ETRE ET LIBERTÉ SELON PLATON

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ETRE ET LIBERTÉ
SELON PLATON
Cet ouvrage a été publié avec le concours du Conseil Scientifique
de l'u niversité Marc Bloch de Strasbourg.
@ L'Harmattan,
2002
ISBN:
2-7475-2832-4
Saïd Binayemotlagh
ETRE ET LIBERTÉ
SELON PLATON
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris - France
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest - Hongrie
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino - Italie
Remerciements
Cet ouvrage n'eût pas été possible sans l'amitié, la patience et les
encouragements de Monsieur Jean Frère. Qu'il trouve ici l'expression de ma
profonde gratitude.
Pour avoir lu mon manuscrit et m'avoir fait bénéficier de leurs critiques, je
désire remercier vivement Marie-Claire Roger et Georges Goormaghtigh.
Toute ma reconnaissance va aussi à Alireza et Mehrzad Banisadr, Ersie Leria
pour l'aide qu'ils ont pu apporter à l'élaboration du prêt-à-clicher, à Alireza
Janzadeh pour son impression, à Ramesh Goormaghtigh
(Goharian),
Kazème Joorati, Massoud Moradi, Tavakol Habibzadeh et Mohammad-Ali
Zamiri pour la saisie du texte initial.
Je remercie, enfin, Judith Heitz pour sa présence tout au long de ce travail.
A Monsieur Jean Frère
«
...
' E1t1XE1pOUV't1 'tOt<;
KaÀOt<;
KaÀ6v
Kat
1tacrXE1v 0't1 av 'to? ç't)J.L~1]1ta8Elv. »
...Pour qui certes s'attaque à ce qui est beau il est beau
aussi de subir les conséquences qu'on peut avoir à subir. »
«
Phèdre 274b, trade L. Robin.
Préface
Ce travail étudie le rapport entre l'Etre 1 et la liberté2 chez
Platon; il se compose de deux parties majeures: l'Être et la liberté.
Pour ce faire, nous ne respectons pas l'ordre chronologique des
dialogues. L'évolution de la pensée platonicienne n'est point ici notre
préoccupation. Les fondements ontologiques de la liberté, tel s'offre
bien ici notre souci. C'est bien pourquoi nous traitons en premier lieu
les dialogues les plus métaphysiques de Platon: le Parménide et le
Sophiste, même s'ils sont parmi les derniers dialogues. L'ordre suivi
dans l'examen des dialogues est ainsi l'ordre imposé par le thème luimême.
Voici le mouvement qui rythme nos analyses. La liberté
intérieure surgit-elle avec les Stoïciens, ou est-elle déjà présente chez
Platon?
Cette question marque
la première
étape
dans
l'ordonnancement de no~;:;::travail. L'étude de l'origine de la liberté
prise en son sens métaphysigue, qui se trouve envisagée dans le cadre
de l'introduction, nous révèle l'intérêt vif ~t fondamental de Platon
pour une liberté de type intérieur.
Surgit alors une deuxième question. Que Platon élabore toute
une doctrine de la liberté intérieure, soit. Mais, quels en sont les
fondements, et que signifie au juste pour lui la liberté au sens
métaphysique du terme? Ainsi s'annonce la deuxième étape,
constituant les première et deuxième parties de notre travail. Nous
nous y proposons d'examiner les notions aussi fondamentales que l'Un
et l'être. Car, au cours de l'introduction, ces notions se sont avérées
essentielles à l'élaboration
d'une conception métaphysique de la
1 Quant au graphisme du mot être, la majuscule indique une accentuation, cu elle
désigne l'être au sen s plein du terme.
2
Tout au long de ce travail, par liberté nous entendons son acception métaphysique,
sauf indication contraire.
ETRE ET LIBERTE SELON PLATOJV
liberté. Le Sophiste et le Parménide se montrent alors textes
incontournables.
Parties purement métaphysiques que ces deux
parties, dans lesquelles nous essayons de montrer comment, chez
Platon, la liberté découle tout naturellemen t de l'Être, elle en
constitue une suite logique.
