Déterminants – Systèmes linéaires
Denis Vekemans
1 Introduction
Montrer qu’une application linéaire est inversible n’est à priori pas chose évidente. Le déterminant per-
mettra, dans certains cas, de montrer très facilement si une matrice est ou non inversible. Il permettra aussi,
toujours dans certains cas, d’obtenir facilement l’inverse d’une matrice. Enfin, il servira, mais c’est pour
une leçon prochaine, à la diagonalisation et la trigonalisation des endomorphismes d’un espace vectoriel. Il
constituera alors un pont entre la théorie des anneaux polynomiaux et celle de l’algèbre linéaire. Dans tout
ce chapitre Kdésigne un corps. Rappelons qu’un corps est un espace vectoriel sur lui même de dimension 1.
2 Formes multilinéaires
Définition 1
Soit Eun K-espace vectoriel. Soit
f:E×E×...×E
|{z }
pfois
K.
fest une forme p-linéaire ou une forme multilinéaire (ou encore une p-forme linéaire) sur Esi pour tout
i= 1,...,p, pour tout x1,...,xi1, xi+1,...,xpE, l’application x7→ f(x1,...,xi1, x, xi+1,...,xp)est
linéaire de Edans K. On note Lp(E)l’ensemble des p-formes linéaires sur E.
Proposition 1
Soit Eun K-espace vectoriel. L’ensemble des p-formes linéaires sur E,Lp(E)muni de l’addition des fonctions
à valeurs dans Ket de la multiplication par un scalaire, a une structure de K-espace vectoriel.
Démonstration. On montre sans peine que c’est un sous espace vectoriel de l’espace des fonctions
définies sur Eet à valeurs dans K.
Définition 2
Soit Eun K-espace vectoriel. Soit fune forme p-linéaire définie sur un K-espace vectoriel E. Si p= 2, on
dit que fest une forme bilinéaire. Si p= 3, on dit que fest une forme trilinéaire.
Laboratoire de mathématiques pures et appliquées Joseph Liouville ; 50, rue Ferdinand Buisson BP 699 ; 62 228 Calais
cedex ; France
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PLC1 Déterminants – Systèmes linéaires 2006
Définition 3
Soit Eun K-espace vectoriel. Une forme p-linéaire est dite alternée si pour tout (x1,...,xp)Epvérifiant
i, j ∈ {1,2, ..., p}, i 6=j, xi=xj, alors f(x1,...,xp) = 0. L’ensemble des formes p-linéaires alternées sur E
est notée Ap(E).
Définition 4
Soit Eun K-espace vectoriel. Une forme p-linéaire est dite symétrique si pour tout (x1,...,xp)Ep, pour
tout i, j ∈ {1,2, ..., p}alors f(x1,...,xi,...,xj,...,xp) = f(x1,...,xj,...,xi,...,xp).
Définition 5
Soit Eun K-espace vectoriel. Une forme p-linéaire est dite antisymétrique si pour tout (x1,...,xp)Ep,
pour tout i, j ∈ {1,2, ..., p}alors f(x1,...,xi,...,xj,...,xp) = f(x1,...,xj,...,xi,...,xp).
Proposition 2
Si fest une p-forme linéaire antisymétrique et si kest un corps de caractéristique différente de 2alors fest
alternée.
Démonstration. Comme fest antisymétrique, pour tout (x1,...,xp)Epet pour tout i, j ∈ {1,2, ..., p}
alors f(x1,...,xi,...,xj,...,xp) = f(x1,...,xj,...,xi,...,xp).
Supposons que xi=xj.
L’égalité précédente devient : f(x1,...,xi,...,xi,...,xp) = f(x1,...,xi,...,xi,...,xp), soit
2f(x1,...,xi,...,xi,...,xp) = 0,
ce qui donne, Kétant de caractéristique différente de 2:f(x1,...,xi,...,xi, . . . , xp) = 0.
Avant de continuer, effectuons deux petits rappels à propos du groupe des permutations d’un ensemble
fini.
Rappel 1.
L’ensemble des bijections σ:{1,2, ..., p} −→ {1,2, ..., p}est noté Sp. Une telle bijection est appelée
une permutation de {1,2, ..., p}.
Spmuni de la loi de composition des applications possède une structure de groupe.
Une permutation préservant tout les éléments de {1,2, ..., p}sauf deux qu’elle permute est appelée une
transposition. Toute permutation est produit de transposition. Le nombre de transposition intervenant
dans cette décomposition est indépendant de la décomposition (en transposition) choisie.
Rappel 2.
Il existe une morphisme de groupe surjectif ε:Sp→ {−1,1}{−1,1}est muni de sa struture
multiplicative. L’image de εsur une permutation est appelée la signature de cette permutation.
Si σest élément de Spalors ε(σ) = (1)nnest le nombre de transposition dans une décomposition
de σen produit de transposition.
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PLC1 Déterminants – Systèmes linéaires 2006
Proposition 3
Soit fune forme p-linéaire alternée définie sur un K-espace vectoriel E. Soient v1,...,vp,pvecteurs de E.
Soit aussi σun élément de Sp. Alors
f(vσ(1),...,vσ(p)) = ε(σ)f(v1,...,vp).
Démonstration. Comme les permutations sont des produits de transpositions, il suffit de montrer cette
égalité pour une transposition. Soit i, j ∈ {1,2, ..., p}et soit τla transposition de {1,2, ..., p}qui échange i
et j.
On a clairement :
f(vτ(1),...,vτ(i),...,vτ(j),...,vτ(p)) = f(v1,...,vj,...,vi,...,vp) = f(v1,...,vi,...,vj,...,vp).
