nne à Alger L`Italienne à Alger

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2011-2012
L'Italienne à Alger
CERCLE
LYRIQUE
DE METZ
de Gioacchino Rossini
La conférence sur « L’Italienne à Alger » de Rossini sera faite par Pierre Degott,
Professeur à l’Université Paul Verlaine de Metz, membre du comité de
l’ « Association des Amis d’Ambroise Thomas et de l’Opéra français », le samedi 3
mars à 16 heures au foyer « Ambroise Thomas » de l’Opéra-Théâtre (entrée libre).
La conférence sera précédée, à 15 heures, de l’Assemblée générale du Cercle
Lyrique de Metz, puis ensuite de l’Association des Amis d’Ambroise Thomas, et
ouverte à tous les membres des deux associations et des personnes intéressées.
Représentations messines de « L’Italienne à Alger » auront lieu les
mercredi 7 mars et vendredi 9 mars à 20h ainsi que le dimanche 11 mars à 15h.
Direction musicale : Paolo Olmi.
Mise en scène : David Hermann.
Décors : Rifail Ajdarpasic.
Costumes : Bettina Walter.
Lumières : Fabrice Kebour.
Distribution vocale :
Isabella : Isabelle Druet
Lindoro : Yijie Shi
Mustafa : Carlo Lepore
Taddeo, compagnon d’Isabella : Nigel Smith
Elvira, sa femme : Yuree Jang
Zulma : Olga Privalova
Haly : Igor Gnidii
Chœur des hommes de l’Opéra National de Lorraine ; Chœur des hommes de
l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole ; Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
Couverture : Portrait de Rossini jeune, pendant la composition de « L’Italienne à
Alger ».
Conception de la plaquette : Danielle Pister et Georges Masson .
Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit, premier
vice-président.
Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1
Adresse e-mail du président : [email protected]
Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com
Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90.
La distribution de cette coproduction de l’Opéra National de
Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole est la suivante :
L'Italienne
à Alger
de Gioacchino Rossini
N° 203
Par Danielle PISTER
La ville d'Alger sous les turcs.
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Retrouvez toute l’actualité du Cercle lyrique de Metz sur
http://www.associationlyriquemetz.com
Le Cercle Lyrique de Metz a décidé de créer un site et un blog Internet, site
installé par les soins de Sandra Wagner, et que nous avons, au fil des mois, structuré
à l'image d'un journal culturel numérique, grâce à la précieuse collaboration de notre
actuel webmaster, Jean-Pierre Pister, ainsi que des spécialistes de notre comitédirecteur qui y contribuent.
Nos rubriques se sont étoffées, que ce soit au niveau de l'annonce des activités lyriques
et musicales de la région, (Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, Orchestre National de
Lorraine, Arsenal Metz-en-scène, Kinepolis : l'opéra au cinéma...), que des critiques
d'opéras donnés à Metz ainsi que des comptes rendus de spectacles vus extra-muros
(triangle Metz-Nancy-Strasbourg), de même que des critiques figurant sous le label
« L'opéra à l'écran ». On est d'ailleurs convenu de rendre compte dorénavant de toutes
les retransmissions d'opéras depuis le MET de New-York et programmées au Kinepolis
de Saint-Julien-les-Metz, qui figurait, d'ailleurs, parmi les quelque vingt partenaires de
soutien de notre colloque.
J'y ajouterai les rubriques « Conférences », « Conseils discographiques », « In memoriam », « Anniversaires », « Vu dans la presse », « Les livres du C.L.M. », les « Actes
du colloque » (avec son programme complet et la plupart des communications qui y ont
été prononcées), « Archives », « Partenariats », « Espace membres », etc....Dans la plupart de ces textes, des illustrations visuelles ou vocales sont jointes. Par ailleurs, dans
la mesure des résultats de nos investigations, nous sommes à présent dans la capacité
de mettre dans la partie « espace membres » de notre site, accessible aux adhérents
du C.L.M., les livrets de la plupart des opéras programmés au cours des saisons
messines.
44
L'Italienne à Alger
Gioacchino Rossini
1815
par
Danielle PISTER
1
DISCOGRAPHIE
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Solisti Veneti, dirige avec brio une partition critique de l’œuvre. On peut
regretter que la version CD n’ait pas repris les airs alternatifs que comportait le microsillon.
Seule Lucia Valentini-Terrani peut prétendre tenir la dragée haute à
Marilyn Horne avec sa voix somptueuse, la plus proche du contralto de la
créatrice. Mais elle chante plus Tancrède que l’ingénieuse Isabella dans les
versions dirigées par Bertini et Ferro. Dans la première, Bruscantini campe
un Mustafà vocalement et dramatiquement adéquat, Benelli ne démérite
pas, Enzo et Corbelli complètent avec talent la distribution. Dans la version
Ferro, la direction engendrerait la sinistrose. Dommage pour Francisco
Araiza, le plus séduisant des Lindoro au disque. Cette version a cependant
le mérite d’être exhaustive. L’équipe réunie par Claudio Abbado, pour sa
version studio, séduit sur le papier, moins à l’écoute. Le chef n’est pas en
cause mais Agnes Baltsa n’est pas à l’aise dans cette tessiture, Lopardo
manque de charisme et Raimondi ne convainc guère en Mustafà. Jennifer
Larmore, dirigée par Lopez-Cobos, campe une Isabella autoritaire à souhait et son entourage est de bon niveau. En appendice, on peut entendre le
second air de ténor écrit par Rossini pour le second acte. Dix ans plus tard,
dans des extraits en anglais, la voix de Jennifer Larmore trahit une fatigue
certaine.
Il faut signaler un duo, Ai capricci della sorte, entre Cecilia Bartoli et Bryn
Terfel, chez Decca, où il est démontré que l’art de la vocalise peut faire bon
ménage avec un humour de bon aloi. Bartoli a enregistré d’autres extraits
dans divers récitals Rossini.
La version la plus récente, sous la direction du grand spécialiste rossinien
Alberto Zedda, avec la génération montante des chanteurs qui maîtrisent
parfaitement ce répertoire, et sont déjà reconnus internationalement, offre
une excellente surprise. La Sicilienne Marianna Pizzolato se glisse avec
bonheur dans le personnage de la volcanique héroïne. Lawrence Brownlee,
bien connu des habitués des retransmissions du Metropolitan Opera, peut
séduire, par la beauté de la voix et son art du chant, plus d’une Italienne.
On n'oubliera pas les pionniers de la « Renaissance Rossini » mais, pour
leur plus grand bonheur, les mélomanes savent que la relève est assurée.
42
SOMMAIRE
Le Cygne de Pesaro
p. 7
L'Italienne à Alger
p. 12
L'intrigue
p. 16
Nouveauté et continuité
p. 18
Les personnages
p. 28
Réception de l'œuvre
p. 36
Les créateurs
p. 37
À lire
p. 39
À écouter
p. 40
Discographie
p. 43
Vidéographie
p. 44
3
Pirates algériens
4
bénéficie de la direction précise et élégante de Carlo Maria Giulini, qui
reste appréciable malgré un certain manque de vivacité et une partition non
révisée et lacunaire (absence du second air de Lindoro, de l’air d’Haly et
du chœur patriotique). Cesare Valletti surprend par la facilité de ses aigus
et son timbre agréable. On peut oublier le reste de la distribution.
C’est en mozartienne que Teresa Berganza aborde en 1957, sous la direction solide de Sanzogno, le rôle titre, c’est-à-dire avec une grande probité
stylistique, et la perfection d’un chant d’agilité maîtrisé. Faute d’un
volume vocal qui imposerait l’autorité du personnage, elle incarne, par la
fraîcheur de son timbre, plus la jeune fille mutine que la femme qui réduit
tous les hommes en esclavage. Sesto Bruscantini, qui a marqué à la scène
le rôle de Mustafà, chante ici Taddeo et se détache facilement du reste des
protagonistes. On retrouve Berganza, en 1963, après les représentations du
Mai musical florentin, ce qui renforce la qualité dramatique de l’ensemble.
L’héroïne a gagné en assurance et expressivité, même si la bravoure du
Pensa alla patria ne lui convient toujours pas. On a toujours plaisir à
entendre Panerai (Taddeo) et le Haly de Montarsolo est convenable. Reste
le cas de Corena : il campe un personnage bouffon au premier degré et n’a
pas la vocalità de Mustafà, mais il devait faire oublier ces limites par sa
présence sur scène. Quant à Luigi Alva, la même critique qui l’a longtemps
encensé dans ses rôles rossiniens, le désavoue totalement aujourd’hui. S’il
ne méritait pas tant d’honneurs, l’excès inverse est certainement tout aussi
injuste, au moins dans cette version. Silvio Varviso anime le tout avec
allant.
Enfin, Marilyn Horne vint. Elle possède la puissance vocale qui manque à
Berganza, le chant rossinien n’a aucun secret pour elle. De plus, avec des
moyens différents, elle retrouve l’abattage d’une Supervia. Entre 1968 et
1986, on dispose de plusieurs captations directes, en CD et une en DVD.
La prise de son de 1968 n’est pas fameuse, celle de 1975, avec Claudio
Abbado, demande de la bonne volonté à l’auditeur qui a l’impression d’entendre la prestation depuis la coulisse. Horne est au mieux de sa forme,
avec un chef qui connaît parfaitement son affaire mais un Alva fatigué, un
Montarsolo indifférent en Mustafà, un Enzo Dara, dans une de ses multiples incarnations de Taddeo, qu’on entend mieux ailleurs, provoquent un
sentiment de frustration. La vidéo de 1986, permet d’apprécier la comédienne mais on préfèrera l’état vocal et l’entourage de Marilyn Horne, sous
la baguette de Claudio Scimone en 1981 : elle affronte un Mustafà royal
(Samuel Ramey) ; Ernesto Palacio campe un charmant Lindoro, et on peut
comprendre qu’Isabella, pour le délivrer, affronte tous les périls ; Kathleen
Battle incarne une piquante Elvira. Surtout, Claudio Scimone, à la tête des
41
À ÉCOUTER
Jusqu’aux années 1950, la discographie de Rossini se limitait, pour
l’essentiel, aux ouvertures les plus célèbres de ses opéras et, en extraits ou
en intégrales, à un opéra bouffe, Le Barbier de Séville, et à un grand opéra,
Guillaume Tell. Pour le reste, depuis la fin du XIXe siècle, la grande majorité du répertoire rossinien avait déserté les scènes lyriques, particulièrement en France. Vérisme et wagnérisme avaient entraîné l’abandon des
techniques vocales exigées par la musique de Rossini. Faute de chanteurs
capables d’interpréter ces partitions, elles furent ou abandonnées ou altérées par des directeurs de théâtre avant tout soucieux de les adapter aux
interprètes et aux orchestres, plus ou moins virtuoses, dont ils disposaient.
Mais de grands solistes, des chefs respectueux des intentions du compositeur, ont permis d’en redécouvrir le véritable esprit.
Cet engouement a eu pour effet, dans le cas de L’Italienne, de provoquer
un intérêt pour l’opéra de Luigi Mosca dont le livret a été réutilisé par
Rossini. Il en existe un enregistrement, pris sur le vif lors du Festival
Rossini à Wildbad, en 2003, paru sous l’étiquette Bongiovanni. Brad
Cohen dirige l’orchestre du Czech Chamber Soloists de Brno, le Chamber
Choir Ars Brunensis et un ensemble de solistes tchèques qui ont enregistré,
par ailleurs, des opéras de jeunesse de Rossini chez Naxos. C’est charmant,
faute d’être inoubliable, mais à connaître pour comprendre l’originalité de
Rossini.
Il a fallu attendre le retour de mezzo-sopranos, sinon de contraltos, capables de vocaliser avec agilité pour remettre l’ouvrage de Rossini à l’honneur. Au XXe siècle, Conchita Supervia fut la première, avec sa voix au
vibrato si particulier, sa technique de colorature impeccable, son intelligence du texte et surtout son tempérament de feu, à ressusciter sur scène,
en 1927, l’impétueuse Isabella. On peut la retrouver, sous différentes étiquettes, dans quatre extraits de cet opéra. Aux lendemains de la Seconde
guerre mondiale parut une première intégrale, en russe, avec les musiciens
de la radio de Moscou. Loin d’être idiomatique, cette version n’en prouve
pas moins le retour en grâce de Rossini.
En 1954, Giuletta Simionato fit redécouvrir aux Milanais la rouerie de la
belle Italienne. La voix n’a pas de séduction particulière, mais l’interprète
est la première, après-guerre, à ne pas se dérober devant la virtuosité de la
partition et à faire preuve de l’aplomb qu’on attend du personnage. Elle
40
La vie de Gioacchino Rossini s’inscrit entre deux dates peu communes du
calendrier : celle de sa naissance, un 29 février (1792) et celle de sa mort,
un vendredi 13 (1868). Elles s’accordent avec le caractère assez exceptionnel de sa carrière comme avec celui, facétieux, de nombre de ses compositions. Étonnante fut, en effet, la destinée de ce musicien, génie précoce qui
s’éloigne, à 37 ans, de l’opéra qui lui valut tant de triomphes et auquel il
apporta tant de nouveautés. Pourtant, ses œuvres étaient presque oubliées
à sa mort. Seules, ou presque, restèrent jouées, jusqu’à la Seconde guerre
mondiale, du moins en France, quelques brillantes ouvertures et les intégrales du Barbier de Séville et de Guillaume Tell. Encore l’esprit et la
lettre n’en étaient-ils pas toujours respectés. La Fondation Rossini, dans les
années 1970, a entrepris un remarquable travail de restauration des partitions originales, souvent mutilées par les directeurs de théâtre comme par
les interprètes. Dans le même temps, une nouvelle génération de chanteurs
se réappropria la technique vocale exigée par ce répertoire. On a pu parler
d’une « Renaissance rossinienne ». Le Rossini Opera Festival de Pesaro,
créé en 1980, permet de présenter sur scène, chaque année, une nouvelle
œuvre du Maître dans des conditions musicologiques aussi proches que
possible de l’esprit de leur création. Ainsi fut reconstituée la partition du
Voyage à Reims, écrite à l’occasion du sacre de Charles X, en 1825, et que
l’on croyait perdue. Depuis sa redécouverte, en 1984, au Festival de
Pesaro, cet opéra n’a cessé d’être représenté à travers le monde.
5
tique de la castration ayant été abolie par Napoléon Ier, les contraltos dont
le timbre et l'étendue vocale semblent les plus proches de ceux des castrats,
alors presque entièrement disparus, les remplacent dans les rôles de héros
masculins téméraires, amoureux de la prima donna. Habituée des rôles
comiques et travestis dans les grands théâtres italiens, la Marcolini est
saluée par la critique pour son tempérament dramatique et l’adéquation de
ses interprétations avec des rôles très divers : amante éplorée, fureur de la
femme trahie, cavalier intrépide.
Elle affectait, même dans l’opéra comique, des traits virils, et ce n’est pas
une coïncidence si les grands airs de Rossini situé à proximité de la conclusion, comme le rondò, on trouve des scènes martiales, dans lesquelles la
primadonna se trouve à la tête d’un chœur masculin qui exalte la vie militaire dans l’Equivoco stravagante et La Pietra del paragon.
Stendhal affirme que, si la Marcolini l’avait demandé, Rossini l’aurait fait
chanter à cheval. Sur ses qualités spécifiquement vocales, il remarque que
l’air final Pensa alla patria est une preuve d’une prodigieuse habileté
« offerte par la dame Marcolini ; où trouver une « prima donna » avec un
coffre aussi robuste pour chanter un grand air avec des vocalises à la fin
d’une œuvre aussi fatigante ? » Giudizio confirme dans Il Giornale dipartimentale du 24 mai 1813, « la cavatine de la signora Marcolini [a plu],
mais plus encore ensuite son rondeau, [...] après son morceau à jet continu
de cette talentueuse actrice, exécuté avec une telle perfection, avec une
magistrale maîtrise de l'étendue de sa voix qui provoque l'extase, que cela
suffirait seul à la rendre sublime ». Dans les reprises suivantes (dans la saison 1815, pour 49 représentations), un autre journaliste écrit que la
Marcolini était telle, qu'à tous égards, elle pouvait « faire perdre la tête à
tous les Beys » (Corriere milanese, 11 août 1815).
À LIRE
Musico-Mania publié à la création
6
Jean-Louis Caussou, Gioachino Rossini, L’homme et son œuvre, Paris,
Editions Seghers, 1967, rééd. 1982, Slatkine Genève-Paris.
Damien Colas, Rossini, L’opéra de lumière, Paris, Découvertes Gallimard,
Musique, 1992.
L’Avant-Scène Opéra, L’Italienne à Alger, n° 157, janvier-février 1994.
Stendhal, Vie de Rossini, Paris, éd. Pierre Brunel, Folio classique, 1992.
39
de Séville. Le dernier rôle qu’il chanta fut, en 1829, celui de Lindoro dans
L’Italienne. Il chantait également Don Ottavio dans le Don Giovanni de
Mozart. Sa voix de contraltino, d’une grande étendue dans le registre aigu,
comme son timbre qui rappelait celui des castrats, lui permit, au début de
la carrière, d’interpréter des rôles féminins. Il jouait plus sur le cantabile et
la grâce que sur la force dramatique, ce qui l’obligea à abandonner la scène
quant l’émission de poitrine s’imposa.
Paolo Rosich interprétait Taddeo.
Rossini écrit pour une de ses cantatrices préférées, Maria Marcolini,
contralto qui créa quatre autres héroïnes et héros dans ses opéras :
Ernestina dans L’equivoco stravagante de 1811 (qui se fait passer pour un
castrat déguisé en femme) ; l’empereur Ciro (travesti) dans l’opéra/oratorio Ciro in Babilonia (1812) ; la spirituelle Clarice dans La pietra del paragone ; et enfin le personnage principal, autre travesti de Sigismondo
(1814). La Marcolini devait faire preuve de dons comiques mais aussi de
sérieux. Rossini exploite ces deux aspects de sa personnalité musicale dans
L’Italiana in Algeri.
Maria Marcolini est née vers 1780, à
Florence. On ignore la date et le lieu de
sa mort. Elle était l’épouse d’un impresario. Le jeune Rossini lui confie le rôle
principal de cinq de ses premiers opéras
pour sa voix de contralto : Ernestina
dans L’equivoco stravagante, en 1811,
Ciro dans Ciro in Babilonia o sia La
caduta di Baldassarre et Clarice dans La
pietra del paragone, en1812, Isabella
dans L’italiana in Algeri, en 1813,
Sigismondo dans l’opéra éponyme, en
1814. Dans les années suivantes, elle
rechanta Ciro, Clarice et Isabella dans
Maria Marcolini
les plus importants théâtres italiens. La
Pietra et L’Italienne furent ses deux principaux triomphes qui consacrèrent
sa carrière, comme celle du jeune compositeur.
Prima Buffa assoluta, elle avait rencontré Rossini en 1811 à Bologne, alors
qu’elle a déjà une dizaine d’années de carrière derrière elle. Elle avait
chanté les seconds rôles des opéras de Paër, Mayr, Cimarosa, puis, à partir
de 1806, elle aborda, dans un opéra de Farinelli, les premiers rôles. La pra38
LE CYGNE DE PESARO
Gioacchino (que Rossini écrira toujours avec un seul c) naît à Pesaro, petit
port de Romagne au bord de l’Adriatique, d’un père corniste virtuose et
d’une mère dotée d’une jolie voix de soprano. Elle chante les seconds rôles
à l’opéra. L’arrivée des troupes républicaines françaises en Italie, vaut
quelques mois de prison au chef de famille, trop enthousiasmé par les idées
républicaines, ce qui n’était guère admissible dans un état sous domination
pontificale. Libéré en 1800, quand les Français imposent leur administration, Rossini père s’installe, avec femme et enfant, à Lugo. Il enseigne les
premiers rudiments du cor à son fils, puis le confie, pour des leçons de
piano et de chant, au chanoine Malerbi. Dans la bibliothèque de ce dernier,
l’enfant découvre, avec émerveillement, les partitions de Haydn et de
Mozart, très peu jouées à l’époque. Elles lui donnent le goût de la composition, le souci de la forme et de l’écriture orchestrale. Par ailleurs, le jeune
Rossini accompagne ses parents dans leurs tournées et s’initie au monde
merveilleux du théâtre et de ses conventions. Notamment, il découvre, et
intègre, ses règles fondamentales à l’époque : s’adapter aux exigences des
chanteurs et de s’accommoder des circonstances matérielles du moment.
Un opéra n’est conçu que pour une circonstance particulière et perdure
rarement. D’où l’habitude, en cas de besoin, de réutiliser un même numéro d’opus dans une ou plusieurs œuvres ultérieures dont l’auteur n’est pas
certain qu’on les rejouera. À douze ans, Rossini écrit sa première œuvre
véritable, les six Sonates à quatre, pour deux violons, violoncelle et contrebasse, révélant un sens mélodique très sûr et une parfaite connaissance du
jeu des instruments.
Une solide formation
La mère ayant dû abandonner la scène, la famille s’installe à Bologne dont
l’Académie philarmonique, fondée en 1666, est la plus réputée d’Europe.
Jean-Chrétien Bach, Gluck et Mozart y furent les élèves du célèbre Padre
Martini. Son successeur, le Padre Mattei, sera le maître de Donizetti et du
jeune Rossini qui intègre en 1806, à quatorze ans, au même âge que Mozart
trente-six ans auparavant, l’Académie. Auparavant sa belle voix de soprano, lui avait valu de chanter dans les chorales des églises de la ville. Pour
gagner sa vie, il avait dirigé des répétitions au théâtre et joué le rôle d’un
jeune garçon dans un opéra de Paër. Son oncle maternel propose même
7
d’en faire un castrat, voie royale pour devenir riche et célèbre. Mais la
famille recule devant les risques de l’opération. La mue venue, l’adolescent
poursuit sa formation musicale à l’Académie de Bologne et attire l’attention du ténor Domenico Mombelli qui lui demande de composer des arias,
des duos, des ensembles sur des paroles qu’écrit son épouse. Il le conduit,
ainsi, sans que le jeune garçon en prenne conscience, à concevoir son premier opéra, Demetrio e Polibio, qui ne sera créé à Rome que six ans plus
tard grâce à la famille Mombelli. Il en reste un remarquable quatuor, utilisé dans d’autres opéras. Ce qui fera dire à Stendhal : « Quand Rossini n’aurait fait que ce seul quartetto, Mozart et Cimarosa reconnaîtraient en lui un
égal. »
Pendant quatre ans, Rossini acquiert auprès du Padre Mattei une solide formation en composition, chant, solfège, violoncelle, piano. Il découvre également la littérature (Dante, L’Arioste, Le Tasse) et continue à s’intéresser
à Mozart et à Haydn. C’est lui qui dirige, à l’Académie philarmonique, la
première exécution des Saisons de ce dernier, en 1811. Ses condisciples
le surnomment le Tedeschino, à cause de son intérêt pour la musique allemande.
Les débuts lyriques
LES CRÉATEURS
Dans les rôles principaux, on trouve des chanteurs qui ont marqué l’opéra
italien en ce début de XIXe siècle.
Filippo Galli (1783-1853), une des plus grandes
basses de son temps, crée le rôle de Mustafà. Il
avait débuté comme ténor en 1801, mais après
une grave maladie, il changea de tessiture à partir de 1813. Il avait déjà travaillé avec Rossini au
Teatro San Moisè. Rossini lui confia neuf rôles.
