« La musique a toujours été essentiellement liée à l`harmonie. La

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Jérôme Baillet L'esthétique musicale de Tristan Murail
« La musique a toujours été essentiellement liée à l’harmonie. La question pour moi ne s’est
jamais posée de savoir s’il fallait revenir à l’harmonie puisque pour moi la musique est harmonie »1.
Par cette déclaration lapidaire, et sans doute consciemment excessive, Tristan Murail dévoile un trait
essentiel de sa musique et de son esthétique. La maîtrise d’harmonies inouïes, purement fréquentielles,
éloignées de tout souvenir tonal, est un des talents immédiatement remarquables, et incontestables, du
compositeur. Cependant il ne faudrait pas voir dans l’harmonie qu’un jeu subtil d’accords agréables :
c’est au contraire pour Murail le germe de toutes les facettes de son écriture. Avant tout, l’harmonie
est son : il s’agit d’une revendication bien connue de la « musique spectrale », selon laquelle on ne
saurait désormais concevoir séparément les notions de timbre et d’harmonie. Mais l’harmonie est
surtout durée, rythme, forme : elle infléchit le temps, lui donne sa courbure ou son orientation, dans
une intime eurythmie. On touche ici peut-être à l’image qu’a pu très tôt se faire Tristan Murail d’une
musique idéale : une fluidité de couleurs sonores insaisissables, une souplesse de gestes esquissés, une
variété d’émotions en demi-teinte. Privilégiant l’ambiguïté des phénomènes et des situations, cette
musique rejette les effets dramatiques ou rhétoriques, les structures trop claires, les enchaînements
trop évidents, les rythmes trop marqués, les figures mélodiques trop nettes. Mais l’impondérable n’est
pas l’inconsistant, et toute l’évolution du style de Tristan Murail, d’une grande continuité, pourrait se
définir par la recherche toujours renouvelée des concepts esthétiques et techniques à même d’apporter
cohérence et fermeté à cet idéal musical.
Les premières œuvres que Tristan Murail compose pendant ses années de formation trahissent
déjà ce désir de formes musicales impalpables. Né en 1947, Tristan Murail est élève dans la classe
d’Olivier Messiaen au conservatoire de Paris de 1967 à 1971 puis pensionnaire à la Villa Médicis à
Rome de 1971 à 1973. Sa musique prend très vite ses distances par rapport au modèle sériel, alors
dominant, auquel Murail reproche une gestion du discours trop hachée et ponctuelle, des interdits
harmoniques qui conduisent à une certaine neutralité des superpositions, et surtout une méthode de
composition qui dans ses fondements organise la surface perceptible de la musique postérieurement à
une combinatoire de notes. Ses modèles se trouvent parmi les esthétiques qui s’attachent à créer des
mouvements globaux de masse sonore avant d’aborder l’écriture des détails locaux : la musique
électroacoustique dans ses principes, certains aspects de la musique de Iannis Xenakis, l’exemple isolé
de Giacinto Scelsi, et surtout les œuvres de György Ligeti comme Atmosphères ou Lontano. Altitude
8000, en 1970, montre fortement cette dernière influence par l’évolution très continue de sonorités
orchestrales comme « vues d’en haut » et par l’introduction de superpositions harmoniques
délibérément consonantes, quintes, octaves ou accords classés. Les œuvres des années 70-74 veulent
échapper à l’uniformité harmonique d’une grande partie de la musique de l’époque, sans bénéficier
encore de l’emploi de micro-intervalles, encore moins de superpositions spectrales. Aussi ces
musiques peuvent-elles rappeler Messiaen, ou même Ravel, voire utiliser délibérément de sonorités ou
phénomènes musicaux connotés, mais sans contours bien définis : Au-delà du Mur du Son pour
orchestre, L’attente pour sept instrumentistes, deux partitions de 1972, transforment perpétuellement
de telles situations sonores les unes dans les autres, estompant les repères, brouillant les pistes chez
l’auditeur. En 1973, La Dérive des Continents pour alto et orchestre à cordes, et plus encore Les
Nuages de Magellan pour deux ondes Martenot, guitare électrique et percussion, portent à son
paroxysme ce premier style, englobant dans un magma sonore ininterrompu une succession d’objets
sonores fluides et mouvants, n’offrant à l’écoute aucune articulation, aucune évolution franches.
C’est aussi en 1973 que Tristan Murail fonde, avec Michaël Lévinas, Gérard Grisey et Roger
Tessier, le collectif de l’Itinéraire, qui sera pour lui un laboratoire précieux dans les années suivantes,
pour le raffinement et la précision de l’écriture instrumentale, pour l’emploi de matériel électronique
« en temps réel », et plus tard pour la composition assistée par ordinateur.
Sables pour orchestre marque en 1974 une étape importante dans l’évolution du compositeur.
