socius : ressources sur le littéraire et le social
contemporaines qui créent par exemple des situations de concurrence socialisatrice
entre instances : école, famille, entreprise, salle de sport, etc. Pour en rendre compte,
il faut pouvoir comparer les pratiques des mêmes individus dans divers univers
sociaux (travail, famille, école, voisinage, église, parti politique, loisirs, etc.), et se
donner les moyens d’observer les variations intra-familiales1, intra-professionnelles,
etc., au sein même d’un univers social.
Historique des emplois
Si l’intuition de la multi-appartenance des acteurs individuels apparaît comme le
rappelle Lahire (Lahire, 2012, pp. 126-138) chez de nombreux sociologues, tels
Halbwachs (Halbwachs, pp. 67-68), Strauss (Strauss, pp. 41-42), mais aussi Michel de
Certeau (Certeau), elle ne fait pas chez eux l’objet d’une réflexion systématique. La
définition d’un acteur pluriel s’appuie chez Lahire sur une critique de la théorie des
champs et une remise en cause de l’unicité et de la transférabilité de l’habitus
pensées par Pierre Bourdieu. Celui-ci a en effet élaboré une vision homogène de
l’acteur social façonné par un ensemble stable de principes (habitus, schèmes,
normes, style de vie...) et présuppose leur cohérence et leur transférabilité d’un
domaine de pratiques à l’autre. Lahire s’interroge, quant à lui, sur les conditions socio-
historiques de l’unicité et de la pluralité de l’individu et invite à la prudence réflexive :
« Plutôt que de considérer la cohérence et l’homogénéité des schèmes qui composent le stock de chaque
acteur individuel comme la situation modale, celle qui est la plus fréquemment observable dans une société
différenciée, nous pensons donc qu’il est préférable de penser que c’est cette situation qui est la plus
improbable, la plus exceptionnelle et qu’il est bien plus courant d’observer des acteurs individuels moins
unifiés et porteurs d’habitudes (de schèmes d’action) hétérogènes et, en certains cas, opposées,
contradictoires » (Lahire, 2001a, p. 50).
Défini théoriquement dans L’Homme pluriel (Lahire, 1998a), le concept est mis en
œuvre dans Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles (Lahire,
2002). Huit personnes sont interviewées à six reprises sur des thèmes très différents
(école, famille, travail, amis, loisirs et activités culturelles, alimentation, santé,
habillement). Le dispositif méthodologique permet de repérer pour chacun de ces
acteurs des dispositions multiples, variables dans le temps et dans l’espace, et ainsi
de déconstruire l’idée d’unité systématique des pratiques d’un acteur et d’éclairer le
« jeu complexe de la possible réactivation/mise en veille des dispositions incorporées
(plus ou moins cohérentes entre elles) ».
Cette réflexion était déjà avancée dans La Culture des individus (Lahire, 2004a)
lorsque Lahire, envisageant les pratiques et les préférences culturelles des individus
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