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Tarification discriminante 95
Une telle segmentation idéale conduit à la discrimination du
deuxième degré. Néanmoins, Pigou note qu’en pratique, une entre-
prise en est réduite à s’appuyer sur des segments qui ne peuvent pas
être parfaitement classées selon la disposition à payer des consomma-
teurs qui la composent. Elle doit utiliser des critères qui peuvent être
directement vérifiés par elle, comme la nature du bien à transporter
(par exemple, du charbon ou du cuivre) pour une compagnie de che-
min de fer vendant du fret, ou le lieu de résidence de l’acheteur (par
exemple dans le pays ou à l’étranger). Il s’agit alors de discrimination
du troisième degré.
Le typologie de Pigou souligne le fait que la tarification discrimi-
nante a pour objectif premier de permettre à l’entreprise d’exercer son
pouvoir de marché dans les meilleures conditions possibles. Plutôt que
de proposer une situation de référence correspondant à l’absence de
discrimination, comme c’est le cas chez Stigler et Phlips, Pigou définit
la situation de référence où l’objectif ultime de la discrimination est at-
teint, c’est-à-dire lorsque chaque unité est vendue au prix le plus élevé
possible.
De ce point de vue, la discrimination du premier degré apparaît
comme une référence théorique incontournable. Nous verrons aussi
que la discrimination du troisième degré est tout à fait pertinente pour
comprendre les pratiques de discrimination qui reposent sur des cri-
tères directement vérifiables par l’entreprise tels que l’âge, le lieu de dé-
part et d’arrivée ou l’heure et la date du voyage.
En revanche, la discrimination du deuxième degré n’apparaît que
comme un cas particulier de celle du troisième degré qui, comme nous
le verrons, correspond à une situation particulièrement favorable pour
l’entreprise, où le critère vérifiable qui permet à l’entreprise de discri-
miner est parfaitement corrélé avec la disposition à payer (par exemple,
plus on est âgé, plus on est disposé à payer cher).
Néanmoins, de nombreuses formes de tarification discriminante
telles que la tarification non linéaire, ou le fait de proposer différentes
classes de confort dans un train ou un avion, ne s’appuient pas sur un
critère vérifiable par l’entreprise, et laissent les utilisateurs sélectionner
la formule qui leur convient le mieux. Ces pratiques ne peuvent donc
pas être considérées comme de la discrimination du troisième degré ;
il est devenu habituel parmi les économistes de parler à leur sujet de
discrimination du deuxième degré (voir Phlips, 1983, Tirole, 1988, 1993,
chapitre 3, Varian, 1989, Mougeot et Naegelen, 1994), ce terme recou-
vrant donc des pratiques très différentes de celles envisagées initiale-
ment par Pigou.
La discussion ci-dessus suggère que la tarification discriminante est
étroitement liée à l’exercice d’un pouvoir de marché. En situation de