orléans, les vins rouges de Sancerre, de Nevers, du Bourbonnais (Souvigny et Moulins) et de Saint-Pourçain étaient 52 11- Le roi de France Louis VII le Jeune (1137-1180) répudie en 1152 sa femme Aliénor d'Aquitaine, après avoir obtenu l'annulation de son mariage par le concile de Beugency. Elle se remarie deux mois après l'annulation de son mariage avec Henri Plantagenêt, qui possède alors les duchés de Bretagne et de Normandie ainsi que les comtés d'Anjou, de Touraine et du Maine. Henri Plantagenêt reçoit par ce mariage toute l'Aquitaine. En 1154, Henri Plantagenêt devient roi d'Angleterre sous le titre de Henri II. Ce dernier meurt à Chinon en 1189. 12- Dans son ouvrage magistral, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXème siècle, Roger Dion décrit (pages 399 à 402) la "bataille des vins" qui oppose du XIIIème-au XIVème siècles les vins "françois" aux vins "forts". Les "vins de France", c'est-à-dire à l'époque de la région parisienne, étaient des vins "clairets", légers et peu alcoolisés. A l'opposé, les vins "forts", produits en Gascogne, dans le Val de Loire et en Auxerrois, étaient riches en alcool et possédaient un caractère bien affirmé, en couleur comme en saveur. Les vins forts ressortent vainqueurs de cette bataille. Désormais, les vins de France sont marginalisés tandis que les vins forts entrent en compétition entre eux. produits avec du Pinot Noir. Il faut souligner la grande ressemblance entre tous ces vins. Le cépage, les soins apportés aux travaux viticoles, la vinification et même les débouchés internationaux sont identiques. La notoriété des vins de Saint-Pourçain, Ris et Cusset, tient en partie à des raisons politiques. En effet, les rois de France cherchent à favoriser ces trois seigneuries ecclésiastiques d'Auvergne par delà les terres du Bourbonnais du puissant Duc de Bourbon. Grâce à cet appui royal(14), le vin de SaintPourçain obtient une notoriété sans égal en Val de Loire. Au XIVème siècle, le vin rouge de Saint-Pourçain, réputé pour ses qualités gustatives mais aussi pour ses couleurs tirant vers le brun, est un des vins les plus chers de France. Une ordonnance du Conseil de Paris, observant les prix de vente moyens des vins à Paris, place le vin de Saint-Pourçain au même rang que les plus grands vins de Bourgogne (Beaune) et que les plus fameux muscats du bassin méditerranéen. Le second plant fin cultivé sur les bords de la Loire est le Cabernet franc. Surnommé le "breton", ce cépage ne vient pas d'Armorique mais de la région bordelaise (graves), où il s'appelle le Cabernet de Gironde. En fait, ce nom désigne le lieu où il fut introduit et cultivé pour la première fois, c'est-à-dire la région nantaise. Le "breton" est ensuite vendu aux vignerons d'Angers, de Saumur et de Chinon. Le développement du Cabernet franc est attesté en Anjou dès le XIème siècle. Rabelais évoque la présence de ce cépage dans la région de Chinon dans Gargantua(15). Le vignoble d'Anjou est très réputé. Ses vins sont exportés dans les régions voisines (Bretagne, Normandie…), à Paris, mais aussi à l'étranger (Flandres, Angleterre…). Grâce aux Plantagenêt(16), le vin d'Anjou jouit en effet d'une grande notoriété Outre-Manche. Le vignoble s'étend autour de la ville d'Angers, dans un rayon de sept à huit kilomètres, principalement à l'Ouest, au Sud et à l'Est de la cité. De cette proximité lui vient son nom : la Quinte. À l'époque de l'empire romain, la Quinte désignait le territoire compris à l'intérieur de la cinquième borne comptée le long des routes partant du centre de la ville. Le vin de Saint-Barthélémy d'Anjou était un des crus les plus réputés de la Quinte. Plusieurs vins blancs sont également produits dans le Val de Loire au Moyen Âge. Deux célèbres vins blancs se trouvent dans la région d'Orléans : le Rebréchien, qui était le vin préféré du roi Henri Ier et de Philippe Auguste(17), et le Saint-Mesmin. Ils sont cultivés à partir de deux cépages de qualité : le Meslier et le Muscat gennetin. Les vins de Sancerre et de Pouilly (Chasselas) sont aussi renommés. En Anjou, le Pineau de la Loire, qui est un plant typique(18) du Val de Loire également appelé Chenin blanc, est cultivé dans la Quinte et sur les bords de la Loire en aval d'Angers. Ce vin doux angevin est vendu en Angleterre(19) dès le XIIIème siècle. À la fin du Moyen Âge, la culture du Pineau de la Loire connaît un nouvel essor dans la vallée du Layon qui se développe à partir du XVème siècle. À Saint-Pourçain(20), la production de vins blancs ne se développe qu'à partir du XVIème siècle. 