N. Fadel, Les pieges dela publicité au Liban

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LES PIEGES DE LA PUBLICITE AU LIBAN
Nathalie Fadel –Chargée d’enseignement à FGM
A l’origine, un sentiment d’impuissance face à une publicité particulièrement dégradante
pour les femmes, et pour les hommes aussi. Du moins ceux qui tiennent à garder intacte
l’image de la femme dans l’univers de la publicité au Liban.
Il ne s’agit nullement ici de contester l’usage abusif de l’image de la femme dans les
pubs, ce sujet ayant fait couler beaucoup d’encre. Les associations féministes ont d’ores
et déjà fait de nombreux débats sur le sujet. L’objet de notre article est plutôt le sentiment
d’impuissance, lorsqu’ un juriste voit l’utilisation de terme « droit », dans un contexte
diamétralement opposé à sa finalité et à son essence même. Je m’explique : « Mon bijou,
mon droit ». Slogan d’une campagne publicitaire visant la promotion d’une bijouterie de
renon. L’on a eu la possibilité de voir le slogan affiché dans la ville de Beyrouth, et les
régions limitrophes, ainsi qu’aux différentes chaînes de télévision francophones.
Beyrouth, qui a vu naitre la première Université de Droit, comment est ce possible d’y
parler du « droit à un bijou », revendiquer par tes filles, et tes femmes ? Pour un juriste,
le terme « Droit », reflète tout un monde d’idées de noblesse, d’éthique, d’humanisme, de
respect, de démocratie, d’ouverture, d’idéal social…. Le slogan est choquant. Sans
doute, est ce l’un des objectifs du marketing d’attirer l’attention, de sortir du rang. Par
ailleurs, les professionnels du métier disent tout haut ce que les consommateurs pensent
tout bas. Ce slogan, n’est que le reflet de notre société, nos mœurs, nos comportements,
nos choix…
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L’objectif de cet article n’est nullement de faire une polémique, ni de juger, mais tout
simplement de poser la question suivante : quel univers juridique de la pub ? Comment
fonctionne juridiquement le domaine du marketing ? La créativité des annonceurs
fonctionne-t-elle sans limites ? Peut-on y inventer des slogans en toute impunité ? Quel
organisme peut-on solliciter en cas d’irrespect de la dignité des femmes, comme cela
s’est présenté ?
Une discipline a récemment vu le jour intitulée le Droit du Marketing. Il serait opportun
d’y regarder de plus prêt. Ce serait aussi l’occasion de voir au Liban, quelle approche
juridique gère la profession. Ce serait l’occasion d’aller enquêter sur le terrain, afin de
donner une idée pratique autant que théorique de Droit du Marketing.
Droit et Marketing deux disciplines diamétralement opposées. Quand l’une requiert
rigueur, constance et sérieux, l’autre n’est que émotion, imagination et folie créative.
L’une pose des limites, l’autre les force sans ménagement….alors le Droit du
Marketing ? D’après Nicole Ferry « rares sont les gens du marketing qui ont étudié le
droit, et rares sont les juristes qui connaissent le marketing, d’où des discussions souvent
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compliquées. La principale conséquence de cet éloignement est une nette tendance des
gens du marketing à solliciter le plus tard possible l’avis des juristes. Ils leur fournissent
peu d’éléments d’information, espérant ainsi obtenir un rapide feu vert». Lors d’une
campagne publicitaire, photos, slogans et films publicitaires à l’appui, existe-t-il une
protection des droits des differents protagonistes ? Quel univers juridique de la Pub ?
Le statut de la campagne publicitaire : protection et propriété
Il est vrai que dès lors qu’un annonceur participe à la création d’une campagne
publicitaire, il devient impératif pour lui de la protéger d’éventuels emprunts de ses
concurrents. Ici le droit de la propriété intellectuelle, le droit civil, ainsi que le droit pénal
sont applicables. Mais, en pratique que protège effectivement le droit ?
