Les progrès de la médecine et la prise en
charge des patients ayant progressé, les
différents cancers sont souvent qualifiés
de maladie chronique,de par la trajec-
toire des malades. Les répercussions
sont importantes,non seulement sur le
plan physique mais aussi sur la person-
ne dans sa globalité. Le diagnostic de
cancer, quel que soit sa nature, ainsi que
les traitements qui suivront, auront des
conséquences importantes sur la santé
sexuelle et l’intimité de l’individu, que
ce soit sur le plan fonctionnel ou émo-
tionnel et mental.
Une problématique oubliée
Les cancers sont regroupés sous le ter-
me générique de «cancer» et représen-
tent la deuxième cause de mortalité au
niveau mondial après les affections car-
dio-respiratoires (OMS, 2012). A l’échel-
le du globe,on constate une augmenta-
tion constante des cas de cancer.En
2013, on dénombrait 14.9 millions de cas.
En Suisse,l’Office fédéral de la santé
publique (OFSP) révèle que plus de
37 000 nouveaux cas de cancer sont dia-
gnostiqués annuellement (2014). Les
soignants doivent ainsi faireface à une
maladie devenue courante.
L’annonce d’un tel diagnostic a d’impor-
tantes répercussions sur toutes les
sphères de la vie des personnes affec-
tées, y compris la sphèreintime. En
effet selon Katz, le diagnostic de cancer,
ainsi que les traitements qui vont suivre,
auront un impact significatif sur l’activi-
té sexuelle, allant de l’aspect fonctionnel
jusqu’à des effets émotionnels et men-
taux (2005). Or ceci semble souvent
oublié dans la pratique infirmière, pro-
bablement parce que, tant le personnel
soignant que le patient, ne savent com-
ment entrer en matièrequand il s’agit de
la santé sexuelle des patients,en parti-
culier de ceux suivis en oncologie.
Pourtant l’infirmière, grâce à son juge-
ment clinique et son aptitude au dia-
logue, est compétente pour accompa-
gner les patients atteints d’un cancer.
D’autrepart, la sexualité fait partie inté-
grante de chaque personne et elle est
une composante essentielle du bien-être
général, de la qualité de vie et de la san-
té (OMS, 2012). Nous avons donc estimé
que l’infirmière ne pouvait pas négliger
les problèmes liés à l’intimité et à la
sexualité, même si ces sujets étaient
délicats à aborder.
De cette réflexion a découlé la question
de recherche qui a dirigé la revue de lit-
térature de notre travail de Bachelor:
Comment l’infirmièrepeut-elle favoriser
la discussion autour de l’intimité et
la sexualité auprès des patients en onco-
logie?
Cadre théorique
Afin de soutenir ce travail, un cadre de
référence infirmier a été choisi: la théo-
rie de la transition selon Meleis. Pour
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Krankenpflege ISoins infirmiers ICure infermieristiche 2/2017
Pratique des soins
Sexualité et intimité des patients en oncologie
L’infirmière doit-elle
s’en préoccuper?
Le cancer et les traitements qui y sont liés ont des
conséquences importantes sur la santé sexuelle des
patients – un sujet pourtant peu abordé. Que peuvent
faire les infirmières pour apporter un soutien aux
patients dans un domaine où le silence est roi?
Texte: Vanessa Alarcon, Florence Gras, Flor Priscilla Zorrilla Matos / Photos: Fotolia
Vanessa Alarcon, Florence Gras
et Flor Priscilla Zorrilla Matos,
candidates au Bachelor en Soins
Infirmiers, HESAV.
Patricia Dupuis,maître
d’enseignement HES, HESAV.
Contact: patricia.dupuis@hesav.ch
Les auteures
Solenn Hart,
«Solstice».
Repérée à:
terredamour.com
l’auteure, une transition est à la fois le
processus et le résultat des interactions
complexes de la personne avec son en-
vironnement. Elle peut impliquer une
personne ou plusieurs. Elle est insérée
dans un contexte et dans une situation.
Dans la conception des soins de Meleis,
la transition est constituée de quatre
concepts centraux: la nature, les con-
ditions, les interventions infirmières et
les modèles de réponse. La «nature» dé-
finit le type de transition: notre travail
s’est essentiellement basé sur l’expé-
rience de santé ou de maladie. La pro-
priété de transition que nous avons le
plus exploitée est la prise de conscien-
ce de la situation de la part des pa-
tients. En effet, c’est à l’infirmière
d’identifier où se situe le patient dans
l’expérience de la maladie avant de me-
ner une démarche impliquant des inter-
ventions. Ensuite, les conditions de
transition nous ont permis d’identifier
les facteursentravant ou facilitant le
passage d’une situation de santé à une
autre.