13- Dion R., op. cit., p. 59. D'après : HARDY Th. Duffus; Rotuli litterarum clausarum in Turri londiniesi asservati, Londres,, 1833-1844, p. 65. 14- Idid., p. 401 : "le préféré du pape et du roi". 15- Livre I, chapitre 13. 16- La Maison des Plantegenêt règne sur l'Angleterre de 1154 à 1399. 17- Dion R., op. cit., p. 255. 18- Ce cépage est probablement originaire du Val de Loire. Roger Dion (op. cit., p. 362) évoque cependant la possibilité d'une parenté entre le "chenin blanc" d'Anjou et un cépage charentais du XIIIème siècle, appelé selon les documents "chemère", "chenière" ou "blanche chenère". 19- Le roi d'Angleterre Henri III (1217-1272) fait même paraître un édit en 1224 établissant le prix maximum en dessous duquel le vin blanc d'Anjou pouvait être commercialisé dans son royaume. Cela témoigne de l'importance des volumes de vin d'Anjou écoulés en Angleterre et de la spéculation qui accompagnait ce commerce de luxe. 20- Près du confluent de la Sioule et de l'Allier, autour du port de la Chaise. Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2001 - N° 188 2 Les vins du Val de Loire au XVIIème siècle : L'essor des vins blancs après l'arrivée des commerçants hollandais Au XVIème siècle, les Pays-Bas constituent la région la plus florissante d'Europe. Ses 200 villes rapportent sept fois plus en impôts à la couronne espagnole que les revenus provenant d'Amérique. Après environ quatre-vingt années de guerre, les Espagnols reconnaissent définitivement en 1648 l'indépendance des Provinces-Unies, proclamée par les Hollandais en 1581. La paix revenue, la Hollande devient la première puissance commerciale du monde. Roger Dion cite un rapport Colbert de 1669(21) affirmant que, sur un total de 20 000 vaisseaux de commerce en Europe, 15 à 16 000 étaient hollandais, 3 à 4 000 anglais et seulement 5 à 600 français. Or, le vin fait partie des principaux produits qui intéressent les marchands hollandais. Les Hollandais ont une préférence pour les vins blancs, plus particulièrement les vins doux, à l'instar du Sauternes. Les matelots hollandais font également une grosse consommation d'eau-devie. Les Hollandais répandent d'ailleurs ce goût pour l'eau-de-vie dans les pays qu'ils fréquentent, en Europe du Nord comme dans leur empire colonial. Les Hollandais favorisent donc le développement des vins blancs de qualité, qui sont revendus au prix fort à la bourgeoisie marchande d'Europe du Nord, mais aussi des vins blancs de médiocre qualité, qui sont destinés à être brûlés et transformés en eau-de-vie. Les techniques viticoles et commerciales des Hollandais sont révolutionnaires et révélatrices de leur habileté commerciale. Les Hollandais n'hésitent pas ainsi à mélanger les vins et même à ajouter du sucre ou de l'eau-de-vie afin d'obtenir le goût recherché par leurs clients du Nord de l'Europe. En mutant et en frelatant les vins blancs qu'ils achètent, les marchands hollandais mettent fin au contact direct entre producteurs et consommateurs. Par leurs achats massifs, les Hollandais vont donc favoriser le développement de vignobles de vins blancs tout au long de la façade atlantique, principalement le long des voies fluviales, comme l'Adour, la Garonne, la Charente ou la Loire. Dans le Val de Loire, les vignobles de Nantes, d'Anjou, de Tours, de Blois, de Beaugency et d'Orléans vont s'efforcer de satisfaire les demandes des commerçants hollandais. Le commerce hollandais favorise l'émergence de nouveaux vignobles dans le Val de Loire, à côté de ceux des vieilles cités épiscopales qui conservent leurs traditionnels