> Appareil » Varia
apparaissent comme une alternative crédible à la fois aux expériences de laboratoire et aux
expériences naturelles. Comme l'exprime Esther Duflo (2009, p. 67-68) : « [dans] les
expériences dites de "laboratoires", où des sujets volontaires (souvent des étudiants) ont à
prendre des décisions plus ou moins fictives dans un environnement contrôlé [...], la flexibilité
du laboratoire joue aux dépens du réalisme, à la fois des sujets recrutés et des conditions dans
lesquelles ils opèrent ». De plus, l'avantage de l'expérimentation par assignation aléatoire (9)
serait d'échapper aux contraintes des expériences dites naturelles : faible « stock »
d'expériences naturelles, difficultés dans les vérifications des groupes de contrôle et des
groupes de traitement (Trannoy, 2003). « On la critique souvent avec la boutade de l'ivrogne qui
cherche ses clés sous le lampadaire parce qu'il n'y a que là qu'on y voit quelque chose. Le
chercheur en est réduit à évaluer ce qu'il peut évaluer » (Duflo, 2009, p. 51).
2. Une épistémologie non dénuée de
points aveugles et de limites
Si les objets étudiés sont modestes et revendiqués comme tels, l'emploi de cette méthodologie
l'est parfois moins. On peut trouver dans les premiers écrits d'Abhijit Banerjee et Esther Duflo
des déclarations sans doute quelque peu hâtives : « créer une culture promouvant,
encourageant et finançant des évaluations rigoureuses par expérimentations randomisées peut
potentiellement révolutionner les politiques sociales du 21e siècle, comme les essais
randomisés avaient révolutionné la médecine du 20e siècle » (Duflo, 2004, cité in Deaton, 2009,
p. 3). À les lire, on a parfois l'impression qu'avec la technique des expérimentations par
assignation aléatoire, l'économie du développement serait enfin entrée dans l'âge de la rigueur
et de l'impartialité. De manière récurrente, après une scène d'exposition de l'opposition entre
deux approches (de l'aide, du financement du développement etc.) souvent renvoyées
dos-à-dos, l'auteur souligne que « curieusement, nous ne disposions pas jusqu'à une date
récente, d'études d'impacts rigoureuses et impartiales » (Duflo, 2010b, p. 14), prélude à l'entrée
en scène de la méthode expérimentale. C'est l'un des rares effets rhétoriques que s'autorisent
ces auteurs dont on comprend aisément l'enthousiasme. Cette approche est encore jeune et
son épistémologie se définit peu à peu, au fil des expérimentations et au travers de
controverses. Certains points mériteraient d'être explicités plus avant. Nous en évoquons ici
quelques-uns (10).
2. 1. Découvertes « pragmatiques » : une
technique bien définie, une heuristique encore
floue
Autant les expérimentations par assignation aléatoire constituent aujourd'hui une technique
largement consolidée et bien documentée (Banerjee & Duflo, 2009), autant l'épistémologie de
ces recherches reste peu développée et fragmentaire. Peut-être est-ce lié au fait que ces
chercheurs se définissent d'abord par rapport à d'autres techniques (expérimentations de
laboratoire, régressions internationales etc.) et que les débats portent plus sur la question de la
généralisation des résultats que sur la logique d'investigation et de découverte. Aussi, la nature
des processus d'inférence à l'oeuvre (hypothético-déductif, inductif ou encore abductif) et de
leur éventuelle combinaison n'est pas définie précisément. Nous tentons ici de reconstruire, au
risque de la surinterprétation voire du contresens, les processus heuristiques qui
transparaissent des publications d'Esther Duflo. Celle-ci se réclame du pragmatisme mais dans
le sens commun et non pas philosophique du terme. Il nous semble cependant que certains
éléments de sa démarche témoignent d'un « moment abductif » (11), caractéristique de la
logique d'investigation développée par les philosophes pragmatistes Charles S. Peirce et John
Dewey.
2. 2. Quel enchâssement théorique ? Concepts,
théorie de l'acteur et de la connaissance