Tout comme le philosophe ne reste pas là-haut, mais descend
dans la caverne, ainsi la liberté pour Platon ne présente pas
seulement un intérêt purement spéculatif Bien au contraire. Elle se
vit, et cela dans le monde, en pleine cité. Tel Socrate, tel Platon luimême. C'est pourquoi, après avoir dégagé les conditions de possibilité
d'une liberté d'ordre intérieur, nous nous lançons sur le chemin de sa
quête et de sa probable conquête. De ce fait, les parties III et N
traitent des textes privil~giant la quête de la liberté. Après la
doctrine de la liberté, Sd réalisation.
D'où l'apparition de l'individu sous les traits du citoyen en sa
relation avec autrui. Or, qu'il aspire à gouverner tel Alcibiade, qu'il
représente le philosophe telle prisonnier de la Caverne, qu'il accepte
héroïquement la mort tel Socrate dans le Phédon ou, enfin, qu'il
apparaisse sous le jour de l'amoureux en délire, l'homme en quête de
l'Être, est toujours en même temps le chevalier à la recherche de la
liberté. Ces deux quêtes, en fait, n'en font qu'une. Donc, si les deux
premières parties se proposent de dégager les fondements de
l'ontologie platonicienne, ces deux dernières insistent davantage sur
la libre recherche de l'Être. C'est bien pourquoi la part de l'homme
s'y trouve accentuée.
Nous avons dit au début que nous souhaitions mener une étude
sur Platon qui dépasse le plan d'une recherche à caractère purement
historique. C'est bien pourquoi nous ne pouvions pas rester insensibles
à la question de l'actualité du platonisme.
Aussi, les chapitres "Agir selon l'Alcibiade et Husserl",
"Différence entre l'agir s~lon Heidegger et l'agir selon l'Alcibiade",
et "Agir sans pourquoi ,sft~-'ht.;[aître Eckhart", s'inscrivent au fort de
l'actualité
En effet le renversement du platonisme, s'il alimente la pensée
toute de feu et de flamme de l~ietzsche, ne légitime pas moins les
positions philosophiques, et même politiques, de Heidegger. "D'un
bout à l'autre de la philosophie, c'est la pensée de Platon qui, en
14
Préface
diverses figures, demeure déterminante. La métaphysique est de fond
en comble Platonisme. "3, déclare Heidegger. Or, déconstruire la
métaphysique, cela veut dire déconstruire le platonisme. Et cela en
dit long sur l'actualité ambiguë de la pensée platonicienne.
3
Mo Heidegger, "La fin de la philosophie et la tâche de la pensée, dans Kierkegaard
vivant, Paris Gallimard/idées, 1966, ppo 167-204, ici, po 177
15
INTRODUCTION
A la recherche des fondements de la liberté
métaphysique: Platonisme ou Stoïcisme?
C'est au stoïcisme et non au platonisme qu'on attribue
traditionnellement
l'émergence de la liberté intérieure.
Car,
historiquement,
le Portique surgit de l'écroulement
des cités
grecques.4 Il reflète le bouleversement radical du monde antique.
Parmi ses conséquences, la plus décisive pour la pensée philosophique
est le bouleversement de l'attitude du citoyen grec envers la cité.
Celui-ci désormais n'éprouvant plus le sentiment d'appartenir
à un
État autonome, d'être membre d'une cité.
Avec la cité disparaît aussi la liberté cIvIque. Arraché à la
cité, l'individu quête un nouvel appui: il se replie sur lui-même. En
lui-même aussi il recherche la liberté.5 Ainsi serait née la liberté
6
intérieure. Et avec elle les relations personnelles avec la Divinité.
4
A.J. Festugière, Liberté et civilisation chez les Grecs, 4èmeéd., Paris, éd de la Revue
des jeunes, "Zénon et Ep icure ... vont fournir à l'homme de nouveaux cadres destinés
à remplacer celui de la cité, qui n'est plus", p.54.
5
"Quand la liberté politique eut péri, les philosophes d'Athènes enseignèrent que le
sage reste libre s'il apprend à se suffire à lui-même. " Ibid p.55, voir aussi note I,
p. 55-56, où A.J. Festugière, après avoir convenu à dire avec H. Gomperz que "... cet
idéal de liberté intérieure n'a pas été inconnu des philosophes avant l'ère
hellénistique... ", conclut: "Il reste néanmoins que le philosophe de la Grèce classique,
Socrate, Platon, cherchait à réformer la cité terrestre, ... le sage hellénistique a
renoncé à ce dessein: il ne songe plus qu'à sauver l'individu.".