débouchés commerciaux, hérités du Moyen Âge, en France (aristocratie et haut clergé) comme en Europe (Angleterre, Flandres…). Jusqu'au XVIIème siècle, les vignobles du Val de Loire qui bénéficient de la plus grande renommée se trouvent autour des vieilles cités épiscopales, comme à Nantes, Angers, Tours ou Orléans. Au XVIIème siècle, le commerce hollandais favorise l'émergence de nouveaux vignobles dans le Val de Loire, autour de villes secondaires (à l'instar de Saumur) voire dans des doyennés ruraux, comme à Vallet, Vertou ou dans la vallée du Layon. sur la Loire en direction de Nantes. Cette taxe sur le trafic ligérien est maintenue par le pouvoir royal après le rattachement de la Bretagne à la France en 1532 puisque la Bretagne est considérée comme une "province étrangère"(23). Les finances royales n'ont cessé d'augmenter ces taxes, portant essentiellement sur le vin, tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles. En 1759, il fallait ainsi payer 42 livres de taxe douanière par tonneau à Ingrandes alors qu'un tonneau de vin courant d'Ile-de-France était vendu 75 livres en 1767. Ces majorations successives de la taxe d'Ingrandes ont eu d'importantes conséquences sur le développement des vignobles du Val de Loire. Seuls les meilleurs vins empruntaient désormais la Loire afin d'être exportés. Ces "vins pour la mer" vendus très chers à l'étranger pouvaient seuls se permettre d'acquitter la taxe d'Ingrandes. Les vins de qualité moindre étaient vendus localement ou en région parisienne, d'où leur appellation de "vins pour Paris". Les Hollandais transformaient aussi en eau-de-vie des petits vins blancs produits en aval d'Orléans (Beaugency) ou dans la région de Blois, le long du Cosson et du Beuvron(24). En amont d'Ingrandes, les courtiers hollandais, installés aux Ponts-de-Cé et à Saumur, contribuent par leurs achats massifs à développer des vignobles de vin blanc de qualité, issus du Pineau de la Loire. À Saumur comme à Vouvray, le vin produit est sec ou demi-sec. Il ne devient liquoreux que lors des très grandes années. C'est pourquoi, lors des années médiocres, les Hollandais n'hésitent pas à travailler les vins. Ils enrichissent alors les vins de Saumur et de Vouvray de moûts mutés au soufre avant de les remettre en fermentation. Ils obtiennent ainsi des vins liquoreux. Au XVIIIème siècle, les vins de la vallée du Layon sont les plus réputés d'Anjou, tandis que ceux de la Quinte d'Angers ont amorcé leur déclin. Les Hollandais apprécient beaucoup ce vignoble de Pineau de la Loire qui produit des vins liquoreux quelles que soient les années. Les vins du Layon sont donc commercialisés en l'état, sans être "travaillés". La construction du "canal de Monsieur" de 1774 à 1778 facilite la navigation fluviale sur le Layon à la veille de la Révolution(25). Désormais, les vins du Layon sont embarqués à Chalonnes-sur-Loire, et non plus aux Ponts-de-Cé. En aval d'Ingrandes, les Hollandais n'ont plus le souci d'acheter des vins de grande qualité. Leur préoccupation est désormais d'ordre quantitatif. Un vignoble important s'étend en effet au Sud de la vallée la Loire, du pays de Retz à l'Anjou. Alain Croix(26) distingue deux vignobles bien distincts au XVIIème siècle. Le premier, très peu dense, produit "un vin consommé localement". Le second, occupant la vallée de la Sèvre nantaise, constitue le véritable vignoble d'exportation. Pas moins de 8 000 tonneaux de vin étaient exportés chaque année du Sud-Est du Comté de Nantes, principalement vers la Bretagne(27), dont le seul autre vignoble se trouvait sur la presqu'île de Rhuis(28). La barrière douanière d'Ingrandes joue un rôle dans le développement de la viticulture du Val de Loire au XVIIème siècle. Depuis l'antiquité(22), Ingrandes joue le rôle de frontière entre l'Anjou et le Pays Nantais. Au Moyen Âge, Ingrandes constitue la limite orientale du Duché de Bretagne, où les ducs ont installé une barrière douanière taxant l'ensemble des marchandises transportées Avant l'arrivée des Hollandais, les vignes à cépage rouge dominent les vins blancs(29). Le duc de Bretagne Jean V (1399-1442) appréciait ainsi le Berligou, cépage rouge à jus blanc, qui était produit dans le vignoble nantais. Les commerçants hollandais favorisent le développement des vignobles de vin blanc en achetant un bon prix les productions viticoles locales. Les vignerons arrachent les cépages de vin rouge et les remplacent par un 21- DION R., op. cit., p. 423. 