Outre le personnage du Bey d’Alger, dans trois
d’entre eux, il incarna un personnage Turc : simple rôle travesti dans La Pietra del paragone, où
le comte Asdrubalese se déguise en Turc afin de
découvrir les sentiments véritables de ses soidisant amis ; monarque éclairé en voyage en
Italie, dans le Turco in Italia ; Maometto II, dans
l’opéra éponyme qui constitue le chef-d’œuvre
tragique de la période napolitaine de Rossini. L’extraordinaire diversité de
ces rôles donne un aperçu du grand talent de Galli.
Mais les difficultés financières de ses parents l’obligent à quitter
l’Académie. Mis en contact avec l’imprésario du théâtre San Mosè de
Venise, pour pallier le manque d’un opéra, le jeune Rossini accepte de
mettre en musique La Cambiale di matrimonio, farce dans laquelle un
Canadien, peu au fait des mœurs européennes, achète au moyen d’une
lettre de change (cambiale) la fille de son fournisseur anglais, laquelle est
« hypothéquée » par un autre soupirant. Dès les répétitions, les interprètes
manifestent la crainte que l’orchestration, riche et colorée, perçue comme
trop fournie, ne couvre leurs voix. Ce qui prouve que Rossini ne conçoit
pas l’écriture orchestrale comme un simple accompagnement des chanteurs mais bien comme une partie pleine et entière de l’expression musicale. Rossini innove, pour l’époque, dans un dialogue où s’accuse le
contraste entre la vivacité d’un personnage et la placidité d’un autre. La
création a lieu le 3 novembre 1810, couplée avec une œuvre de Farinelli.
Sa carrière est fixée désormais, il ne sera ni chanteur ni virtuose. Délaissant
le symphonique, il lui reste deux voies, la musique sacrée ou le théâtre.
Rossini connaît bien le second qui, de plus, permet de mieux gagner sa vie :
l’Italie adule les chanteurs, particulièrement les castrats à qui on passe tous
leurs caprices, notamment en les laissant improviser longuement à la fin de
chaque air, pour faire valoir leur voix et leur virtuosité. Deux genres triom-
Serafino GENTILI (1775-1835) dont on ignore
la formation musicale, a commencé sa carrière
en 1795, d’abord dans les seconds rôles bouffes,
à Naples, dans les opéras de Paisiello, Cimarosa.
À partir de 1805, après un succès personnel dans
un opéra de Paër, il devient primo tenore assoluto di mezzo carattere dans le théâtre San Moisè
de Venise. Désormais invité dans tous les théâtres d’Italie, à partir de 1809, il se produit à l’étranger, notamment à Paris. Revenu en Italie, il
travaille en 1813 pour Rossini (Tancredi, La
Pietra di paragone). Le compositeur écrit pour
lui le rôle de Lindoro de l’Italienne à Alger. Le
compositeur le retrouve pour Le Turc en Italie, Elisabetta, regina
d’Inghilterra, La Gazza ladra, il reprendra le rôle d’Almaviva du Barbier
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à la merci d’un baryton et/ou d’une basse, qui se disputent les faveurs de
la belle. C’est bien la musique qui donne la tonalité joyeuse ou tragique de
l’histoire. Mais l’on voit par là même que Rossini ouvre bien des voies à
l’opéra italien.
RÉCEPTION DE L’ŒUVRE
La réaction du public, le soir de la première, le 22 mai 1813, fut unanimement positive comme le prouvent les ovations sans fin qui accueillirent les
différentes prestations des chanteurs dont la critique salua les voix comme
le talent de comédiens. Rapidement, l’œuvre fut reprise à Vicence, Milan
en 1814, à Naples.
Le San Carlo de cette ville, était le plus grand théâtre d’Italie dont il fallait
conquérir le public pour être reconnu dans toute l’Italie et être joué à
l’étranger. Le fameux impresario Domenico Barbaja, grand dénicheur de
jeunes talents qu’il s’attache par contrat pour des sommes dérisoires,
comme ce fut le cas pour Donizetti, Bellini et Carl Maria von Weber engage Rossini au San Carlo de Naples. S’il est peu payé, il occupe à présent
une position prestigieuse, celle de compositeur officiel de la Cour, dans le
théâtre le plus réputé d’Italie. Astreint à écrire deux opéras par an pour l’un
des meilleurs orchestres et les plus grands chanteurs d’Italie, et pour les
fêtes ou événements de la Cour et les célébrations religieuses. Mais il garde
toute liberté pour écrire pour d’autres villes : les opéras sérias sont réservés à Naples, les œuvres comiques seront pour les autres.
Désormais, Rossini apparaît comme le plus grand des musiciens italiens :
« La nature qui a engendré Pergolèse, Sacchini et Cimarosa, a aujourd’hui
créé Rossini », n’hésite pas à écrire l’abbé Carpani. Quand la presse allemande ose critiquer L’Italiana in Algieri, ce dernier justifie son admiration
pour cette nouvelle œuvre, avec exaltation : « Messieurs les Berlinois, j’y
trouve de la mélodie et encore de la mélodie, de la mélodie admirable, de
la mélodie neuve, de la mélodie magique, de la mélodie rare ».
Les Français seront les derniers à découvrir la volcanique Italienne à Paris.
Si certains restèrent indifférents, son charme fit succomber Stendhal. Il
consacra un livre à Rossini bien avant la fin de sa carrière opératique qui
prit fin en 1829.
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phent l’opera buffa et la farza dans lesquels ont excellé Scarlatti, Leo,
Pergolese, Piccini, Cimarosa et Paisiello. Les théâtres étant voraces en
matière de créations de ces dernières, les jeunes compositeurs, à condition
de travailler rapidement, ont l’occasion de se faire connaître, car les directeurs ne craignent pas de faire appel à eux pour ces œuvres brèves.
De retour à Bologne, Rossini donne en 1811, la cantate Didone abbandonata, en hommage à la famille Mombelli qui a accompagné ses débuts. Il
fait jouer son premier opéra bouffe, L’Equivoco stravagante, interdit au
bout de trois jours, malgré sa musique d’une vivacité débordante, car son
sujet (une jeune fille courtisée par deux prétendants, l’un riche, l’autre pauvre, qui plus est déserteur, choisit ce dernier), déplaît à la censure.
L’héroïne use d’un stratagème pour échapper au prétendant choisi par son
père : elle se déguise en castrat. Le personnage cumule toutes les équivoques sexuelles liées au travestissement d’une part et, d’autre part, à
l’emploi d’une voix féminines dans un corps supposé être celui d’un
homme. On reconnaît là l’imprégnation de l’opéra baroque qui joue souvent sur les échanges d’identité. Marietta Marcolini, contralto colorature,
qui va s’intéresser de près au jeune auteur, crée ce rôle. L’ouverture de
L’Equivoco sera reprise pour Aureliano in Palmira (1814), puis deviendra
celle du Barbier de Séville (1816) auquel la postérité l’attachera définitivement. La critique apprécie la composition des ensembles et le rondò de la
prima donna. Cette forme vocale que l’on retrouvera dans L’Italiana in
Algeri, d’un tempo rapide et d’un caractère gai et enjoué, se fonde sur
l’alternance de couplets et d’un refrain. Sa simplicité thématique est fréquemment contrebalancée par une recherche de virtuosité démontrant la
maîtrise du ou des exécutants. La Marcolini s’y montre particulièrement
brillante. Le succès de ce premier opéra décide la Scala de Milan à commander à Rossini un nouvel ouvrage pour l’année suivante.
Mais auparavant, pour le carnaval de Venise, en 1812, il donne une nouvelle farce L’Inganno felice (L’Heureux stratagème), plutôt opera semiseria, genre très en vogue au XVIIIe siècle, et qui n’est pas sans rappeler
La Finta Giardineria de Mozart avec son émouvante et pathétique
héroïne, faussement accusée d’adultère et rejetée par son époux. Cette
œuvre sera la première de Rossini à franchir les frontières de l’Italie,
déclenchant l’enthousiasme de Stendhal qui la découvre à Paris : « Ici le
génie éclate de toutes parts. Un œil exercé reconnaît sans peine les idées
mères de quinze ou vingt morceaux capitaux qui, plus tard, ont fait la fortune des chefs-d’œuvre de Rossini. » La postérité, plus modestement, en
retiendra la riche orchestration, l’excellente ouverture et un beau trio.
Suit une autre farce, Il Cambio della valigia dans laquelle un changement
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de malle, dans une auberge, provoque une série de quiproquos. L’art du
crescendo et du decrescendo du compositeur se confirme, ainsi que l’animation de ses finales et sa volonté, déjà marquée, de choisir l’ornementation de ses mélodies et de restreindre la liberté des chanteurs sur ce point.
Installé à Ferrare, Rossini écrit Ciro en Babilonia, mi-oratorio, mi-opéra
qui raconte la chute du roi Balthazar au bénéfice de Cyrus. C’est le premier
opéra sérieux de Rossini où l’on entend les prémices de Moïse et de
Sémiramide : la cantilène d’un chœur deviendra le thème de la cavatine du
Barbier, Ecco Ridente.
Il donnera encore, à Venise, La Scala di Seta, histoire pleine de gaieté qui
rappelle Le Mariage secret de Cimarosa. Son ouverture sera très appréciée,
comme l’inventif trio d’introduction et le sextuor final. L’expression sentimentale est réservée aux jeunes premiers, soprano et ténor, et le jeu est
mené par un baryton qui annonce Figaro.
À l’automne 1812, la Scala de Milan donne La Pietra del Paragone (La
Pierre de touche), d’un style bouffe léger et spirituel d’où se détachent une
cavatine, le quatuor du second acte et le trio du duel comique. Plusieurs
numéros de la partition passeront dans la Cenerentola (1817). Le livret est
excellent opposant, à la tendresse et à l’élégance du personnage de Clarice,
la bouffonnerie et le ridicule de Macrobio, journaliste présomptueux et
vénal, et de Pacuvio, poète sans talent. Chacun des protagonistes est croqué de façon désopilante. L’aria grotesque de Pacuvio « Ombrettta sdegnosa del Mississipi, pìpì, pìpì » inaugure l’un de ces jeux de Rossini sur
les mots et les sonorités dont il se montrera si friand. Le public, ravi, s’en
empare comme d’un refrain populaire. Servi par d’excellents chanteurs,
cette œuvre est considérée par Stendhal comme son chef-d’œuvre. En effet,
le génie rossinien révèle une légèreté proche de Mozart et de Cimarosa,
mais avec un style totalement personnel. L’orchestre déborde d’énergie,
notamment dans une scène d’orage parfaitement réussie et qui sera reprise
dans Le Barbier. Les ensembles, d’un type nouveau, présentent une clarté
remarquable par la généralisation de l’emploi du canon : l’entrée des voix,
tour à tour sur la même mélodie, a le double avantage de permettre une
audition claire du texte et de faire apprécier l’enrichissement progressif de
la musique, comme le démontre l’éblouissant finale du second l’acte.
Notons au passage qu’on y trouve un personnage qui prend les habits d’un
Turc pour éprouver les sentiments réels de ses soi-disant amis. Les
cinquante-trois représentations d’affilée signent un grand succès qui lance
l’auteur en Italie, triple ses revenus, et lui vaut également l’exemption de
la conscription, ce qui réjouit le jeune compositeur qui disait volontiers
qu’il aurait fait un mauvais soldat.
complètement tombé sous le charme d’Isabella. Le contraste entre les deux
scènes annonce la prochaine déroute et la capitulation complète du Bey
devant la citadelle imprenable, Isabella.
Le quintette « Ti presento » constitue également une autre scène amusante.
Mustafà espérant ravir la jeune Italienne par les honneurs accordés à son
« oncle », la fait venir mais ordonne à celui-ci de sortir dès que le Bey éternuera. Le quintette a des allures de finale. Taddeo, ridicule dans son nouveau costume, refuse d’entendre les éternuements de Mustafà. Isabella et
Lindoro s’amusent de la situation. Isabella demande le café et dans le
même temps veut réconcilier Elvira avec son époux. C’est un échec car
Mustafà qui avait d’autres projets, entre en fureur (Andate alla malora),
dans un morceau mécanique censé traduire sa fureur. Mais la fin du quintette (Sento un fremito) avec les interventions spirituelles des bois ajoutent
un commentaire ironique à la confusion générale.
Le second finale est moins étourdissant que le premier. Un antique menuet,
avec un refrain au cor, introduit Mustafà dans l’ordre des pappataci. La
musique forme un contraste grotesque avec la situation dans laquelle le
Bey met en pratique son serment : voir et ne pas voir, entendre et ne pas
entendre, se gaver (pappa) et rester silencieux (taci). Le Bey se ridiculise
en répétant des formules absurdes qui contrastent avec la barcarolle
rythmée, Son l’aure seconde, que chantent les esclaves et les marins italiens. Lindoro et Isabella expriment de façon lyrique, leur bonheur de
partir, Andiam, mio tesoro. Son teco, Lindoro. Le rire de Taddeo se fige
quand il comprend qu’il a été lui aussi dupé depuis le début. Il essaie
d’alerter Mustafà mais celui-ci a bien intégré les règles et n’a pas l’intention d’y manquer. Il ne sait que répéter Mangia e taci. Tous ces éléments
se réponsent et se contredisent, sans générer le désordre précédent de
l’acte I. Le finale, Allegro, au contraire voit les turcs souhaiter bon voyage
aux Italiens.
Le pouvoir d’Isabella sur les hommes, reconnu et proclamé par tous à la fin
de l’opéra -« La belle Italienne venue à Alger apprend à tous […] que la
femme obtient toujours ce qu’elle veut »-, constitue la morale de l’histoire. Elle semble découler moins de l’expérience personnelle de l’héroïne,
dont on ignore le passé et l’expérience qu’elle peut avoir en ce domaine,
que d’une sorte de vérité séculaire, issue de la sagesse des nations et que
l’opéra vient illustrer. Sentence que la gent masculine se plaît à répéter
pour faire oublier, ou justifier, l’autorité qu’elle exerce sur les femmes.
Tout est bien qui finit bien.
L’Italiana in Algeri préfigure, sur le mode comique, ce que sera le schéma
verdien : une prima donna et un ténor, amoureux l'un de l'autre, tous deux
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plus tard et après l’unification de l’Italie, combien il avait composé ces
lignes avec ferveur. Les guerres napoléoniennes avaient réveillé, avant de
l’anéantir, le rêve d’une Italie unifiée, à une époque où elle était encore
constituée d’états quasi indépendants, pour la plupart sous domination
étrangère. Le rondò d’Isabella prend alors une allure subversive, aux yeux
de la censure et, quand il ne fut pas parfois supprimé, il fallut en modifier
le texte, en plusieurs occasions. A l’origine patria ne désignait que la ville
dont on était originaire et ses environs ; plus tard, il prendra une nouvelle
connotation plus politique et désignera l’Italie tout entière et son aspiration
à l’unité. À Naples, où Rossini présenta L’Italiana en 1815, juste après la
Restauration de la monarchie des Bourbons, il fut contraint d’écrire pour
Isabella un air totalement différent : Sullo stil de’viaggiatori, pièce assez
plaisante qui reprend un thème de l’ouverture, mais sans rapport avec la
force d’entraînement de l’air d’origine. Le public romain, sur la musique
d’origine, entendit Pensa alla sposa, Pense à l’épouse. Mais, là encore, la
musique reste signifiante au-delà du sens des mots : dans le petit chœur qui
précède l’air d’Isabella, les esclaves italiens chantent, Quanto valian
gl’Italiani al cimento vedrà, « C’est dans l’épreuve que l’on verra le courage des Italiens », Rossini ajoute à l’accompagnement d’orchestre un
thème très bref, joué aux violons et aux flûtes, référence à peine voilée à
l’hymne révolutionnaire français, La Marseillaise. Cette comédie échevelée, la plus joyeuse et la plus exubérante du répertoire de tout l’opéra bouffe, cette « folie organisée et complète », possède donc sa face sérieuse.
C’est l’habileté dont Rossini fait preuve à maintenir toutes ces forces en un
parfait équilibre qui donne à L’Italiana in Algeri son caractère particulier.
Rossini, à peine âgé de vingt ans, devient un maestro di cartello (tête
d’affiche), dont le nom suffit à remplir une salle. L’Occasione fa il ladro
est la quatrième farce donnée cette année à Venise, sur une intrigue proche
de celle du Jeu et du hasard de Marivaux : une jeune fille change de nom
et d’emploi avec sa camériste pour mieux connaître son prétendant. Dans
la seule année 1812, Rossini a écrit six opéras à succès, dont quatre nouvelles farces pour le théâtre San Moisè de Venise, spécialisé dans ce genre
mineur, dérivé de l’intermezzo du XVIIIe siècle, c’est-à-dire une petite
pièce gaie entre deux actes d’une tragédie. Elle ne comporte qu’un acte et
un petit nombre de personnages. Rossini, pourtant, lui accorde le même
soin que s’il s’agissait d’ouvrages plus élaborés. Avec ce savoir-faire et
cette facilité d’écriture, le chemin de la gloire s’ouvre devant lui. Mais pour
ce faire, il lui faut encore conquérir le plus important théâtre d’Italie de
cette époque, le San Carlo de Naples.
L’année charnière
Les actes I et II se font écho dans un parallélisme formel intéressant : ils
s’ouvrent tous deux sur une scène qui rassemble les mêmes personnages,
Elvira, Zulma et le chœur des eunuques. Dans le premier, Elvira pleure sur
son sort d’épouse délaissée, avec une grâce tout droit sortie d’un opéra de
Cimarosa, tandis que sa suivante et les gardiens du harem tentent de la
consoler en affirmant que c’est le sort de toutes les femmes de souffrir.
Alors qu’un pompeux chœur, chanté par les eunuques du palais, salue
l’arrivée de Mustafà, le « fléau des femmes », qui se vante de dompter
l’arrogance des femmes et de changer un tigre en agneau. De façon ironique, on peut entendre une courte citation du « Non piu andrai » de
Mozart sur les paroles « Viva il flagel delle donne », qui achève de discréditer déjà le Bey ramené au niveau de l’immature Chérubin. Au début du
second acte, les mêmes personnages rejoints par Haly, et le chœur, sur le
même thème musical qu’à l’acte précédent, s’amusent de voir Mustafà
En 1813, trois ans après les débuts à la scène du musicien, en cinq mois, il
écrit trois œuvres qui le placent au premier rang des créateurs de son
temps : I due Bruschino, o il Figlio per azzardo, plus connu sous le titre Il
Signor Bruschino, pour le Théâtre San Moisè, Tancredi, pour La Fenice, et
L’Italiana in Algeri, pour le San Benedetto, à Venise.
Il Signor Bruschino, farce créée le 27 janvier 1813, n’est donnée qu’une
seule fois et ne sera reprise qu’en 1857, à Paris, à l’instigation
d’Offenbach. En effet, l’œuvre déconcerte : Rossini prend à contre-pied les
attentes du public, abandonnant le style sentimental pour se jouer de tous
les codes de la musique lyrique, donnant les accents de la tendresse à
l’expression de la colère et inversement. Cet humour ne fut guère compris
du public mais son nonsense annonce la folie de L’Italienne à Alger.
Rossini change alors de registre pour écrire son premier opera seria, créé
le 6 février 1813 à la Fenice de Venise, Tancredi d’après la tragédie de
Voltaire (1760) mais à laquelle il donne une fin heureuse, le lieto fine exigé
par l’une des plus anciennes règles du théâtre lyrique italien. À la première à Ferrare, il avait gardé la fin tragique de la pièce française. Le choix
d’une tragédie française et d’un héros guerrier relève d’une esthétique néoclassique qui se développe en Italie à la suite des guerres napoléoniennes.
Tancrède symbolise un soldat de Bonaparte, épris de gloire, d’aventures,
de justice et de liberté, transposé dans la Sicile du XIe siècle. Rossini innove en supprimant les longs récitatifs entre les airs et les ensembles de
l’opera seria. Il les remplace par des passages de déclamation lyrique
utiles à l’action. Empruntant les principes utilisés jusque là dans l’opéra
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11
bouffe, il relie les mélodies vocales par un ornement orchestral, formant
une architecture dramatique renouvelée et clairement structurée. Malgré
quelques faiblesses et des fioritures inutiles, l’ouvrage s’impose comme un
chef-d’œuvre, notamment grâce à la cabaletta de l’air d’entrée de
Tancrède, rôle confié à un contralto travesti, « Di tanti palpiti », que de
grandes cantatrices, encore aujourd’hui, mettent volontiers au programme
de leurs récitals. Il sera parodié par Wagner dans l’acte III des Maîtres
chanteurs de Nuremberg, preuve de sa notoriété. L’œuvre innove par le
rôle important accordé aux instruments à vent, l’éloquence et le brillant de
l’orchestration. En quatre années, la France exceptée, l’opéra fait le tour du
monde.
La Pietra avait fait la réputation de Rossini, Tancredi lui apporte la gloire.
L’ITALIENNE À ALGER
L’admiration suscitée chez les Vénitiens par Tancredi, pousse le directeur
du théâtre San Benedetto, troisième théâtre de Venise, à lui commander,
deux mois plus tard, un nouvel opéra, en lieu et place de la reprise de La
Pietra del paragone. Il devait accompagner la création d’un nouvel ouvrage de Coccia. Ce dernier n’ayant pu le rendre à temps, l’impresario Gallo
propose à Rossini de travailler sur un livret d’Angelo Anelli, déjà mis en
musique par Luigi Mosca (1775-1825), célèbre compositeur napolitain,
auteur de dix-huit opéras bouffes, dont celui-ci, créé à La Scala de Milan,
en 1808 et intitulé L’Italiana in Algeri. La nouvelle version est bouclée en
vingt-sept jours par Rossini qui fait opérer quelques rajouts, sans doute par
le librettiste officiel du théâtre, Gaetano Rossi. Ce sont par exemple les
onomatopées -dindin, bumbum, crà crà, tac tà-, qui provoquent les effets
rythmiques étourdissants du finale du premier acte.
Les turqueries, genre littéraire, pictural et musical
Non seulement, Rossini ne choisit pas son sujet, mais on ne peut pas dire
qu’il soit original. Comme son titre l’indique, L’Italiana in Algeri, l’action
de cet opéra bouffe se passe à Alger et se présente comme une « turquerie », genre florissant en Italie à partir de la seconde moitié du XVIIIe
siècle. L’action reproduit l’intrigue de plusieurs œuvres théâtrales précédentes, comme Il Serraglio di Osmano (1784) de Gazzaniga, et Gl’intrighi
del serraglio (1795) de Paër qui suivent le modèle insurpassé du chefd’œuvre de Mozart, L’Enlèvement au sérail de 1782. Les différents libret12
rise la ruse de la séductrice.
Plus significativement encore, Isabella s’adresse à ses trois prétendants à la
fois, quand ils l’observent à la dérobée, ravis et attentifs, alors qu’elle
s’habille à la mode turque. Sachant qu’ils sont là, elle se lance dans un
grand numéro d’enjôleuse. Elle s’exprime de telle façon que chacun d’eux
se persuade qu’il est concerné par sa déclaration d’amour, Per lui che
adoro. À l’instar de Suzanne, dans Les Noces de Figaro, qui se sait observée par Figaro et chante pour lui faire croire qu’elle aime le comte, Deh
vieni, mais se laisse submerger par son sincère et profond amour pour
Figaro, Isabella, dans cette scène, chante pour les indiscrets qui l’observent
mais exprime son réel et tendre amour pour Lindoro. L’air existe en deux
versions, toutes deux authentiques. Elle fut originellement conçue par
Rossini, avec une magnifique partie de violoncelle solo pour l’accompagnement d’Isabella. Lorsqu’en 1814, l’opéra fut repris dans un petit
théâtre, le Teatro Re, qui ne devait pas disposer d’un violoncelliste, on lui
substitua une flûte.