L’infirmière a un rôle à jouer en recon-
naissant les obstacles au déroulement
d’une transition en santé et l’acces-
sion à un état satisfaisant pour le pa-
tient, ainsi qu’en re-
connaissant les res-
sources du patient,
voire, en étant une
ressource elle-même.
Les interventions infir-
mières ont pour but, se-
lon Meleis, d’aider une
personne et sa famille à
retrouver leur équilibre
àla suite d’une période de vulnérabilité.
Des changements intenses
Dans l’étude de Hordern et Street
(2007), les résultats ont démontré que
pour la majorité des patients, une ruptu-
re telle que le cancer avait fourni une
opportunité de redéfinir les priorités. Le
changement s’est manifesté à traversla
manière dont ils ont ensuite envisagé
l’avenir et reconsidéré la vie.Wilmoth et
al. (2011) ont décrit que huit femmes
de leur échantillon avaient ressenti un
fort changement: à l’annonce du dia-
gnostic,elles disent s’être vues comme
«asexuées» ou bien «no longer whole».
L’étude a mis en avant l’importance du
changement en demandant aux partici-
pantes de quantifier celui-ci sur une
échelle.Toutes ces femmes ont affirmé
avoir subi un changement, à différents
degrés d’intensité.
De la même manière, chez les hommes
atteints de cancer (affectant l’appareil
génital ou non), ceux ayant eu des diffi-
cultés à obtenir ou maintenir une érec-
tion normale dans le but d’avoir un rap-
port avec pénétration ont mentionné le
fort impact de la maladie sur leur mas-
culinité: ils ont exprimé un sentiment
d’inadéquation. Le dysfonctionnement
sexuel a donc été, pour ces hommes, un
réel bouleversement. Un autre patient a
même suggéré que le cancer était, dans
son cas, une atteinte à la virilité. (Gilbert
&al., 2013). Pour Krebs (2008), le can-
cer lui-même ou les traitements sont fré-
quemment associés à des changements
dans le désir et l’excitation, ou nommés
responsables d’une absence ou d’une di-
minution d’éjaculation et/ou d’orgasme.
Les croyances, de réels facteurs
entravants
Dans l’étude menée par Hordern et
Street (2007), les patients désiraient re-
cevoir de l’information concernant les
problèmes en lien avec leur sexualité et
l’intimité, mais ont supposé que si le
professionnel n’abordait pas ces sujets
avec eux, c’était parce que cela n’était
finalement pas important. Autrement
dit, les représentations des patients en
lien avec la discussion des sphères inti-
me et de sexualité avec l’infirmière
constituent des conditions personnelles
entravant le processus de transition tel
que le conçoit Meleis.En effet, ces per-
ceptions font obstacle à une transition
en santé car elles ne permettent pas
au patient d’initier le dialogue avec le
soignant.
L’étude de Julien et al. (2010), réalisée
sur des infirmières en oncologie, a
conclu que la plus grande barrière au
fait de ne pas mener une évaluation
complète au sujet de la santé sexuelle
des patients était la croyance, de la part
des infirmières,que leurspatients n’at-
tendaient pas d’elles qu’elles les ques-
Pratique des soins
62 Krankenpflege ISoins infirmiers ICure infermieristiche 2/2017
«Pour la majorité des patients,
une rupture telle que le
cancer a fourni une opportunité
de redéfinir les priorités.»
Outils d’évaluation
INQ (Information Needs Questionnaire):
Conçu au départ pour identifier les be-
soins prioritaires en information de pa-
tientes atteintes d’un cancer du sein
(par exemple: le degré de la maladie et
son évolution, les effets secondaires
des traitements, la façon dont les trai-
tements influencent le corps, l’attiran-
ce sexuelle, le fonctionnement sexuel,
etc.) puis testé sur d’autres patients
cancéreux et approuvé.
PLISSIT:
P:Donner au patient la permission
d’être sexuellement actif,
LI:Promouvoir une information limi-
tée par rapport au traitement, à la ma-
ladie, à une incapacité sexuelle,
SS:Suggestions spécifiques afinde gé-
rer de potentiels effets secondaires sur
la sexualité,
IT:Soutenir l’utilisation d’une thérapie
intensive avec des spécialistes (ex. thé-
rapeute sexuel).
ALARM model:
A: Activité,
L:Libido, désir,
A:Excitation, orgasme,
R: Relaxation,
M:Information médicale
Ce modèle évalue plusieurs éléments:
le type et le niveau d’activité sexuelle,
les aspects de libido, la qualité et la
quantité de lubrification ainsi que la
capacité d’avoir une érection et/ou un
orgasme. Dans l’information médicale,
le statut de santé, le traitement et ses
effets secondaires sont également pris
en compte.
Les différents
modèles
tionnent à propos de leur santé
sexuelle. C’est donc bien une
représentation infirmière qui,
dans ce cas, ne permet pas
d’amorcer le dialogue avec le
patient, et entrave ainsi une
saine transition de sa sexualité.