6
A. J. Festugière, Contemplation et vie contemplative selon Platon, 4c éd., Paris,
J. Vrin,
1975, p. 358-3
59.
ETRE ET LIBERTE SELON PLATON
En bref, une fois la liberté politique disparue, surgit la liberté
intérieure. A la liberté du citoyen se substitue ainsi la liberté du
sage: "la liberté du sage est le surgeon qui jaillit lorsque se trouve
brusquement brisée et rabattue la trop confiante liberté de la cité." 7
Nouvelle forme de liberté, dont le stoïcisme passe pour l'expression
par excellence.8
Chez Platon, il en va tout autrement. A lui, au contraire, on
refuse tout intérêt pour la liberté intérieure, à de rares exceptions
près.
Ce refus, comment l'expliquer? Il semble avant tout découler
des préoccupations politiques du philosophe. Adonné aux choses de la
cité, il se soucie de son ordre. Son attitude à cet égard n'est pas
comparable à celle du sage stoïcien qui, sans appartenance à la cité,
.
. 9
se veut aUSSIsans patrIe.
Ce refus, nous l'avons dit, n'est pas cependant total. Des
exceptions l'accompagnent. Mme de Romilly, par exemple, convient
de reconnaître
chez Platon de nouvelles acceptions du mot
eleutheros, parmi lesquelles: "magnificence", "noblesse", "courage".
Alors que la forme négative du même vocable, aneleutheros, signifie,
elle, "mesquinerie" et "servitude", lesquelles s'entendent désormais
moralement. la L'auteur de La Grèce antique à la découverte de la
liberté relève encore d'autres
passages, dans le Théétète
(174a-177a),
mais aussi dans la République (431a sqq)II où de
longues réflexions sont consacrées à la vie intérieure,
qui se
développent notamment autour de l'expression "se commander à
soi-même". Sans oublier, bien entendu, le Phèdre (256b), à propos
duquel Mme de Romilly note: "à cette maîtrise de soi, même dans
Platon, est associée l'idée de liberté". 12 Mais toujours est-il que sa
7Jacqueline de Romilly, La Grèce antique
Fallois, 1989, p. 169.
8
Ibid., p. 167.
à la découverte
de la liberté,
Paris,
9 Comme nous le verrons chez Epîctète, le sage stoïcien ne se montre aucunement
indifférent aux impératifs de la vie civique. Pour l'attitude de Zénon à l'égard de I a
cité, voir P. GrimaI, Les erreurs de la liberté, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 150.
10
J. de Romilly, op.cit., p. 158.
11
Ibid,
12
Ibid, p. 163.
p. 163.
18
Introduction
position à l'égard de Platon demeure, en la matière, globalement
négative. Ce qui l'amène à considérer Platon" plein de suspicion à
l'égard de la liberté". 13A l'en croire, la vie intérieure est loin d'être
fondamentale
GrimaI, il se montre à
,
, chez
.. Platon. Quant à Pierre
14
cet egar d d une IntransIgeance tota Ie.
Mais ces deux points de vue reflètent-ils pleinement l'esprit
du platonisme? Si oui, dans quelle mesure? Question qu'il convient
d'envisager avant d'en venir à Platon et à sa conception de la liberté.
D'une manière générale, les conclusions auxquelles conduisent
ces deux ouvrages offrent un intérêt historique. TIs étudient
principalement l'évolution du mot "liberté". Aussi leurs analyses, bien
que pertinentes, s'avèrent, philosophiquement, insuffisantes. D'abord,
le concept stoïcien de "moi", de "ce que nous sommes réellement", en
dépit de son importance fondamentale pour la détermination de la
liberté intérieure, n'a pas été suffisamment approfondi. Et pourtant,
afin de comprendre la liberté du sage selon les Sto ïciens, il importe de
savoir comment et pourquoi le sage, selon eux, ne dépend que de
lui-même. Le rapport entre l'être de l'homme et la liberté demeure
ainsi considérablement , inéclairé. Certes, le beau passage
où Epictète
,
.
. ,
se d eman de "ce qUI d epen d de nous, et ce qUI n en depen d pas "15 est
cité. Cependant, ce texte à lui seul ne précise pas tout. Epictète,
lui-même, va bien au-delà. Nous y reviendrons.