Proposition 4
L’ensemble des p-formes linéaires alternées sur le K-espace vectoriel E,Ap(E)est un sous-espace vectoriel
de l’espace vectoriel des p-formes linéaires sur E,Lp(E).
Démonstration. Il suffit de vérifier que la p-forme nulle est bien élément de Ap(E)et que la combinaison
linéaire de deux p-formes linéaires alternées est encore une p-forme linéaire alternée.
3 Dimension de Ap(E)et déterminant
Proposition 1
Edésigne un K-espace vectoriel de dimension finie et pun entier naturel.
Si pest plus grand que la dimension de Ealors Ap(E) = {0}.
Démonstration. Soit f∈ Ap(E)et soient v1,...,vp,pvecteurs non nuls de E. Comme Eest de
dimension finie (car n < p), l’un des vecteurs vp, par exemple, est combinaison linéaire des p1autres
vecteurs. Il existe donc α1,...,αp1dans Ktels que
vp=
p1
X
i=1
αivi.
On peut alors écrire :
f(v1,...,vp1, vp) =
p1
X
i=1
αif(v1,...,vp1, vi).
Mais comme fest alternée, pour tout i= 1, ..., p1,f(v1,...,vp1, vi) = 0. On a prouvé que f(v1,...,vp1, vp) =
0. Cela étant vrai pour toute famille de pvecteurs de E,v1,...,vp,fest identiquement nulle sur E.
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Proposition 2
Soit Eun K-espace vectoriel de dimension navec Kqui n’est pas de caractéristique 2. L’ensemble des
n-formes linéaires alternées sur E:An(E)est de dimension 1sur K.
Démonstration. Considérons une base e= (ei)i∈{1,...,n}de E. Considérons d’autre part une n-forme
linéaire alternée fsur Eainsi qu’un n-uplet (v1,...,vn)de vecteurs de E. Pour i∈ {1,...,n}et j
{1,...,n}, il existe des scalaires αi,j Ktels que pour tout j∈ {1,...,n},vj=Pn
i=1 αi,j ei.Considérons
aussi l’ensemble Sndes suites à néléments et à valeurs dans {1,...,n}.
On peut alors écrire :
f(v1,...,vn) = X
(ik)k∈{1,...,n}∈Sn
αi1,1. . . αin,nf(ei1, . . . , ein).(1)
Remarquons qu’il existe une bijection évidente entre Snet Sn. Cette bijection est celle qui à une suite
(ik)k∈{1,...,n}de Snassocie la permutation qui envoie l’entier msur l’entier im.
Via cette remarque, on peut écrire :
f(v1,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(n),nf(eσ(1),...,eσ(n)).
fétant alternée, pour tout σSn, quelques soient v1,...,vp,pvecteurs de E,
f(vσ(1),...,vσ(p)) = ε(σ)f(v1,...,vp).
Donc :
f(v1,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(n),nε(σ)f(e1,...,en).
Soit encore :
f(v1,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(n),nε(σ)!f(e1, . . . , en),
et posant
Π(v1,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(n),nε(σ),
v1,...,vnétant nvecteurs quelconques dans E:
f(v1,...,vn) = Π(v1,...,vn)·f(e1,...,en).
Il faut montrer que Πest une forme multilinéaire et alternée. On vérifie sans peine que Πest multilinéaire.
Soient v1,...,vnnvecteurs de Eet soient i, j ∈ {1,...,n}tels que i < j et tels que vi=vj.
Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(i),i ...ασ(j),j . . . ασ(n),nε(σ)
=X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(i),i . . . ασ(j),i
|{z}
=ασ(j),j car vi=vj
. . . ασ(n),nε(σ)
Soit τla transposition qui échange iet j.τpréserve tout les autres éléments de {1,...,n}.
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Donc :
Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = X
σSn
ασ(τ(1)),1. . . ασ(τ(j)),i . . . ασ(τ(i)),i . . . ασ(τ(n)),nε(σ).
Comme τ=τ1, et ε(στ) = ε(σ),
Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = X
σSn
|{z }
ou στSn
ασ(τ(1)),1...ασ(τ(j)),i . . . ασ(τ(i)),i ...ασ(τ(n)),nε(στ)
=X
σSn
ασ(1),1. . . ασ(i),i ...ασ(j),i . . . ασ(n),nε(σ)
En conclusion Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn)et comme Kn’est pas de ca-
ractéristique 2, on déduit que Π(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = 0 et Πest bien alternée.
Proposition 3
(et définition) Soit Eun K-espace vectoriel de dimension finie. Soit e= (e1,...,en)une base de E. On
appelle application déterminant dans la base el’application multilinéaire alternée qui à nvecteurs vj
pour j∈ {1,...,n}de Ed’écriture vj=Pn
i=1 αi,j eidans la base Eassocie la quantité :
dete(v1,...,vi,...,vj,...,vn) = X
σSn
ασ(1),1...ασ(n),nε(σ).
Démonstration. Nous venons de démontrer que cette application est multilinéaire alternée.
Proposition 4
Soit Eun K-espace vectoriel de dimension finie n. Soit e= (e1,...,en)une base de E. Soit detel’application
déterminant associée à cette base. Alors dete(e1,...,en) = 1.
Démonstration. Il suffit de revenir à la définition du déterminant.
Proposition 5
Soit Eun K-espace vectoriel de dimension finie n. Soit e= (e1,...,en)une base de E. Soit fune application
n-linéaire alternée. Soient aussi v1,...,vnnvecteurs de E.
f(v1,...,vn) = dete(v1,...,vn)·f(e1,...,en).
Démonstration. Cette proposition n’est rien d’autre que la ré-écriture de celle démontrée au début de
ce paragraphe et qui donne la dimension de An(E). Se reporter donc à la démonstration de cette proposition.
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