Conçue jusqu’alors comme transformation ininterrompue de multiples figures sonores qui
s’enchaînent les unes dans les autres plus ou moins arbitrairement, la musique de Murail courait le
risque de n’offrir à l’écoute qu’une surabondance de gestes sonores et instrumentaux, ou de s’enliser
dans un perpétuel instantané privé d’évolution formelle convaincante. Sables entend réduire le
déroulement musical au simple parcours des transformations, en atténuant la richesse et la variété des
1
Murail, Tristan, Autoportrait, émission radiophonique, prod. Marc Texier, France Musique, 1993.
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phénomènes sonores : cette volonté d’épure passe par l’allongement et la systématisation des
transformations, et par l’objectivation des repères auditifs.
« Dans Sables, j’ai tenté de gommer au maximum tout ce qui pouvait prêter à ce genre de confusions [une
perception gestuelle de sa musique], laissant les structures à nu. La perception est relative. On ne perçoit
pas des objets absolus mais des relations entre les choses, des différences. Ma musique n’est pas
composée d’objets sonores juxtaposés, de sections successives, mais de changement. C’est le
changement, sa nature, sa vitesse, etc., qui sont composés, et qu’il faut écouter. Il s’agit d’une conception
dynamique de la musique.
Pour mettre en évidence les processus de transformation, j’ai renoncé à tout événement qui aurait pu créer
une équivoque. […]
Le système harmonique utilise les seuls points de référence objectifs et “scientifiques”, qui sont les
résonances naturelles, et le bruit blanc, symbolisé par le cluster. […]
Rythmiquement, on peut rechercher un même principe de base : ce sera la pulsation régulière (à échelle
humaine, donc pas tout à fait régulière). Mais ceci n’est pratiquement pas employé, toute pulsation
risquant de constituer un événement. […]
Dans Sables, le parti pris non événementiel entraîne qu’il est impossible de distinguer des parties
distinctives. On peut seulement considérer cinq régions séparées par des moments où le (les) processus
d’évolution se renverse(nt). »2
Cette présentation de l’œuvre est d’un grand intérêt : elle délivre en 1975 l’essentiel des
principes esthétiques que la musique de Murail réalisera jusqu’au début des années 80. Elle offre
surtout une similitude frappante avec les conceptions contemporaines de Gérard Grisey, que Tristan
Murail côtoie depuis la classe d’Olivier Messiaen. Il est possible que Dérives, première œuvre de
maturité de Grisey composée dans les mêmes années, ait exercé une influence déterminante sur
Sables. C’est en tout cas avec ces deux partitions que les esthétiques des deux compositeurs
convergent, et que s’ouvre une période d’une dizaine d’années marquées par des techniques de
composition qu’on a pris l’habitude de désigner par l’expression de « musique spectrale ».
Sables, privilégiant la continuité des évolutions, est organisé par une succession d’un nombre
restreint de processus de transformation, phénomènes beaucoup plus longs et beaucoup plus
dynamiques que les courtes métamorphoses des partitions antérieures de Murail. Ces processus, qui ne
partagent pas encore l’ampleur et le systématisme de ceux qu’on trouve dans Dérives et Périodes de
Grisey, fonctionnent essentiellement par densification et accumulation progressive de matière sonore,
par passage progressif du son au bruit, et par les mouvements inverses. Certains, plus discontinus,
annoncent les transformations d’objets répétés propres aux œuvres à venir. Tous créent de longues
augmentations ou chutes de tension qui partent ou aboutissent sur des situations d’équilibre sonore que
Murail veut les plus neutres, les plus naturelles possibles : bruit blanc ou spectre harmonique
principalement. Mais l’harmonicité, comme la périodicité, font ici une apparition discrète dans la
musique de Murail alors qu’elles sont déjà prépondérantes et évidentes dans celle de Grisey.
Composée en 1975-1976, Mémoire/Érosion constitue dans l’évolution du style de Tristan
Murail une seconde étape vers l’épure ou même l’ascèse. Après Sables qui a opéré une neutralisation
et une objectivation du matériau sonore, Mémoire/Érosion opère celles des processus de
transformation et du déroulement temporel, en se rapprochant davantage encore des méthodes de
composition de Gérard Grisey, confirmées alors dans Partiels (1975). Écrite pour cor solo et petit
ensemble, la partition simule le procédé de « boucle de réinjection », technique de studio
électroacoustique courante à l’époque. Murail en explique le principe :
« Deux magnétophones sont reliés par une boucle de bande magnétique qui court de l’un à l’autre — le
premier enregistre les sons injectés, le second, quelques secondes plus tard, les lit et les renvoie au
premier où ils se mixent aux nouveaux sons injectés, et ainsi de suite à l’infini. Au bout d’un certain
temps, les sons se déforment, s’érodent, à force d’être copiés, mixés, recopiés. Ce processus sert de
modèle à une partition purement instrumentale. Les sons émis par le cor sont repris, comme en canon, par
tous les instruments successivement, au bout d’un laps de temps qui varie (d’une à trois secondes) au
cours de l’œuvre. »3
2
Murail, Tristan, notice de présentation de Sables, programme du douzième festival international d’art contemporain de
Royan, 1975.