Thème général
Puisque nous sommes dans un monde de création abstrait, la question se pose de savoir
qui et quoi bénéficie de la protection du droit ? Aucune protection juridique particulière
des thèmes de campagne n’existe, bien sûr, puisque le droit ne protège ni les idées ni les
concepts, mais la forme qui leur est donnée. D’où le principe qu’aucune idée publicitaire,
même révolutionnaire, ne peut être la propriété de quiconque. C’est en tant que création
intellectuelle, qu’une campagne publicitaire est protégée juridiquement. Au même titre
qu’un ouvrage, une chanson, une partition musicale etc.… Le régime juridique sera celui
des droits d’auteur, et la sanction d’une utilisation abusive sera une action en contrefaçon.
En d’autres termes, si l’on est dans le cadre général d’emprunt d’idée, à savoir le fait de
« s’inspirer » d’une création artistique, dans ce cas la loi se montre flexible, voire
permissive. Par contre, s’il s’agit d’une contrefaçon, la jurisprudence se montre sévère et
sanctionne et condamne.
Le sujet est loin d’être tranché, surtout dans le monde de l’audio-visuel, et plus
particulièrement entre les réalisateurs de films de cinéma et les concepteurs de publicités,
entraînant des condamnations pour contrefaçon d’un genre nouveau. En France, le cas
s’est présenté lors de la campagne publicitaire de la société SFR mettant en scène Milla
Jovovich, dans des conditions très proches de celles du film de Luc Besson, « The fifth
Element », le Cinquième Elément. L’agence de publicité était Publicis, bien connue dans
le domaine de la Pub. Le conflit s’est porté sur la réplique du personnage féminin central
du film et l’utilisation de l’image de l’héroïne du film dans les spots télévisés, les
panneaux d’affichage et la presse écrite. La cour d’appel de Paris, le 8 septembre 2004, a
donné raison à Luc Besson et à Gaumont. Publicis et SFR ont été condamnés à verser
solidairement 2 750 000 euros.
Autre sanction, d’un genre nouveau : l’action en parasitisme. Ici, le champ d’application
est plus vaste. La protection juridique trouve toute sa signification. Le parasitisme est un
comportement fautif, son auteur profite de l’investissement publicitaire d’un autre. Il
capte le travail d’autrui, se comporte en véritable parasite, et tire profit d’actions qu’il n’a
pas financé. L’exemple le plus connu est celui du parfum Champagne lancé par la société
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Yves Saint Laurent. Toute la campagne publicitaire était déclinée autour de l’image de la
boisson : la présentation du flacon rappelait le bouchon des bouteilles de vin, les
arguments promotionnels évoquaient la fête, etc. L’ensemble de la campagne fut jugé
parasitaire et le parfum ne s’appelle plus aujourd’hui Champagne.
Parmi les éléments qui bénéficient de la protection du droit, la forme du produit, le
packaging, le logo, le slogan, les affiches, jingles et films publicitaires…. S’il est vrai que
le droit offre sa protection, mais il n’est pas le seul. Un organisme veille à sauvegarder le
domaine de la publicité, et surtout de poser des réglementations et des limites dans un
monde connu pour ses excès.
Rôle et responsabilité des agences conseil en communication
Déjà la terminologie utilisée aujourd’hui affin de définir les agences de publicité
d’entant, nous donne une idée de l’évolution de la profession. Le fait d’introduire le
terme de communication offre la possibilité de montrer l’importante du message
publicitaire, et son impact sur la société. Il reflète la conscience d’une société donnée,
puisqu’il s’introduit au plus profond d’elle-même. Il agit comme un paramètre de
l’évolution de cette société, de sa liberté, de ses interdits, de ses mœurs, de ses tabous etc.
L’activité des agences n’est plus simplement l’achat d’espaces publicitaires, d’ailleurs la
définition du mot agence a changé : « c’est un organisme indépendant, composé de
spécialistes chargés, pour le compte des annonceurs, de la conception, de l’exécution et
du contrôle des actions publicitaires. Les agences comportent à la fois des services
techniques (études, création, fabrication, achats d’espaces dans les medias) et des
services commerciaux qui sont en contact avec les annonceurs pour la définition des
objectifs, des budgets et de la stratégie de communication » (Source : Marketing
Management 2004)
Au Liban, quel rôle joue les agences de pub ?