Chacun des hommes est ravi (Mustafà), inquiet (Taddeo) ou pris de doute
(Lindoro) mais ils sont réunis par une commune admiration pour une telle
femme, Una donna come lei non vidi ancor. Isabella, à l’image de son
créateur, possède une foi absolue dans ses talents propres et comme lui, elle
ne doute jamais d’elle-même. Par le traitement musical, qui rend sensible
le caractère amoureux comme la stratégie soigneusement réglée, la scène
dénuée de toute sentimentalité, à la Donizetti par exemple, se fait le reflet,
non pas d’une réalité humaine ou sociale précise, mais d’un univers musical unique, propre à Rossini. Faute de lui donner une quelconque profondeur psychologique, cette écriture dote le personnage d’un éclat et d’une
attractivité exceptionnelle pour le public. La séduction opère sur la scène
comme dans la salle.
Mais Isabella, grâce à sa force de persuasion, remplit une autre fonction,
plus grave. Le chœur Pronti abbiamo, dans lequel les esclaves italiens et
les marins que les comploteurs ont rassemblés en renfort, expriment leur
détermination de recouvrer leur liberté. Pour les convaincre de la suivre,
Isabella fait appel à leurs sentiments patriotiques. Son exhortation, Pensa
alla patria, dont les paroles et la musique allèrent droit au cœur des Italiens
du début du XIXe siècle, a certainement été conçue, à cet effet, par Rossini.
Le charmant badinage de cet opéra devient un courageux chant patriotique
et l’expression d’un appel à la liberté italienne. Comme dans Guillaume
Tell qui sera son véritable hymne à la liberté, comme plus tard chez Verdi,
qui naît la même année 1813, Rossini glissent quelques accents nationalistes dans ce chœur. Il rappellera dans une lettre de 1864, cinquante ans
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Personnage central de l’œuvre, pôle d’attraction pour les trois principaux
protagonistes mâles de la pièce, l’Italienne est en même temps le substitut
de l’auteur, du metteur en scène, et la principale actrice : elle conçoit le
stratagème qui doit permettre la fuite des prisonniers, elle manipule, au fur
et à mesure des péripéties, les différents personnages pour qu’ils agissent
comme elle le désire et que son projet aboutisse ; de plus elle joue la comédie -exemple de théâtre dans le théâtre-, à Mustafà et à Taddeo pour les
amadouer. Aveuglés par leur passion, le Bey et le faux oncle ne prennent
conscience de ses ruses que lorsqu’il est trop tard. L’air d’entrée de l’héroïne, traduit parfaitement toutes les facettes de sa personnalité : quand la
bande des corsaires arrive sur le lieu du naufrage, Isabella, telle Vénus surgissant de la mer, apparaît comme le symbole de la séduction féminine.
Son premier air la révèle tout entière : d’abord, dans une tonalité sombre,
Cruda sorte, elle se plaint de la cruauté du sort, avant d’avoir une tendre
pensée pour son amant absent, Per te solo, puis se révèle son trait dominant, la coquetterie. Isabella sait utiliser l’effet, à coup sûr, ravageur de ses
regards langoureux sur tous les hommes puisque, selon elle, ils se ressemblent tous. On la voit à l’œuvre auprès de Lindoro, qu’elle aime, du Bey
Mustafà et de Taddeo, qu’elle berne. Mais elle dicte la conduite et impose
sa loi à chacun d’eux. Elle sait quel usage elle peut faire de son pouvoir de
séduction mis habilement au service de sa ruse. Reprenant confiance en
elle, elle proclame, Già so per pratica : le sort ne peut rien contre quelqu’un qui peut mener les hommes à sa guise. La musique joyeuse de la
cabalette n’a plus rien à voir avec le désespoir premier de la naufragée
échouée sur les côtes barbaresques.
Aussi est-elle toujours en représentation, assumant une multiplicité d’identités dont elle change suivant l’interlocuteur : grande amoureuse avec
Lindoro auquel elle réserve ses seuls moments de tendresse ; maîtressefemme avec Taddeo ; enjôleuse avec Mustafà ; complice avec Elvira dont
elle veut faire l’« éducation » d’épouse. Certains personnages se voient
ainsi, tour à tour flattés par ses cajoleries ou rejetés de façon menaçante par
elle : Isabella séduit et ridiculise Taddeo et Mustafà, en les enfermant dans
des situations plus burlesques les unes que les autres. La duplicité du
personnage se traduit musicalement dans la scène où elle rencontre
Mustafà : l’Italienne, qui a été accueillie par le chœur, dans une tonalité
presque religieuse pour célébrer sa beauté, manifeste, dans un contraste
marqué, la répugnance que lui inspite le Bey, Che muso, che figura ! Mais
elle dissimule ses sentiments pour lui adresser une supplique théâtrale,
Maltrattata della sorte. Tous deux se réjouissent : Mustafà de sa beauté,
Isabelle de l’impression qu’elle a visiblement produite sur lui et qui favo-
tistes brodent à loisir sur cet archétype : une belle Italienne, retenue
comme esclave dans le sérail d’un prince ottoman, parvient à s’enfuir grâce
à son amant venu la rejoindre. Le goût pour l’exotisme oriental n’est pas
nouveau et le sujet s’inscrit dans une mode culturelle qui traverse de
longues décennies et s’exprime sous différentes formes artistiques.
En effet, entre histoire et légende, entre fascination et répulsion, les relations entre les pays de l’Europe et l’Empire ottoman furent complexes,
depuis le début des temps modernes et particulièrement dans l’espace
méditerranéen, lieu de partage, dans le double sens d’échange et de
confrontation, entre sa rive nord chrétienne et sa rive sud soumise à
l’expansionnisme musulman, aux VIIe et
VIIIe siècles. Les conquêtes de l’Islam provoquent la conversion ou l’asservissement des
chrétiens et des juifs sur leurs terres séculaires, et suscitent les premières confrontations
entre les deux univers. La tentative de reconquête des Croisades, à partir du XIe siècle, et
son échec, aggravé par la disparition de
Byzance, ne mirent pas fin aux relations problématiques avec cet espace devenu, à partir
du XIIIe siècle, une possession ottomane. Au
plus fort de son expansion, au XVIIe siècle,
cet Empire déborde largement l’Anatolie, et
s’étend sur le pourtour de la Mer Noire, les
Balkans, le Moyen-Orient actuel, la
Péninsule Arabique et l’Afrique du Nord, à
Soliman le Magnifique
l’exception du Maroc. Il tentera plusieurs percées jusqu’aux portes de Vienne et de
Moscou, sans parler de la Grèce, de Rhodes,
de Chypre et de l’Italie. Tout cela a suscité, en
Occident, un attrait et une curiosité jamais
démentis depuis l’époque des Croisades.
Si les Ottomans suscitent la crainte, certains
personnages fabuleux, comme Soliman le
Magnifique (1496-1566), fascinent. Soliman
avait brisé un tabou en épousant une esclave
de son harem, Roxelane. Fille d’un prêtre
orthodoxe, enlevée lors d’un raid en Ukraine,
elle prit un grand ascendant sur son époux.
On considère que cet épisode historique serRoxelane, l’épouse de Soliman.
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vira de départ à toutes les intrigues mettant en scène de belles Européennes
emprisonnées dans un harem dont elles séduisent le maître, au point de le
réduire à leur merci. Les femmes européennes n’hésiteront pas à se faire
représenter en odalisques ou en sultane comme la Pompadour peinte par
Charles-André van Loo en 1747. Le thème est toujours dans l’air du temps
à l’époque de L’Italiana, comme le montre le tableau quasi contemporain,
La Grande Odalisque de J. A. D. Ingres, de 1814.
Tous les artistes du XIXe siècle rêveront de cet Orient, paradis perdu,
espace mystérieux et secret que symbolise le harem, source de tous les
fantasmes masculins. Le voyage en Orient, réel ou imaginaire, devient un
passage obligé. C’est au début du XIXe siècle que le terme «orientalisme»
fait son apparition. Compromis entre fiction et réalité, il donne lieu à des
représentations parfois fantaisistes d’un Orient tout droit sorti des Mille et
Une Nuits : Damas et ses palais, Constantinople et ses harems… Victor
Hugo pourra écrire, en 1829 dans sa préface des Orientales : « Au siècle
de Louis XIV, on était helléniste, maintenant, on est orientaliste. » Et
Gérard de Nerval d’ajouter que le « Voyage en Orient », c’est le retour
aux sources, vers « notre berceau cosmogonique et intellectuel ».
Barbaresque ou burlesque ?
Les échanges avec la Méditerranée s’intensifiant, l’attention se focalise sur
Alger dont la Régence forme, avec celles de Tunis et de Tripoli, le trio des
« régences barbaresques » de l’Empire ottoman pendant trois siècles. Les
puissances occidentales cherchent tous les moyens pour se débarrasser de
la piraterie maritime et de la réduction en esclavage de leurs ressortissants
capturés, problème toujours d’actualité au début du XIXe siècle. Peu après
les créations de L’Italienne à Alger et du Turc en Italie, les expéditions
contre Alger se succèdent : américaine en 1815, hollandobritannique en 1816, qui permettent de délivrer de nombreux esclaves sans faire
cesser les attaques barbaresques. Seule la conquête de la future Algérie par
la France -c’est elle qui donne ce nom à ce territoire divisé en multiples tribus-, à partir de 1830, y mettra fin.
Ce tropisme pour la Sublime Porte, générée par ses démonstrations de
force et par son mode de vie si différent des sociétés chrétiennes, prend
deux formes d’expression opposées, mais en fait complémentaires : celle
de l’admiration et celle de la dérision. Le Turc devient la figure d’une
sagesse perdue en l’Occident : grisés par un sentiment de supériorité que
les philosophes jugent souvent mal fondé, les Européens auraient oublié
des vérités essentielles. Candide reçoit, d’un vieux Turc, la recette essentielle d’un semblant de bonheur : « Il faut cultiver notre jardin ». En fait, la
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tagonistes. L’effet comique était imparable dans l’heureux temps où l’on
croyait encore à la spécificité des sexes !
Taddeo, vieux soupirant et compagnon de voyage d’Isabella, incarne le
chevalier servant, le sigisbée, ici entre deux âges, dont toute Italienne qui
se respecte a besoin. Il est en fait, son souffre-douleur, car il rêve d’épouser l’héroïne. Mais il est vite ramené à sa fonction de bouffon. On ne peut
que rire de sa couardise et du châtiment qui ne pèse pas exactement sur sa
tête. Ses craintes le mettent en état d’infériorité par rapport à l’intrépide
Isabella. Celle-ci marque rapidement son impatience à son égard dans le
duetto, Ai capricci della sorte : les deux voyageurs se querellent, chacun
attendant son tour pour laisser éclater sa colère. Isabelle préfèrerait plutôt
affronter le Turc que son compagnon qui ne cesse de s’inquiéter sur le sort
d’Isabella dans le harem, crainte qu’il exprime dans une caractéristique
répétition rossinienne. Mettant fin à leur querelle, Donna Isabella ? Messer
Taddeo ?, ils partent en en captivité comme oncle et nièce, ce qui affaiblit
encore sa position d’amoureux.
L’aria qui lui revient, lors de son intronisation comme Kaïmakan, Ho un
gran peso sulla testa, est traitée comme le sera celle du Bartolo du Barbier
ou du Don Magnifico de la Cenerentola : au-dessus d’un accompagnement
qui fournit un simple contrepoids harmonique et d’une mélodie orchestrale qui semble animée d’un mouvement perpétuel, Taddeo, dans son
étrange habit turc et son énorme turban sur la tête, loin de se réjouir de sa
nouvelle distinction, se désole davantage, contrairement aux réactions
attendues en pareil cas, tandis que le chœur se montre de plus en plus
enthousiaste pour cette récompense. Risquant l’empalement s’il dévoile
ses sentiments pour Isabella, il continue à pleurer en remerciant pour ce
grand honneur. Il déclame son texte en utilisant tous les clichés du répertoire bouffe. Boniment rapide, écarts d’intervalles exagérés, tournent en
ridicule ses prétentions. Le malheureux est acculé à un choix impossible :
aider Mustafà à gagner la main d’Isabelle, ou bien être empalé, supplice
particulièrement humiliant dont la menace achève de le ridiculiser. Dans le
cérémonial d’intronisation du Bey au rang de Pappataci, Taddeo ânonne
mécaniquement le règlement auquel doit se soumettre le nouvel élu qui,
tout aussi mécaniquement, applique les consignes. Tous deux sont réduits
à l’état de marionnettes et n’ont aucune prise sur les événements. Quant
Taddeo comprend enfin la situation, le même dilemme que précédemment
se répète : avertir Mustafà de la fuite des amants et risquer le pal, ou rejoindre les fuyards et « tenir la chandelle ».
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jusqu’à la section finale qui est l’expression de la totale confusion dans
laquelle l’habile librettiste et le compositeur aiment laisser les spectateurs
avant le baisser de rideau.
Les deux scènes d’investiture de Taddeo en tant que Kaïmakan (ou vicegouverneur) de Mustafà, et de Mustafà comme Pappataci sont également
remarquables. Ces derniers apprennent tellement bien leur leçon que les
amants s’échappent à la barbe de Mustafà, alors que Taddeo, tout autant
baffoué, se traîne mortifié. Grâce à l’ingéniosité d’Isabella, l’habit de
Pappataci transforme le monarque tonitruant et arrogant, en pantin désarticulé, incapable de se mouvoir et de réfléchir, répétant mécaniquement les
phrases soufflées par Taddeo. La musique de Rossini souligne la transformation par une vertigineuse démonstration de verve rythmique, d’une
bouffonnerie musicale inégalée.
Lindoro, l’homme que veut retrouver Isabella, alors qu’il est esclave
depuis trois mois dans le palais du Bey, se présente comme un personnage
doux et sentimental, caractère que révèle son air d’entrée, la belle cavatine
d’une redoutable difficulté, avec cor d’harmonie obligé. Dans un style très
romantique, elle dépeint trois états d’âme : Languir per una bella exprimant une sorte de plaisir à soupirer après une amante éloignée ; Forse verà
il momento traduit, par une fougueuse exclamation, l’espoir de revoir sa
belle ; Contenta quest’alma revient sur le bonheur de penser toujours à
elle. L’air est accompli avec toutes les ornementations qui expriment les
différents sentiments éprouvés de la tristesse à la joie. Mais Rossini ne s’intéresse pas particulièrement au sort du personnage. Il confie même son
second air, la cavatine, Ah ! come il cor di giubilo, avec haubois obligé
(souvent omis), où Lindoro chante le bonheur d’être aimé, à un collaborateur. A la reprise de Milan, en 1814, il le remplace par un autre, cette fois
de sa composition, Concedi, amor pietoso. Personnage assez passif,
comme le montrent ses accents langoureux, Lindoro subit la volonté du
Bey qui lui impose de partir avec son épouse : pour se sortir du piège de
cette situation délicate, Lindoro prétend qu’aucune femme ne peut avoir les
qualités qu’il recherche, mais il s’enferre car l’autre a beau jeu d’assurer
qu’Elvira correspond à toutes ses attentes. Lindoro, se rendant compte que
sa tactique se retourne contre lui, se lamente, Ah mi perdo, mi confondo,
mais ne peut trouver d’échappatoire. D’une façon semblable, quand il
retrouve Isabella, c’est elle qui prend en main les modalités de la fuite. Elle
invente le stratagème pour neutraliser Mustafà et s’occupe du ralliement
des esclaves italiens. Suivant un principe farcesque bien établi, les qualités
viriles et la fragilité féminine subissent une permutation entre les deux pro30
figure de l’Oriental sert à dévoiler à l’Occidental, un visage de lui-même
qu’il ignore, aveuglé qu’il est par ses préjugés. Le regard jeté par les
Persans de Montesquieu sur la société parisienne du XVIIIe siècle, révèle
au lecteur français des Lettres persanes que le comportement le plus exotique et le plus étranger à la raison n’est peut-être pas celui des voyageurs
exotiques qui découvrent, sans les comprendre, les mœurs de leurs hôtes
parisiens. Dans L’Enlèvement au sérail, le Pacha Selim retient prisonnière
Constantza dont il est amoureux, tandis que Belmonte, introduit clandestinement dans les lieux, cherche à la libérer. Alors qu’il le tient à sa merci,
le maître du sérail apprend qu’il est le fils du gouverneur d’Oran, alors ville
espagnole, qui assassina autrefois son père. Selim renonce à tirer vengeance de la situation. Magnanime, il permet au jeune homme de repartir
avec Constantza. Mozart dote son personnage oriental d’une grande
sagesse humaniste, dénonçant ainsi l’effet toujours destructeur de la passion, qu’elle soit amoureuse ou politique.
Mais s’il est parfois magnifié, la figure du Turc est aussi ridiculisée.
Molière en donne un exemple dans la cérémonie d’intronisation du
Bourgeois gentilhomme dans l’ordre des Mamamouchis. Petite vengeance
du Roi Soleil, sans doute, après le scandale provoqué par l’arrogance de
l’ambassadeur turc, Soliman Aga, en visite à la cour de Louis XIV, en
1669. Cette scène burlesque génère, sans doute, celle au cours de laquelle
Mustafà devient Pappataci, au dénouement de L’Italienne.
Depuis la fin du XVIIe siècle, la musique reflète le goût pour l’Orient : la
comédie-ballet du Bourgeois Gentilhomme (1670), avec une musique de
Lully participe à l’élaboration des traits caractéristiques de l’exotisme
musical et théâtral qui perdure tout au long du siècle suivant.
D’autres œuvres s’inscriront dans ce courant, comme la très célèbre
Marche turque de Mozart (troisième mouvement alla turca de la Sonate
pour piano en la majeur K. 331), datée de 1778. L’opposition du mineur et
du majeur, les motifs rapides, et l’imitation du tambour participent de cette
stylisation musicale. Sans oublier Die Entführung aus dem Serail de 1782
où la tonalité « turque » est donnée par des instruments -piccolo, timbales,
triangle, cymbales, grosse caisse-, dès les premiers accents de l’ouverture.
Si le livret d’Anelli s’inscrit dans la veine des œuvres littéraires et musicales déjà citées, elle en inverse cependant les conventions dans un effet de
dérision qui redonne du sel à une histoire rebattue.
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Une petite salle du palais de Mustafà, Bey d’Alger. Elvira (soprano),
épouse délaissée par ce dernier, confie à sa confidente Zulma (mezzosoprano), sa douleur. Les eunuques (ténors et les basses), en guise de
consolation, lui affirment que le sort des femmes d’Orient est de souffrir
(Introduction, Serenate il mesto ciglio). Mustafà (basse) entre et confirme,
en la rabrouant, qu’il en a assez de cette femme trop soumise. Resté seul
avec Haly (basse), le capitaine de ses corsaires, il lui fait part de ses projets : donner Elvira en mariage à son favori Lindoro, jeune italien, son
esclave depuis trois mois, et se remarier avec une Italienne au tempérament
de feu que les corsaires sont chargés de capturer immédiatement. Lindoro
(ténor), fort affligé d’être séparé de sa belle restée en Italie (Cavatine,
Languir per una bella), tente en vain de se soustraire à cette proposition
(Duo, Si inclinassi a prender moglie).
Une plage. Les Corsaires s’emparent d’un navire brisé par la tempête sur
un récif et ramènent à terre butin et prisonniers (Chœur, Quanta roba !
Quanti schiavi !). Parmi eux, Isabella (contralto) partie à la recherche de
Lindoro. Elle comprend rapidement qu’elle doit user de toutes les ruses
féminines pour se sortir de cette situation (Cavatine, Cruda sorte ! Amor
tiranno !). Elle décide de faire passer son compagnon de voyage, Taddeo,
son éternel soupirant, pour son oncle. Haly annonce à la jeune femme
qu’elle sera la favorite du Bey, ce qui déclenche la jalousie de Taddeo.
Isabella lui rappelle vertement qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour échapper aux dangers qui les menacent (Duo, Ai capricci della sorte).
qu’il met pour se débarrasser de sa femme : sa faiblesse rhétorique le met
à la merci de plus retors que lui. En effet, pour convaincre Lindoro, réticent à l’idée de partir avec Elvira, Mustafà en vient à vanter la beauté et la
douceur de caractère de son épouse, retournant sans s’en rendre compte
toute son argumentation qui justifiait qu’il veuille s’en débarrasser sans
plus attendre. Mustafà se fait pressant tandis que Lindoro, cherche toutes
les échappatoires possibles. Cette situation ridicule est pourtant prétexte à
une des plus belles pages de l’opéra, le duo Se inclinasi a prender moglie.
Le renversement des rapports de force entre le Bey et ceux qui sont censés
lui être soumis, se fait sentir d’abord dans le traitement musical. Les
pirates, en découvrant Isabella, à l’acte I, s’exclament È un boccon per
Mustafa, « Quel morceau de choix pour Mustafa ». Lorsque le Bey, introduit dans le grand ordre des Pappataci, dans la scène finale de l’opéra, boit
et mange imperturbablement pendant qu’Isabella échange des serments
d’amour avec Lindoro, le chœur marque alors sa satisfaction et son approbation, en utilisant la même musique que celle du premier acte qui saluait
le pouvoir de Mustafà. Seul le texte change, Bravo, ben : cosi si fa. Cette
intervension consacre le triomphe de l’Italienne. Simplement, mais efficacement Rossini nous fait comprendre que le bras de fer entre Mustafà qui
avait visé une proie trop difficile à capturer pour lui et Isabella se termine
en faveur de la « faible » femme.
Mustafà le comprend plus ou moins confusément et il laisse exploser, à de
multiples reprises, son exaspération. La tonalité comique, propre à Rossini,
reprend le dessus. C’est ce qui provoque la confusion du finale du premier
acte que n’avait pas imaginée Anelli. Si l’on en croit Stendhal, parlant de
l’effet produit, lors de la Première à Venise, par l’Allegro vivace conclusif
de l’acte I, « les spectateurs ne pouvaient plus respirer, et s’essuyaient les
yeux. » Dans une tradition ancienne de l’opera buffa qui remonte au moins
à Pergolèse, les chanteurs ne chantent pas des mots mais des sons inarticulés pour exprimer la confusion que provoque la situation sur eux : chaque
personnage compare son état d’esprit à un instrument à percussion, cloche,
marteau, tambour, mais chaque son est intégré à un cadre tellement précis
que le chaos, la « folie organisée », est en fait prévue jusque dans ses moindres détails. Les ding ding, tac-tac, et boum boum qui menacent de faire
éclater la tête des protagonistes constituent, à la fois, l’apogée et la conclusion du Finale. Rossini, avec son grand sens théâtral, avec à propos, écrit
là la più mossa (la plus agitée) des pages. Cet ensemble constitue un des
chefs-d’œuvre de Rossini ; comme dans les finales de Mozart, chaque
section renferme un nouvel incident dans une humeur musicale entièrement nouvelle. Aussi plus l’action avance et plus l’intrigue se complique
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L’INTRIGUE
Il Giornale Dipartimentale dell’Adriatico, paru le lendemain de la création
de L’Italiana, résume l’action de façon lapidaire : « un fanfaron qui maltraite les femmes et en a assez de sa femme, qui tombe dans le piège d’une
femme dégourdie qui en fait son souffre-douleur, le déçoit pour s’enfuir
enfin avec son véritable amant. » L’œuvre appartient au genre de l’opéra
bouffe, c’est dire qu’elle n’a aucune prétention réaliste ni psychologique ;
le but est de jouer sur les poncifs concernant les rapports entre pouvoir et
esclavage, entre hommes et femmes, pour mieux les subvertir et divertir le
public.
