Synthèse Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (1) : 99-109 La mémoire musicale à long terme au cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer Musical long-term memory throughout the progression of Alzheimer disease Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. Mathilde Groussard1,2,3,4,5 Caroline Mauger1,2,3,4 HervÉ Platel1,2,3,4 1 Inserm, U1077, Caen, France <[email protected]> 2 UMR-S1077, Université de Caen Basse-Normandie, Caen, France 3 UMR-S1077, École pratique des hautes études, Caen, France 4 U1077, CHU de Caen, Caen, France 5 Service d’explorations fonctionnelles, CHU de Caen, Caen, France Tirés à part : M. Groussard Résumé. Quelques cas cliniques présentés dans la littérature ont mis en évidence la préservation de remarquables capacités musicales chez des patients Alzheimer anciennement musiciens, cette préservation contrastant avec des difficultés mnésiques et langagières. Ces observations ont naturellement conduit les chercheurs à proposer des études plus systématiques permettant d’évaluer réellement les compétences en mémoire musicale de patients Alzheimer non-musiciens. Ces travaux, actuellement peu nombreux, ne semblent pas apporter des réponses claires quant à une préservation des capacités en mémoire musicale chez ces patients. La synthèse de la littérature que nous proposons ici nous permet de faire le point sur le sujet, et de proposer une explication possible aux divergences de résultats. Ainsi, de cette revue de la littérature, nous pouvons constater que les processus de mémoire évalués varient selon les stades de la maladie. Aux stades précoces, une évaluation majoritaire de la mémoire épisodique musicale est proposée et apparaît déficitaire chez ces patients alors qu’à partir des stades modérés de la maladie, les travaux axent leur évaluation sur la mémoire sémantique et les apprentissages implicites qui se révèlent résister plus longtemps à la pathologie. Ces résultats nous amènent à réfléchir sur les systèmes mnésiques engagés et sur l’importance, pour mettre en évidence des capacités musicales préservées, d’adapter les outils d’évaluation à la sévérité des troubles rencontrés au cours de la maladie. Mots clés : maladie d’Alzheimer, musique, mémoire sémantique, mémoire épisodique, apprentissage implicite Abstract. In Alzheimer patients with a solid musical background, isolated case-reports have reported the maintenance of remarkable musical abilities despite clear difficulties in their verbal memory and linguistic functions. These reports have encouraged a number of scientists to undertake more systematic studies which would allow a rigorous approach to the analysis of musical memory in Alzheimer patients with no formal musical background. Although restricted in number, the latest data are controversial regarding preserved musical capacities in Alzheimer patients. Our current review of the literature addresses this topic and advances the hypothesis that the processes of musical memory are function of illness progression. In the earlier stages, the majority of evaluations concerned musical episodic memory and suggested a dysfunction of this memory whereas in the moderate and severe stages, musical semantic memory and implicit learning are the majority of investigations and seemed more resistant to Alzheimer disease. In summary, our current review bring to understand the memory circuits involved and highlight the necessity to adapted the investigational tools employed to conform with the severity of the signs and symptoms of progressive Alzheimer disease in order to demonstrate the preserved musical capacities. doi:10.1684/pnv.2013.0396 Key words: Alzheimer’s disease, music, episodic memory, semantic memory, implicit learning E n 1989, Crystal et al. [1] ont rapporté l’un des premiers cas de patient Alzheimer présentant des capacités de mémoire musicale préservées malgré des troubles sévères de mémoire verbale. Ancien pianiste de 82 ans, CT conservait des capacités de mémoire procédurale lui permettant de jouer au piano des compositions apprises avant le début de sa maladie alors qu’il était incapable de rappeler ou reconnaître le titre ou le compositeur du morceau. Cette observation a été complétée par plusieurs autres études de cas qui suggèrent que les patients Alzheimer anciennement musiciens pourraient conserver de remarquables aptitudes de reconnaissance [2] mais Pour citer cet article : Groussard M, Mauger C, Platel H. La mémoire musicale à long terme au cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013; 11(1) :99-109 doi:10.1684/pnv.2013.0396 99 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. M. Groussard, et al. également d’apprentissage musical [3], contrastant avec les difficultés mnésiques et langagières systématiquement rapportées dans cette pathologie. Au-delà des cas particuliers de patients ayant reçu une formation musicale, qu’en est-il vraiment pour le reste des patients ? L’objectif de cette synthèse est de faire le point sur l’état actuel des connaissances concernant la mémoire à long terme musicale chez les patients Alzheimer. Ainsi, nous nous attacherons ici à mieux comprendre ce qui est regroupé, selon les études, sous le terme de « mémoire musicale », et à comprendre pourquoi