Envisager la liberté du sage en rapport avec l'être de l'homme
selon les Stoïciens présente un second intérêt: au fondement du
stoïcisme comme "philosophie de volonté", il nous dévoilera le
platonisme comme "philosophie de raison". 16
Après l'attitude
du sage stoïcien, celle du philosophe
platonicien à l'égard de la cité sera aussi éclairante. Aussi, nous
examinerons d'abord la conception de la liberté selon le stoïcisme.
Véritable corpus stoïcien, les Entretiens d'Epictète nous y serviront.
Deux questions seront ainsi envisagées:
13
Ibid, p. 163.
14
P.Grimal,
op.cit., pp. 105, 110, 111.
15
J. de Romilly, op.cit., p. 168-169.
16Cf., infra, ilIa
liberté du sage selon Epictète
19
".
ETRE ET LIBERTE SELON PLATON
A. La liberté du sage est-elle essentiellement produite par la
disparition des cités?
B. Quelle part, dans sa genèse, peut revenir au platonisme?
Ensuite, nous exalninerons chez Platon les conditions de
possibilité d'une détermination intérieure de la liberté, la nature de
la cité et ses limites.
L Epictète et la liberté du sage
"Est libre celui qui vit à sa guise (ro ç ~ouÀ£'tat)".
Ainsi commence le chapitre premier du livre N des Entretiens.17
Mais "vivre à sa guise", qu'est-ce à dire? Le texte qui suit nous
éclaire davantage:"...il
est libre celui à qui tout arrive en accord
avec
son choix préférentiel (npoatp£<Jtç)" (I 12,9). Donc, "vivre à
sa guise" veut dire: vivre de telle manière que les événements qui
nous arrivent s'accordent avec notre choix préférentiel.
Mais qu'est-ce exactement que la npoatp£mç
et comment
s'accorde-t-elle, ou doit-elle s'accorder, avec tout ce qui nous arrive?
Voyons en d'abord la signification. Outre le choix préférentiel, ce
terme, parmi les plus importants du vocabulaire épictétéen, dit aussi
"volonté libre" (125,1-2), ou "la personne" tout court (I 4,18). Mais,
originairement,
il désigne "choix d'avance,
volonté,
plan,
intention...".18 Quoi qu'il en soit, chez Epictète, le vocable se leste
d'une charge philosophique considérable et signifie "le siège du bien
véritable de l'homme". Car "le vrai bien de l'homme", déclare
Epictète, "c'est une disposition du choix préférentiel
(nota
npoatp£<Jtç)" (I 8,16).
17
Pour le texte des Entretiens) nous utilisons la traduction de Joseph Souilhé et
Armand J agu) Paris) Les Belles Lettres) 1963. Quant à nos références) voici comment
elles doivent se lire: le volume s'indique
par le chiffre romain)
le chapitre
par le
chiffre
arabe
précédant
la virgule)
le dernier
chiffre) enfin) renvoie
au texte
lui-même.
e
18
1963.
A Bailly) Dictionnaire
grec-françaiJ)
2f) éd.) Paris) Hachette)
20
Introduction
Ainsi défini, ce terme mérite approfondissement. Rappelons
d'abord la distinction entre "ce qui dépend de nous" et "ce qui n'en
dépend pas" chez Epictète. "Qu'est-ce qui est à moi", dit-il, "et
qu'est-ce qui n'est pas à moi? Qu'est-ce qui est en mon pouvoir et
qu'est-ce qui n'est pas en mon pouvoir ?.. Mon choix préférentiel
Zeus lui-même ne peut le vaincre" (I 1,21-22). Alors, ce qui est à
nous et ce qui est en notre pouvoir se coïncident. Le choix
préférentiel exprime cette coïncidence. Il est donc ce qu'il y a de plus
intimement nôtre; car lui seul est en notre pouvoir. En ce sens, le
choix préférentiel désigne l'être de l'homme: "Tu n'es ni chair ni
poids, mais un choix préférentiel"
(III 1,40). Par là même, il
transcende le plan du simple vouloir.