3
Notice de présentation de l’œuvre, in « Tristan Murail par Tristan Murail », ce volume.
2
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Loin d’être anecdotique, la simulation instrumentale du processus de réinjection s’inscrit dans
l’évolution des techniques d’écriture de Tristan Murail. Elle fournit tout d’abord un cadre
systématique et automatique aux phénomènes d’accumulation et de densification de matière sonore,
ainsi qu’au passage progressif de sons « purs » en sons « bruités ». Elle permet de mieux concevoir
les phénomènes de basculements perceptifs créés par certaines accumulations, et d’affiner les seuils
séparant les différents processus. Elle provoque l’apparition franche dans la musique de Murail des
rythmes périodiques, créés par les répétitions, espacées d’une « boucle », des motifs injectés par le cor.
Elle requiert une finesse et une précision extrêmes de l’écriture instrumentale, nécessaires à la
simulation de phénomènes électroacoustiques, systématisant ainsi l’emploi de modes de jeu
particuliers, de multiphoniques, et surtout de micro-intervalles, quasiment absents jusqu’ici de la
musique de Murail.
Enfin un aspect essentiel de cette partition réside dans la gestion des éléments sonores injectés
par le cor : ne dépendant pas du processus de réinjection, celle-ci est laissée au libre arbitre du
compositeur. Or Murail limite cet arbitraire au minimum : le cor part de phénomènes sonores très
simples, puis les répète et les varie, en suivant ou contrariant pas à pas le processus de réinjection. Le
simple déclenchement automatique de la boucle de réinjection ne suffirait pas à engendrer des
évolutions musicales diversifiées et suffisamment riches : c’est la répétition progressivement variée
des sons injectés qui crée les processus de transformation caractéristiques du déroulement temporel de
l’œuvre.
Le style de Murail adopte ainsi un aspect qu’il refusait délibérément auparavant, la répétition
pendant de longues périodes d’un même objet, qui peut être un son isolé aussi bien qu’un geste
musical plus ample, et qui se transforme peu à peu. Territoires de l’oubli pour piano (1976-1977),
Tellur pour guitare (1977), confirmant la direction prise avec Mémoire/Érosion, seront alors les
œuvres les plus « répétitives » de la production de Murail, ce que favorise la nature non-entretenue des
sons de ces deux instruments.
La boucle de réinjection n’est pas la seule technique de studio dont Tristan Murail s’est inspiré.
Les années 1974-79 sont marquées par le transfert à l’écriture instrumentale de nombreux modèles
électroacoustiques. Parmi ceux-ci, certains sont assez anecdotiques, comme les mouvements de
potentiomètres, les effets de pleurage ou le clic de fin de bande dans Mémoire/Érosion. La plupart sont
fondamentalement liés à l’esthétique de Murail : la simulation du bruit de souffle de la bande, toujours
dans Mémoire/Érosion, s’entend de la même façon que les superpositions bruitées des autres œuvres.
Le phase shifting, qu’on trouvera dans Éthers, est un moyen commode d’animer de l’intérieur un
spectre harmonique statique par nature. La réverbération fait partie intégrante de l’esthétique de
Murail, de son goût pour la continuité et l’immersion dans les phénomènes sonores.4 De même l’écho
est un moyen efficace de faire durer les sons ponctuels, et peut être considéré dans Territoires de
l’oubli comme l’analogue technologique de la répétition. Enfin le modèle du modulateur en anneau,
riche de potentialités musicales, se décèle dans trois partitions majeures de cette période, qui comptent
parmi les chefs-d’œuvre du compositeur : Treize Couleurs du Soleil Couchant pour cinq instruments
(1978), Éthers pour six instruments (1978), Les Courants de l’Espace pour Ondes Martenot, dispositif
électronique et petit orchestre (1979).
Un modulateur en anneau crée, à partir de deux fréquences A et B, le son additionnel de
fréquence A + B et le son différentiel de fréquence A – B. On peut imaginer de transposer ce principe
simple à l’écriture instrumentale, où les sons se génèrent perpétuellement les uns à partir des autres.
Cette méthode a en outre l’avantage pour Tristan Murail d’engendrer des harmonies purement
fréquentielles, c’est-à-dire qui se définissent en dehors de toute échelle de notes, et demandent la
finesse de l’approximation en micro-intervalles. Les Treize Couleurs du Soleil Couchant sont
l’application la plus systématique du procédé : à chaque instant les sons nouveaux sont censés être
déduits des sons précédents. Cependant le compositeur ne laisse pas l’engendrement se dérouler sans
contrôle, mais prend soin d’organiser une courbe globale de hauteurs qui entend évoquer les
4
Ceci n’est pas spécifique à Murail mais à une époque : « Il y a eu changement dans l’écoute, changement conceptuel et
esthétique aussi. L’esthétique nouvelle demande des effets de fondu, de résonance, d’écho. On les trouve dans l’écriture
orchestrale : pensons à Ligeti, à Scelsi, et même à Messiaen, à Boulez. […] L’univers de la réverbération a envahi
l’écriture. » Murail, Tristan, « Écrire avec le live-electronic », La Revue Musicale, n°421-424, 1991, p.98, réédité dans
Vingt-cinq ans de création musicale contemporaine. L’Itinéraire en temps réel, L’Harmattan, 1998.