Une autre étude a démontré
que certains professionnels ont
considéré les patients comme
étant «asexués» et ont choisi de
privilégier une approche médi-
calisée de tels sujets (Hordern
&Street, 2007). Du point de
vue de la théorie de la transi-
tion, ceci est considéré comme
un facteur entravant.
Le soutien des conjoints,
facteur facilitant
L’étude de Wilmoth et al. a mis
en avant l’importance du
conjoint dans l’acceptation,
par la personne ayant le cancer,
de son corps transformé par la maladie
(par exemple, quand survient l’alopé-
cie). Les partenaires ont été décrits com-
me d’importants soutiens à la personne
malade et ayant généralement une bon-
ne influence sur la transition de la
sexualité.
Cet aspect de la communauté, comme le
définit Meleis, est un facteur facilitant
une transition dite en santé. Gilbert & al.
(2013) ont recueilli des témoignages
allant dans le même sens, puisque les
partenaires de patients ont déclaré qu’ils
s’étaient focalisés sur le confort et les
besoins du conjoint malade, rendant
l’acceptation de la nouvelle situation
plus aisée.
Recommandations pour
la pratique
Le rôle autonome de l’infirmière est par-
ticulièrement important et valorisé dans
la thématique traitée dans ce travail
de recherche. L’infirmière possède un
corpus de connaissances conjugué à un
savoir-faire ainsi qu’un savoir-être per-
mettant d’épauler les patients en onco-
logie voyant leur sexualité et leur intimi-
té mises à l’épreuve par le cancer.
Plusieurs pistes de recommandations
pour la pratique ont été déduites des
articles utilisés lors de ce travail.
La formation, non seulement des infir-
mières travaillant sur le terrain, mais
également des étudiants,est primor-
diale.
Une pratique réflexive constante est
nécessaire à l’infirmière afin qu’elle
soit consciente de ses propres repré-
sentations et valeursen matièred’inti-
mité et de sexualité.
Des outils comme l’INQ, le PLISSIT
ou le modèle ALARM (voir encadré)
sont à intégrer à la pratique. Le ques-
tionnaireINQ permettrait d’identifier
les besoins prioritaires en information
du patient, dont la sexualité. Ensuite,
le personnel soignant pourrait évaluer
le niveau de préparation du malade et
ainsi répondre à ses questionnements
au bon moment. Les deux autres ou-
tils peuvent offrir des pistes d’inter-
vention et de réflexion afin de person-
naliser le projet de soins du patient.
Les infirmières devraient aborder sans
réticence les sujets de la sexualité et de
l’intimité dès la première rencontre, en
individualisant le projet de soin.
Une thématique à approfondir
Ce travail avait pour but de comprendre
comment l’infirmière pourrait favoriser
la discussion autour des thèmes tels que
l’intimité et la sexualité avec les patients
en oncologie.La revue de littérature
effectuée a en effet révélé que ces deux
notions étaient mises à l’épreuve tout au
long du continuum d’un cancer.
En outre, la problématique autour de
thèmes comme la sexualité et l’intimité
demeureactuellement peu prise en
compte par les soignants.De multiples
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www.sbk-asi.ch >Soins en oncologie >Sexualité >Rôle infirmier
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Krankenpflege ISoins infirmiers ICure infermieristiche 2/2017
barrières (croyances de la part des soi-
gnants et des patients,manque de for-
mation des soignants, etc.) font obstacle
àl’intégration de ces deux besoins dans
l’accompagnement des patients.
Plusieurspropositions ont été évoquées
dans un souci de sensibilisation des
infirmières, afin qu’elles osent, via leur
rôle autonome et en collaboration avec
l’équipe soignante, aborder les ques-
tions liées à la sexualité et l’intimité des
patients.
Parmi les travaux de recherche, la santé
sexuelle des patients en oncologie est un
sujet peu étudié à l’heureactuelle.Il faut
également relever que la thématique
n’est guèreplus étudiée ou prise en
compte dans les autres pathologies pou-
vant affecter la sexualité, telles les dou-
leurs chroniques, les atteintes de la
mobilité, les maladies de peau etc…
Cependant, sur le terrain, en Suisse ro-
mande, des efforts sont faits. Des confé-
rences sont menées à ce sujet dans diffé-
rentes institutions vaudoises.D’autre
part, à Lausanne, un module optionnel
intitulé «Intimité et sexualité» est propo-
sé dans les Hautes écoles spécialisées
et un projet visant à aborder de manière
approfondie cette thématique pendant la
formation est en coursd’élaboration.
Références
La bibliographie complète ainsi que la revue
de littérature peuvent être obtenues auprès
des auteures.
Le diagnostic de cancer débouche
sur une remise en question globale
de la vie sexuelle et affective.
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