Sur la devise: "être libre, c'est vivre à sa guise", nous dis{X)sons
ainsi d'un premier éclairage. Loin de signifier: "vivre dans
l'anarchie", elle veut dire: être libre, c'est être ce que nous sommes,
c'est-à-dire ce qui nous appartient. "A notre guise" et "selon notre
être" sont rigoureusement
identiques. En dehors du choix
préférentiel, Epictète se sert encore d'autres formules pour dire ce
qu'est l'homme. Nous les évoquons ici brièvement, car ils nous
aideront à saisir mieux la nature du choix préférentiel.
Gardant à l'esprit l'équation "ce qui est à nous, c'est aussi bien
ce qui est en notre pouvoir" envisageons d'abord la phrase suivante:
"la richesse n'est pas en notre pouvoir, ni la santé, ni la réputation, ni
quoique ce soit sauf la rectitude dans l'usage de nos représentations
(opSri XPrl O"tç <pav1aO"tWv). Cela seul est affranchi de toute
contrainte" (II 19,32 et l 7,8). Le bien propre de l'homme, c'est donc
le bon usage de ses représentations. Bien plus, de ce bien, l'homme est
véritablement maître. Par là même qu'il le possède réellement, ce
bien-là définit, tel un enclos, les limites de sa liberté.
L'importance de ce "pouvoir d'user de nos représentations",
qui détermine ainsi notre être, ressort davantage encore du texte qui
suit: "...On n'est ni chair, ni os, ni nerfs; mais le principe qui se sert
de ces inst ruments, le principe qui à la fois gouverne et comprend les
représentations" (IV 7,32-40).
Ce pouvoir, principe souverain, reflète-t-il cependant ce que
nous sommes réellement? Epictète, en reste-t-il à ce "pouvoir",
s'agissant de l'être de l'homme? A cette question, le texte qui suit
21
ETRE ET LIBERTE SELON PLATON
nous aide à répondre: "Apprends d'abord à connaître qui tu es... Tu
es un homme, c'est-à-dire un animal mortel doué de la faculté d'user
rationnellement
de ses représentations".
Mais que signifie
rationnellement?
Il signifie: en accord avec la nature et selon la
perfection (<pUO'EtoJ.!OÀOUJ.!ÉroçKat 'tEÀÉroÇ). "Quel est donc en
toi l'élément supérieur? L'animal? Non. Le mortel? Non. La
faculté d'user de tes représentations? Non. L'élément raisonnable
Cta ÀOytKOV). Voilà quel est en toi l'élément
supérieur
(ÈçaipE'tov)" (III 1, 25-26). L'élément raisonnable est donc distinct
du pouvoir d'user de nos représentations, il le transcende et lui
commande en même temps. Ce pouvoir-là, si nous le possédons
pleinement et à l'abri de toute atteinte, ne touche pas cependant au
sommet de notre être. Comment cela?
La faculté qui nous dispose à user de nos représentations n'a
pour fonction, en effet, que leur application, sans pour autant veiller
à leur justesse. Pour cela d'autres principes sont requis. C'est
pourquoi le bon usage des représentations requiert, pour être
véri tablemen t tel, la connaissance et les vertus. Témoin, les trois
règles philosophiques auxquelles doit obéir, selon Epictète, cel ui qui
veut progresser (npoKo\Vov'ta). De ces règles la première concerne
les désirs et les aversions, la deuxième ce qui a trait au devoir. La
troisième, enfin, enseigne "la fuite de l'erreur, la prudence du
jugement, en un mot, ce qui se rapporte aux assentiments" (III 2,
1-4). Le point remarquable, le voici. La première de ces règles, celle
qui regarde justemen t les désirs et les passions, passe pour la plus
urgente. Car la passion est source de troubles, d'agitations (Ibid).
Elle est donc susceptible de fausser nos jugements. C'est pourquoi le
pouvoir d'user des représentations présuppose la maîtrise des passions.
Ces passions-là justement qui "nous empêchent de prêter l'oreille à la
raison" (Ibid, 3-4). D'ou le mépris d'Epictète envers ceux des
philosophes de son temps qui, laissaient de côté les deux premières
disciplines pour s'occuper de la troisième (III 2,6).
Préalable nécessaire à l'usage des représentations, aInSI que
l'élément supérieur en nous, 'to ÀOytKOV, à l'instar du choix
préférentiel,
exprime, en toute rigueur, ce que nous sommes
réellement.
22
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