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différentes luminosités du soleil descendant sur l’horizon.5 Cette œuvre est un magnifique exemple de
la richesse, la variété et la liberté de l’élaboration harmonique des œuvres de Tristan Murail.
Éthers constitue une superbe synthèse du style de cette période, nouant de façon souple les
différentes techniques de composition appliquées parfois plus expérimentalement et systématiquement
dans les œuvres antérieures. Les Courants de l’Espace, sorte d’œuvre jumelle d’Ethers, offre pour la
première fois la confrontation entre un ensemble instrumental et un dispositif électronique « en temps
réel », encore rudimentaire. Enfin en 1980, Gondwana porte à l’orchestre l’évolution stylistique
acquise depuis Sables, mais contient quelques nouveautés qui présagent l’orientation prise
progressivement pendant les années 80 : l’usage de la modulation de fréquence pour l’engendrement
des superpositions de hauteurs annonce un élargissement des méthodes harmoniques, et les ruptures et
ellipses contenues dans certains processus montrent le désir de s’affranchir d’une trop grande linéarité
des progressions.
Les années 74-80 sont marquées par une démarche cohérente d’exploration progressive et
approfondie des diverses méthodes d’écriture propres à cette première période de maturité. Les années
80 sont au contraire des années de recherche plus erratique, où Murail, comme Grisey à la même
époque, ouvre différentes voies susceptibles de renouveler son style. Elles sont aussi une période de
reconnaissance et de diffusion des concepts de la « musique spectrale », en particulier par
l’enseignement et les écrits théoriques.
Invité à enseigner à Darmstadt en 1980, Tristan Murail rédige « La révolution des sons
complexes »6, dévoilant de manière claire et technique quelques outils de composition, prônant comme
véritable révolution du XXe siècle la découverte et l’exploration des nouveaux mondes sonores, mais
ne mesurant pas encore le profond changement de conception du temps musical opéré par sa musique
et celle de Grisey.
Toujours en 1980, les compositeurs de l’Itinéraire participent à un stage d’informatique
musicale à l’Ircam, qui a eu un impact décisif sur l’évolution de la musique de Murail. Pionnier et
instigateur de la composition assistée par ordinateur, Murail s’en est d’abord servi pour le calcul des
fréquences des superpositions harmoniques, travail sinon long et fastidieux. « Spectres et lutins »7,
article écrit à l’occasion du passage de l’Itinéraire à Darmstadt, rend compte de cette orientation, par
une présentation beaucoup plus rationnelle et scientifique de l’engendrement des spectres, considérés
comme des fonctions mathématiques.
Commande de l’Ircam, Désintégrations (1982-83) ne remet pas fondamentalement en cause les
principes de composition des partitions antérieures, même si apparaît en filigrane un souci nouveau de
rapidité des flux sonores et de réminiscences formelles. Écrite pour dix-sept instruments et bande
magnétique, l’œuvre est en outre la première expérience chez Murail d’une superposition de sons
instrumentaux et de sons de synthèse, recherchant non l’opposition des deux sonorités, mais une
ambiguïté de leur relation qui est considérée depuis comme un des grands talents du compositeur.
L’engendrement de plus en plus rationnel des harmonies et l’élargissement de la notion de spectre à
l’ensemble des structures fréquentielles permettent de calculer de façon identique les sons de synthèse
et les notes confiées aux instruments, garantissant la subtilité de leur mariage.
Deux partitions d’orchestre composées en 1985, Time and Again puis Sillages, sont les témoins
d’une période de transition où Tristan Murail tente de dépasser la linéarité et la prévisibilité du
déroulement temporel de sa musique. L’inflexibilité impérieuse des processus de transformation est
devenue une gêne dans un discours sonore que Murail voudrait plus fluide et volubile. Alternances,
accélérations, raccourcis, ellipses, inserts, voire rétrogradations formelles sont autant de moyens,
provisoires pour certains, de renouveler la perception du temps musical.
Un autre symptôme de cette période transitoire peut être vu dans la volonté qu’a Tristan Murail
d’élargir sa palette à d’autres univers que la musique purement instrumentale, exclusive dans son
catalogue jusqu’ici. Désintégrations, on l’a vu, fait appel à l’électroacoustique et aux sons de
synthèse. Composé de 1984 à 1987, Random Access Memory est un vaste cycle de plus d’une heure,
5
La même année, Gérard Grisey compose Sortie vers la lumière du jour, dont la forme globale se calque sur la course du
soleil dans une journée, et qui utilise aussi la simulation de modulateur en anneau.
