Le coût réel de l'indépendance de la banque centrale
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You know you believe you understand what you
think I said, but I am not sure you realise that
what you heard is not what I meant
Alan Greenspan
INTRODUCTION*
Depuis plus de quinze ans, l’idée que la conduite de la politique monétaire devrait
être retirée des mains du gouvernement a fait son nid. Institutionnellement, cette idée
a guidé de nombreuses réformes dont le point commun a été d'accroître
significativement l'autonomie de l'institution en charge de la politique monétaire, la
banque centrale, vis-à-vis du pouvoir politique. Au Chili, au Japon, au Mexique, en
Nouvelle-Zélande ainsi que dans la quasi-totalité des pays de l'Union européenne, les
assemblées législatives ont décidé de déléguer la charge de la politique monétaire à la
seule banque centrale.
Historiquement, l'apparition de banques centrales indépendantes n'est pas un
phénomène nouveau. Ce qui l'est déjà plus, c'est l'émergence d'une production
scientifique sur la nécessaire indépendance des banques centrales; production qui a
largement servi de justification théorique aux "innovations institutionnelles" de ces
quinze dernières années. Mené dès la fin des années soixante-dix, cet essai de
théorisation est essentiellement le fait de chercheurs en sciences économiques.
L'argument central de ces recherches peut se résumer en une formule laconique: pour
contrôler l'inflation à un niveau bas et stable, l'indépendance de la banque centrale
est incontournable. Mieux, l'indépendance de la banque centrale agit sur la variable
de l'inflation, mais surtout ne porte pas à conséquence, positivement ou
négativement, sur d'autres variables comme la croissance ou le chômage.
Arguments et conclusions de ces recherches seront discutées dans le premier chapitre
de ce travail. Il importe cependant d'en souligner un point essentiel. Si l'indépendance
de la banque centrale vis-à-vis du pouvoir politique apparaît dans cette littérature
comme solution aux dérives inflationnistes, c'est bien parce que ces chercheurs
postulent que les déterminants de l'inflation se trouvent dans le processus politique,
dans la compétition électorale en particulier. Autrement dit, ces recherches
convergent vers une explication où le politique est ab initio cause d'inflation.
Paradoxalement, ce recours au politique où on ne l'attendait pas, comme appendice
explicatif des phénomènes économiques, n'a pas captivé l'attention des politologues.
Face à l'abondance des écrits d'économistes sur la banque centrale indépendante,
rares sont en effet les chercheurs en sciences politiques à avoir marqué un intérêt
pour cette problématique (Goodman, 1992; Maxfield, 1994; Maxfield, 1997;
* Ce travail a fait l'objet d'un mémoire de maîtrise ès sciences politiques soutenu à l'Université de
Lausanne en février 2002. Il a également été enrichi par un travail de Master sur les questions
théoriques soulevées par l'analyse économique de la banque centrale indépendante à la London
School of Economics en juin 2001.