Premier acte
rien n’est prévu pour que se produisent les moments de pure folie musicale qui couronnent les grands ensembles de Rossini au finale de l’acte I,
Nella testa ho un campanello, et le quintette, Sento un fremito, à l’acte II,
si caractéristique du style Rossini, au point d’en constituer sa marque de
fabrique.
La brièveté du temps qui lui est accordé pour écrire son nouvel opéra
oblige le compositeur à confier la préparation de tout le recitativo secco à
un collaborateur non identifié, ainsi que l’air d’Haly, Le femmine d’Italia,
et probablement l’air Oh, come il cor di giubilo de Lindoro. Le reste de la
partition, de la main de Rossini, fut écrit à une vitesse éclair, avec une exubérante énergie créatrice, comparable à celle qui donnera naissance au
Barbiere di Siviglia en 1816. Mais ce n’était pas chez lui, un choix délibéré. Stendhal a beaucoup fait pour accréditer sa réputation de paresse. Il le
décrit comme un dilettante occupé à goûter avant tous les plaisirs de la vie,
repoussant sans cesse le moment de se mettre à sa table de travail pour
accomplir sa tâche à la dernière minute, dans la fièvre de l’urgence. Or
Rossini savait prendre le temps de revoir soigneusement ses partitions.
Simplement, quand les délais imposés étaient brefs, son génie et son habileté technique faisaient merveille.
LES PERSONNAGES
C’est la musique qui caractérise chaque personnage. Ainsi l’entrée tonitruante de Mustafà, qui suit les plaintes de son épouse concernant le fait
qu’il la délaisse, laisse imaginer un tyran domestique redoutable et assez
féroce. Rossini dépeint les prétentions à la galanterie et les forfanteries du
Bey concernant sa façon de dompter « l’arrogance des femmes », Delle
donne l’arroganza, dans un faux style héroïque qui parodie les airs les plus
raffinés à l’écriture très ornementée, avec de redoutables coloratures, style
habituellement réservé aux héros des opera seria. Obnubilé par l’idée de
posséder l’une de ces fabuleuses Italiennes dont il rêve, et apprenant
l’arrivée d’Isabella, Mustafà se lance d’emblée dans un grand air, Già
d’insolito ardore nel petto, mêlant à la manière inimitable de Rossini,
bouffonnerie, élégance et virtuosité. Mustafà annonce les Falstaff et Baron
Ochs, vieux galants ridicules. Rossini s’amuse à prêter à une basse profonde les fioritures stylistiques habituellement réservées au jeune premier
amoureux, c’est-à-dire à un ténor léger.
Cette incongruité laisse déjà entendre que le Bey n’est pas à sa place dans
ce jeu de séduction et d’autorité. On le mesure encore, dans la précipitation
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Une petite salle du palais. Lindoro a accepté d’épouser Elvira contre la
promesse de pouvoir retourner en Italie. Haly annonce au Bey la capture
d’une Italienne. Mustafà, déjà amoureux, sort pour aller à sa rencontre
(Air, Già d’insolito ardore), tandis que Lindoro annonce à Elvira et à
Zulma que le navire qui doit les emmener en Italie, est prêt à appareiller.
Mais Elvira veut revoir son époux.
Une magnifique salle du palais. Isabella éblouit le Bey par sa beauté et,
dissimulant sa répugnance (Oh !Che muso, che figura !), elle flatte habilement Mustafà et réussit à faire libérer Taddeo, menacé d’empalement.
Surviennent Lindoro, Elvira, Zulma, venus faire leurs adieux au maître des
lieux. Isabella, un moment désarçonnée, exige et obtient que Mustafà garde
sa femme et qu’il lui donne Lindoro comme esclave. La stupéfaction générale s’exprime dans l’étourdissant finale de l’acte I (Strette, Va sossopra il
moi cervello).
Second acte
Une petite salle du palais. Elvira, Zulma, Haly et les eunuques ironisent
sur la soudaine docilité de Mustafà (Introduction, Uno stupido, uno stolto).
Le Bey ordonne aux deux femmes d’annoncer à Isabella qu’il va prendre
le café avec elle. Après leur sortie, entrent les deux amants. Lindoro ayant
dissipé les soupçons d’Isabella sur sa trahison supposée, celle-ci décide
d’imaginer un plan pour fuir Alger. Lindoro laisse éclater sa joie (Cavatine,
Oh, come il cor di giubilo).
Mustafà, pour s’assurer les faveurs d’Isabella, élève Taddeo au rang de
« grand Kaimakan », Protecteur des Musulmans. Acclamé par le chœur
(Chœur, Viva il grande Kaimakan), Taddeo toujours craignant le pire pour
sa personne, accepte ces honneurs ridicules (Aria, Ho un gran peso sulla
testa).
Un magnifique appartement du palais. Alors qu’Isabella s’habille à la
turque devant un miroir, Elvira lui annonce la prochaine venue du Bey.
Scandalisée par tant de soumission, l’Italienne décide d’apprendre à
l’épouse bafouée comment il faut traiter les hommes. Se sachant observée
par Mustafà, Isabella feint de se faire belle pour lui (Cavatine, Per lui che
adoro), avant de sortir. Le Bey, totalement enflammé, entre accompagné de
Lindoro et de Taddeo. Il ordonne à ce dernier de rester pour l’aider à amadouer la jeune femme (Quintette, Ti presento di mia man), puis de sortir
quand il se mettra à éternuer. Mais, au signal convenu, le jaloux Taddeo fait
la sourde oreille au grand amusement d’Isabella et de Lindoro. Mais quand
la jeune femme invite Elvira à prendre le café avec eux, le Bey rendu
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furieux, sort.
Une petite salle du palais. Haly exprime sa satisfaction de voir le vaniteux
Mustafà apprendre à ses dépens que les Italiennes sont effrontées et rusées
(Aria, Le femine d’Italia).
Lindoro entreprend de ramener le calme : il révèle à Taddeo, qui pourrait
les compromettre, les projets d’Isabella. Aussitôt, le faux oncle imagine par
vanité que c’est par amour pour lui. Puis Lindoro rassure le Bey : la belle
Italienne brûle d’amour pour lui et, pour preuve, elle a décidé de lui décerner le titre de « Pappataci ». Lindoro et Taddeo expliquent que ce titre est
décerné aux hommes qui se consacrent à l’amour et passent leur temps à
dormir, à manger, à boire et à jouir de la vie (Trio, Pappataci ! Che mai
sento).
Un magnifique appartement du palais. Les esclaves italiens, déguisés en
Pappataci, préparent la cérémonie d’intronisation (Chœur, Pronti abbiamo
e ferri e mani). Isabella les exhorte au courage, ainsi que Lindoro, en leur
rappelant que bientôt, ils reverront l’Italie (Rondò, Pensa alla patria).
La cérémonie commence (Finale, Dei Pattaci s’avanza il coro). Mustafà,
déguisé en Pappataci, répète les formules du serment lues par Taddeo : il
s’engage à boire et à manger sans se soucier de ce qu’il verra ou entendra.
C’est ainsi qu’il supporte les serments d’amour échangés, sous ses yeux,
par les deux amants et qu’il ne manifeste aucune inquiétude en voyant, par
la loggia, un navire aborder le rivage et tout le monde embarquer, y compris Taddeo, pourtant désillusionné sur les sentiments d’Isabella envers lui.
Le Bey, ramené à la réalité par Elvira, Zulma, Haly et les eunuques
qu’Isabella a enivrés pour les neutraliser, demande pardon à sa femme et
renonce aux Italiennes.
NOUVEAUTÉ ET CONTINUITÉ
Le livret d’Angelo Anelli, dramma giocoso en deux actes, appartient au
genre de l’opera buffa. Ce genre typiquement italien trouve ses origines
dans les intermezzi comiques du XVIIIe siècle qui entrecoupaient les opera
seria. Ils mettaient en scène quelques personnages placés devant le rideau
pour divertir les spectateurs pendant les changements de décor. Ces courtes pièces étaient bien souvent écrites en dialecte, et empruntaient leurs
personnages à la commedia dell’arte ou au prosaïsme de la vie quotidienne. D’un ton léger, voire populaire, elles alliaient gaîté et critique traditionnelle des mœurs. Elles faisaient la part belle aux voix de basse. En se développant, ces œuvres comiques prirent la dénomination d’opera buffa. On
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D’autres passages concernent plus précisément l’action : dans l’opera
buffa, contrairement à l’opera seria, la musique n’a pas pour fonction de
décrire un état ou une émotion, mais elle prend en charge l’évolution dramatique. D’où la nécessité d’une flexibilité formelle pour se plier aux
besoins du moment. La structure traditionnelle d’un numéro musical, en
deux parties avec un cantabile introductif et une cabaletta plus rapide,
subit des modifications par l’introduction d’autres sections formelles, de
personnages supplémentaires ou bien du chœur. Par exemple, la cavatine
d’Isabella, Per lui che adoro, insère les commentaires des trois hommes
ayant chacun une relation différente avec la jeune femme. Le même principe se retrouve dans son grand rondò, Penso a la patria, dans lequel elle
s’adresse aux différentes personnes qui l’entourent.
La révision opérée, à partir de la partition autographe de l’œuvre, a permis
de restituer une orchestration plus légère, et plus brillante : les trombones
et les timbales que l’usage avait imposés retrouvent les deux piccolos
originels, davantage inscrits dans un esprit mozartien. Rossini reconstitue
un Orient complètement imaginaire qui lui permet de créer un comique
détaché des contingences prosaïques et qui va caractériser certaines de ses
œuvres ultérieures. Stendhal, écoutant L’Italiana affirme, plein d’enthousiasme, que cette musique « fait oublier toute la tendresse du monde ». Les
duos Taddeo-Isabella et Mustafa-Lindoro, annoncent ceux de FigaroRosina et Figaro-Almaviva, d’autres passages préfigurent les trios et quintettes du Barbier. Avec la Cenerentola, ces trois partitions ont en commun
de confier à une voix grave, le rôle principal en raison de la prédilection de
Rossini pour une couleur de voix chaude et sombre, que la créatrice du rôle
d’Isabella, grande contralto, avait su lui faire apprécier. Les deux sœurs de
la Cenerentola rappellent, par leurs caractéristiques vocales, les personnages d’Elvira et de Zulma. Comme dans les deux autres opéras, le chœur est
formé exclusivement de voix masculines.
Les quelques modifications apportées par Gaetano Rossi, déjà librettiste de
Tancredi, au livret d’Anelli, semblent traduire un choix délibéré du compositeur : rajout, par exemple, du duo entre les deux amants qui, par ailleurs,
ne sont pratiquement jamais seuls dans L’Italienne, comme cela se reproduira dans le Barbier pour Rosine et Almaviva/Lindoro. Dans le livret
original, à la scène 2 de l’acte I, Taddeo apparaissait le premier hors du
navire et avait droit à une cavatine avant même l’arrivée de l’héroïne.
Rossini, au contraire, met à l’honneur l’héroïne en lui donnant la parole la
première. Dès son entrée, dans un rajout à la cavatine d’origine, Isabella
affirme son savoir-faire à l’égard des hommes, adresse qui sera confirmée
dans son air du second acte, entièrement rajouté par Rossini. Chez Anelli,
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ble, sans se préoccuper du bon sens ». Ici on atteint un état de folie générale, ce qui multiplie les difficultés pour le compositeur. La scène réunit
sept personnages et le chœur, dans une confusion totale mais conçue avec
art et précision. La musique s’enflamme à partir de brefs motifs onomatopéiques et déclenche un délire qui, grâce à la technique du crescendo,
atteint des proportions démesurées. C’est une « folie méthodique », se
développant grâce à de subtiles graduations dynamiques et explosant dans
un fortissimo libératoire. Jamais une musique n’avait atteint un tel brio,
une telle vivacité, avec une telle alternance d’accélérations et de ralentissements et de changements d’intensité sonore, pour aboutir à une sorte
d’explosion finale. C’est ce que Stendhal qualifie, dans une formule frappante par sa justesse, dans ce onzième opéra de Rossini, « une folie organisée et complète ».
Le duo d’Isabella et de Taddeo, Ai capricci della sorte, au premier acte
montre l’économie de moyens mis en œuvre par Rossini pour traduire la
tension dramatique entre les deux personnages : trois accords pianissimo
font suite à trois fortissimo ; puis le basson est accentué et une figure
flexible avec une gamme descendante, apparaît aux violons. A la fin, on
retrouve trois accords renforçant la structure musicale. Ces simples
éléments permettent à Rossini de créer un mouvement qui engendre une
profusion d’autres figures, analogues ou contrastantes, chaque fois, en
fonction de la situation scénique.
Aux élans enflammés succèdent des moments de pur lyrisme comme la
scène d’entrée d’Isabella, Cruda sorte, et celle de la reconnaissance entre
Isabella et Lindoro, à la fin du premier acte. Dans ce registre sensible, la
première cavatine de Lindoro, Languir per una bella, se développe dans le
plus pur esprit belcantiste par l’intériorisation de l’émotion, sa mélodie
anoblie par le solo de cor obligé qui l’accompagne ainsi que l’élégance des
coloratures ornant la ligne mélodique. Elle constitue un des plus beaux airs
de l’œuvre.
Certains airs, comme celui d’Haly, à l’acte II, Le femmine d’Italia, constituent des passages obligés. Le compositeur devait prévoir, indépendamment de la logique de l’action, un air pour chaque protagoniste, afin de le
mettre en valeur. Quant il concerne un protagoniste secondaire, comme
c’est le cas avec le serviteur du Bey, il s’agit typiquement de ce que l’on
appelle un air de sorbetto, parce que le public peu intéressé, même s’agissant d’un air de qualité comme c’est le cas ici, sortait pour aller prendre une
glace afin de se rafraîchir. Cet air est un clin d’œil aux clichés sur les
Italiennes, façon Leporello. S’il n’est pas d’une caractérisation frappante,
il n’en est pas moins très musical.
considère que La Serva Padrona (1733) de Giovanni Pergolèse constitue
l’un des chefs-d’œuvre de ce genre comme le prouve la fameuse « Querelle
des Bouffons » qui opposa, en France, à partir de 1752 et 1754 les défenseurs de la musique française aux partisans du modèle italien. Carlo
Goldoni, librettiste du compositeur Baldassare Galuppi, établit un modèle
du genre où parte seria et parte buffa s’équilibrent. A la première appartient le couple de jeunes premiers, qui conserve généralement un style de
chant élevé et sentimental, à la seconde les personnages subalternes, les
valets, tout droit venus de la commedia dell’arte et de ses zanni, mais également les vieillards, les comici senes, hérités des comédies de Plaute, chacun présentant un défaut, avarice, vanité, colère… Le principe bien connu
de la comédie classique, selon lequel elle « corrige les mœurs en riant »,
justifie le recours à des figures et à des situations comiques.
Le sujet de L’Italienne correspond à un schéma cent fois utilisé et dont le
résumé pourrait à quelques variantes près, convenir au livret d’Anelli
comme à L’Enlèvement au sérail de Mozart : un couple d’amoureux,
enfermé dans un harem et séparé par l’autorité d’un Turc tout-puissant qui
convoite l’héroïne, finit par recouvrer la liberté. En passant du singspiel au
dramma giocoso, la caractérisation du personnage du Turc change : dans
Mozart, le Pacha Sélim, rôle parlé, incarne le philosophe des Lumières. Il
abandonne au gardien de son sérail, Osmin, toutes les caractéristiques du
rôle bouffe, suivant une répartition classique entre le maître digne et le serviteur ridicule. Dans L’Italienne, c’est le Maître des lieux lui-même, le Bey
d’Alger, qui est grotesque et berné comme il se doit. Il cumule plusieurs
défauts, la vanité, l’impétuosité, l’égoïsme devant les souffrances qu’il
inflige à sa femme mais comme il est la première victime de son propre
tempérament, il reste sympathique. Haly, son « Osmin » d’une certaine
manière, n’hésite pas à se réjouir de ses déboires. Taddeo redouble en partie le personnage du Bey dont il partage la vanité, l’aveuglement et l’amour
pour Isabella. Il s’y rajoute la couardise. Il correspond plus classiquement
à la typologie du vieillard amoureux et berné. Lindoro est un Belmonte
plus timoré, qu’on veut contraindre à une union non désirée, ce qui est
habituellement le lot des jeunes héroïnes. Dans une plaisante inversion des
rôles, c’est l’audacieuse Italienne qui part à la recherche de son amant, prisonnier de Mustafà et le délivre, grâce à sa ruse et à son charme. Aux deux
amoureux sont réservés les seuls moments d’émotion sincère exprimée
dans le style de l’opera seria. La singularité de l’héroïne ressort d’autant
plus qu’elle a en Elvira sa parfaite antagoniste, soumise et paralysée devant
son maître, et cependant amoureuse. Moins par générosité que par utilité
pratique, Isabella va se faire son alliée contre Mustafà.
26
19
Le nom d’Isabella est un nom traditionnel dans la comédie italienne et
désigne les amoureuses, généralement assez délurées, qui ne se laissent pas
facilement imposer leur conduite. Lindoro est aussi le nom traditionnel de
l’amoureux dans les comédies : c’est le pseudonyme que choisit Almaviva,
dans le Barbier de Séville, pour dissimuler sa véritable identité à Rosine.
Les déguisements, les substitutions d’identité, les situations loufoques sont
les ingrédients habituels du genre. On retrouve un schéma dramatique bien
connu, celui du barbon/tyran berné par deux jeunes amoureux. Ici s’ajoutent quelques variantes : celui du redoublement de la figure centrale de l’amoureux mystifié Mustafa/Taddeo, comme Elvira vient dupliquer quelque
peu Isabella en devenant sa docile élève, et en reprenant sa place de favorite à la fin de l’opéra.
On le voit, le librettiste s’inscrit dans une longue tradition. Il respecte la
typologie des personnages, dont il est inutile de tenter une quelconque analyse psychologique, et le cadre général du déroulement prévisible de
l’action. L’auteur ne déroge au schéma traditionnel qu’à la marge. La nouveauté vient pour l’essentiel de la partition.
Certes, on retrouve les passages obligés comme l’alternance d’ensembles
vocaux et d’arias pour chacun des solistes, comme le voulait l’usage, des
scènes attendues comme celle typique de stupéfaction qui clôt le premier
acte. En revanche, Rossini se montre novateur en dotant l’opera buffa
d’une virtuosité réservée jusque là au seul opera seria, créant ainsi une virtuosité bouffe qui dépasse de loin le rythme de la parole. Son écriture
orchestrale participe à ce mouvement et sa musique témoigne avec finesse
des différents aspects comiques des personnages et des scènes : le personnage bouffe de Mustafà s’exprime suivant les canons imposés habituellement au héros de l’opera seria. Le contraste entre la forme très savante du
chant virtuose au service d’un texte absurde, comme les onomatopées répétées en canon au finale du premier acte, fonde le comique de la scène : le
rire prend ses racines autant dans le sens des mots que dans la forme musicale.
« C’est tout simplement la perfection du genre bouffe », écrit Stendhal,
commentant la parfaite alliance entre aspects sentimentaux, bouffes et
sérieux de la musique. Le jeune auteur est hissé « au premier rang des
maestri ». Dans son enthousiasme, l’écrivain voit en lui, « le maître universel de la musique », un autre Napoléon. Il analyse, dans sa Vie de Rossini,
l’effet « inouï » de sa musique, proche du délire fébrile, produit sur les
mélomanes, littéralement électrisés par elle, particulièrement dans les
ouvertures, modèle d’esprit musical et d’effets savamment calculés.
L’ouverture de L’Italienne, l’une des plus connues de son compositeur,
contient tous les composantes de la musique de Rossini à son meilleur :
gaieté, brio, ébullition, impétuosité, effervescence. Elle débute par une
introduction lente, assez sourde à l’initiale, dans laquelle alternent pizzicati des cordes et interventions des bois au caractère chantant. La partie principale plus rapide, comprend deux thèmes se développant librement, tantôt
raccourcis, tantôt élargis, dans lesquels on peut imaginer entendre l’opposition entre le tempétueux Mustafà et la rusée Isabella. Les longs solos des
vents, les accents dynamiques et l’élasticité caractéristique de tout le passage, se fige subitement dans un ritardando, pour reprendre et déboucher
sur une coda en forme de brillant crescendo. Les motifs ne sont pas traités
de manière symphonique mais se répètent dans différentes séquences en
s’intensifiant de plus en plus. Ainsi s’installe un climat d’ébullition qui ne
va pas tarder à s’emparer des habitants du harem. Le mécanisme rythmique
ainsi progressivement mis en place et conduisant à son intensification,
frappa les contemporains par son innovation. Il devint si caractéristiques
du style de Rossini que ses contemporains le nommèrent « Monsieur
Crescendo ». D’autant plus que le compositeur emploie ce tempo particulier également dans les airs et les ensembles.
Les motifs brefs, souvent banals avec une simple alternance de la tonique
et de la dominante et des figures d’accompagnement répétées, progressant
vers une fin toujours retardée, confèrent un rythme très marqué et une puissance enflammée. Le procédé est mis en place dès la première scène de
l’opéra, quand Mustapha fait irruption dans les appartements des femmes,
entouré de sa cour : l’ensemble animé par l’impatience de Bey culmine sur
un crescendo. Mais l’exemple le plus extravagant, se trouve à la fin du premier Finale. L’acte I se termine dans la confusion la plus totale de tous les
personnages. Leur perplexité se transforme en une forme d’hallucination
collective : les uns croient entendre une cloche qui fait sans cesse « ding
ding », les autres perçoivent le « boum boum » d’un canon, le « tac tac »
d’un marteau ou le croassement d’une corneille déplumée. Tout cela crée
un tapage infernal qui illustre parfaitement le commentaire humoristique
de Lorenzo Da Ponte, dans ses Mémoires (1830), où il décrit les obligations auxquelles doivent se conformer les compositeurs : « Il est d’usage
au théâtre que, dans un tel finale, tous les chanteurs entrent en scène, quels
que soient leur nombre et leur façon de le faire. Même s’ils étaient trois
cents, ils devraient chanter leurs solos, leurs duos, leurs trios, leurs sextuors
ou leurs « soixantuors » seul, à deux, à trois, à six, à dix ou à soixante. Et
si la structure du drame ne le permet pas, c’est au poète de le rendre possi-
20
25
Un raffinement musical inédit
Alger, le marché des escalves
Pacha et son harem de François-Gabriel Lépaulle
Personnage en habit turc
Femmes d'Alger (détail toile d’Eugène Delacroix)
L'Odalisque d’Ingres (1814)
24
21
Quatre photos de diverses scènes de "L'Italienne à Alger" de Rossini, dans la coproduction de Nancy-Metz, et la mise en scène de David Hermann. ( Photos Opéra National de Lorraine)
22
23
Quatre photos de diverses scènes de "L'Italienne à Alger" de Rossini, dans la coproduction de Nancy-Metz, et la mise en scène de David Hermann. ( Photos Opéra National de Lorraine)
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Alger, le marché des escalves
Pacha et son harem de François-Gabriel Lépaulle
Personnage en habit turc
Femmes d'Alger (détail toile d’Eugène Delacroix)
L'Odalisque d’Ingres (1814)
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Le nom d’Isabella est un nom traditionnel dans la comédie italienne et
désigne les amoureuses, généralement assez délurées, qui ne se laissent pas
facilement imposer leur conduite. Lindoro est aussi le nom traditionnel de
l’amoureux dans les comédies : c’est le pseudonyme que choisit Almaviva,
dans le Barbier de Séville, pour dissimuler sa véritable identité à Rosine.