22- A l'époque gallo-romaine, Ingrandes marque ainsi la limite entre la civitas des Andecaves et la civitas des Namnètes. 23- Par ailleurs, la Bretagne ne paye aucun droit à la France sur l'entrée et la sortie des produits bretons avec les pays européens. 24- C'était le moyen trouvé par les Hollandais pour contourner la taxe d'Ingrandes, qui frappait tous les liquides de façon uniforme, sans se soucier de leur qualité ou de leur degré alcoolique. Les petits vins de l'amont ne franchissaient la douane d'Ingrandes que sous forme d'eau-de-vie. 25- Le canal est ainsi appelé car la Compagnie des Indes a obtenu l'autorisation de canaliser le Layon de Monsieur, frère du roi. 26- La Bretagne aux XVIème et XVIIème siècles - La vie, la mort, la foi, Editions Maloine, Paris, 1980, p. 47. 27- Ibid., p. 48. La consommation de cidre ne se généralise en Bretagne qu'à la fin du XVIIème siècle. 28- Ibid., p. 48. 29- Le vignoble antique (IIIème - IVème siècle) a été détruit à la suite des invasions barbares du Vème siècle. Il faut atteindre le XIème siècle pour que des vignes soient replantées dans le pays nantais. La première mention de replantation de vignes se trouve dans une charte de 1066, dans laquelle le duc de Bretagne Conan II reconnaît les droits des moines de Vertou sur un clos de vignes du Pallet. Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2001 - N° 188 53 cépage de vin blanc, venant des Charentes, le Gros-plant, également appelé "Folle blanche" en Aunis et "Picpoul" en Gascogne. Ce cépage a sans doute été introduit par les Hollandais euxmêmes qui l'utilisaient déjà dans les Charentes pour la production du Cognac. Les vins blancs du vignoble nantais, de médiocre qualité, sont destinés à la distillerie. L'eau-de-vie ainsi produite est vendue telle quelle en Europe du Nord ou bien sert au mutage des vins de Loire. À l'inverse, Paris connaît une croissance sans précédent. La ville, qui ne comptait que 70 000 habitants sous le roi Philippe Auguste (1180-1223), dépasse les 450 000 habitants au début du règne personnel de Louis XIV (1661-1715). En 1789, on compte 630 000 Parisiens. Le peuple de Paris, de plus en plus nombreux, aime consommer du vin dans les nombreux cabarets parisiens(35), entraînant une hausse constante de la demande en vin du XVème siècle au XVIIIème siècle. L'hiver 1709 anéantit le vignoble nantais. Le Gros-Plant et les cépages de vin rouge ont été détruits par le gel. Le cépage du Muscadet(30), le Melon de Bourgogne, importé en Bretagne au XVIIème siècle(31), plus résistant au froid, est alors largement utilisé lors des replantations. C'est pourquoi, la Subdélégation de Nantes peut écrire en 1779 à la Société Royale d'Agriculture qu'en Bretagne, "il n'y a que deux espèces de vin, le Muscadet et le Gros-Plant". Si le Gros-Plant continue d'être distillé par les Hollandais, le Muscadet est simplement muté avec de l'eau-devie comme les vins de Saumur ou de Touraine. Pour faire face à cette demande, les vignobles d'Île-de-France augmentent leurs productions(36), au détriment des cépages de qualité à faible rendement qui sont remplacés par des cépages médiocres mais productifs, comme le Gamay noir de Bourgogne. Les grands crus d'Île-de-France(37), appelés au Moyen Âge "vins françois", disparaissent. Pour limiter leurs coûts de production, les vignerons utilisent au XVIIIème siècle, pour leurs fumures, des boues et des déchets provenant de la voirie parisienne. Ces gadoues qui donnent un goût détestable au vin achèvent de discréditer dans l'opinion les vins d'Île-de-France. Les achats des courtiers hollandais entraînent une inflation des prix des vins de Loire. Au XVIIIème