’après un principe didactique de base, la philosophie pour enfants cherche
à profiter de leur curiosité pour organiser une discussion philosophique.
La curiosité est, en effet, le présupposé de la didactique élaborée par
Matthew Lipman1, mis en évidence par Marie-France Daniel qui insiste sur le
caractère naturel et spontané de la curiosité chez l’enfant, en général : « Pour lui
[Lipman] l’enfant est naturellement curieux (...) sa curiosité naturelle représente un
outil fondamental pour le développement de ses potentiels ; que l’art de
l’éducateur ou de l’éducatrice ne se trouve que dans son habileté à éveiller cette
curiosité enfantine » (Daniel, 1997, pp. 57-59).
Mais c’est également un terme qui revient souvent dans la justification du bien
fondé de la pratique de la discussion à visée philosophique : si cette pratique est
efficace et profitable aux enfants, c’est justement parce que les efforts intellectuels
et relationnels dans lesquels ils s’engagent leur sont, en quelque sorte, insufflés par
leur curiosité. La curiosité est ainsi considérée comme le moteur le plus prometteur
de leur développement, tant cognitif que social : « On ne se rend pas compte de la
grande part jouer dans la vie de l’enfant par la curiosité, le raisonnement,
l’expérience, la preuve » (Dewey, 2004 a, p. 85). Il n’est pas anodin de remarquer
que, pour Dewey, la curiosité précède toute activité réflexive et scientifique ce qui
l’a conduit à élaborer une « pédagogie de l’intérêt » (Dewey, 2004 b).
Mais qu’est-ce que la curiosité ? Et comment créer les conditions d’émergence de
la curiosité si on ignore de quelle étoffe elle est faite ? Si l’on regarde dans un
dictionnaire, la curiosité est définie comme le désir de comprendre, d’apprendre ou
de voir (Kannas, 2000, p. 411). En effet, nous disons qu’une personne est curieuse
lorsqu’elle manifeste le désir de connaître quelque chose ou quelqu’un. Mais
quelle est la nature de ce désir de connaissance ?
Pour répondre à cette question, nous avons choisi de nous référer au Banquet de
Platon2 qui s’intéresse à la nature du désir, en général. Dans un premier temps
nous étudierons donc la nature du désir en général, puis nous transposerons cette
définition à celle, plus spécifique, du désir de connaissances. Une fois la définition
de la curiosité établie, nous examinerons la pratique de la discussion philosophique
en classe pour déterminer dans quelle mesure la curiosité des enfants y est
impliquée.
1. La curiosité, désir de connaître davantage.
Dans le Banquet de Platon, Diotime pose que le désir porte sur les choses qu’on ne
possède pas : « l’objet du désir, pour celui qui éprouve ce désir, est quelque chose
qui n’est pas à sa disposition et qui n’est pas présent (…) quelque chose qu’il ne
possède pas, quelque chose qu’il n’est pas lui-même » (Platon, Banquet, 200 e).
Mais pour qu’il y ait désir, encore faut-il déjà posséder une certaine connaissance
de ce que l’on désire, sans quoi, nous ne le désirerions pas. Impossible de désirer
une personne ou une chose, si nous ignorons tout d’elle jusqu’à son existence
1 Matthew Lipman, fondateur de l’I. A. P. C. (Institute for the Advancement of Philosophy
for Children), Docteur Honoris Causa de l’Université de Mons-Hainaut, il a écrit un
corpus de romans et de manuels pédagogiques pour introduire la philosophie à l’école,
dès la grande section de maternelle.
2 Nous nous référerons à la traduction de Léon Robin (1929).