Les déguisements, les substitutions d’identité, les situations loufoques sont
les ingrédients habituels du genre. On retrouve un schéma dramatique bien
connu, celui du barbon/tyran berné par deux jeunes amoureux. Ici s’ajoutent quelques variantes : celui du redoublement de la figure centrale de l’amoureux mystifié Mustafa/Taddeo, comme Elvira vient dupliquer quelque
peu Isabella en devenant sa docile élève, et en reprenant sa place de favorite à la fin de l’opéra.
On le voit, le librettiste s’inscrit dans une longue tradition. Il respecte la
typologie des personnages, dont il est inutile de tenter une quelconque analyse psychologique, et le cadre général du déroulement prévisible de
l’action. L’auteur ne déroge au schéma traditionnel qu’à la marge. La nouveauté vient pour l’essentiel de la partition.
Certes, on retrouve les passages obligés comme l’alternance d’ensembles
vocaux et d’arias pour chacun des solistes, comme le voulait l’usage, des
scènes attendues comme celle typique de stupéfaction qui clôt le premier
acte. En revanche, Rossini se montre novateur en dotant l’opera buffa
d’une virtuosité réservée jusque là au seul opera seria, créant ainsi une virtuosité bouffe qui dépasse de loin le rythme de la parole. Son écriture
orchestrale participe à ce mouvement et sa musique témoigne avec finesse
des différents aspects comiques des personnages et des scènes : le personnage bouffe de Mustafà s’exprime suivant les canons imposés habituellement au héros de l’opera seria. Le contraste entre la forme très savante du
chant virtuose au service d’un texte absurde, comme les onomatopées répétées en canon au finale du premier acte, fonde le comique de la scène : le
rire prend ses racines autant dans le sens des mots que dans la forme musicale.
« C’est tout simplement la perfection du genre bouffe », écrit Stendhal,
commentant la parfaite alliance entre aspects sentimentaux, bouffes et
sérieux de la musique. Le jeune auteur est hissé « au premier rang des
maestri ». Dans son enthousiasme, l’écrivain voit en lui, « le maître universel de la musique », un autre Napoléon. Il analyse, dans sa Vie de Rossini,
l’effet « inouï » de sa musique, proche du délire fébrile, produit sur les
mélomanes, littéralement électrisés par elle, particulièrement dans les
ouvertures, modèle d’esprit musical et d’effets savamment calculés.
L’ouverture de L’Italienne, l’une des plus connues de son compositeur,
contient tous les composantes de la musique de Rossini à son meilleur :
gaieté, brio, ébullition, impétuosité, effervescence. Elle débute par une
introduction lente, assez sourde à l’initiale, dans laquelle alternent pizzicati des cordes et interventions des bois au caractère chantant. La partie principale plus rapide, comprend deux thèmes se développant librement, tantôt
raccourcis, tantôt élargis, dans lesquels on peut imaginer entendre l’opposition entre le tempétueux Mustafà et la rusée Isabella. Les longs solos des
vents, les accents dynamiques et l’élasticité caractéristique de tout le passage, se fige subitement dans un ritardando, pour reprendre et déboucher
sur une coda en forme de brillant crescendo. Les motifs ne sont pas traités
de manière symphonique mais se répètent dans différentes séquences en
s’intensifiant de plus en plus. Ainsi s’installe un climat d’ébullition qui ne
va pas tarder à s’emparer des habitants du harem. Le mécanisme rythmique
ainsi progressivement mis en place et conduisant à son intensification,
frappa les contemporains par son innovation. Il devint si caractéristiques
du style de Rossini que ses contemporains le nommèrent « Monsieur
Crescendo ». D’autant plus que le compositeur emploie ce tempo particulier également dans les airs et les ensembles.
Les motifs brefs, souvent banals avec une simple alternance de la tonique
et de la dominante et des figures d’accompagnement répétées, progressant
vers une fin toujours retardée, confèrent un rythme très marqué et une puissance enflammée. Le procédé est mis en place dès la première scène de
l’opéra, quand Mustapha fait irruption dans les appartements des femmes,
entouré de sa cour : l’ensemble animé par l’impatience de Bey culmine sur
un crescendo. Mais l’exemple le plus extravagant, se trouve à la fin du premier Finale. L’acte I se termine dans la confusion la plus totale de tous les
personnages. Leur perplexité se transforme en une forme d’hallucination
collective : les uns croient entendre une cloche qui fait sans cesse « ding
ding », les autres perçoivent le « boum boum » d’un canon, le « tac tac »
d’un marteau ou le croassement d’une corneille déplumée. Tout cela crée
un tapage infernal qui illustre parfaitement le commentaire humoristique
de Lorenzo Da Ponte, dans ses Mémoires (1830), où il décrit les obligations auxquelles doivent se conformer les compositeurs : « Il est d’usage
au théâtre que, dans un tel finale, tous les chanteurs entrent en scène, quels
que soient leur nombre et leur façon de le faire. Même s’ils étaient trois
cents, ils devraient chanter leurs solos, leurs duos, leurs trios, leurs sextuors
ou leurs « soixantuors » seul, à deux, à trois, à six, à dix ou à soixante. Et
si la structure du drame ne le permet pas, c’est au poète de le rendre possi-
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Un raffinement musical inédit
ble, sans se préoccuper du bon sens ». Ici on atteint un état de folie générale, ce qui multiplie les difficultés pour le compositeur. La scène réunit
sept personnages et le chœur, dans une confusion totale mais conçue avec
art et précision. La musique s’enflamme à partir de brefs motifs onomatopéiques et déclenche un délire qui, grâce à la technique du crescendo,
atteint des proportions démesurées. C’est une « folie méthodique », se
développant grâce à de subtiles graduations dynamiques et explosant dans
un fortissimo libératoire. Jamais une musique n’avait atteint un tel brio,
une telle vivacité, avec une telle alternance d’accélérations et de ralentissements et de changements d’intensité sonore, pour aboutir à une sorte
d’explosion finale. C’est ce que Stendhal qualifie, dans une formule frappante par sa justesse, dans ce onzième opéra de Rossini, « une folie organisée et complète ».
Le duo d’Isabella et de Taddeo, Ai capricci della sorte, au premier acte
montre l’économie de moyens mis en œuvre par Rossini pour traduire la
tension dramatique entre les deux personnages : trois accords pianissimo
font suite à trois fortissimo ; puis le basson est accentué et une figure
flexible avec une gamme descendante, apparaît aux violons. A la fin, on
retrouve trois accords renforçant la structure musicale. Ces simples
éléments permettent à Rossini de créer un mouvement qui engendre une
profusion d’autres figures, analogues ou contrastantes, chaque fois, en
fonction de la situation scénique.
Aux élans enflammés succèdent des moments de pur lyrisme comme la
scène d’entrée d’Isabella, Cruda sorte, et celle de la reconnaissance entre
Isabella et Lindoro, à la fin du premier acte. Dans ce registre sensible, la
première cavatine de Lindoro, Languir per una bella, se développe dans le
plus pur esprit belcantiste par l’intériorisation de l’émotion, sa mélodie
anoblie par le solo de cor obligé qui l’accompagne ainsi que l’élégance des
coloratures ornant la ligne mélodique. Elle constitue un des plus beaux airs
de l’œuvre.
Certains airs, comme celui d’Haly, à l’acte II, Le femmine d’Italia, constituent des passages obligés. Le compositeur devait prévoir, indépendamment de la logique de l’action, un air pour chaque protagoniste, afin de le
mettre en valeur. Quant il concerne un protagoniste secondaire, comme
c’est le cas avec le serviteur du Bey, il s’agit typiquement de ce que l’on
appelle un air de sorbetto, parce que le public peu intéressé, même s’agissant d’un air de qualité comme c’est le cas ici, sortait pour aller prendre une
glace afin de se rafraîchir. Cet air est un clin d’œil aux clichés sur les
Italiennes, façon Leporello. S’il n’est pas d’une caractérisation frappante,
il n’en est pas moins très musical.
considère que La Serva Padrona (1733) de Giovanni Pergolèse constitue
l’un des chefs-d’œuvre de ce genre comme le prouve la fameuse « Querelle
des Bouffons » qui opposa, en France, à partir de 1752 et 1754 les défenseurs de la musique française aux partisans du modèle italien. Carlo
Goldoni, librettiste du compositeur Baldassare Galuppi, établit un modèle
du genre où parte seria et parte buffa s’équilibrent. A la première appartient le couple de jeunes premiers, qui conserve généralement un style de
chant élevé et sentimental, à la seconde les personnages subalternes, les
valets, tout droit venus de la commedia dell’arte et de ses zanni, mais également les vieillards, les comici senes, hérités des comédies de Plaute, chacun présentant un défaut, avarice, vanité, colère… Le principe bien connu
de la comédie classique, selon lequel elle « corrige les mœurs en riant »,
justifie le recours à des figures et à des situations comiques.
Le sujet de L’Italienne correspond à un schéma cent fois utilisé et dont le
résumé pourrait à quelques variantes près, convenir au livret d’Anelli
comme à L’Enlèvement au sérail de Mozart : un couple d’amoureux,
enfermé dans un harem et séparé par l’autorité d’un Turc tout-puissant qui
convoite l’héroïne, finit par recouvrer la liberté. En passant du singspiel au
dramma giocoso, la caractérisation du personnage du Turc change : dans
Mozart, le Pacha Sélim, rôle parlé, incarne le philosophe des Lumières. Il
abandonne au gardien de son sérail, Osmin, toutes les caractéristiques du
rôle bouffe, suivant une répartition classique entre le maître digne et le serviteur ridicule. Dans L’Italienne, c’est le Maître des lieux lui-même, le Bey
d’Alger, qui est grotesque et berné comme il se doit. Il cumule plusieurs
défauts, la vanité, l’impétuosité, l’égoïsme devant les souffrances qu’il
inflige à sa femme mais comme il est la première victime de son propre
tempérament, il reste sympathique. Haly, son « Osmin » d’une certaine
manière, n’hésite pas à se réjouir de ses déboires. Taddeo redouble en partie le personnage du Bey dont il partage la vanité, l’aveuglement et l’amour
pour Isabella. Il s’y rajoute la couardise. Il correspond plus classiquement
à la typologie du vieillard amoureux et berné. Lindoro est un Belmonte
plus timoré, qu’on veut contraindre à une union non désirée, ce qui est
habituellement le lot des jeunes héroïnes. Dans une plaisante inversion des
rôles, c’est l’audacieuse Italienne qui part à la recherche de son amant, prisonnier de Mustafà et le délivre, grâce à sa ruse et à son charme. Aux deux
amoureux sont réservés les seuls moments d’émotion sincère exprimée
dans le style de l’opera seria. La singularité de l’héroïne ressort d’autant
plus qu’elle a en Elvira sa parfaite antagoniste, soumise et paralysée devant
son maître, et cependant amoureuse. Moins par générosité que par utilité
pratique, Isabella va se faire son alliée contre Mustafà.
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furieux, sort.
Une petite salle du palais. Haly exprime sa satisfaction de voir le vaniteux
Mustafà apprendre à ses dépens que les Italiennes sont effrontées et rusées
(Aria, Le femine d’Italia).
Lindoro entreprend de ramener le calme : il révèle à Taddeo, qui pourrait
les compromettre, les projets d’Isabella. Aussitôt, le faux oncle imagine par
vanité que c’est par amour pour lui. Puis Lindoro rassure le Bey : la belle
Italienne brûle d’amour pour lui et, pour preuve, elle a décidé de lui décerner le titre de « Pappataci ». Lindoro et Taddeo expliquent que ce titre est
décerné aux hommes qui se consacrent à l’amour et passent leur temps à
dormir, à manger, à boire et à jouir de la vie (Trio, Pappataci ! Che mai
sento).
Un magnifique appartement du palais. Les esclaves italiens, déguisés en
Pappataci, préparent la cérémonie d’intronisation (Chœur, Pronti abbiamo
e ferri e mani). Isabella les exhorte au courage, ainsi que Lindoro, en leur
rappelant que bientôt, ils reverront l’Italie (Rondò, Pensa alla patria).
La cérémonie commence (Finale, Dei Pattaci s’avanza il coro). Mustafà,
déguisé en Pappataci, répète les formules du serment lues par Taddeo : il
s’engage à boire et à manger sans se soucier de ce qu’il verra ou entendra.
C’est ainsi qu’il supporte les serments d’amour échangés, sous ses yeux,
par les deux amants et qu’il ne manifeste aucune inquiétude en voyant, par
la loggia, un navire aborder le rivage et tout le monde embarquer, y compris Taddeo, pourtant désillusionné sur les sentiments d’Isabella envers lui.
Le Bey, ramené à la réalité par Elvira, Zulma, Haly et les eunuques
qu’Isabella a enivrés pour les neutraliser, demande pardon à sa femme et
renonce aux Italiennes.
NOUVEAUTÉ ET CONTINUITÉ
Le livret d’Angelo Anelli, dramma giocoso en deux actes, appartient au
genre de l’opera buffa. Ce genre typiquement italien trouve ses origines
dans les intermezzi comiques du XVIIIe siècle qui entrecoupaient les opera
seria. Ils mettaient en scène quelques personnages placés devant le rideau
pour divertir les spectateurs pendant les changements de décor. Ces courtes pièces étaient bien souvent écrites en dialecte, et empruntaient leurs
personnages à la commedia dell’arte ou au prosaïsme de la vie quotidienne. D’un ton léger, voire populaire, elles alliaient gaîté et critique traditionnelle des mœurs. Elles faisaient la part belle aux voix de basse. En se développant, ces œuvres comiques prirent la dénomination d’opera buffa. On
18
D’autres passages concernent plus précisément l’action : dans l’opera
buffa, contrairement à l’opera seria, la musique n’a pas pour fonction de
décrire un état ou une émotion, mais elle prend en charge l’évolution dramatique. D’où la nécessité d’une flexibilité formelle pour se plier aux
besoins du moment. La structure traditionnelle d’un numéro musical, en
deux parties avec un cantabile introductif et une cabaletta plus rapide,
subit des modifications par l’introduction d’autres sections formelles, de
personnages supplémentaires ou bien du chœur. Par exemple, la cavatine
d’Isabella, Per lui che adoro, insère les commentaires des trois hommes
ayant chacun une relation différente avec la jeune femme. Le même principe se retrouve dans son grand rondò, Penso a la patria, dans lequel elle
s’adresse aux différentes personnes qui l’entourent.
La révision opérée, à partir de la partition autographe de l’œuvre, a permis
de restituer une orchestration plus légère, et plus brillante : les trombones
et les timbales que l’usage avait imposés retrouvent les deux piccolos
originels, davantage inscrits dans un esprit mozartien. Rossini reconstitue
un Orient complètement imaginaire qui lui permet de créer un comique
détaché des contingences prosaïques et qui va caractériser certaines de ses
œuvres ultérieures. Stendhal, écoutant L’Italiana affirme, plein d’enthousiasme, que cette musique « fait oublier toute la tendresse du monde ». Les
duos Taddeo-Isabella et Mustafa-Lindoro, annoncent ceux de FigaroRosina et Figaro-Almaviva, d’autres passages préfigurent les trios et quintettes du Barbier. Avec la Cenerentola, ces trois partitions ont en commun
de confier à une voix grave, le rôle principal en raison de la prédilection de
Rossini pour une couleur de voix chaude et sombre, que la créatrice du rôle
d’Isabella, grande contralto, avait su lui faire apprécier. Les deux sœurs de
la Cenerentola rappellent, par leurs caractéristiques vocales, les personnages d’Elvira et de Zulma. Comme dans les deux autres opéras, le chœur est
formé exclusivement de voix masculines.
Les quelques modifications apportées par Gaetano Rossi, déjà librettiste de
Tancredi, au livret d’Anelli, semblent traduire un choix délibéré du compositeur : rajout, par exemple, du duo entre les deux amants qui, par ailleurs,
ne sont pratiquement jamais seuls dans L’Italienne, comme cela se reproduira dans le Barbier pour Rosine et Almaviva/Lindoro. Dans le livret
original, à la scène 2 de l’acte I, Taddeo apparaissait le premier hors du
navire et avait droit à une cavatine avant même l’arrivée de l’héroïne.
Rossini, au contraire, met à l’honneur l’héroïne en lui donnant la parole la
première. Dès son entrée, dans un rajout à la cavatine d’origine, Isabella
affirme son savoir-faire à l’égard des hommes, adresse qui sera confirmée
dans son air du second acte, entièrement rajouté par Rossini. Chez Anelli,
27
rien n’est prévu pour que se produisent les moments de pure folie musicale qui couronnent les grands ensembles de Rossini au finale de l’acte I,
Nella testa ho un campanello, et le quintette, Sento un fremito, à l’acte II,
si caractéristique du style Rossini, au point d’en constituer sa marque de
fabrique.
La brièveté du temps qui lui est accordé pour écrire son nouvel opéra
oblige le compositeur à confier la préparation de tout le recitativo secco à
un collaborateur non identifié, ainsi que l’air d’Haly, Le femmine d’Italia,
et probablement l’air Oh, come il cor di giubilo de Lindoro. Le reste de la
partition, de la main de Rossini, fut écrit à une vitesse éclair, avec une exubérante énergie créatrice, comparable à celle qui donnera naissance au
Barbiere di Siviglia en 1816. Mais ce n’était pas chez lui, un choix délibéré. Stendhal a beaucoup fait pour accréditer sa réputation de paresse. Il le
décrit comme un dilettante occupé à goûter avant tous les plaisirs de la vie,
repoussant sans cesse le moment de se mettre à sa table de travail pour
accomplir sa tâche à la dernière minute, dans la fièvre de l’urgence. Or
Rossini savait prendre le temps de revoir soigneusement ses partitions.
Simplement, quand les délais imposés étaient brefs, son génie et son habileté technique faisaient merveille.
LES PERSONNAGES
C’est la musique qui caractérise chaque personnage. Ainsi l’entrée tonitruante de Mustafà, qui suit les plaintes de son épouse concernant le fait
qu’il la délaisse, laisse imaginer un tyran domestique redoutable et assez
féroce. Rossini dépeint les prétentions à la galanterie et les forfanteries du
Bey concernant sa façon de dompter « l’arrogance des femmes », Delle
donne l’arroganza, dans un faux style héroïque qui parodie les airs les plus
raffinés à l’écriture très ornementée, avec de redoutables coloratures, style
habituellement réservé aux héros des opera seria. Obnubilé par l’idée de
posséder l’une de ces fabuleuses Italiennes dont il rêve, et apprenant
l’arrivée d’Isabella, Mustafà se lance d’emblée dans un grand air, Già
d’insolito ardore nel petto, mêlant à la manière inimitable de Rossini,
bouffonnerie, élégance et virtuosité. Mustafà annonce les Falstaff et Baron
Ochs, vieux galants ridicules. Rossini s’amuse à prêter à une basse profonde les fioritures stylistiques habituellement réservées au jeune premier
amoureux, c’est-à-dire à un ténor léger.
Cette incongruité laisse déjà entendre que le Bey n’est pas à sa place dans
ce jeu de séduction et d’autorité. On le mesure encore, dans la précipitation
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Une petite salle du palais. Lindoro a accepté d’épouser Elvira contre la
promesse de pouvoir retourner en Italie. Haly annonce au Bey la capture
d’une Italienne. Mustafà, déjà amoureux, sort pour aller à sa rencontre
(Air, Già d’insolito ardore), tandis que Lindoro annonce à Elvira et à
Zulma que le navire qui doit les emmener en Italie, est prêt à appareiller.
Mais Elvira veut revoir son époux.
Une magnifique salle du palais. Isabella éblouit le Bey par sa beauté et,
dissimulant sa répugnance (Oh !Che muso, che figura !), elle flatte habilement Mustafà et réussit à faire libérer Taddeo, menacé d’empalement.
Surviennent Lindoro, Elvira, Zulma, venus faire leurs adieux au maître des
lieux. Isabella, un moment désarçonnée, exige et obtient que Mustafà garde
sa femme et qu’il lui donne Lindoro comme esclave. La stupéfaction générale s’exprime dans l’étourdissant finale de l’acte I (Strette, Va sossopra il
moi cervello).
Second acte
Une petite salle du palais. Elvira, Zulma, Haly et les eunuques ironisent
sur la soudaine docilité de Mustafà (Introduction, Uno stupido, uno stolto).
Le Bey ordonne aux deux femmes d’annoncer à Isabella qu’il va prendre
le café avec elle. Après leur sortie, entrent les deux amants. Lindoro ayant
dissipé les soupçons d’Isabella sur sa trahison supposée, celle-ci décide
d’imaginer un plan pour fuir Alger. Lindoro laisse éclater sa joie (Cavatine,
Oh, come il cor di giubilo).
Mustafà, pour s’assurer les faveurs d’Isabella, élève Taddeo au rang de
« grand Kaimakan », Protecteur des Musulmans. Acclamé par le chœur
(Chœur, Viva il grande Kaimakan), Taddeo toujours craignant le pire pour
sa personne, accepte ces honneurs ridicules (Aria, Ho un gran peso sulla
testa).
Un magnifique appartement du palais. Alors qu’Isabella s’habille à la
turque devant un miroir, Elvira lui annonce la prochaine venue du Bey.
Scandalisée par tant de soumission, l’Italienne décide d’apprendre à
l’épouse bafouée comment il faut traiter les hommes. Se sachant observée
par Mustafà, Isabella feint de se faire belle pour lui (Cavatine, Per lui che
adoro), avant de sortir. Le Bey, totalement enflammé, entre accompagné de
Lindoro et de Taddeo. Il ordonne à ce dernier de rester pour l’aider à amadouer la jeune femme (Quintette, Ti presento di mia man), puis de sortir
quand il se mettra à éternuer. Mais, au signal convenu, le jaloux Taddeo fait
la sourde oreille au grand amusement d’Isabella et de Lindoro. Mais quand
la jeune femme invite Elvira à prendre le café avec eux, le Bey rendu
17
Une petite salle du palais de Mustafà, Bey d’Alger. Elvira (soprano),
épouse délaissée par ce dernier, confie à sa confidente Zulma (mezzosoprano), sa douleur. Les eunuques (ténors et les basses), en guise de
consolation, lui affirment que le sort des femmes d’Orient est de souffrir
(Introduction, Serenate il mesto ciglio). Mustafà (basse) entre et confirme,
en la rabrouant, qu’il en a assez de cette femme trop soumise. Resté seul
avec Haly (basse), le capitaine de ses corsaires, il lui fait part de ses projets : donner Elvira en mariage à son favori Lindoro, jeune italien, son
esclave depuis trois mois, et se remarier avec une Italienne au tempérament
de feu que les corsaires sont chargés de capturer immédiatement. Lindoro
(ténor), fort affligé d’être séparé de sa belle restée en Italie (Cavatine,
Languir per una bella), tente en vain de se soustraire à cette proposition
(Duo, Si inclinassi a prender moglie).