siècle, "8 à 10 000 fûts de vin et jusqu'à 30 000 dans les années de bonne vinée" sont expédiés à partir de Port-Domino au Pallet en direction de la Hollande(32). La consommation des vins de Loire décline alors dans l'Ouest de la France au profit des vins locaux et surtout du cidre, comme en Bretagne. Le vin de Gascogne supplante ainsi, en Bretagne dès le XVIIème siècle le vin d'Anjou, dont les prix avoisinent ceux des vins de Bordeaux(33)… La demande en vin est si forte à Paris que les vignobles bien reliés à la capitale par des voies navigables, comme ceux du bassin de la Seine, du Val de Loire ou du Beaujolais, remplacent progressivement leurs cépages d'élite par de nouveaux cépages productifs. Le Parlement de Paris(38) en obligeant les marchands à effectuer leurs achats de vin à plus de 20 lieues de Paris (soit 88 kilomètres) renforcent la demande parisienne en vins de Loire à bon marché. 3 Les vins du Val de Loire depuis le XVIIIème siècle : le succès des vins rouges médiocres remet en cause l'existence même des crus de qualité De l'implantation de la vigne dans le Val de Loire à la fin de l'empire romain, la consommation du vin devient relativement populaire, dans les villes comme dans les villas des campagnes. La civilisation gallo-romaine fait en effet du vin un bien de consommation courante. Comme nous l'avons déjà vu, tout change avec les invasions barbares du Vème siècle. Les vignobles sont ruinés et seule une élite sociale continue de boire du vin. L'essor des vignobles du XIème siècle au XVIIème siècle profite à de riches marchands, vivant à Paris ou dans le Nord de l'Europe. Les campagnes, où vivent pourtant 90 % de la population sous l'ancien régime ne consomment pratiquement pas de vin, préférant le cidre ou la bière. À cette époque, seul les gens des villes boivent du vin(34). Sous l'ancien régime, les villes du Val de Loire demeurent bien modestes. Seule la ville de Nantes dépasse les 50 000 habitants, avec 70 000 habitants au début de la Révolution française (contre 42 000 en 1700). À cette époque, Orléans ne compte que 36 000 habitants (contre 20 000 au XVIème siècle), Angers 32 000, Tours et Blois 20 000 seulement. La demande de vin dans les villes du Val de Loire reste donc limitée. 54 30- Histoire de la Bretagne et des Pays Celtiques, tome 3, Editions Skol Vreizh, Morlaix, 1980, p. 151. Le mot "Muscadet" apparaît pour la première fois dans un bail de 1635. 31- Maujouan du Gasset J.H., Le Muscadet, étude statistique de la production et du marché, Nantes, 1952. 32- Le Pallet, Patrie d'Abélard, Nantes, 1980, p. 73. 33- Croix A., op. cit., p. 848. 34- Dion R., op. cit., p. 473 : "Dans l'ensemble, les paysans du XVIIème siècle, cultivant ou non la vigne, buvaient si peu de vin, que les campagnes de cette époque n'eussent offert aucun débouché commercial à une viticulture qui eût produit pour la seule consommation populaire." 35- A partir de la fin du XVIIème siècle, de nouveaux cabarets populaires voient le jour à la périphérie de la ville de Paris : les guinguettes. Celles des quartiers de la Pologne, des Porcherons, de la Nouvelle France et de la Coustille étaient les plus fréquentées. 36- Dion R., op.cit., p. 535. La production des vins d’Île-de-France augmente Le consommateur parisien recherche des vins rouges car pour lui, la couleur rouge est "le signe d'une origine lointaine, la marque d'une certaine qualité"(39). Pour satisfaire cette demande, les vignerons du Val de Loire mélangent de petits vins blancs avec un plant teinturier aux raisins noirs afin d'obtenir un vin grossier colorant. Le vignoble d'Orléans est le premier vignoble du Val de Loire à succomber à cette redoutable tentation. Dès la fin du XVIème siècle, des plants communs sont introduits dans le vignoble. La culture du teint et les cépages de petits vins blancs se développent rapidement autour d'Orléans(40). Cependant, au début du XVIIème siècle, l'Auvergnat demeure encore le cépage dominant. La réputation des vins d'Orléans reste intacte. Le vin d'Orléans est alors considéré comme l'égal