dans les années 1960, la France connaît une modernisation économique et sociale
rapide : fin des bidonvilles et des logements insalubres, éradication de la tuberculose,
baisse de la mortalité, allongement de la durée de vie, accès pour tous à l’emploi et
réduction des inégalités. Durant la même période, la Suisse, avec un taux de croissance
économique annuel moyen de 5,27%, s’est prévalue des mêmes résultats. Face à
l’explosion démographique, les cantons urbains se sont engagés dans la construction de
grands ensembles d’habitation. Toutefois les ambitions technocratiques de planification
des urbanistes et décideurs ont été freinées par les associations de quartier et les
votations populaires qui revendiquent la protection d’un art de vivre et le maintien
d’une urbanité classique. Les outils procéduraux de la démocratie participative ont bien
fonctionné.
La crise économique mondiale des années 1970 marque une rupture majeure dans la
croissance des villes européennes. En France, si les centres d’échanges internationaux,
les cités d’affaires relèvent de la dynamique de la ville, il se constitue dans un même
temps des espaces de déqualification économique et culturelle marqués par la relégation
sociale. Au début des années 1990, les collectivités territoriales peinent à la fois à être
des moteurs de la compétition économique et à maintenir la cohésion sociale. Le
territoire urbain glisserait selon Touraine de la « société de discrimination vers la
société de ségrégation » (1991).
Les populations immigrées se retrouvent prisonnières des grands ensembles de
logements que leur ont légués les populations ouvrières françaises ayant accédé à la
propriété privée. Au fil des décennies, les périphéries cumulent les handicaps : chômage,
échec scolaire, marginalisation sociale, incivilité et violences. Le sentiment d’abandon
ressenti (Kokoreff, 2008) engage le déploiement de formes de replis communautaires.
Peu à même de porter un projet de société juste sous la tutelle de l’État jacobin,
« l’urbanisme de la croissance » de la France s’amoindrit dans le tournant néolibéral. La
logique managériale du partenariat public/privé ouvre les conditions financières d’un
développement urbain qui se veut rentable. La fin de l’État providence ouvre les voies à
la crise du modèle républicain (Baudouï, 1992). L’exclusion sociale par l’économique
affecte les banlieues.
Avec les lois de la décentralisation de 1982, l’urbanisme redevenu une compétence
politique municipale ouvre les voies à une «démocratie de guichet » d’attribution
clientéliste des marchés de bâtiments et travaux publics et subventions. Elle fausse le jeu
de la concertation démocratique (Donzelot et Estèbe, 1994) et fonde une « République
féodale » par le gouvernement des élites sans consultation démocratique réelle
(Coudert, 1991). Les décisions locales en matière d’urbanisme, pour être contraintes par
des coalitions d’intérêts ou des coalitions de causes d’acteurs spécifiques (advocacy
coalitions), modifient en cours de processus les objectifs initiaux. Elles fragilisent le
maintien de l’intérêt général. Quant à la « participation citoyenne » vantée par les élus,
elle se résume le plus souvent à une consultation préalable des habitants qui ne peut
remettre en cause le processus engagé.
Les prises illégales d’intérêts telles la corruption et le financement illégal des acteurs
et groupements politiques dans le domaine de l’urbanisme sont plus nombreuses. Par
exemple, à dessein de protéger son patrimoine familial, un ancien conseiller technique
du ministre des Finances est mis en examen pour détournement du tracé de la ligne à
grande vitesse Bordeaux-Espagne. La mutation de l’État providence en État animateur