Une plage. Les Corsaires s’emparent d’un navire brisé par la tempête sur
un récif et ramènent à terre butin et prisonniers (Chœur, Quanta roba !
Quanti schiavi !). Parmi eux, Isabella (contralto) partie à la recherche de
Lindoro. Elle comprend rapidement qu’elle doit user de toutes les ruses
féminines pour se sortir de cette situation (Cavatine, Cruda sorte ! Amor
tiranno !). Elle décide de faire passer son compagnon de voyage, Taddeo,
son éternel soupirant, pour son oncle. Haly annonce à la jeune femme
qu’elle sera la favorite du Bey, ce qui déclenche la jalousie de Taddeo.
Isabella lui rappelle vertement qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour échapper aux dangers qui les menacent (Duo, Ai capricci della sorte).
qu’il met pour se débarrasser de sa femme : sa faiblesse rhétorique le met
à la merci de plus retors que lui. En effet, pour convaincre Lindoro, réticent à l’idée de partir avec Elvira, Mustafà en vient à vanter la beauté et la
douceur de caractère de son épouse, retournant sans s’en rendre compte
toute son argumentation qui justifiait qu’il veuille s’en débarrasser sans
plus attendre. Mustafà se fait pressant tandis que Lindoro, cherche toutes
les échappatoires possibles. Cette situation ridicule est pourtant prétexte à
une des plus belles pages de l’opéra, le duo Se inclinasi a prender moglie.
Le renversement des rapports de force entre le Bey et ceux qui sont censés
lui être soumis, se fait sentir d’abord dans le traitement musical. Les
pirates, en découvrant Isabella, à l’acte I, s’exclament È un boccon per
Mustafa, « Quel morceau de choix pour Mustafa ». Lorsque le Bey, introduit dans le grand ordre des Pappataci, dans la scène finale de l’opéra, boit
et mange imperturbablement pendant qu’Isabella échange des serments
d’amour avec Lindoro, le chœur marque alors sa satisfaction et son approbation, en utilisant la même musique que celle du premier acte qui saluait
le pouvoir de Mustafà. Seul le texte change, Bravo, ben : cosi si fa. Cette
intervension consacre le triomphe de l’Italienne. Simplement, mais efficacement Rossini nous fait comprendre que le bras de fer entre Mustafà qui
avait visé une proie trop difficile à capturer pour lui et Isabella se termine
en faveur de la « faible » femme.
Mustafà le comprend plus ou moins confusément et il laisse exploser, à de
multiples reprises, son exaspération. La tonalité comique, propre à Rossini,
reprend le dessus. C’est ce qui provoque la confusion du finale du premier
acte que n’avait pas imaginée Anelli. Si l’on en croit Stendhal, parlant de
l’effet produit, lors de la Première à Venise, par l’Allegro vivace conclusif
de l’acte I, « les spectateurs ne pouvaient plus respirer, et s’essuyaient les
yeux. » Dans une tradition ancienne de l’opera buffa qui remonte au moins
à Pergolèse, les chanteurs ne chantent pas des mots mais des sons inarticulés pour exprimer la confusion que provoque la situation sur eux : chaque
personnage compare son état d’esprit à un instrument à percussion, cloche,
marteau, tambour, mais chaque son est intégré à un cadre tellement précis
que le chaos, la « folie organisée », est en fait prévue jusque dans ses moindres détails. Les ding ding, tac-tac, et boum boum qui menacent de faire
éclater la tête des protagonistes constituent, à la fois, l’apogée et la conclusion du Finale. Rossini, avec son grand sens théâtral, avec à propos, écrit
là la più mossa (la plus agitée) des pages. Cet ensemble constitue un des
chefs-d’œuvre de Rossini ; comme dans les finales de Mozart, chaque
section renferme un nouvel incident dans une humeur musicale entièrement nouvelle. Aussi plus l’action avance et plus l’intrigue se complique
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29
L’INTRIGUE
Il Giornale Dipartimentale dell’Adriatico, paru le lendemain de la création
de L’Italiana, résume l’action de façon lapidaire : « un fanfaron qui maltraite les femmes et en a assez de sa femme, qui tombe dans le piège d’une
femme dégourdie qui en fait son souffre-douleur, le déçoit pour s’enfuir
enfin avec son véritable amant. » L’œuvre appartient au genre de l’opéra
bouffe, c’est dire qu’elle n’a aucune prétention réaliste ni psychologique ;
le but est de jouer sur les poncifs concernant les rapports entre pouvoir et
esclavage, entre hommes et femmes, pour mieux les subvertir et divertir le
public.
Premier acte
jusqu’à la section finale qui est l’expression de la totale confusion dans
laquelle l’habile librettiste et le compositeur aiment laisser les spectateurs
avant le baisser de rideau.
Les deux scènes d’investiture de Taddeo en tant que Kaïmakan (ou vicegouverneur) de Mustafà, et de Mustafà comme Pappataci sont également
remarquables. Ces derniers apprennent tellement bien leur leçon que les
amants s’échappent à la barbe de Mustafà, alors que Taddeo, tout autant
baffoué, se traîne mortifié. Grâce à l’ingéniosité d’Isabella, l’habit de
Pappataci transforme le monarque tonitruant et arrogant, en pantin désarticulé, incapable de se mouvoir et de réfléchir, répétant mécaniquement les
phrases soufflées par Taddeo. La musique de Rossini souligne la transformation par une vertigineuse démonstration de verve rythmique, d’une
bouffonnerie musicale inégalée.
Lindoro, l’homme que veut retrouver Isabella, alors qu’il est esclave
depuis trois mois dans le palais du Bey, se présente comme un personnage
doux et sentimental, caractère que révèle son air d’entrée, la belle cavatine
d’une redoutable difficulté, avec cor d’harmonie obligé. Dans un style très
romantique, elle dépeint trois états d’âme : Languir per una bella exprimant une sorte de plaisir à soupirer après une amante éloignée ; Forse verà
il momento traduit, par une fougueuse exclamation, l’espoir de revoir sa
belle ; Contenta quest’alma revient sur le bonheur de penser toujours à
elle. L’air est accompli avec toutes les ornementations qui expriment les
différents sentiments éprouvés de la tristesse à la joie. Mais Rossini ne s’intéresse pas particulièrement au sort du personnage. Il confie même son
second air, la cavatine, Ah ! come il cor di giubilo, avec haubois obligé
(souvent omis), où Lindoro chante le bonheur d’être aimé, à un collaborateur. A la reprise de Milan, en 1814, il le remplace par un autre, cette fois
de sa composition, Concedi, amor pietoso. Personnage assez passif,
comme le montrent ses accents langoureux, Lindoro subit la volonté du
Bey qui lui impose de partir avec son épouse : pour se sortir du piège de
cette situation délicate, Lindoro prétend qu’aucune femme ne peut avoir les
qualités qu’il recherche, mais il s’enferre car l’autre a beau jeu d’assurer
qu’Elvira correspond à toutes ses attentes. Lindoro, se rendant compte que
sa tactique se retourne contre lui, se lamente, Ah mi perdo, mi confondo,
mais ne peut trouver d’échappatoire. D’une façon semblable, quand il
retrouve Isabella, c’est elle qui prend en main les modalités de la fuite. Elle
invente le stratagème pour neutraliser Mustafà et s’occupe du ralliement
des esclaves italiens. Suivant un principe farcesque bien établi, les qualités
viriles et la fragilité féminine subissent une permutation entre les deux pro30
figure de l’Oriental sert à dévoiler à l’Occidental, un visage de lui-même
qu’il ignore, aveuglé qu’il est par ses préjugés. Le regard jeté par les
Persans de Montesquieu sur la société parisienne du XVIIIe siècle, révèle
au lecteur français des Lettres persanes que le comportement le plus exotique et le plus étranger à la raison n’est peut-être pas celui des voyageurs
exotiques qui découvrent, sans les comprendre, les mœurs de leurs hôtes
parisiens. Dans L’Enlèvement au sérail, le Pacha Selim retient prisonnière
Constantza dont il est amoureux, tandis que Belmonte, introduit clandestinement dans les lieux, cherche à la libérer. Alors qu’il le tient à sa merci,
le maître du sérail apprend qu’il est le fils du gouverneur d’Oran, alors ville
espagnole, qui assassina autrefois son père. Selim renonce à tirer vengeance de la situation. Magnanime, il permet au jeune homme de repartir
avec Constantza. Mozart dote son personnage oriental d’une grande
sagesse humaniste, dénonçant ainsi l’effet toujours destructeur de la passion, qu’elle soit amoureuse ou politique.
Mais s’il est parfois magnifié, la figure du Turc est aussi ridiculisée.
Molière en donne un exemple dans la cérémonie d’intronisation du
Bourgeois gentilhomme dans l’ordre des Mamamouchis. Petite vengeance
du Roi Soleil, sans doute, après le scandale provoqué par l’arrogance de
l’ambassadeur turc, Soliman Aga, en visite à la cour de Louis XIV, en
1669. Cette scène burlesque génère, sans doute, celle au cours de laquelle
Mustafà devient Pappataci, au dénouement de L’Italienne.
Depuis la fin du XVIIe siècle, la musique reflète le goût pour l’Orient : la
comédie-ballet du Bourgeois Gentilhomme (1670), avec une musique de
Lully participe à l’élaboration des traits caractéristiques de l’exotisme
musical et théâtral qui perdure tout au long du siècle suivant.
D’autres œuvres s’inscriront dans ce courant, comme la très célèbre
Marche turque de Mozart (troisième mouvement alla turca de la Sonate
pour piano en la majeur K. 331), datée de 1778. L’opposition du mineur et
du majeur, les motifs rapides, et l’imitation du tambour participent de cette
stylisation musicale. Sans oublier Die Entführung aus dem Serail de 1782
où la tonalité « turque » est donnée par des instruments -piccolo, timbales,
triangle, cymbales, grosse caisse-, dès les premiers accents de l’ouverture.
Si le livret d’Anelli s’inscrit dans la veine des œuvres littéraires et musicales déjà citées, elle en inverse cependant les conventions dans un effet de
dérision qui redonne du sel à une histoire rebattue.
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vira de départ à toutes les intrigues mettant en scène de belles Européennes
emprisonnées dans un harem dont elles séduisent le maître, au point de le
réduire à leur merci. Les femmes européennes n’hésiteront pas à se faire
représenter en odalisques ou en sultane comme la Pompadour peinte par
Charles-André van Loo en 1747. Le thème est toujours dans l’air du temps
à l’époque de L’Italiana, comme le montre le tableau quasi contemporain,
La Grande Odalisque de J. A. D. Ingres, de 1814.
Tous les artistes du XIXe siècle rêveront de cet Orient, paradis perdu,
espace mystérieux et secret que symbolise le harem, source de tous les
fantasmes masculins. Le voyage en Orient, réel ou imaginaire, devient un
passage obligé. C’est au début du XIXe siècle que le terme «orientalisme»
fait son apparition. Compromis entre fiction et réalité, il donne lieu à des
représentations parfois fantaisistes d’un Orient tout droit sorti des Mille et
Une Nuits : Damas et ses palais, Constantinople et ses harems… Victor
Hugo pourra écrire, en 1829 dans sa préface des Orientales : « Au siècle
de Louis XIV, on était helléniste, maintenant, on est orientaliste. » Et
Gérard de Nerval d’ajouter que le « Voyage en Orient », c’est le retour
aux sources, vers « notre berceau cosmogonique et intellectuel ».
Barbaresque ou burlesque ?
Les échanges avec la Méditerranée s’intensifiant, l’attention se focalise sur
Alger dont la Régence forme, avec celles de Tunis et de Tripoli, le trio des
« régences barbaresques » de l’Empire ottoman pendant trois siècles. Les
puissances occidentales cherchent tous les moyens pour se débarrasser de
la piraterie maritime et de la réduction en esclavage de leurs ressortissants
capturés, problème toujours d’actualité au début du XIXe siècle. Peu après
les créations de L’Italienne à Alger et du Turc en Italie, les expéditions
contre Alger se succèdent : américaine en 1815, hollandobritannique en 1816, qui permettent de délivrer de nombreux esclaves sans faire
cesser les attaques barbaresques. Seule la conquête de la future Algérie par
la France -c’est elle qui donne ce nom à ce territoire divisé en multiples tribus-, à partir de 1830, y mettra fin.
Ce tropisme pour la Sublime Porte, générée par ses démonstrations de
force et par son mode de vie si différent des sociétés chrétiennes, prend
deux formes d’expression opposées, mais en fait complémentaires : celle
de l’admiration et celle de la dérision. Le Turc devient la figure d’une
sagesse perdue en l’Occident : grisés par un sentiment de supériorité que
les philosophes jugent souvent mal fondé, les Européens auraient oublié
des vérités essentielles. Candide reçoit, d’un vieux Turc, la recette essentielle d’un semblant de bonheur : « Il faut cultiver notre jardin ». En fait, la
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tagonistes. L’effet comique était imparable dans l’heureux temps où l’on
croyait encore à la spécificité des sexes !
Taddeo, vieux soupirant et compagnon de voyage d’Isabella, incarne le
chevalier servant, le sigisbée, ici entre deux âges, dont toute Italienne qui
se respecte a besoin. Il est en fait, son souffre-douleur, car il rêve d’épouser l’héroïne. Mais il est vite ramené à sa fonction de bouffon. On ne peut
que rire de sa couardise et du châtiment qui ne pèse pas exactement sur sa
tête. Ses craintes le mettent en état d’infériorité par rapport à l’intrépide
Isabella. Celle-ci marque rapidement son impatience à son égard dans le
duetto, Ai capricci della sorte : les deux voyageurs se querellent, chacun
attendant son tour pour laisser éclater sa colère. Isabelle préfèrerait plutôt
affronter le Turc que son compagnon qui ne cesse de s’inquiéter sur le sort
d’Isabella dans le harem, crainte qu’il exprime dans une caractéristique
répétition rossinienne. Mettant fin à leur querelle, Donna Isabella ? Messer
Taddeo ?, ils partent en en captivité comme oncle et nièce, ce qui affaiblit
encore sa position d’amoureux.
L’aria qui lui revient, lors de son intronisation comme Kaïmakan, Ho un
gran peso sulla testa, est traitée comme le sera celle du Bartolo du Barbier
ou du Don Magnifico de la Cenerentola : au-dessus d’un accompagnement
qui fournit un simple contrepoids harmonique et d’une mélodie orchestrale qui semble animée d’un mouvement perpétuel, Taddeo, dans son
étrange habit turc et son énorme turban sur la tête, loin de se réjouir de sa
nouvelle distinction, se désole davantage, contrairement aux réactions
attendues en pareil cas, tandis que le chœur se montre de plus en plus
enthousiaste pour cette récompense. Risquant l’empalement s’il dévoile
ses sentiments pour Isabella, il continue à pleurer en remerciant pour ce
grand honneur. Il déclame son texte en utilisant tous les clichés du répertoire bouffe. Boniment rapide, écarts d’intervalles exagérés, tournent en
ridicule ses prétentions. Le malheureux est acculé à un choix impossible :
aider Mustafà à gagner la main d’Isabelle, ou bien être empalé, supplice
particulièrement humiliant dont la menace achève de le ridiculiser. Dans le
cérémonial d’intronisation du Bey au rang de Pappataci, Taddeo ânonne
mécaniquement le règlement auquel doit se soumettre le nouvel élu qui,
tout aussi mécaniquement, applique les consignes. Tous deux sont réduits
à l’état de marionnettes et n’ont aucune prise sur les événements. Quant
Taddeo comprend enfin la situation, le même dilemme que précédemment
se répète : avertir Mustafà de la fuite des amants et risquer le pal, ou rejoindre les fuyards et « tenir la chandelle ».
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Personnage central de l’œuvre, pôle d’attraction pour les trois principaux
protagonistes mâles de la pièce, l’Italienne est en même temps le substitut
de l’auteur, du metteur en scène, et la principale actrice : elle conçoit le
stratagème qui doit permettre la fuite des prisonniers, elle manipule, au fur
et à mesure des péripéties, les différents personnages pour qu’ils agissent
comme elle le désire et que son projet aboutisse ; de plus elle joue la comédie -exemple de théâtre dans le théâtre-, à Mustafà et à Taddeo pour les
amadouer. Aveuglés par leur passion, le Bey et le faux oncle ne prennent
conscience de ses ruses que lorsqu’il est trop tard. L’air d’entrée de l’héroïne, traduit parfaitement toutes les facettes de sa personnalité : quand la
bande des corsaires arrive sur le lieu du naufrage, Isabella, telle Vénus surgissant de la mer, apparaît comme le symbole de la séduction féminine.
Son premier air la révèle tout entière : d’abord, dans une tonalité sombre,
Cruda sorte, elle se plaint de la cruauté du sort, avant d’avoir une tendre
pensée pour son amant absent, Per te solo, puis se révèle son trait dominant, la coquetterie. Isabella sait utiliser l’effet, à coup sûr, ravageur de ses
regards langoureux sur tous les hommes puisque, selon elle, ils se ressemblent tous. On la voit à l’œuvre auprès de Lindoro, qu’elle aime, du Bey
Mustafà et de Taddeo, qu’elle berne. Mais elle dicte la conduite et impose
sa loi à chacun d’eux. Elle sait quel usage elle peut faire de son pouvoir de
séduction mis habilement au service de sa ruse. Reprenant confiance en
elle, elle proclame, Già so per pratica : le sort ne peut rien contre quelqu’un qui peut mener les hommes à sa guise. La musique joyeuse de la
cabalette n’a plus rien à voir avec le désespoir premier de la naufragée
échouée sur les côtes barbaresques.
Aussi est-elle toujours en représentation, assumant une multiplicité d’identités dont elle change suivant l’interlocuteur : grande amoureuse avec
Lindoro auquel elle réserve ses seuls moments de tendresse ; maîtressefemme avec Taddeo ; enjôleuse avec Mustafà ; complice avec Elvira dont
elle veut faire l’« éducation » d’épouse. Certains personnages se voient
ainsi, tour à tour flattés par ses cajoleries ou rejetés de façon menaçante par
elle : Isabella séduit et ridiculise Taddeo et Mustafà, en les enfermant dans
des situations plus burlesques les unes que les autres. La duplicité du
personnage se traduit musicalement dans la scène où elle rencontre
Mustafà : l’Italienne, qui a été accueillie par le chœur, dans une tonalité
presque religieuse pour célébrer sa beauté, manifeste, dans un contraste
marqué, la répugnance que lui inspite le Bey, Che muso, che figura ! Mais
elle dissimule ses sentiments pour lui adresser une supplique théâtrale,
Maltrattata della sorte. Tous deux se réjouissent : Mustafà de sa beauté,
Isabelle de l’impression qu’elle a visiblement produite sur lui et qui favo-
tistes brodent à loisir sur cet archétype : une belle Italienne, retenue
comme esclave dans le sérail d’un prince ottoman, parvient à s’enfuir grâce
à son amant venu la rejoindre. Le goût pour l’exotisme oriental n’est pas
nouveau et le sujet s’inscrit dans une mode culturelle qui traverse de
longues décennies et s’exprime sous différentes formes artistiques.
En effet, entre histoire et légende, entre fascination et répulsion, les relations entre les pays de l’Europe et l’Empire ottoman furent complexes,
depuis le début des temps modernes et particulièrement dans l’espace
méditerranéen, lieu de partage, dans le double sens d’échange et de
confrontation, entre sa rive nord chrétienne et sa rive sud soumise à
l’expansionnisme musulman, aux VIIe et
VIIIe siècles. Les conquêtes de l’Islam provoquent la conversion ou l’asservissement des
chrétiens et des juifs sur leurs terres séculaires, et suscitent les premières confrontations
entre les deux univers. La tentative de reconquête des Croisades, à partir du XIe siècle, et
son échec, aggravé par la disparition de
Byzance, ne mirent pas fin aux relations problématiques avec cet espace devenu, à partir
du XIIIe siècle, une possession ottomane. Au
plus fort de son expansion, au XVIIe siècle,
cet Empire déborde largement l’Anatolie, et
s’étend sur le pourtour de la Mer Noire, les
Balkans, le Moyen-Orient actuel, la
Péninsule Arabique et l’Afrique du Nord, à
Soliman le Magnifique
l’exception du Maroc. Il tentera plusieurs percées jusqu’aux portes de Vienne et de
Moscou, sans parler de la Grèce, de Rhodes,
de Chypre et de l’Italie. Tout cela a suscité, en
Occident, un attrait et une curiosité jamais
démentis depuis l’époque des Croisades.
Si les Ottomans suscitent la crainte, certains
personnages fabuleux, comme Soliman le
Magnifique (1496-1566), fascinent. Soliman
avait brisé un tabou en épousant une esclave
de son harem, Roxelane. Fille d’un prêtre
orthodoxe, enlevée lors d’un raid en Ukraine,
elle prit un grand ascendant sur son époux.
On considère que cet épisode historique serRoxelane, l’épouse de Soliman.
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bouffe, il relie les mélodies vocales par un ornement orchestral, formant
une architecture dramatique renouvelée et clairement structurée. Malgré
quelques faiblesses et des fioritures inutiles, l’ouvrage s’impose comme un
chef-d’œuvre, notamment grâce à la cabaletta de l’air d’entrée de
Tancrède, rôle confié à un contralto travesti, « Di tanti palpiti », que de
grandes cantatrices, encore aujourd’hui, mettent volontiers au programme
de leurs récitals. Il sera parodié par Wagner dans l’acte III des Maîtres
chanteurs de Nuremberg, preuve de sa notoriété. L’œuvre innove par le
rôle important accordé aux instruments à vent, l’éloquence et le brillant de
l’orchestration. En quatre années, la France exceptée, l’opéra fait le tour du
monde.
La Pietra avait fait la réputation de Rossini, Tancredi lui apporte la gloire.
L’ITALIENNE À ALGER
L’admiration suscitée chez les Vénitiens par Tancredi, pousse le directeur
du théâtre San Benedetto, troisième théâtre de Venise, à lui commander,
deux mois plus tard, un nouvel opéra, en lieu et place de la reprise de La
Pietra del paragone. Il devait accompagner la création d’un nouvel ouvrage de Coccia. Ce dernier n’ayant pu le rendre à temps, l’impresario Gallo
propose à Rossini de travailler sur un livret d’Angelo Anelli, déjà mis en
musique par Luigi Mosca (1775-1825), célèbre compositeur napolitain,
auteur de dix-huit opéras bouffes, dont celui-ci, créé à La Scala de Milan,
en 1808 et intitulé L’Italiana in Algeri. La nouvelle version est bouclée en
vingt-sept jours par Rossini qui fait opérer quelques rajouts, sans doute par
le librettiste officiel du théâtre, Gaetano Rossi. Ce sont par exemple les
onomatopées -dindin, bumbum, crà crà, tac tà-, qui provoquent les effets
rythmiques étourdissants du finale du premier acte.
Les turqueries, genre littéraire, pictural et musical
Non seulement, Rossini ne choisit pas son sujet, mais on ne peut pas dire
qu’il soit original. Comme son titre l’indique, L’Italiana in Algeri, l’action
de cet opéra bouffe se passe à Alger et se présente comme une « turquerie », genre florissant en Italie à partir de la seconde moitié du XVIIIe
siècle. L’action reproduit l’intrigue de plusieurs œuvres théâtrales précédentes, comme Il Serraglio di Osmano (1784) de Gazzaniga, et Gl’intrighi
del serraglio (1795) de Paër qui suivent le modèle insurpassé du chefd’œuvre de Mozart, L’Enlèvement au sérail de 1782. Les différents libret12
rise la ruse de la séductrice.