des vins de Beaune. C'est alors qu'une formidable campagne de décri entraîne la perte du vignoble d'Orléans. Les riches bourgeois de Paris qui possèdent les vignobles d'Île-de-France vont s'efforcer de déconsidérer aux yeux de l'opinion parisienne les vins d'Orléans afin de mieux promouvoir leurs vins(41). L'argumentation avancée est d'ordre médical. En 1606, le vin d'Orléans est accusé, dans un ouvrage rédigé par un médecin de l'entourage du roi, d'être insalubre et incommodant(42). Une rumeur savamment véhiculée à Paris laisse entendre que l'échanson du roi a même interdit que l'on serve du vin d'Orléans à la cour(43). Le roi Henri IV qui cherche à réconcilier les Parisiens et les affres des guerres de religion(44), soutient les vins d'Ile-de-France(45) et laisse la campagne de discrédit prendre de l'ampleur. Les résultats sont à la fois de 20 à 30 % entre 1687 et 1783. 37- Ay, Rueil, Coucy-le-Château, Issy, Vanves, Meudon, Sèvres, Suresnes… 38- Arrêt du Parlement de Paris de 1577, confirmé jusqu'en 1776. 39- Dion R., op. cit., p. 543. 40- Ces plantations sont la plupart du temps le fait de bourgeois ou de paysans. La noblesse et l'Eglise demeurent fidèles aux trois cépages fins cultivés à Orléans : l'Auvergnat, le Meslier et le Muscat gennetin. 41- La bourgeoisie parisienne n'a pas apprécié que les rois de France du XVIème siècle délaissent Paris pour aller vivre dans les châteaux du Val de Loire. 42- Traité de médecine et d'histoire médicale de Duchesne, 1606. D'autres ouvrages suivront, en 1616 à Lyon, en 1618 à Paris et en 1620 à Iéna. La contre-attaque orléanaise se fait attendre. Un conseiller du Présidial d'Orléans défend la qualité des vins d'Orléans dans un livre paru en… 1646. 43- Dion R., op. cit., p. 562 : "le serment de l'échanson". Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2001 - N° 188 rapides et catastrophiques. Les vins d'Orléans perdent leurs débouchés traditionnels à Paris mais aussi à l'étranger(46). L'ensemble du vignoble orléanais se reconvertit alors dans les cépages médiocres qui se vendent de mieux en mieux. "Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, la viticulture orléanaise ne retient plus l'attention que par la masse de ses vins faibles ou grossiers(47)." Désormais, le mot "Auvergnat" d'Auvergnat qui a pourtant fait la fortune du vignoble orléanais au Moyen Âge devient synonyme de vin frelaté de piètre qualité. Le vignoble d'Orléans conserve sa médiocre qualité mais aussi son débouché parisien jusqu'au XIXème siècle. Les vignobles de Touraine et du Blésois connaissent les mêmes évolutions que le vignoble d'Orléans(48). Les plantations de cépages productifs de médiocre qualité destinés à satisfaire le marché parisien s'étendent rapidement, notamment dans la basse vallée du Cher, autour de Thésée, Bourré, Montrichard, Chenonceaux et Bleré. Cependant, à la différence du vignoble d'Orléans, le vignoble de Touraine conserve ses grands crus, comme le Vouvray et le Rochecorbon, cultivés au bord de la Loire et achetés au prix fort par les Hollandais. Au XVIIIème siècle, un immense vignoble de vin courant, destiné au marché parisien, s'est développé le long de la Loire, de Châteauneuf-sur-Loire jusqu'à Tours. Pratiquement tous les plants de qualité ont été éliminés d'Orléans à Blois. En Touraine, deux vignobles cohabitent l'un à côté de l'autre. En aval de Tours, le commerce viticole reste dominé par les Hollandais. En permettant de gros bénéfices, cette viticulture commerciale permet l'émancipation de la paysannerie locale(49) et l'existence de fortes densités rurales(50). L'augmentation croissante du niveau de vie de la population tout au long du XIXème siècle, qui résulte de la révolution industrielle, favorise une hausse de la consommation de vins courants, dans les villes comme dans les campagnes(52). Cet accroissement de la demande de vin entraîne naturellement une poussée inflationniste. Le prix des vins courants se rapproche de celui des vins de qualité, ce qui accentue le dépérissement des vignobles de qualité et accélère les