La vie privée de la victime et le principe de la publicité des débats

La vie privée de la victime et le principe
de la publicité des débats
Jamie Cameron, professeur de droit
Osgoode Hall Law School
Centre de la politique
concernant les victimes
Division de la recherche et
de la statistique
rr03-VIC-1f
mars 2003
Les opinions exprimées dans le présent rapport
sont celles de l’auteur et ne représentent pas
nécessairement celles du ministère de la
Justice Canada.
La vie privée de la victime
et le principe de la publicité
des débats
TABLE DES MATIÈRES
Résumé
Remerciements
Chapitre Un Introduction..............................................................................................1
Chapitre Deux Le principe de la publicité des débats et la Charte ................................... 8
Chapitre Trois La vie privée des victimes, l’agression sexuelle et la Charte...................28
Chapitre Quatre Perspectives comparatives, transnationales et internationales..................49
Chapitre Cinq Perspectives............................................................................................69
Chapitre Six Conclusions........................................................................................... 89
Chapitre Sept Bibliographie sélective .......................................................................... 94
Notes....................................................................................................112
Résumé
Le présent rapport analyse la dynamique qui oppose la vie privée de la victime et le
principe de la publicité des débats, en particulier dans le contexte des poursuites pour agression
sexuelle. Le principe de la publicité est une des valeurs les plus chères de la tradition anglo -
canadienne de la common law. La jurisprudence relative à la Charte des droits et libertés a non
seulement renforcé cette valeur, mais elle a resserré les conditions qui doivent être remplies pour
apporter des exceptions au principe de la publicité des débats. Le rapport présente une analyse de
la transformation qu’a subie le principe de la publicité des débats, un principe fondé au départ
sur la common law et qui a été par la suite constitutionnalisé.
Historiquement, les victimes d’actes criminels n’ont jamais joué un rôle central dans le
procès pénal qui constitue, sur le plan théorique, un litige opposant deux parties, l’État et
l’accusé. Avant l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982, le statut des victimes avait
cependant déjà commencé à s’améliorer. Les règles relatives aux infractions sexuelles formaient
un domaine qui suscitait des demandes de réforme particulièrement véhémentes et qui, pour cette
raison, a subi de nombreuses modifications. Des mesures législatives ont été adoptées dans ce
sens, mais la protection de la vie privée des victimes n’était pas reconnue par la common law
comme étant une des exceptions autorisées aux deux volets du principe de la publicité des
débats, à savoir la publicité des audiences et le droit de rendre compte des débats judiciaires.
La Charte a profondément modifié le statut des victimes d’actes criminels, même si ce
changement s’est opéré presque exclusivement dans le contexte des agressions sexuelles. Invitée
à résoudre le conflit entre les droits de l’accusé et ceux de la plaignante, la Cour suprême du
Canada a reconnu à la victime un droit à la vie privée aux termes de l’art. 7 de la Charte auquel
elle a accordé un statut d’égalité avec le droit de l’accusé à une défen se pleine et entière. Cette
reconnaissance représente un changement marquant, compte tenu de la nécessité d’établir un lien
entre les préoccupations reliées à la vie privée qui apparaissent à différents moments et pour
différentes raisons dans les poursuit es pour agression sexuelle. La jurisprudence relative au
principe de la publicité tente de concilier les effets bénéfiques qu’entraîne la protection de la vie
privée de la victime et les conséquences préjudiciables de toute dérogation au principe de
publicité. Les atteintes portées à la vie privée de la victime à d’autres étapes du processus et les
mesures qui ont été prises pour y remédier influencent parfois la perception de la
proportionnalité qu’ont les tribunaux dans les conflits entre la vie privée de la victime et la
publicité.