Plus significativement encore, Isabella s’adresse à ses trois prétendants à la
fois, quand ils l’observent à la dérobée, ravis et attentifs, alors qu’elle
s’habille à la mode turque. Sachant qu’ils sont là, elle se lance dans un
grand numéro d’enjôleuse. Elle s’exprime de telle façon que chacun d’eux
se persuade qu’il est concerné par sa déclaration d’amour, Per lui che
adoro. À l’instar de Suzanne, dans Les Noces de Figaro, qui se sait observée par Figaro et chante pour lui faire croire qu’elle aime le comte, Deh
vieni, mais se laisse submerger par son sincère et profond amour pour
Figaro, Isabella, dans cette scène, chante pour les indiscrets qui l’observent
mais exprime son réel et tendre amour pour Lindoro. L’air existe en deux
versions, toutes deux authentiques. Elle fut originellement conçue par
Rossini, avec une magnifique partie de violoncelle solo pour l’accompagnement d’Isabella. Lorsqu’en 1814, l’opéra fut repris dans un petit
théâtre, le Teatro Re, qui ne devait pas disposer d’un violoncelliste, on lui
substitua une flûte.
Chacun des hommes est ravi (Mustafà), inquiet (Taddeo) ou pris de doute
(Lindoro) mais ils sont réunis par une commune admiration pour une telle
femme, Una donna come lei non vidi ancor. Isabella, à l’image de son
créateur, possède une foi absolue dans ses talents propres et comme lui, elle
ne doute jamais d’elle-même. Par le traitement musical, qui rend sensible
le caractère amoureux comme la stratégie soigneusement réglée, la scène
dénuée de toute sentimentalité, à la Donizetti par exemple, se fait le reflet,
non pas d’une réalité humaine ou sociale précise, mais d’un univers musical unique, propre à Rossini. Faute de lui donner une quelconque profondeur psychologique, cette écriture dote le personnage d’un éclat et d’une
attractivité exceptionnelle pour le public. La séduction opère sur la scène
comme dans la salle.
Mais Isabella, grâce à sa force de persuasion, remplit une autre fonction,
plus grave. Le chœur Pronti abbiamo, dans lequel les esclaves italiens et
les marins que les comploteurs ont rassemblés en renfort, expriment leur
détermination de recouvrer leur liberté. Pour les convaincre de la suivre,
Isabella fait appel à leurs sentiments patriotiques. Son exhortation, Pensa
alla patria, dont les paroles et la musique allèrent droit au cœur des Italiens
du début du XIXe siècle, a certainement été conçue, à cet effet, par Rossini.
Le charmant badinage de cet opéra devient un courageux chant patriotique
et l’expression d’un appel à la liberté italienne. Comme dans Guillaume
Tell qui sera son véritable hymne à la liberté, comme plus tard chez Verdi,
qui naît la même année 1813, Rossini glissent quelques accents nationalistes dans ce chœur. Il rappellera dans une lettre de 1864, cinquante ans
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plus tard et après l’unification de l’Italie, combien il avait composé ces
lignes avec ferveur. Les guerres napoléoniennes avaient réveillé, avant de
l’anéantir, le rêve d’une Italie unifiée, à une époque où elle était encore
constituée d’états quasi indépendants, pour la plupart sous domination
étrangère. Le rondò d’Isabella prend alors une allure subversive, aux yeux
de la censure et, quand il ne fut pas parfois supprimé, il fallut en modifier
le texte, en plusieurs occasions. A l’origine patria ne désignait que la ville
dont on était originaire et ses environs ; plus tard, il prendra une nouvelle
connotation plus politique et désignera l’Italie tout entière et son aspiration
à l’unité. À Naples, où Rossini présenta L’Italiana en 1815, juste après la
Restauration de la monarchie des Bourbons, il fut contraint d’écrire pour
Isabella un air totalement différent : Sullo stil de’viaggiatori, pièce assez
plaisante qui reprend un thème de l’ouverture, mais sans rapport avec la
force d’entraînement de l’air d’origine. Le public romain, sur la musique
d’origine, entendit Pensa alla sposa, Pense à l’épouse. Mais, là encore, la
musique reste signifiante au-delà du sens des mots : dans le petit chœur qui
précède l’air d’Isabella, les esclaves italiens chantent, Quanto valian
gl’Italiani al cimento vedrà, « C’est dans l’épreuve que l’on verra le courage des Italiens », Rossini ajoute à l’accompagnement d’orchestre un
thème très bref, joué aux violons et aux flûtes, référence à peine voilée à
l’hymne révolutionnaire français, La Marseillaise. Cette comédie échevelée, la plus joyeuse et la plus exubérante du répertoire de tout l’opéra bouffe, cette « folie organisée et complète », possède donc sa face sérieuse.
C’est l’habileté dont Rossini fait preuve à maintenir toutes ces forces en un
parfait équilibre qui donne à L’Italiana in Algeri son caractère particulier.
Rossini, à peine âgé de vingt ans, devient un maestro di cartello (tête
d’affiche), dont le nom suffit à remplir une salle. L’Occasione fa il ladro
est la quatrième farce donnée cette année à Venise, sur une intrigue proche
de celle du Jeu et du hasard de Marivaux : une jeune fille change de nom
et d’emploi avec sa camériste pour mieux connaître son prétendant. Dans
la seule année 1812, Rossini a écrit six opéras à succès, dont quatre nouvelles farces pour le théâtre San Moisè de Venise, spécialisé dans ce genre
mineur, dérivé de l’intermezzo du XVIIIe siècle, c’est-à-dire une petite
pièce gaie entre deux actes d’une tragédie. Elle ne comporte qu’un acte et
un petit nombre de personnages. Rossini, pourtant, lui accorde le même
soin que s’il s’agissait d’ouvrages plus élaborés. Avec ce savoir-faire et
cette facilité d’écriture, le chemin de la gloire s’ouvre devant lui. Mais pour
ce faire, il lui faut encore conquérir le plus important théâtre d’Italie de
cette époque, le San Carlo de Naples.
L’année charnière
Les actes I et II se font écho dans un parallélisme formel intéressant : ils
s’ouvrent tous deux sur une scène qui rassemble les mêmes personnages,
Elvira, Zulma et le chœur des eunuques. Dans le premier, Elvira pleure sur
son sort d’épouse délaissée, avec une grâce tout droit sortie d’un opéra de
Cimarosa, tandis que sa suivante et les gardiens du harem tentent de la
consoler en affirmant que c’est le sort de toutes les femmes de souffrir.
Alors qu’un pompeux chœur, chanté par les eunuques du palais, salue
l’arrivée de Mustafà, le « fléau des femmes », qui se vante de dompter
l’arrogance des femmes et de changer un tigre en agneau. De façon ironique, on peut entendre une courte citation du « Non piu andrai » de
Mozart sur les paroles « Viva il flagel delle donne », qui achève de discréditer déjà le Bey ramené au niveau de l’immature Chérubin. Au début du
second acte, les mêmes personnages rejoints par Haly, et le chœur, sur le
même thème musical qu’à l’acte précédent, s’amusent de voir Mustafà
En 1813, trois ans après les débuts à la scène du musicien, en cinq mois, il
écrit trois œuvres qui le placent au premier rang des créateurs de son
temps : I due Bruschino, o il Figlio per azzardo, plus connu sous le titre Il
Signor Bruschino, pour le Théâtre San Moisè, Tancredi, pour La Fenice, et
L’Italiana in Algeri, pour le San Benedetto, à Venise.
Il Signor Bruschino, farce créée le 27 janvier 1813, n’est donnée qu’une
seule fois et ne sera reprise qu’en 1857, à Paris, à l’instigation
d’Offenbach. En effet, l’œuvre déconcerte : Rossini prend à contre-pied les
attentes du public, abandonnant le style sentimental pour se jouer de tous
les codes de la musique lyrique, donnant les accents de la tendresse à
l’expression de la colère et inversement. Cet humour ne fut guère compris
du public mais son nonsense annonce la folie de L’Italienne à Alger.
Rossini change alors de registre pour écrire son premier opera seria, créé
le 6 février 1813 à la Fenice de Venise, Tancredi d’après la tragédie de
Voltaire (1760) mais à laquelle il donne une fin heureuse, le lieto fine exigé
par l’une des plus anciennes règles du théâtre lyrique italien. À la première à Ferrare, il avait gardé la fin tragique de la pièce française. Le choix
d’une tragédie française et d’un héros guerrier relève d’une esthétique néoclassique qui se développe en Italie à la suite des guerres napoléoniennes.
Tancrède symbolise un soldat de Bonaparte, épris de gloire, d’aventures,
de justice et de liberté, transposé dans la Sicile du XIe siècle. Rossini innove en supprimant les longs récitatifs entre les airs et les ensembles de
l’opera seria. Il les remplace par des passages de déclamation lyrique
utiles à l’action. Empruntant les principes utilisés jusque là dans l’opéra
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11
de malle, dans une auberge, provoque une série de quiproquos. L’art du
crescendo et du decrescendo du compositeur se confirme, ainsi que l’animation de ses finales et sa volonté, déjà marquée, de choisir l’ornementation de ses mélodies et de restreindre la liberté des chanteurs sur ce point.
Installé à Ferrare, Rossini écrit Ciro en Babilonia, mi-oratorio, mi-opéra
qui raconte la chute du roi Balthazar au bénéfice de Cyrus. C’est le premier
opéra sérieux de Rossini où l’on entend les prémices de Moïse et de
Sémiramide : la cantilène d’un chœur deviendra le thème de la cavatine du
Barbier, Ecco Ridente.
Il donnera encore, à Venise, La Scala di Seta, histoire pleine de gaieté qui
rappelle Le Mariage secret de Cimarosa. Son ouverture sera très appréciée,
comme l’inventif trio d’introduction et le sextuor final. L’expression sentimentale est réservée aux jeunes premiers, soprano et ténor, et le jeu est
mené par un baryton qui annonce Figaro.
À l’automne 1812, la Scala de Milan donne La Pietra del Paragone (La
Pierre de touche), d’un style bouffe léger et spirituel d’où se détachent une
cavatine, le quatuor du second acte et le trio du duel comique. Plusieurs
numéros de la partition passeront dans la Cenerentola (1817). Le livret est
excellent opposant, à la tendresse et à l’élégance du personnage de Clarice,
la bouffonnerie et le ridicule de Macrobio, journaliste présomptueux et
vénal, et de Pacuvio, poète sans talent. Chacun des protagonistes est croqué de façon désopilante. L’aria grotesque de Pacuvio « Ombrettta sdegnosa del Mississipi, pìpì, pìpì » inaugure l’un de ces jeux de Rossini sur
les mots et les sonorités dont il se montrera si friand. Le public, ravi, s’en
empare comme d’un refrain populaire. Servi par d’excellents chanteurs,
cette œuvre est considérée par Stendhal comme son chef-d’œuvre. En effet,
le génie rossinien révèle une légèreté proche de Mozart et de Cimarosa,
mais avec un style totalement personnel. L’orchestre déborde d’énergie,
notamment dans une scène d’orage parfaitement réussie et qui sera reprise
dans Le Barbier. Les ensembles, d’un type nouveau, présentent une clarté
remarquable par la généralisation de l’emploi du canon : l’entrée des voix,
tour à tour sur la même mélodie, a le double avantage de permettre une
audition claire du texte et de faire apprécier l’enrichissement progressif de
la musique, comme le démontre l’éblouissant finale du second l’acte.
Notons au passage qu’on y trouve un personnage qui prend les habits d’un
Turc pour éprouver les sentiments réels de ses soi-disant amis. Les
cinquante-trois représentations d’affilée signent un grand succès qui lance
l’auteur en Italie, triple ses revenus, et lui vaut également l’exemption de
la conscription, ce qui réjouit le jeune compositeur qui disait volontiers
qu’il aurait fait un mauvais soldat.
complètement tombé sous le charme d’Isabella. Le contraste entre les deux
scènes annonce la prochaine déroute et la capitulation complète du Bey
devant la citadelle imprenable, Isabella.
Le quintette « Ti presento » constitue également une autre scène amusante.
Mustafà espérant ravir la jeune Italienne par les honneurs accordés à son
« oncle », la fait venir mais ordonne à celui-ci de sortir dès que le Bey éternuera. Le quintette a des allures de finale. Taddeo, ridicule dans son nouveau costume, refuse d’entendre les éternuements de Mustafà. Isabella et
Lindoro s’amusent de la situation. Isabella demande le café et dans le
même temps veut réconcilier Elvira avec son époux. C’est un échec car
Mustafà qui avait d’autres projets, entre en fureur (Andate alla malora),
dans un morceau mécanique censé traduire sa fureur. Mais la fin du quintette (Sento un fremito) avec les interventions spirituelles des bois ajoutent
un commentaire ironique à la confusion générale.
Le second finale est moins étourdissant que le premier. Un antique menuet,
avec un refrain au cor, introduit Mustafà dans l’ordre des pappataci. La
musique forme un contraste grotesque avec la situation dans laquelle le
Bey met en pratique son serment : voir et ne pas voir, entendre et ne pas
entendre, se gaver (pappa) et rester silencieux (taci). Le Bey se ridiculise
en répétant des formules absurdes qui contrastent avec la barcarolle
rythmée, Son l’aure seconde, que chantent les esclaves et les marins italiens. Lindoro et Isabella expriment de façon lyrique, leur bonheur de
partir, Andiam, mio tesoro. Son teco, Lindoro. Le rire de Taddeo se fige
quand il comprend qu’il a été lui aussi dupé depuis le début. Il essaie
d’alerter Mustafà mais celui-ci a bien intégré les règles et n’a pas l’intention d’y manquer. Il ne sait que répéter Mangia e taci. Tous ces éléments
se réponsent et se contredisent, sans générer le désordre précédent de
l’acte I. Le finale, Allegro, au contraire voit les turcs souhaiter bon voyage
aux Italiens.
Le pouvoir d’Isabella sur les hommes, reconnu et proclamé par tous à la fin
de l’opéra -« La belle Italienne venue à Alger apprend à tous […] que la
femme obtient toujours ce qu’elle veut »-, constitue la morale de l’histoire. Elle semble découler moins de l’expérience personnelle de l’héroïne,
dont on ignore le passé et l’expérience qu’elle peut avoir en ce domaine,
que d’une sorte de vérité séculaire, issue de la sagesse des nations et que
l’opéra vient illustrer. Sentence que la gent masculine se plaît à répéter
pour faire oublier, ou justifier, l’autorité qu’elle exerce sur les femmes.
Tout est bien qui finit bien.
L’Italiana in Algeri préfigure, sur le mode comique, ce que sera le schéma
verdien : une prima donna et un ténor, amoureux l'un de l'autre, tous deux
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35
à la merci d’un baryton et/ou d’une basse, qui se disputent les faveurs de
la belle. C’est bien la musique qui donne la tonalité joyeuse ou tragique de
l’histoire. Mais l’on voit par là même que Rossini ouvre bien des voies à
l’opéra italien.
RÉCEPTION DE L’ŒUVRE
La réaction du public, le soir de la première, le 22 mai 1813, fut unanimement positive comme le prouvent les ovations sans fin qui accueillirent les
différentes prestations des chanteurs dont la critique salua les voix comme
le talent de comédiens. Rapidement, l’œuvre fut reprise à Vicence, Milan
en 1814, à Naples.
Le San Carlo de cette ville, était le plus grand théâtre d’Italie dont il fallait
conquérir le public pour être reconnu dans toute l’Italie et être joué à
l’étranger. Le fameux impresario Domenico Barbaja, grand dénicheur de
jeunes talents qu’il s’attache par contrat pour des sommes dérisoires,
comme ce fut le cas pour Donizetti, Bellini et Carl Maria von Weber engage Rossini au San Carlo de Naples. S’il est peu payé, il occupe à présent
une position prestigieuse, celle de compositeur officiel de la Cour, dans le
théâtre le plus réputé d’Italie. Astreint à écrire deux opéras par an pour l’un
des meilleurs orchestres et les plus grands chanteurs d’Italie, et pour les
fêtes ou événements de la Cour et les célébrations religieuses. Mais il garde
toute liberté pour écrire pour d’autres villes : les opéras sérias sont réservés à Naples, les œuvres comiques seront pour les autres.
Désormais, Rossini apparaît comme le plus grand des musiciens italiens :
« La nature qui a engendré Pergolèse, Sacchini et Cimarosa, a aujourd’hui
créé Rossini », n’hésite pas à écrire l’abbé Carpani. Quand la presse allemande ose critiquer L’Italiana in Algieri, ce dernier justifie son admiration
pour cette nouvelle œuvre, avec exaltation : « Messieurs les Berlinois, j’y
trouve de la mélodie et encore de la mélodie, de la mélodie admirable, de
la mélodie neuve, de la mélodie magique, de la mélodie rare ».
Les Français seront les derniers à découvrir la volcanique Italienne à Paris.
Si certains restèrent indifférents, son charme fit succomber Stendhal. Il
consacra un livre à Rossini bien avant la fin de sa carrière opératique qui
prit fin en 1829.
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phent l’opera buffa et la farza dans lesquels ont excellé Scarlatti, Leo,
Pergolese, Piccini, Cimarosa et Paisiello. Les théâtres étant voraces en
matière de créations de ces dernières, les jeunes compositeurs, à condition
de travailler rapidement, ont l’occasion de se faire connaître, car les directeurs ne craignent pas de faire appel à eux pour ces œuvres brèves.
De retour à Bologne, Rossini donne en 1811, la cantate Didone abbandonata, en hommage à la famille Mombelli qui a accompagné ses débuts. Il
fait jouer son premier opéra bouffe, L’Equivoco stravagante, interdit au
bout de trois jours, malgré sa musique d’une vivacité débordante, car son
sujet (une jeune fille courtisée par deux prétendants, l’un riche, l’autre pauvre, qui plus est déserteur, choisit ce dernier), déplaît à la censure.
L’héroïne use d’un stratagème pour échapper au prétendant choisi par son
père : elle se déguise en castrat. Le personnage cumule toutes les équivoques sexuelles liées au travestissement d’une part et, d’autre part, à
l’emploi d’une voix féminines dans un corps supposé être celui d’un
homme. On reconnaît là l’imprégnation de l’opéra baroque qui joue souvent sur les échanges d’identité. Marietta Marcolini, contralto colorature,
qui va s’intéresser de près au jeune auteur, crée ce rôle. L’ouverture de
L’Equivoco sera reprise pour Aureliano in Palmira (1814), puis deviendra
celle du Barbier de Séville (1816) auquel la postérité l’attachera définitivement. La critique apprécie la composition des ensembles et le rondò de la
prima donna. Cette forme vocale que l’on retrouvera dans L’Italiana in
Algeri, d’un tempo rapide et d’un caractère gai et enjoué, se fonde sur
l’alternance de couplets et d’un refrain. Sa simplicité thématique est fréquemment contrebalancée par une recherche de virtuosité démontrant la
maîtrise du ou des exécutants. La Marcolini s’y montre particulièrement
brillante. Le succès de ce premier opéra décide la Scala de Milan à commander à Rossini un nouvel ouvrage pour l’année suivante.
Mais auparavant, pour le carnaval de Venise, en 1812, il donne une nouvelle farce L’Inganno felice (L’Heureux stratagème), plutôt opera semiseria, genre très en vogue au XVIIIe siècle, et qui n’est pas sans rappeler
La Finta Giardineria de Mozart avec son émouvante et pathétique
héroïne, faussement accusée d’adultère et rejetée par son époux. Cette
œuvre sera la première de Rossini à franchir les frontières de l’Italie,
déclenchant l’enthousiasme de Stendhal qui la découvre à Paris : « Ici le
génie éclate de toutes parts. Un œil exercé reconnaît sans peine les idées
mères de quinze ou vingt morceaux capitaux qui, plus tard, ont fait la fortune des chefs-d’œuvre de Rossini. » La postérité, plus modestement, en
retiendra la riche orchestration, l’excellente ouverture et un beau trio.
Suit une autre farce, Il Cambio della valigia dans laquelle un changement
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d’en faire un castrat, voie royale pour devenir riche et célèbre. Mais la
famille recule devant les risques de l’opération. La mue venue, l’adolescent
poursuit sa formation musicale à l’Académie de Bologne et attire l’attention du ténor Domenico Mombelli qui lui demande de composer des arias,
des duos, des ensembles sur des paroles qu’écrit son épouse. Il le conduit,
ainsi, sans que le jeune garçon en prenne conscience, à concevoir son premier opéra, Demetrio e Polibio, qui ne sera créé à Rome que six ans plus
tard grâce à la famille Mombelli. Il en reste un remarquable quatuor, utilisé dans d’autres opéras. Ce qui fera dire à Stendhal : « Quand Rossini n’aurait fait que ce seul quartetto, Mozart et Cimarosa reconnaîtraient en lui un
égal. »
Pendant quatre ans, Rossini acquiert auprès du Padre Mattei une solide formation en composition, chant, solfège, violoncelle, piano. Il découvre également la littérature (Dante, L’Arioste, Le Tasse) et continue à s’intéresser
à Mozart et à Haydn. C’est lui qui dirige, à l’Académie philarmonique, la
première exécution des Saisons de ce dernier, en 1811. Ses condisciples
le surnomment le Tedeschino, à cause de son intérêt pour la musique allemande.
Les débuts lyriques
LES CRÉATEURS
Dans les rôles principaux, on trouve des chanteurs qui ont marqué l’opéra
italien en ce début de XIXe siècle.
Filippo Galli (1783-1853), une des plus grandes
basses de son temps, crée le rôle de Mustafà. Il
avait débuté comme ténor en 1801, mais après
une grave maladie, il changea de tessiture à partir de 1813. Il avait déjà travaillé avec Rossini au
Teatro San Moisè. Rossini lui confia neuf rôles.
Outre le personnage du Bey d’Alger, dans trois
d’entre eux, il incarna un personnage Turc : simple rôle travesti dans La Pietra del paragone, où
le comte Asdrubalese se déguise en Turc afin de
découvrir les sentiments véritables de ses soidisant amis ; monarque éclairé en voyage en
Italie, dans le Turco in Italia ; Maometto II, dans
l’opéra éponyme qui constitue le chef-d’œuvre
tragique de la période napolitaine de Rossini. L’extraordinaire diversité de
ces rôles donne un aperçu du grand talent de Galli.
Mais les difficultés financières de ses parents l’obligent à quitter
l’Académie. Mis en contact avec l’imprésario du théâtre San Mosè de
Venise, pour pallier le manque d’un opéra, le jeune Rossini accepte de
mettre en musique La Cambiale di matrimonio, farce dans laquelle un
Canadien, peu au fait des mœurs européennes, achète au moyen d’une
lettre de change (cambiale) la fille de son fournisseur anglais, laquelle est
« hypothéquée » par un autre soupirant. Dès les répétitions, les interprètes
manifestent la crainte que l’orchestration, riche et colorée, perçue comme
trop fournie, ne couvre leurs voix. Ce qui prouve que Rossini ne conçoit
pas l’écriture orchestrale comme un simple accompagnement des chanteurs mais bien comme une partie pleine et entière de l’expression musicale. Rossini innove, pour l’époque, dans un dialogue où s’accuse le
contraste entre la vivacité d’un personnage et la placidité d’un autre. La
création a lieu le 3 novembre 1810, couplée avec une œuvre de Farinelli.
