Résumé
Le présent rapport analyse la dynamique qui oppose la vie privée de la victime et le
principe de la publicité des débats, en particulier dans le contexte des poursuites pour agression
sexuelle. Le principe de la publicité est une des valeurs les plus chères de la tradition anglo -
canadienne de la common law. La jurisprudence relative à la Charte des droits et libertés a non
seulement renforcé cette valeur, mais elle a resserré les conditions qui doivent être remplies pour
apporter des exceptions au principe de la publicité des débats. Le rapport présente une analyse de
la transformation qu’a subie le principe de la publicité des débats, un principe fondé au départ
sur la common law et qui a été par la suite constitutionnalisé.
Historiquement, les victimes d’actes criminels n’ont jamais joué un rôle central dans le
procès pénal qui constitue, sur le plan théorique, un litige opposant deux parties, l’État et
l’accusé. Avant l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982, le statut des victimes avait
cependant déjà commencé à s’améliorer. Les règles relatives aux infractions sexuelles formaient
un domaine qui suscitait des demandes de réforme particulièrement véhémentes et qui, pour cette
raison, a subi de nombreuses modifications. Des mesures législatives ont été adoptées dans ce
sens, mais la protection de la vie privée des victimes n’était pas reconnue par la common law
comme étant une des exceptions autorisées aux deux volets du principe de la publicité des
débats, à savoir la publicité des audiences et le droit de rendre compte des débats judiciaires.
La Charte a profondément modifié le statut des victimes d’actes criminels, même si ce
changement s’est opéré presque exclusivement dans le contexte des agressions sexuelles. Invitée
à résoudre le conflit entre les droits de l’accusé et ceux de la plaignante, la Cour suprême du
Canada a reconnu à la victime un droit à la vie privée aux termes de l’art. 7 de la Charte auquel
elle a accordé un statut d’égalité avec le droit de l’accusé à une défen se pleine et entière. Cette
reconnaissance représente un changement marquant, compte tenu de la nécessité d’établir un lien
entre les préoccupations reliées à la vie privée qui apparaissent à différents moments et pour
différentes raisons dans les poursuit es pour agression sexuelle. La jurisprudence relative au
principe de la publicité tente de concilier les effets bénéfiques qu’entraîne la protection de la vie
privée de la victime et les conséquences préjudiciables de toute dérogation au principe de
publicité. Les atteintes portées à la vie privée de la victime à d’autres étapes du processus et les
mesures qui ont été prises pour y remédier influencent parfois la perception de la
proportionnalité qu’ont les tribunaux dans les conflits entre la vie privée de la victime et la
publicité.
Le rapport présente la façon dont certains autres pays abordent ces questions et analyse
les valeurs qui sont en jeu lorsque le respect de la vie privée de la victime s’oppose au principe
de la publicité. Ce faisant, l’auteur pose, sans y répondre, la question de savoir si la vie privée de
la victime, et la nécessité de préserver son anonymat en particulier, doit être protégée en raison
de la nature de l’infraction ou s’il faut plutôt voir dans cette protection une mesure corr ectrice
visant à remédier au sous -signalement chronique des infractions sexuelles et à convaincre les
victimes de faire confiance au système pénal. Pour l’essentiel, il s’agit de savoir si ces infractions
sont différentes des autres et appellent, par conséquent, sur le plan de la vie privée, un traitement
différent. Une autre approche consisterait à traiter différemment les victimes d’agression
sexuelle, mais uniquement de façon temporaire, et en raison du traitement inéquitable auquel
elles ont été soumises dans le passé et qu’elles subissent encore.