6
« La révolution des sons complexes », Darmstädter Beitrage zur Neuen Musik, XVIII, 1980, Mainz, Schott, p.77-92.
7
« Spectres et lutins », Darmstädter Beitrage zur Neuen Musik, XIX, p. 24-34, réédité dans La Revue Musicale, n°421-424,
1991, pp.309-322, puis dans Vingt-cinq ans de création musicale contemporaine. L’Itinéraire en temps réel, L’Harmattan,
1998.
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qui prévoit un spectacle lumineux et « ressemble parfois à une Rock-Messe »8. Autre grande fresque,
Les Sept Paroles du Christ en Croix tentent d’intégrer la voix, sous forme de chœur, à un style par
nature peu propice au déploiement de lignes mélodiques, encore moins aux effets rhétoriques ou
pathétiques. Le choix d’un chœur plutôt qu’une voix soliste permet de concevoir des effets de masse,
mais l’intrusion de la voix dans la musique de Murail reste une expérience assez marginale dans son
parcours.9
Comme pour clore cette période, le texte « Questions de cible »10, écrit théorique le plus
imposant du compositeur, est l’occasion pour Tristan Murail de dissiper certains malentendus
concernant la « musique spectrale » dont l’expression commence à se propager non sans confusion11.
En particulier les conceptions dynamiques et temporelles de Murail sont plus nettement exprimées
qu’auparavant. Il est ici opportun de s’arrêter un instant sur les principes formels de la musique de
Murail, ce qui permettra de mieux saisir le cheminement du compositeur à la fin des années 80.
Dans « Questions de cible », Tristan Murail décrit ainsi la nature temporelle de sa musique :
« L’exploration des hiérarchies fait apparaître ce que je nommerai la “vectorisation” du discours musical,
ce qui signifie que tout processus est orienté et possède un sens, sinon une signification, que l’auditeur
sent bien qu’on l’emmène quelque part, et qu’il y a un pilote dans l’avion. Cette vectorisation,
inévitablement, crée des sensations de tension et de détente, de progression ou de stagnation, joue sur le
confort de l’attendu et le plaisir de la surprise, sur les phénomènes de seuil, ou de retournement de
tendance insidieux, crée le dynamisme du discours en un mot, ce qui, au-delà des modes d’écritures et des
modes tout court, au-delà des révolutions de surface et des polémiques stériles, en appelle directement
aux catégories mentales de l’auditeur occidental. »12
À un temps fondamentalement statique, caractéristique de la musique des années 50 et 60, les
premières œuvres de maturité de Murail et Grisey, à partir de Dérives, opposent une temporalité
dynamique et irréversible, ceci par le moyen des processus de transformation13. Même s’il prône la
plénitude sonore et la continuité des phénomènes, Tristan Murail ne cherche pas à contrarier
l’orientation temporelle propre à la culture occidentale, que les esthétiques post-tonales avaient plus ou
moins reniée : « Bien que j’aie été tenté par le concept, je crois illusoires les tentatives d’aligner notre
temps musical sur celui des indous ou des javanais. Les notions de musique dynamique, de temps
mobile, etc., sont trop profondément ancrées dans notre culture pour être balayées par l’œuvre d’un
seul. »14
Soucieuses d’organiser des évolutions temporelles perceptibles, les formes musicales des années
70 privilégient la prévisibilité et la linéarité des transformations, au détriment de la rapidité du
discours. Cette période correspond à l’épanouissement de l’esthétique de Gérard Grisey, naturellement
porté vers le systématisme des processus formels et la lenteur du déroulement. Pour Tristan Murail,
davantage enclin à l’ambiguïté et la fugacité des phénomènes sonores, cette période a sans doute été
plus astreignante, étape nécessaire à l’acquisition des principes d’écriture à la base de son style — et
qui a engendré néanmoins de grands chefs-d’œuvre. En revanche, l’évolution vers la rapidité et
l’articulation prise à partir des années 80 sera assez spontanée chez Murail, plus laborieuse et
artificielle chez Grisey. C’est à ce moment que leurs parcours divergeront.
Les œuvres composées par Tristan Murail de 1974 à 1980 procèdent selon des montées et
chutes de tension longues et continues, générées par la densité du matériau sonore, l’intensité,
l’ambitus fréquentiel, la vitesse et le rythme de succession des phénomènes. Cette évolution
tensionnelle peut être représentée par une courbe, considérée comme une enveloppe englobant la
succession des processus de transformation. On observe alors que ces œuvres obéissent pour la grande
majorité à l’archétype suivant :
8
Murail, Tristan, notice de présentation de l’œuvre, programme des treizièmes rencontres internationales de musique
contemporaine de Metz, 1984.
9
Expérience renouvelée une seule fois depuis, dans …amaris et dulcibus aquis… (1994).