Sa carrière est fixée désormais, il ne sera ni chanteur ni virtuose. Délaissant
le symphonique, il lui reste deux voies, la musique sacrée ou le théâtre.
Rossini connaît bien le second qui, de plus, permet de mieux gagner sa vie :
l’Italie adule les chanteurs, particulièrement les castrats à qui on passe tous
leurs caprices, notamment en les laissant improviser longuement à la fin de
chaque air, pour faire valoir leur voix et leur virtuosité. Deux genres triom-
Serafino GENTILI (1775-1835) dont on ignore
la formation musicale, a commencé sa carrière
en 1795, d’abord dans les seconds rôles bouffes,
à Naples, dans les opéras de Paisiello, Cimarosa.
À partir de 1805, après un succès personnel dans
un opéra de Paër, il devient primo tenore assoluto di mezzo carattere dans le théâtre San Moisè
de Venise. Désormais invité dans tous les théâtres d’Italie, à partir de 1809, il se produit à l’étranger, notamment à Paris. Revenu en Italie, il
travaille en 1813 pour Rossini (Tancredi, La
Pietra di paragone). Le compositeur écrit pour
lui le rôle de Lindoro de l’Italienne à Alger. Le
compositeur le retrouve pour Le Turc en Italie, Elisabetta, regina
d’Inghilterra, La Gazza ladra, il reprendra le rôle d’Almaviva du Barbier
8
37
de Séville. Le dernier rôle qu’il chanta fut, en 1829, celui de Lindoro dans
L’Italienne. Il chantait également Don Ottavio dans le Don Giovanni de
Mozart. Sa voix de contraltino, d’une grande étendue dans le registre aigu,
comme son timbre qui rappelait celui des castrats, lui permit, au début de
la carrière, d’interpréter des rôles féminins. Il jouait plus sur le cantabile et
la grâce que sur la force dramatique, ce qui l’obligea à abandonner la scène
quant l’émission de poitrine s’imposa.
Paolo Rosich interprétait Taddeo.
Rossini écrit pour une de ses cantatrices préférées, Maria Marcolini,
contralto qui créa quatre autres héroïnes et héros dans ses opéras :
Ernestina dans L’equivoco stravagante de 1811 (qui se fait passer pour un
castrat déguisé en femme) ; l’empereur Ciro (travesti) dans l’opéra/oratorio Ciro in Babilonia (1812) ; la spirituelle Clarice dans La pietra del paragone ; et enfin le personnage principal, autre travesti de Sigismondo
(1814). La Marcolini devait faire preuve de dons comiques mais aussi de
sérieux. Rossini exploite ces deux aspects de sa personnalité musicale dans
L’Italiana in Algeri.
Maria Marcolini est née vers 1780, à
Florence. On ignore la date et le lieu de
sa mort. Elle était l’épouse d’un impresario. Le jeune Rossini lui confie le rôle
principal de cinq de ses premiers opéras
pour sa voix de contralto : Ernestina
dans L’equivoco stravagante, en 1811,
Ciro dans Ciro in Babilonia o sia La
caduta di Baldassarre et Clarice dans La
pietra del paragone, en1812, Isabella
dans L’italiana in Algeri, en 1813,
Sigismondo dans l’opéra éponyme, en
1814. Dans les années suivantes, elle
rechanta Ciro, Clarice et Isabella dans
Maria Marcolini
les plus importants théâtres italiens. La
Pietra et L’Italienne furent ses deux principaux triomphes qui consacrèrent
sa carrière, comme celle du jeune compositeur.
Prima Buffa assoluta, elle avait rencontré Rossini en 1811 à Bologne, alors
qu’elle a déjà une dizaine d’années de carrière derrière elle. Elle avait
chanté les seconds rôles des opéras de Paër, Mayr, Cimarosa, puis, à partir
de 1806, elle aborda, dans un opéra de Farinelli, les premiers rôles. La pra38
LE CYGNE DE PESARO
Gioacchino (que Rossini écrira toujours avec un seul c) naît à Pesaro, petit
port de Romagne au bord de l’Adriatique, d’un père corniste virtuose et
d’une mère dotée d’une jolie voix de soprano. Elle chante les seconds rôles
à l’opéra. L’arrivée des troupes républicaines françaises en Italie, vaut
quelques mois de prison au chef de famille, trop enthousiasmé par les idées
républicaines, ce qui n’était guère admissible dans un état sous domination
pontificale. Libéré en 1800, quand les Français imposent leur administration, Rossini père s’installe, avec femme et enfant, à Lugo. Il enseigne les
premiers rudiments du cor à son fils, puis le confie, pour des leçons de
piano et de chant, au chanoine Malerbi. Dans la bibliothèque de ce dernier,
l’enfant découvre, avec émerveillement, les partitions de Haydn et de
Mozart, très peu jouées à l’époque. Elles lui donnent le goût de la composition, le souci de la forme et de l’écriture orchestrale. Par ailleurs, le jeune
Rossini accompagne ses parents dans leurs tournées et s’initie au monde
merveilleux du théâtre et de ses conventions. Notamment, il découvre, et
intègre, ses règles fondamentales à l’époque : s’adapter aux exigences des
chanteurs et de s’accommoder des circonstances matérielles du moment.
Un opéra n’est conçu que pour une circonstance particulière et perdure
rarement. D’où l’habitude, en cas de besoin, de réutiliser un même numéro d’opus dans une ou plusieurs œuvres ultérieures dont l’auteur n’est pas
certain qu’on les rejouera. À douze ans, Rossini écrit sa première œuvre
véritable, les six Sonates à quatre, pour deux violons, violoncelle et contrebasse, révélant un sens mélodique très sûr et une parfaite connaissance du
jeu des instruments.
Une solide formation
La mère ayant dû abandonner la scène, la famille s’installe à Bologne dont
l’Académie philarmonique, fondée en 1666, est la plus réputée d’Europe.
Jean-Chrétien Bach, Gluck et Mozart y furent les élèves du célèbre Padre
Martini. Son successeur, le Padre Mattei, sera le maître de Donizetti et du
jeune Rossini qui intègre en 1806, à quatorze ans, au même âge que Mozart
trente-six ans auparavant, l’Académie. Auparavant sa belle voix de soprano, lui avait valu de chanter dans les chorales des églises de la ville. Pour
gagner sa vie, il avait dirigé des répétitions au théâtre et joué le rôle d’un
jeune garçon dans un opéra de Paër. Son oncle maternel propose même
7
tique de la castration ayant été abolie par Napoléon Ier, les contraltos dont
le timbre et l'étendue vocale semblent les plus proches de ceux des castrats,
alors presque entièrement disparus, les remplacent dans les rôles de héros
masculins téméraires, amoureux de la prima donna. Habituée des rôles
comiques et travestis dans les grands théâtres italiens, la Marcolini est
saluée par la critique pour son tempérament dramatique et l’adéquation de
ses interprétations avec des rôles très divers : amante éplorée, fureur de la
femme trahie, cavalier intrépide.
Elle affectait, même dans l’opéra comique, des traits virils, et ce n’est pas
une coïncidence si les grands airs de Rossini situé à proximité de la conclusion, comme le rondò, on trouve des scènes martiales, dans lesquelles la
primadonna se trouve à la tête d’un chœur masculin qui exalte la vie militaire dans l’Equivoco stravagante et La Pietra del paragon.
Stendhal affirme que, si la Marcolini l’avait demandé, Rossini l’aurait fait
chanter à cheval. Sur ses qualités spécifiquement vocales, il remarque que
l’air final Pensa alla patria est une preuve d’une prodigieuse habileté
« offerte par la dame Marcolini ; où trouver une « prima donna » avec un
coffre aussi robuste pour chanter un grand air avec des vocalises à la fin
d’une œuvre aussi fatigante ? » Giudizio confirme dans Il Giornale dipartimentale du 24 mai 1813, « la cavatine de la signora Marcolini [a plu],
mais plus encore ensuite son rondeau, [...] après son morceau à jet continu
de cette talentueuse actrice, exécuté avec une telle perfection, avec une
magistrale maîtrise de l'étendue de sa voix qui provoque l'extase, que cela
suffirait seul à la rendre sublime ». Dans les reprises suivantes (dans la saison 1815, pour 49 représentations), un autre journaliste écrit que la
Marcolini était telle, qu'à tous égards, elle pouvait « faire perdre la tête à
tous les Beys » (Corriere milanese, 11 août 1815).
À LIRE
Musico-Mania publié à la création
6
Jean-Louis Caussou, Gioachino Rossini, L’homme et son œuvre, Paris,
Editions Seghers, 1967, rééd. 1982, Slatkine Genève-Paris.
Damien Colas, Rossini, L’opéra de lumière, Paris, Découvertes Gallimard,
Musique, 1992.
L’Avant-Scène Opéra, L’Italienne à Alger, n° 157, janvier-février 1994.
Stendhal, Vie de Rossini, Paris, éd. Pierre Brunel, Folio classique, 1992.
39
À ÉCOUTER
Jusqu’aux années 1950, la discographie de Rossini se limitait, pour
l’essentiel, aux ouvertures les plus célèbres de ses opéras et, en extraits ou
en intégrales, à un opéra bouffe, Le Barbier de Séville, et à un grand opéra,
Guillaume Tell. Pour le reste, depuis la fin du XIXe siècle, la grande majorité du répertoire rossinien avait déserté les scènes lyriques, particulièrement en France. Vérisme et wagnérisme avaient entraîné l’abandon des
techniques vocales exigées par la musique de Rossini. Faute de chanteurs
capables d’interpréter ces partitions, elles furent ou abandonnées ou altérées par des directeurs de théâtre avant tout soucieux de les adapter aux
interprètes et aux orchestres, plus ou moins virtuoses, dont ils disposaient.
Mais de grands solistes, des chefs respectueux des intentions du compositeur, ont permis d’en redécouvrir le véritable esprit.
Cet engouement a eu pour effet, dans le cas de L’Italienne, de provoquer
un intérêt pour l’opéra de Luigi Mosca dont le livret a été réutilisé par
Rossini. Il en existe un enregistrement, pris sur le vif lors du Festival
Rossini à Wildbad, en 2003, paru sous l’étiquette Bongiovanni. Brad
Cohen dirige l’orchestre du Czech Chamber Soloists de Brno, le Chamber
Choir Ars Brunensis et un ensemble de solistes tchèques qui ont enregistré,
par ailleurs, des opéras de jeunesse de Rossini chez Naxos. C’est charmant,
faute d’être inoubliable, mais à connaître pour comprendre l’originalité de
Rossini.
Il a fallu attendre le retour de mezzo-sopranos, sinon de contraltos, capables de vocaliser avec agilité pour remettre l’ouvrage de Rossini à l’honneur. Au XXe siècle, Conchita Supervia fut la première, avec sa voix au
vibrato si particulier, sa technique de colorature impeccable, son intelligence du texte et surtout son tempérament de feu, à ressusciter sur scène,
en 1927, l’impétueuse Isabella. On peut la retrouver, sous différentes étiquettes, dans quatre extraits de cet opéra. Aux lendemains de la Seconde
guerre mondiale parut une première intégrale, en russe, avec les musiciens
de la radio de Moscou. Loin d’être idiomatique, cette version n’en prouve
pas moins le retour en grâce de Rossini.
En 1954, Giuletta Simionato fit redécouvrir aux Milanais la rouerie de la
belle Italienne. La voix n’a pas de séduction particulière, mais l’interprète
est la première, après-guerre, à ne pas se dérober devant la virtuosité de la
partition et à faire preuve de l’aplomb qu’on attend du personnage. Elle
40
La vie de Gioacchino Rossini s’inscrit entre deux dates peu communes du
calendrier : celle de sa naissance, un 29 février (1792) et celle de sa mort,
un vendredi 13 (1868). Elles s’accordent avec le caractère assez exceptionnel de sa carrière comme avec celui, facétieux, de nombre de ses compositions. Étonnante fut, en effet, la destinée de ce musicien, génie précoce qui
s’éloigne, à 37 ans, de l’opéra qui lui valut tant de triomphes et auquel il
apporta tant de nouveautés. Pourtant, ses œuvres étaient presque oubliées
à sa mort. Seules, ou presque, restèrent jouées, jusqu’à la Seconde guerre
mondiale, du moins en France, quelques brillantes ouvertures et les intégrales du Barbier de Séville et de Guillaume Tell. Encore l’esprit et la
lettre n’en étaient-ils pas toujours respectés. La Fondation Rossini, dans les
années 1970, a entrepris un remarquable travail de restauration des partitions originales, souvent mutilées par les directeurs de théâtre comme par
les interprètes. Dans le même temps, une nouvelle génération de chanteurs
se réappropria la technique vocale exigée par ce répertoire. On a pu parler
d’une « Renaissance rossinienne ». Le Rossini Opera Festival de Pesaro,
créé en 1980, permet de présenter sur scène, chaque année, une nouvelle
œuvre du Maître dans des conditions musicologiques aussi proches que
possible de l’esprit de leur création. Ainsi fut reconstituée la partition du
Voyage à Reims, écrite à l’occasion du sacre de Charles X, en 1825, et que
l’on croyait perdue. Depuis sa redécouverte, en 1984, au Festival de
Pesaro, cet opéra n’a cessé d’être représenté à travers le monde.
5
Pirates algériens
4
bénéficie de la direction précise et élégante de Carlo Maria Giulini, qui
reste appréciable malgré un certain manque de vivacité et une partition non
révisée et lacunaire (absence du second air de Lindoro, de l’air d’Haly et
du chœur patriotique). Cesare Valletti surprend par la facilité de ses aigus
et son timbre agréable. On peut oublier le reste de la distribution.
C’est en mozartienne que Teresa Berganza aborde en 1957, sous la direction solide de Sanzogno, le rôle titre, c’est-à-dire avec une grande probité
stylistique, et la perfection d’un chant d’agilité maîtrisé. Faute d’un
volume vocal qui imposerait l’autorité du personnage, elle incarne, par la
fraîcheur de son timbre, plus la jeune fille mutine que la femme qui réduit
tous les hommes en esclavage. Sesto Bruscantini, qui a marqué à la scène
le rôle de Mustafà, chante ici Taddeo et se détache facilement du reste des
protagonistes. On retrouve Berganza, en 1963, après les représentations du
Mai musical florentin, ce qui renforce la qualité dramatique de l’ensemble.
L’héroïne a gagné en assurance et expressivité, même si la bravoure du
Pensa alla patria ne lui convient toujours pas. On a toujours plaisir à
entendre Panerai (Taddeo) et le Haly de Montarsolo est convenable. Reste
le cas de Corena : il campe un personnage bouffon au premier degré et n’a
pas la vocalità de Mustafà, mais il devait faire oublier ces limites par sa
présence sur scène. Quant à Luigi Alva, la même critique qui l’a longtemps
encensé dans ses rôles rossiniens, le désavoue totalement aujourd’hui. S’il
ne méritait pas tant d’honneurs, l’excès inverse est certainement tout aussi
injuste, au moins dans cette version. Silvio Varviso anime le tout avec
allant.
Enfin, Marilyn Horne vint. Elle possède la puissance vocale qui manque à
Berganza, le chant rossinien n’a aucun secret pour elle. De plus, avec des
moyens différents, elle retrouve l’abattage d’une Supervia. Entre 1968 et
1986, on dispose de plusieurs captations directes, en CD et une en DVD.
La prise de son de 1968 n’est pas fameuse, celle de 1975, avec Claudio
Abbado, demande de la bonne volonté à l’auditeur qui a l’impression d’entendre la prestation depuis la coulisse. Horne est au mieux de sa forme,
avec un chef qui connaît parfaitement son affaire mais un Alva fatigué, un
Montarsolo indifférent en Mustafà, un Enzo Dara, dans une de ses multiples incarnations de Taddeo, qu’on entend mieux ailleurs, provoquent un
sentiment de frustration. La vidéo de 1986, permet d’apprécier la comédienne mais on préfèrera l’état vocal et l’entourage de Marilyn Horne, sous
la baguette de Claudio Scimone en 1981 : elle affronte un Mustafà royal
(Samuel Ramey) ; Ernesto Palacio campe un charmant Lindoro, et on peut
comprendre qu’Isabella, pour le délivrer, affronte tous les périls ; Kathleen
Battle incarne une piquante Elvira. Surtout, Claudio Scimone, à la tête des
41
Solisti Veneti, dirige avec brio une partition critique de l’œuvre. On peut
regretter que la version CD n’ait pas repris les airs alternatifs que comportait le microsillon.
Seule Lucia Valentini-Terrani peut prétendre tenir la dragée haute à
Marilyn Horne avec sa voix somptueuse, la plus proche du contralto de la
créatrice. Mais elle chante plus Tancrède que l’ingénieuse Isabella dans les
versions dirigées par Bertini et Ferro. Dans la première, Bruscantini campe
un Mustafà vocalement et dramatiquement adéquat, Benelli ne démérite
pas, Enzo et Corbelli complètent avec talent la distribution. Dans la version
Ferro, la direction engendrerait la sinistrose. Dommage pour Francisco
Araiza, le plus séduisant des Lindoro au disque. Cette version a cependant
le mérite d’être exhaustive. L’équipe réunie par Claudio Abbado, pour sa
version studio, séduit sur le papier, moins à l’écoute. Le chef n’est pas en
cause mais Agnes Baltsa n’est pas à l’aise dans cette tessiture, Lopardo
manque de charisme et Raimondi ne convainc guère en Mustafà. Jennifer
Larmore, dirigée par Lopez-Cobos, campe une Isabella autoritaire à souhait et son entourage est de bon niveau. En appendice, on peut entendre le
second air de ténor écrit par Rossini pour le second acte. Dix ans plus tard,
dans des extraits en anglais, la voix de Jennifer Larmore trahit une fatigue
certaine.
Il faut signaler un duo, Ai capricci della sorte, entre Cecilia Bartoli et Bryn
Terfel, chez Decca, où il est démontré que l’art de la vocalise peut faire bon
ménage avec un humour de bon aloi. Bartoli a enregistré d’autres extraits
dans divers récitals Rossini.
La version la plus récente, sous la direction du grand spécialiste rossinien
Alberto Zedda, avec la génération montante des chanteurs qui maîtrisent
parfaitement ce répertoire, et sont déjà reconnus internationalement, offre
une excellente surprise. La Sicilienne Marianna Pizzolato se glisse avec
bonheur dans le personnage de la volcanique héroïne. Lawrence Brownlee,
bien connu des habitués des retransmissions du Metropolitan Opera, peut
séduire, par la beauté de la voix et son art du chant, plus d’une Italienne.
On n'oubliera pas les pionniers de la « Renaissance Rossini » mais, pour
leur plus grand bonheur, les mélomanes savent que la relève est assurée.
42
SOMMAIRE
Le Cygne de Pesaro
p. 7
L'Italienne à Alger
p. 12
L'intrigue
p. 16
Nouveauté et continuité
p. 18
Les personnages
p. 28
Réception de l'œuvre
p. 36
Les créateurs
p. 37
À lire
p. 39
À écouter
p. 40
Discographie
p. 43
Vidéographie
p. 44
3
DISCOGRAPHIE
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Retrouvez toute l’actualité du Cercle lyrique de Metz sur
http://www.associationlyriquemetz.com
Le Cercle Lyrique de Metz a décidé de créer un site et un blog Internet, site
installé par les soins de Sandra Wagner, et que nous avons, au fil des mois, structuré
à l'image d'un journal culturel numérique, grâce à la précieuse collaboration de notre
actuel webmaster, Jean-Pierre Pister, ainsi que des spécialistes de notre comitédirecteur qui y contribuent.
Nos rubriques se sont étoffées, que ce soit au niveau de l'annonce des activités lyriques
et musicales de la région, (Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, Orchestre National de
Lorraine, Arsenal Metz-en-scène, Kinepolis : l'opéra au cinéma...), que des critiques
d'opéras donnés à Metz ainsi que des comptes rendus de spectacles vus extra-muros
(triangle Metz-Nancy-Strasbourg), de même que des critiques figurant sous le label
« L'opéra à l'écran ». On est d'ailleurs convenu de rendre compte dorénavant de toutes
les retransmissions d'opéras depuis le MET de New-York et programmées au Kinepolis
de Saint-Julien-les-Metz, qui figurait, d'ailleurs, parmi les quelque vingt partenaires de
soutien de notre colloque.
J'y ajouterai les rubriques « Conférences », « Conseils discographiques », « In memoriam », « Anniversaires », « Vu dans la presse », « Les livres du C.L.M. », les « Actes
du colloque » (avec son programme complet et la plupart des communications qui y ont
été prononcées), « Archives », « Partenariats », « Espace membres », etc....Dans la plupart de ces textes, des illustrations visuelles ou vocales sont jointes. Par ailleurs, dans
la mesure des résultats de nos investigations, nous sommes à présent dans la capacité
de mettre dans la partie « espace membres » de notre site, accessible aux adhérents
du C.L.M., les livrets de la plupart des opéras programmés au cours des saisons
messines.
44
L'Italienne à Alger
Gioacchino Rossini
1815
par
Danielle PISTER
1
2011-2012
L'Italienne à Alger
CERCLE
LYRIQUE
DE METZ
de Gioacchino Rossini
La conférence sur « L’Italienne à Alger » de Rossini sera faite par Pierre Degott,
Professeur à l’Université Paul Verlaine de Metz, membre du comité de
l’ « Association des Amis d’Ambroise Thomas et de l’Opéra français », le samedi 3
mars à 16 heures au foyer « Ambroise Thomas » de l’Opéra-Théâtre (entrée libre).
La conférence sera précédée, à 15 heures, de l’Assemblée générale du Cercle
Lyrique de Metz, puis ensuite de l’Association des Amis d’Ambroise Thomas, et
ouverte à tous les membres des deux associations et des personnes intéressées.
Représentations messines de « L’Italienne à Alger » auront lieu les
mercredi 7 mars et vendredi 9 mars à 20h ainsi que le dimanche 11 mars à 15h.
Direction musicale : Paolo Olmi.
Mise en scène : David Hermann.
Décors : Rifail Ajdarpasic.
Costumes : Bettina Walter.
Lumières : Fabrice Kebour.
Distribution vocale :
Isabella : Isabelle Druet
Lindoro : Yijie Shi
Mustafa : Carlo Lepore
Taddeo, compagnon d’Isabella : Nigel Smith
Elvira, sa femme : Yuree Jang
Zulma : Olga Privalova
Haly : Igor Gnidii
Chœur des hommes de l’Opéra National de Lorraine ; Chœur des hommes de
l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole ; Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
Couverture : Portrait de Rossini jeune, pendant la composition de « L’Italienne à
Alger ».
Conception de la plaquette : Danielle Pister et Georges Masson .
Directeurs de publication : Georges Masson, président et Jean-Pierre Vidit, premier
vice-président.
Adresse postale du Cercle Lyrique de Metz : B.P. 90261 - 57006 Metz Cedex 1
Adresse e-mail du président : [email protected]
Adresse du site et du blog Internet : www.associationlyriquemetz.com
Composition graphique et impression : Co.J.Fa. Metz - tél. 03 87 69 04 90.
La distribution de cette coproduction de l’Opéra National de
Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole est la suivante :
L'Italienne
à Alger
de Gioacchino Rossini
N° 203
Par Danielle PISTER
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