plantations de cépages productifs. La Grande Guerre contribue également à répandre l'usage populaire du vin. La crise du Phylloxéra de la fin du XIXème siècle condamne à mort ces vignobles de piètre qualité, dont les productions étaient destinées au marché parisien jusqu'à l'arrivée du chemin de fer et absorbées depuis par une clientèle locale. Les vignes médiocres ne se justifient pas dans le contexte économique de l'époque de replantation, toujours onéreuse(53). Des vignobles entiers disparaissent alors dans le Val de Loire, le long du fleuve, entre Châteauneuf-sur-Loire et Beaugency mais aussi dans la basse vallée du Cher. CONCLUSION Une bonne partie de l'énorme production viticole de la région d'Orléans est alors absorbée par les campagnes, ce qui évite à la région de connaître une grave crise sociale. En effet, depuis le XVIIIème siècle, les ruraux boivent de plus en plus de vin. On peut d'abord souligner la permanence du goût à travers les âges. Les bons vins au Moyen Âge sont les bons vins d'aujourd'hui. Ils résultent de cépages de qualité, d'une viticulture privilégiant la qualité à la quantité et d'une vinification qui respecte le produit récolté. Les expériences hollandaises du XVIIème siècle et les assemblages du XVIIIème siècle, destinés aux Parisiens, paraissent aujourd'hui inadmissibles, mais à l'époque, ces pratiques étaient déjà critiquées par des médecins et des amateurs éclairés. On peut ensuite observer les évolutions géographiques des vignobles du Val de Loire, avec la création de nouveaux vignobles et la disparition des grands crus médiévaux. Cela montre que la notion de terroir relève autant de facteurs humains que de données naturelles. L'histoire enseigne le sens de l'évolution et celui de la relativité. Ce qui est arrivé aux prestigieux vignobles d'Orléans et de la Quinte d'Angers doit nous amener à beaucoup de vigilance pour que nos vignobles de qualité du Val de Loire conservent leur réputation et leurs débouchés commerciaux. 44- Henri IV s'installe au Louvre et boit ostensiblement les "vins françois" qu'il déclare trouver excellents. 45- La qualité des vins d'Ile-de-France décline rapidement au XVIIème siècle. A la fin de ce siècle, ce sont les vins de Champagne, qui ne sont pas encore mousseux, qui font figure de "bons vins". 46- Les dernières exportations de vins d'Orléans en Angleterre ont lieu en 1619. 47- Dion R., op. cit., p. 563. 48- Les liaisons entre ces deux vignobles et Paris s'améliorent au XVIIIème siècle. Un canal latéral relie le Loing à la Loire en 1723. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, un réseau navigable raccorde le Cher à la Loire. 49- Si les vignobles de qualité appartiennent depuis le Moyen Âge à la noblesse, à l'Eglise et à la bourgeoisie urbaine, les nouveaux vignobles destinés à satisfaire le marché parisien permettent aux paysans de devenir propriétaires de leurs terres, grâce aux grands bénéfices qu'ils procurent. 50- La commune de Gien, dans l'Orléanais, comptait ainsi au XIXème siècle quelques huit cents vignerons. 51- Le vignoble parisien disparaît quant à lui purement et simplement, au profit de cultures arboricoles légumières. 52- Voir notammment : Fillat T., "Les paysans bretons et l'ivresse au XIXème siècle", Historiens et Géographes, 1988, pp. 71-75. Les Français consommaient 162 litres de vin par an en 1900 (contre 85 en 1830, 135 en 1950 et 62 en 1995). 53- Voir sur cette question : Saidi O., "De la reconstitution du vignoble nantais à l'amélioration de ses vins (1884-1914)", Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique, Tome 135, 2000, pp. 275-297. Avec le développement du chemin de fer, les vins du Midi chasseront les vins de Loire des cabarets parisiens(51). Les vins d'Orléans et de Blois ne peuvent en effet concurrencer les nouveaux cépages productifs des vignobles du Midi, tel l'Aramon dont le rendement peut atteindre 300 hectolitres/hectare. Les vins d'Orléans, de Beaugency et de Blois trouvent alors de nouveaux débouchés. 55 Revue Française d’Œnologie - mai/juin 2001 - N° 188