Bernard LAHIRE, L`Homme pluriel : les ressorts de l`action, Nathan

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Bernard LAHIRE,
L’Homme pluriel : les ressorts de l’action,
Nathan, coll. « Essais & Recherches »,
Paris, 1998, 271 p.
Compte-rendu de lecture
Cécile LATASTE, MAE 2 Groupe A
BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
en 1963, Bernard Lahire est un sociologue français, héritier des
concepts développés par Pierre Bourdieu sans être pour autant un
épigone comme il le précise dans diverses interviews. Le sociologue
défend une conception exigeante de la sociologie il se veut critique
autant des formes d’essayisme relâché que de toutes les formes de
dogmatisme intellectuel. Ses recherches et travaux ont concernés
Principalement la production de l’échec scolaire à l’école primaire, les modes populaires
d’appropriation de l’écrit, les réussites scolaires improbables en milieux populaires, les différentes
manières d’étudier dans l’espace de l’enseignement supérieur, l’histoire du problème social appelé
« illettrisme », les pratiques culturelles des Français et les conditions de vie et de création des
écrivains. A partir de ce travail, l’auteur met en avant une théorie de l’action qui se veut à la fois
dispositionnaliste et contextualiste. Cette réflexion a pour objectif de spécifier et de nuancer la
théorie des champs partir du concept de « jeu social ») et d’interroger la réflexion
épistémologique sur les sciences sociales et leurs fonctions sociales. Professeur à l’université
Lumière Lyon II, Bernard Lahire est membre de l’Institut universitaire de France et chercheur au
Groupe de recherche sur la socialisation (CNRS). Il a publié notamment Tableaux de familles en
1995 et L’Homme pluriel : les ressorts de l’action en 1998.
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L’HOMME PLUIRIEL : LES RESSORTS DE L’ACTION
Problématique de l’ouvrage :
Dans cet ouvrage, Bernard Lahire s’interroge sur la manière de concevoir l’être humain, et
plus particulièrement son action. Il rompt avec la tradition sociologique de Pierre Bourdieu qui
postule une unicité, une homogénéité de l’acteur, théorisé par le concept d’habitus. Il y présente une
définition de l’homme pluriel. Contre l’universalité des théories, l’auteur se défend ici de proposer
un texte théorique car il pense qu’une théorie a souvent la prétention de « couvrir la totalité du
monde social et faire face à tout problème à l’aide des mêmes réponses ». Ce qui lui paraît
profondément réducteur. Pour lui, chaque théorie n’est valable que rapportée aux phénomènes
qu’elle décrit. C’est pourquoi dans L’Homme pluriel, Bernard Lahire présente une « théorie » basée
sur le contexte dans lequel l’acteur se développe, et sur son vécu. Pour le sociologue, l’acteur social
est hétérogène. Cette hétérogénéité est présente dans l’ensemble des pratiques, des habitudes, des
manières de penser, de se comporter, etc. d’un acteur différent selon les contextes sociaux dans
lesquels il se trouve. L’acteur social serait porteur d’une « pluralité de dispositions, de façons de
voir, de sentir et d’agir ». Selon lui l’observation de la réalité montre que les individus sont
généralement porteurs de dispositions diverses, parfois contradictoires, car ils ne sont jamais
éduqués et socialisés de façon homogène. On est socialisé par sa famille, mais aussi par l’école, dans
nos activités de loisir, par les médias… Dès lors, « le singulier est nécessairement pluriel », et la
sociologie doit chercher à comprendre pourquoi telle disposition est activée dans tel contexte et pas
dans un autre. S’ouvre ainsi le chantier, pour reprendre les mots de l’auteur d’une « sociologie
psychologique, qui livre les conditions d’étude sociologique des plis les plus singuliers du social ».
Résumé des différentes parties de l’ouvrage :
Avant-scènes
Au départ de l’ouvrage, l’auteur regrette l’opposition stérile de convictions (rational choice
contre habitus) qui ne permet pas un affrontement véritable des idées pouvant mener à des avancées
scientifiques. C’est dans cette perspective qu’il s’attache tout au long de l’ouvrage à la théorie de la
pratique et de l’habitus de Pierre Bourdieu, qui, souligne-t-il, a « nourri » sa démarche sociologique.