10
« Questions de cible », Entretemps, n°8, septembre 89, p.147-172.
11
« On qualifie généralement la musique que nous faisons de “spectrale”. Ni Gérard Grisey ni moi-même ne sommes
responsables de cette appellation qui nous paraît fortement réductrice. », ibid. p.147.
12
ibid. p. 157.
13
Baillet, Jérôme, « Flèche du temps et processus dans les musiques après 1965 », Les écritures du temps, Ircam –
L’Harmattan, à paraître.
14
« Questions de cible », op. cit. p.148. Grisey a lui aussi souvent revendiqué la nature « occidentale » de son temps musical.
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Jérôme Baillet L'esthétique musicale de Tristan Murail
Quelle que soit la durée absolue de l’œuvre, l’enveloppe conserve les même proportions.
L’élément le plus caractéristique est la présence d’un climax aux deux tiers environ de la durée totale.
Comme les œuvres de cette période sont extrêmement continues, ce sommet est souvent accompagné
d’une rupture marquée dans le déroulement : brusque changement de registre dans Éthers, accords
hachés dans Mémoire/Érosion, traits virtuoses du pianiste dans Territoires de l’Oubli. Au centre de la
forme se place l’épisode le plus calme et le plus stable de la partition, généralement réservé à la
périodicité lente d’un accord répété. La première moitié de l’œuvre est une courbe tension-détente,
parfois dédoublée, similaire à la forme globale, mais moins accusée. Enfin le dernier tiers est une
désinence progressive, avec fréquemment à la fin un geste de montée de tension, parfois très bref,
figure de style chère à Tristan Murail qui crée une sensation équivoque d’inachèvement.
Mis à part ce geste ultime interrompu arbitrairement par la fin de la partition, cette enveloppe se
déploie à partir de la succession fondamentale montée de tension - chute de tension, voire montéesommet-chute, propre aux rythmes et formes musicaux les plus instinctifs et les plus naturels pour un
musicien occidental. Elle est assez simple et générale pour être observée à des échelles temporelles
plus réduites, en particulier dans les vagues sonores de quelques secondes, morphologies très
fréquentes et quasiment exclusives au sein de la continuité des œuvres de Murail des années 70.
Encore balbutiante dans les partitions de cette époque, l’identité des phénomènes sonores
microscopiques et macroscopiques fait déjà partie des idées centrales de l’esthétique de Murail :
« Si l’on étudie avec un peu d’attention ces sons [complexes], leurs structures internes, la façon dont ils
sont émis, on peut découvrir des moyens rationnels de les utiliser, et même en tirer de nouvelles logiques
musicales. On arriverait ainsi à un type d’écriture idéal, où il y aurait parallélisme entre structures des
sons et formes musicales. Les uns et les autres répondraient aux mêmes critères, obéiraient aux mêmes
principes d’organisation ; il y aurait parfaite adéquation entre le microcosme et le macrocosme de la
partition ; la distinction entre matériau et forme s’estomperait et finirait par n’avoir plus de sens, l’un
procédant de l’autre directement, se confondant même dans l’autre. »15
Reconnaissons qu’il s’agit là d’une utopie de la musique « spectrale », partagée aussi par Gérard
Grisey, sans doute essentielle comme aiguillon d’une recherche de méthodes d’écriture nouvelles,
mais qui a aussi été pour beaucoup dans les préjugés et les malentendus concernant la musique des
deux compositeurs français. Cette adéquation entre son et forme peut éventuellement être décelée à
l’époque dans les processus de transformations qui, par leur principe, créent une forme par la
déduction pas à pas du matériau sonore. En aucun cas on observerait une similitude de structures et de
morphologies à différentes échelles temporelles, à l’image d’une forme fractale qui conserve toujours
le même aspect de l’échelle d’observation la plus large à la plus fine.
C’est précisément cette idée d’invariance d’échelle propre à la géométrie fractale qui va
accompagner Tristan Murail à partir des années 80, et lui permettre de concrétiser les caractères de
rapidité et d’articulation qu’il souhaite ajouter à sa musique. Il est en effet frappant de constater que
des œuvres comme Time and Again ou Sillages conservent l’enveloppe globale du schéma cité plus
haut, mais cette enveloppe est brouillée, peu perceptible derrière la discontinuité locale : tout se passe
pour l’auditeur comme si l’enveloppe avait été fractalisée. Ce n’est pas vraiment ainsi que sont
conçues ces partitions, mais Tristan Murail entend bien appliquer, à la fin des années 80, le principe de
manière systématique : « Par approches successives, par effet de “zoom”, sont engendrées des
structures d’ordre de plus en plus local, jusqu’au détail le plus infime. Le destin de la note individuelle
15
Murail, Tristan, « La révolution des sons complexes », op. cit. pp.89-90.