Le rapport présente la façon dont certains autres pays abordent ces questions et analyse
les valeurs qui sont en jeu lorsque le respect de la vie privée de la victime s’oppose au principe
de la publicité. Ce faisant, l’auteur pose, sans y répondre, la question de savoir si la vie privée de
la victime, et la nécessité de préserver son anonymat en particulier, doit être protégée en raison
de la nature de l’infraction ou s’il faut plutôt voir dans cette protection une mesure corr ectrice
visant à remédier au sous -signalement chronique des infractions sexuelles et à convaincre les
victimes de faire confiance au système pénal. Pour l’essentiel, il s’agit de savoir si ces infractions
sont différentes des autres et appellent, par conséquent, sur le plan de la vie privée, un traitement
différent. Une autre approche consisterait à traiter différemment les victimes d’agression
sexuelle, mais uniquement de façon temporaire, et en raison du traitement inéquitable auquel
elles ont été soumises dans le passé et qu’elles subissent encore.
ii
Remerciements
L’auteur tient à remercier Sean Sells pour l’aide à la recherche qu’il lui a fournie pour ce projet.
Sabina Han, Kenn Lui, Angela McLeod et Adrian Savin ont également contribué à ce projet,
qu’ils en soient remerciés. L’auteur remercie également Lynne Fonseca pour son assistance avec
le manuscrit.
1
Chapitre Un
Introduction
La vie privée est peut -être une notion ancienne qui est intimement reliée à la dignité et à
l’intégrité de la personne, mais elle est néanmoins relativement nouvelle en droit. Même s’il y a
des aspects du droit des biens et de la diffamation, ainsi que certaines règles de preuve, qui y sont
associés, la vie privée n’avait pas, jusqu’à tout récemment, le statut de droit ou de notion
indépendante. Dans la tradition nord -américaine tout au moins, l’appari tion d’un droit à la vie
privée a commencé par un article qui a fait époque, écrit en 1890 par Samuel D. Warren et Louis
D. Brandeis. La perception qu’ils avaient des excès que commettait la presse américaine a amené
Warren et Brandeis à exiger la reconnai ssance et la protection juridiques de la vie privée. Dans
l’un de leurs passages les plus colorés, les auteurs de « The Right to Privacy » (le droit à la vie
privée) ont décrit en ces termes la pathologie de ce qu’ils observaient :
La presse dépasse const amment les limites de la décence et des convenances. Le
commérage n'est plus seulement l’apanage des oisifs et des malveillants, il est
devenu un métier, qui est exercé activement et avec impudence. Pour répondre
aux goûts libidineux des lecteurs, les colo nnes des journaux débordent d’articles
décrivant en détail les relations sexuelles. Pour occuper les désœuvrés, les
colonnes sont remplies de ragots, nécessairement obtenus par des intrusions dans
le cercle familial1.
Warren et Brandeis soutenaient que « l’intensité et la complexité de la vie » exigeaient que l’on
se retire un peu du monde tout en notant que « les entreprises et les inventions modernes »
créaient de nouvelles façons de violer la vie privée. Résultat, concluaient -ils, on faisait subir à
des individus des souffrances morales « beaucoup plus vives que celles que causent de simples
blessures physiques2 ».
Les inventions auxquelles pensaient Warren et Brandeis comprenaient la machine à
écrire, qui a fait son apparition dans les salles de nouve lles en 1876, le téléphone qui remontait
au début des années 1880, et la photographie de presse qui est arrivée en 18973. Plus d’un siècle
plus tard, la notion juridique de vie privée a évolué dans plusieurs directions, en particulier aux
États-Unis, el le constitue une cause d’action valide dans les poursuites en responsabilité
civile. De nos jours, les entreprises et les inventions modernes ont mis au point des technologies
sophistiquées en matière de diffusion qui accélèrent considérablement les risque s d’atteinte à la
vie privée. Plus encore, les médias encouragent le culte de la publicité qui se nourrit de
révélations intimes, que l’objet de leur attention soit une célébrité, une figure publique, ou le
malheureux qui a vécu des événements susceptibles de devenir matière à sensation et à
bénéfices. Il est indubitable que les victimes d’actes criminels sont des personnes qui se
retrouvent en première page sans l’avoir souhaité. La présente étude ne traite pas des questions
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