Dans ce livre, il invite le lecteur à penser « à la fois avec et contre Pierre Bourdieu », « ou plus
souvent différemment de » ce dernier.
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Acte 1 - Esquisse d'une théorie de l'acteur pluriel
Scène 1. L'acteur pluriel
- De l'unicité
- L'unicité du soi : une illusion
ordinaire socialement bien fondée
- Les conditions socio-historiques
De l'unicité et de la pluralité
- La pluralité des contextes sociaux
Et des répertoires d’habitudes
- Le modèle proustien de l’acteur pluriel
- Clivage du moi et conflit psychique :
Le cas des traversées de l’espace social
Scène Il. Les ressorts de l'action
- Présence du passé, présent de l'action
- Les multiples occasions de désajustement
Et de crise
- La pluralité de l'acteur et les ouvertures
Du présent
- Des dispositions sous condition
- Le pouvoir négatif du contexte : inhibition
Et mise en attente
- Code switching et code mixing au sein d'un
même contexte
- L'incertain balancement des acteurs
Scène III. Analogie et transfert Scène IV. De l'expérience littéraire : lecture,
rêverie et actes manqués
- L'analogie pratique et les déclencheurs
De l'action et de la mémoire
- L'action et la mémoire involontaires
- Le rôle des habitudes
- Du transfert analytique à la relation d'entretien
- Une transférabilité relative
- Des schèmes généraux aux schèmes partiels
- Du régime de transfert généralisé au régime
De transfert limité et conditionnel
Dans cette partie, l’auteur présente le concept chez Bourdieu d’unicité de l’acteur social en
fonction de son habitus qui, selon Lahire, peut être illustré mais pas généralisé. A cette occasion, il
critique l’idée d’unicité de l’individu, ce que souligne nombreux travaux en psychologie
contemporains permettant, dès lors, de pencher pour son éparpillement. Il remet en cause le travail
de certains anthropologues qui, travaillant sur un groupe, supposent que l’on peut généraliser à
partir d’un individu, ce qui revient à supposer l’homogénéité des situations sans les vérifier.
L’habitus étant présenté comme un « principe unificateur et générateur de pratiques », il se
demande si chercher un principe générateur ne revient pas à « partager l’illusion ordinaire de
l’unicité et de l’invariabilité ». L'auteur oppose la notion de pluralité à l'idée couramment répandue
dans nos sociétés de "l'unicité du soi", c'est à dire l'idée selon laquelle nous serions des individus
cohérents dans nos manières de penser et d'agir, que nos multiples comportements répondraient à
une seule et même logique, et que cette homogénéité des individus perdurerait à travers le temps.
Selon le sociologue cependant, l’unicité de l’homme est un mythe, une illusion socialement bien
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fondée (codes linguistiques, symboliques et sociaux comme le nom et le prénom, les différents
codes et numéros personnels, la carte d’identité…). Toutes ces occasions qui ne manquent pas de
« réduire la diversité des pratiques et des événements individuels à l’unité d’un soi cohérent et
unifié. ». Néanmoins, Bernard Lahire ne rejette pas de manière absolue le postulat d' "unicité de
soi". Elle dépendrait, selon lui, d’un certain nombre de conditions socio-historiques propres à
différents types de sociétés. L'"unicité" aurait en effet besoin de conditions socio-historiques bien
précises qui ne se retrouvent pas (ou rarement) dans nos sociétés, plus précisément : une
« homogénéité des circonstances extérieures, [une] grande homogénéité et cohérence des
conditions matérielles-culturelles d'existence et des principes de socialisation qui en découlent ».
Ce serait le cas des sociétés dites « traditionnelles ».