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Jérôme Baillet L'esthétique musicale de Tristan Murail
est déjà inscrit dans le projet compositionnel. […] Une même technique pourra souvent s’appliquer
aux diverses échelles de la construction d’une partition : grande forme, sections, figurations, sons —
aux diverses dimensions du son musical, aux éléments de la rhétorique musicale (séquencements,
densités, registres, épaisseurs, neumes…). »16
Vues aériennes, en 1988, en est une première ébauche, peut-être encore maladroite. La partition
est écrite pour cor, violon, violoncelle et piano, et consiste en quatre présentations successives d’une
même objet, mini-forme musicale obéissant à l’archétype ternaire : montée de tension, objet central,
chute de tension. Les distorsions particulières appliquées à chacun de ces objets17 et l’ordre de leur
succession permettent de retrouver, au niveau de la grande forme, l’enveloppe tensionnelle à la base
des œuvres de Murail. Si l’on ajoute les vagues sonores dessinées par le cor au niveau le plus local, on
observe à trois échelles différentes la présence d’un unique archétype formel.
Allégories, composée en 1989 pour six instruments et dispositif de synthèse, présente dès les
premières mesures l’objet qui va servir à l’élaboration de la pièce entière : ici encore une morphologie
simple, constituée de quatre gestes élémentaires. Cet « objet musical complexe », comme l’appelle
Murail, aura « son enveloppe spectrale, voire ses implications rythmiques et texturales […] dilatées,
compressées ou distordues de maintes façons tout au long de l’œuvre »18. Allégories est la première
grande réussite du renouveau stylistique qui s’opère alors, jouant sur la fluidité du déroulement et sur
la réapparition, concevable désormais, d’objets sonores similaires ou identiques dans le cours de
l’œuvre.
Serendib (1991-92) est l’application la plus systématique du principe de fractalisation, à tel
point que Tristan Murail doit arbitrairement casser le système à un certain niveau pour pouvoir
conserver, à l’échelle la plus grande, l’enveloppe formelle globale caractéristique de ses œuvres. Avec
Serendib et d’autres œuvres de cette époque (La Dynamique des Fluides, La Barque Mystique), la
musique de Murail atteint un stade extrême de morcellement, d’articulation, d’imprévisibilité du
déroulement. Le style harmonique de Murail, qui procédait dans les années 70 par transformations
graduelles, a acquis peu à peu une souplesse permettant l’enchaînement rapide d’accords (ou spectres)
différenciés selon une hiérarchie de couleurs et de tensions : Murail est alors amené à revendiquer la
nature fonctionnelle de son harmonie, située en dehors de tout principe tonal et résolument
fréquentielle19. Les processus de transformation, qui garantissaient jadis la prévisibilité de l’évolution,
sont tellement éludés ou raccourcis qu’ils deviennent des objets immédiatement préhensibles : « les
éléments de continuité, les processus, etc., [doivent] être des éléments du discours au lieu de se
confondre avec lui »20. « Cependant, s’interroge Murail, à force de complexifier, de généraliser, d’aller
aux extrêmes, on s’éloigne de plus en plus du modèle naturel et des modèles de perception, sur
lesquels on comptait pour établir une certaine légitimité de la démarche »21.
Le titre d’une partition pour violoncelle écrite en 1992, Attracteurs étranges, fait référence à un
modèle physique qui permet d’éclairer les principes esthétiques de cette période. En effet, la notion de
forme fractale ne concerne pas seulement, comme on l’a vu jusqu’ici, la similitude des morphologies
locales et des formes globales, similitude qui n’est chez Murail qu’une résurgence, plus systématique,
d’un phénomène rencontré dans de nombreux aspects de la musique occidentale. Elle est un pan
essentiel des théories du « chaos » qui depuis les années 70 ont envahi le monde des mathématiques et
des sciences.
« [En physique], quand un système présente des variations dans le temps apparemment très irrégulières,
on le dit “chaotique”. Cela veut dire “imprévisible”. […] Dans le cas de ces systèmes dynamiques
continus et chaotiques, on observe ce fait troublant : toutes les orbites convergent vers un ensemble de
points qui semblent, au cours de l’évolution dans le temps, attirer les orbites. Cet ensemble de points
porte le nom d’attracteur étrange. Aussi précisément que l’on sache faire les calculs, on observe que cet
attracteur étrange est un objet fractal. Si l’on part d’un point qui se trouve sur l’attracteur, on va sauter, au
16
Murail, Tristan, « Questions de cible », op. cit. p.154.
Voir la notice de présentation de l’œuvre, dans « Tristan Murail par Tristan Murail », ce volume.
18
Entretien de Tristan Murail avec Julian Anderson, livret d’accompagnement du CD Tristan Murail, col. compositeurs
d’aujourd’hui, Ensemble Intercontemporain / Ircam, Ades 205212, 1996, p.41.
19
Entretien avec Pierre Michel, ce volume.
20
ibid.
21
« Questions de cible », op. cit. p.158-159.