Une recherche conclue avec la collaboration de l’AAA (Advertising Agencies
Association) nous montre que le domaine de la publicité demeure encore loin de la notion
de communication visée plus haut. Il existe 60 agences au Liban, dont 35 ont adhéré à
l’AAA. Le pouvoir de l’association est assez limité en pratique. Une fois l’an,
l’association réunie tous ses membres afin de mettre en place de nouvelles
réglementations, qu’elles soient d’ordre éthique ou d’intérêt général. Il s’agit de règles de
bonne conduite sans caractère impératif. Une sorte de code de comportement sans aller
plus loin dans l’application de ses règlements. Bien sûr, l’Etat par l’intermédiaire ses
institutions (Sûreté Générale, Ministère de l’Intérieure, Municipalités) exerce un contrôle
préalable de chaque campagne publicitaire. Il n’existe pas d’organisme privé ou public
spécialisé dont l’objectif serait de contribuer au fonctionnement clair et éthique du
marché de la publicité. D’ailleurs, cette diversité de contrôle joue un rôle négatif, vu que
chaque organisme crée des paramètres différents de l’autre. L’univers de la publicité
devient de plus en plus chaotique. Si l’on consulte le site de l’AAA, la rubrique Mission
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énonce un certain nombre de principes, tous relatifs à l’exercice du métier. Aucune
allusion au rapport avec le consommateur final, celui à qui s’adresse en fait le message
publicitaire.
Comment protéger ce consommateur final d’un message publicitaire qui pourrait le
choquer ou le gêner ? D’après le Président de l’AAA, Mr Georges Abed El Malak, le
marché exerce une autocensure. Et si nous parlons du slogan cité plus haut « mon bijou,
mon droit » et de toute la campagne publicitaire, en l’occurrence celle télévisée, les
femmes principales clientèles de la bijouterie trouveraient le moyen de boycotter le
produit, si elles se sentent offensées par la signification du message. Donc, à celui qui a
financé le slogan de payer le prix… Trop de rigueur juridique, entraverait la créativité….
Au Liban, il existe un certain consensus qui fait que certains sujets sont plus délicats que
d’autres, certaines régions plus sensibles que d’autres. Les agences de pub, fonctionnent
selon des usages et non des réglementations précises. Notre recherche a montré que les
agences de publicité savent jongler avec les différents paramètres qu’imposent une
société pluraliste comme celle qui existe au Liban. La régulation se fait au « feeling »,
dosant le degré de permissivité de chaque tranche, de chaque région… Ce qui rendrait la
tache difficile aux agences étrangères qui ne connaissent pas la complexité de notre
société. En effet, cela est une force et une faiblesse à la fois, mais il serait préférable de
créer un organisme capable de gérer les impératifs de liberté d’expression et d’éthique et
de pluralisme sociétal sans que cela ne semble irréel à réaliser. En France, cet organisme
est le BVP, Bureau de vérification de la Publicité.
Le contrôle préalable du BVP
Le Bureau de vérification de la publicité est l’organisme d’autodiscipline de la publicité.
Il élabore des recommandations déontologiques et existe depuis 1935. C’est une
association indépendante des pouvoirs publics qui regroupe quatre catégories
d’adhérents : les annonceurs, les agences de communication, les supports et les membres
correspondants. Les adhérents s’engagent à respecter les recommandations du BVP qui
s’intitule « l’Association des professionnels pour une publicité responsable ». Le mot clé
est « responsabilité ».
Le message publicitaire est visionné, que ce soit par affichage, presse écrite ou télévision,
et trois types d’avis peuvent être rendu :
- avis « favorable », si le message est conforme aux textes législatifs et
réglementaires, ainsi qu’aux recommandations déontologiques ;
- avis « à ne pas diffuser » s’il est en totale contradiction avec le cadre légal et
déontologique ;
- avis « à modifier » s’il y a une contradiction avec un texte ou une
recommandations susceptible d’être corrigée.
Certains principes généraux universels sont à signaler :
- respect de la dignité humaine, absence de discrimination en raison de la race, du
sexe ou de la nationalité ;
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absence de scène de violences et d’incitation à des comportements préjudiciables
à la santé, la sécurité des personnes ou des biens, ou à la protection de
l’environnement ;
absence d’éléments de nature à choquer les convictions religieuses,
philosophiques ou politiques des consommateurs ;
pas de publicité présentant des éléments faux ou de nature à induire en erreur ;
pas de risque de préjudice moral ou physique pour des mineurs, comme
l’incitation à l’achat direct ou indirect ou la présentation de mineurs en situation
dangereuse.