Dans cette partie, l’auteur avance que tout acteur, dès sa naissance, incorpore de multiples
schèmes d’action (des habitudes de vie, de penser, de comportement, des jugements, des goûts…)
qui sont bien plus souvent hétérogènes, voire parfois contradictoires, et qui forme un “stock” dans
lequel l’acteur puise suivant le contexte ou la situation dans lequel il se trouve. En résumé, un
homme pluriel est un homme qui n'a pas toujours vécu à l'intérieur d'un seul et même univers
socialisateur. Il est porteur de dispositions, « d'abrégés d'expériences multiples » (schèmes
d’actions sociales) pas forcément toujours compatibles.
Acte II - Réflexivités et logiques d'action
Scène 1. École, action et langage
- La rupture scolaire avec le sens pratique
- Saussure ou la théorie pure des pratiques
Scolaires sur la langue
- Les conditions sociales de sortie du sens
pratique
-
Scène III. Pluralité des logiques d'action
- L'ambiguïté de la pratique
- Le modèle sportif du sens pratique et ses
limites
- Intentionnalité et échelles de contexte
- Pluralité des temps et des logiques d’action
Scène Il. Les pratiques ordinaires d'écriture en action
- Mémoire incorporée, mémoire objectivée
- Ruptures ordinaires avec le sens pratique
- " Faire comme ça "
- La mémoire de l'inhabituel
- Durées longues et préparation de l'avenir
- La complexité des pratiques à gérer
- L'officiel, le formel et les situations tendues
- La présence de l'absent
- Les dérèglements temporaires du sens pratique
De l'usage des plans : listes en tout genre
Pertinence relative du sens pratique
L’homme pluriel, comme nous l’avons vu précédemment, est un individu qui a vécu dans
plusieurs univers socialisateurs. Il est le produit de ces différents milieux car « un acteur pluriel est
(…) le produit de l’expérience souvent précoce de socialisation dans des contextes sociaux
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multiples et hétérogènes. Il a participé successivement au cours de sa trajectoire ou simultanément
au cours d’une même période de temps à des univers sociaux variés en y occupant des positions
différentes. ». En conséquence, il n’a pas, comme l’écrit Bernard Lahire, de “ligne directrice”
d’action, mais bien de nombreuses façons différentes de réagir, de penser, de communique en
fonction du contexte présent, incorporées par les expériences socialisatrices passées.
Cette incorporation par chaque acteur de ces multiples schèmes d’action peut s’organiser « en
autant de répertoires que de contextes sociaux pertinents qu’il apprend à distinguer à travers
l’ensemble de ses expériences socialisatrices antérieures. ». En fonction du contexte, chacun utilise
divers répertoires d'actions. Cette incorporation-intériorisation « des modes d’action, d’interaction,
de réaction, d’appréciation, d’orientation, de perception, de catégorisation, etc. » nécessite des
relations sociales interdépendantes avec d’autres acteurs. Les habitudes subissent des « distorsions,
adaptations et réinterprétations » lors de leur transmission, en fonction du stock d’habitudes déjà
incorporées et du contexte de la transmission. Bernard Lahire insiste également sur l’incompatibilité
de certains schèmes d’action, ce qui peut parfois poser problème. On parle alors de « transfuges de
classe » ou d’« autodidactes ». Pour eux, chaque situation sociale peut être perçue et appréciée de
deux points de vue opposés, ce qui peut engendrer un conflit interne.
Acte III - Les formes de l'incorporation
Scène I. La place du langage
- Le monde du silence
- De la ponctuation de l'action à
Sa théorisation
- Langage et formes de vie sociale
- Le mystère de l'intérieur
Scène II. Qu'est-ce qui s'incorpore ?
- Les processus d'incorporation intériorisation
- L'incorporation polymorphe de la culture
écrite dans l'univers familial
- Identifications négatives et force
Des injonctions implicites
Acte IV - Chantiers et débats
Scène 1. La sociologie psychologique
- Une sortie de la sociologie ?
- L'objectivité du " subjectif "
- Les plis singuliers du social
- Multi déterminisme et sentiment
De liberté
- De nouvelles exigences méthodologiques
Scène Il. Champs de pertinence
- De la généralisation abusive
- La variation de l'échelle des contextes
En sciences sociales
- Variations expérimentales et perte
des illusions
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