17
7
Jérôme Baillet L'esthétique musicale de Tristan Murail
cours de l’évolution dynamique, de façon apparemment incohérente en d’autres points mais qui se
trouvent toujours sur l’attracteur. »22
Quelle image pourrait mieux décrire le rythme irrégulier et fuyant des musiques de Murail, les
phénomènes instables et éphémères qu’elles recherchent ? Le compositeur ne prétend pas transférer
rigoureusement ces concepts à l’écriture musicale, mais y voit plutôt des modèles de figures sonores et
d’évolution temporelle : contours en « spirales » enchevêtrées, périodicité rare et très instable,
répétition équivoque des gestes musicaux, retours imprévisibles et fugaces des situations antérieures,
et bien sûr identité des formes à toutes les échelles temporelles. Sans être omniprésentes ou
systématiques dans l’élaboration des œuvres, ces images physiques semblent bien correspondre au
style de la musique de Murail à cette époque, qui rejoint finalement la mobilité fluide qu’on décelait
dans les œuvres du début des années 70, mais appuyée maintenant sur des principes d’écriture acquis
au fil des années « spectrales ».
Poursuivant l’exploration de ces concepts esthétiques, L’esprit des dunes pour ensemble et
électronique marque pourtant en 1994 un certain tournant par l’apparition remarquée de la dimension
mélodique dans le style de Murail et par une certaine clarification de la conduite du discours temporel,
d’une complexité souvent déroutante depuis quelques années. La ligne mélodique, comme celle qui
ouvre la partition au hautbois, n’est en fait pour Murail qu’un cas particulier, extrême, d’une figure
sonore de durée brève et aux contours bien dessinés. Elle ne saurait être un élément étranger à ses
méthodes d’écriture et, pensée de manière fréquentielle, elle n’implique pas l’existence d’une échelle
ou d’une gamme. La raréfaction sonore mettant souvent les éléments à découvert, la présence voilée
de sons vocaux, les retours d’objets antérieurs facilement reconnaissables, font de L’esprit des dunes
une œuvre séduisante, d’une esthétique moins intransigeante que les partitions précédentes.
Cette œuvre se distingue en outre par l’utilisation de sources sonores acoustiques, d’origine
asiatique, dont le compositeur fait une analyse spectrale afin d’élaborer certains matériaux,
mélodiques, harmoniques, rythmiques, voire formels. Cette méthode de travail est nouvelle dans le
parcours de Tristan Murail qui concevait auparavant ses matériaux de toute pièce, ou les tirait
d’analyses spectrales instantanées. Les outils informatiques permettent désormais de suivre
précisément l’évolution temporelle du contenu fréquentiel des sons, et en particulier de mieux
appréhender la richesse des sons « complexes » : dans Le Partage des eaux pour grand orchestre puis
dans Bois flotté pour cinq instruments et électronique, Tristan Murail utilise des sons aquatiques de
structure très chaotique, dont il peut tirer des successions harmoniques peut-être inimaginables sans
ces modèles. Il ne faudrait par voir là une conception « naturaliste » de la musique, tellement les
sources sont travaillées et remodelées, pas plus qu’une méthode de composition fondamentalement
liée à la « musique spectrale » : le procédé reste occasionnel, limité dans son rôle et sa durée, il est un
moyen efficace d’engendrer des équivalents musicaux aux phénomènes chaotiques prisés par le
compositeur.
La dernière œuvre de Tristan Murail achevée à ce jour échappe provisoirement à ces modèles
acoustiques pour s’organiser autour d’une courte citation de Prologue de Gérard Grisey, pièce initiale
des Espaces acoustiques écrite en 1976 pour alto seul. Winter fragments pour cinq instruments et
électronique est un hommage pudique à l’ancien compagnon de route disparu en 1998, sans que cette
référence soit explicitement mentionnée dans la partition ou les notes de programme. La fin de l’œuvre
donne la sensation glaçante d’être progressivement contaminée par une « lenteur hivernale »23 chère à
Gérard Grisey, pour mener dans les dernières mesures à la courbe mélodique de Prologue entendue à
découvert, fortement ralentie, enfin brusquement interrompue.
La limpidité du discours, le dépouillement sonore sont plus qu’une simple retenue de
circonstance, et confirment une orientation amorcée dans L’esprit des dunes : les motifs hésitants et
lancinants de la flûte, le goût pour la pureté de lignes mélodiques justes esquissées, la conduite
relativement simple du déroulement temporel, montrent une volonté récente d’éviter la surenchère
harmonique et la complexification facile. Conclusion provisoire et émouvante d’un parcours de trente
ans, Winter fragments poursuit sans aucun doute l’approfondissement constant et intransigeant d’un
style qui a toujours su se renouveler, à l’écart autant de l’opportunisme des modes que de la redite
complaisante.
22
23
Sapoval, Bernard, Universalités et fractales, Flammarion, 1997, pp.229, 236-237.
Grisey, Gérard, « Le temps de le prendre », Cahiers du Renard, n°15, 12/1993, p.14.
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