Le cadre juridique
Au Liban, il existe un certain nombre de lois et réglementations visant les medias en
général. S’il est vrai qu’une certaine réglementation est venue organiser le placement des
affiches publicitaires, il n’en demeure pas moins qu’il reste beaucoup à faire dans la
prolifération de plus en plus chaotique des affiches sur les routes du pays. Ainsi, les
municipalités ont réglementé les distances entre les différentes affiches, afin de ne pas
gêner les conducteurs, et de préserver la sécurité routière. Selon l’AAA, la plus part des
panneaux publicitaires sont placés de manière illégale sans aucun respect des
réglementations.
Trois types de propriétaires de ces panneaux : L’Etat par l’intermédiaire des
municipalités, les agences de publicité, et les particuliers--c'est-à-dire ceux qui louent un
mur de l’immeuble ou bien le roof ou le balcon… Chacun des ces protagonistes obéit à
un certain nombre de paramètres, sans prendre en considération les limitations dictées par
la sécurité routière, l’urbanisme et l’environnement. Cela de point de vue forme. Quant
au fond, les règlements régissant l’industrie de la publicité sont minimes.
Ce secteur est en grande partie régi par les lois de presse, alors qu’en fait il ne s’agit
nullement de sa compétence. La presse et les publications en général sont différentes, de
par leur nature et leur finalité, du message publicitaire qui s’adresse à la masse et qui
s’invite dans notre inconscient collectif sans crier gare. Dans l’une, c’est la liberté
d’expression et de pensée qui est mise à l’honneur, dans l’autre c’est un univers de
création plus ou moins chaotique, au Liban surtout. Par ailleurs, la loi sur l’audiovisuel
interdit aux stations de télévision et de radio de diffuser des publicités trompeuses ou qui
portent préjudice aux consommateurs, et les publicités ne peuvent contenir certaines
scènes jugées « impropres » à l’auditoire. Dans quelle mesure ? Comment peut-on juger
du caractère impropre ou non d’une publicité ? Certaines publicités sont d’une extrême
violence et malgré cela elles passent à la télévision, qui demeure tributaire d’un parti
politique et de sa vision. Demeure le problème de l’organisme chargé de cette fonction.
Au Liban, c’est la Sûreté Générale qui est habilitée à exercer un tel pouvoir. Les
membres de cet organisme étatique n’ont pas de formation « marketing » au sens large du
terme. Ils ne sont pas issus du domaine de la publicité, d’où une certaine difficulté à
s’imprégner des rouages du métier.
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Dans le cadre des efforts visant à réglementer la profession, les ministères de
l’information, de l’économie et du commerce, ainsi que les professionnels travaillant
dans le secteur, sont en train de fournir des efforts pour un projet de loi. Cette loi aura
pour point fort la composition d’un organisme formé de représentants des medias et des
représentants du gouvernement, qui aurait pour prérogatives de réglementer le secteur,
ainsi que d’établir un véritable code déontologique de la profession et des moyens
efficaces d’action sur le terrain. Cela a été confirmé par le Président de l’AAA.
L’univers de la publicité au Liban baigne dans un vide juridique néfaste. Néfaste, car il
nuit à l’image de notre pays connu pour être le plus libre de la région. Notre liberté
d’expression et notre liberté d’entreprendre sont les piliers de notre existence, et nous y
tenons au point de mourir en leur nom… Et nous voulons à tout prix maintenir cette
liberté, sans tomber dans la vulgarité.
Notre pays, par l’intermédiaire de certains media, souffre d’une image qui lui colle à la
peau. Etant juriste, et par le fait même plus sensible que d’autres à l’utilisation du terme
« droit », et étant femme et revendiquant une société où les Droits de la Femme sont
respectés, un slogan comme « Mon bijou, mon droit » ne pouvait qu’engendrer une
réaction de profond malaise. Voulant partager ce sentiment, et affin d’éviter que dans le
futur nous y soyons à nouveau confronté, je propose aux professionnels du marketing de
se pencher sur la question et de veiller à donner au secteur un véritable « Droit du
Marketing » made in Lebanon. Respectant nos coutumes, nos mœurs, nos contradictions,
nos espérances….en un mot notre particularité libanaise.
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