il y a autant de divergences entre les résultats des travaux réalisés dans le domaine. La revue de la littérature sur la mémoire musicale dans la maladie d’Alzheimer de Baird et Samson [4] suggère une dissociation entre un fonctionnement explicite altéré de cette mémoire et une préservation de la mémoire musicale implicite. Dans cette revue, le fonctionnement explicite altéré fait référence à une perturbation des mémoires épisodique et sémantique alors que le fonctionnement implicite reflèterait une préservation du système de représentation perceptive (amorçage) et de la mémoire procédurale [5]. La dissociation entre explicite et implicite semble effectivement intéressante pour conclure de façon générale sur la mémoire musicale dans la maladie d’Alzheimer, mais ne semble pas totalement rendre compte de l’évolution observée, au cours des stades, des préservations ou altérations progressives de la mémoire musicale. Ainsi, pour chaque stade, nous tenterons de mieux comprendre l’évolution de la mémoire musicale à longterme en s’appuyant principalement sur la dissociation entre mémoire épisodique et sémantique [5] et discuterons la nature explicite ou implicite des processus engagés. La maladie d’Alzheimer est caractérisée par des déficits progressifs de mémoire touchant de façon précoce la mémoire épisodique et s’accompagne d’une détérioration d’autres fonctions cognitives telles que le langage, les capacités d’orientation temporo-spatiale, les fonctions exécutives, les habiletés motrices et perceptives. Le fonctionnement cognitif est progressivement et globalement modifié du fait de l’atteinte croissante des structures cérébrales sous-corticales et corticales temporales et frontales. Plusieurs stades sont alors différenciés pour rendre compte de cette évolution. Le système Fast (Functional assessment staging) [6, 7] est le modèle le plus fréquemment utilisé. Il définit les stades de sévérité en s’appuyant, entre autre, sur les scores au MMSE (Mini-mental state examination), évaluant le fonctionnement cognitif global. En référence à ce système, nous adoptons, un découpage en trois stades : stade léger 21 ≤ MMSE ≤ 26 ; stade modéré 16 ≤ MMSE ≤ 20 ; stade sévère MMSE ≤ 15. 100 Mémoire musicale à long terme et patients Alzheimer à un stade léger de la maladie La majorité des études menées sur musique et maladie d’Alzheimer ont été réalisées avec des patients à un stade léger (MMSE moyen compris entre 21 et 26) et ont évalué les capacités de mémorisation de mélodies (tableau 1). Classiquement, nous différencions plusieurs méthodes d’apprentissage en mémoire épisodique (apprentissage explicite, apprentissage incident) et différentes méthodes de rappel (rappel libre, reconnaissance). Le rappel libre est, par définition, une conduite consciente où le stimulus, absent, doit être récupéré en mémoire. Pour la reconnaissance, le participant doit simplement dire s’il identifie ou non un stimulus physiquement présent. Concernant ce dernier point, il est intéressant de souligner que dans les études sur la musique, seule la reconnaissance est proposée. En effet, lorsque les auteurs explorent la mémoire musicale de nouvelles mélodies, il semble difficile de proposer, en particulier à des non-musiciens, une tâche de rappel libre demandant aux personnes de reproduire en chantant les mélodies préalablement entendues. Dans toutes les études portant sur la mémoire épisodique musicale, les tâches proposées sont donc des tâches de reconnaissance des mélodies (connues ou inconnues) présentées lors de la phase d’apprentissage. Pour évaluer la mémoire musicale à long terme, quelques auteurs ont proposé une tâche de reconnaissance de nouvelles mélodies après un apprentissage incident. Durant la phase d’apprentissage, aucune mention n’est faite de la tâche de reconnaissance à venir. Ainsi, Halpern et O’Connor [8] ont proposé une tâche de jugement de tempo de mélodies non familières (écoutées 2 fois) alors que dans l’étude de Quoniam et al. [9] les sujets écoutaient passivement des mélodies non familières (entendues 1 fois, 5 fois ou 10 fois selon la condition). La tâche de reconnaissance, dans les 2 cas, consistait à dire si oui ou non les mélodies proposées ont été présentées préalablement. Les résultats de l’étude de Halpern et O’Connor [8] montrent un effet plancher pour l’ensemble des groupes (groupe contrôle et patients), rendant difficile toute conclusion concernant les performances des malades Alzheimer. Dans l’étude réalisée par Quoniam et al. [9], les performances des patients Alzheimer étaient significativement moins bonnes que les sujets âgés sains. L’effet plancher constaté dans l’étude d’Halpern et O’Connor [8] nous amène à penser que l’apprentissage incident de nouvelles mélodies semble être, de manière générale, une tâche trop difficile pour des sujets âgés. Les travaux plus Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 2000 2003 2008 2009 2011 2012 2012 Halpern et O’Connor Quoniam et al. Moussard et al. Ménard et Belleville Hsieh et al. Cuddy et al. Vanstone et al. MA léger 21 < MMSE < 26 Etudes de groupe Références Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 10 MA (35 SJS/40 SAS) 21 MA (17 MA modérés/12 MA sévères/50 SJS/100 SAS) 14 MA (13 DS/20 SAS) 16 MA (16 SAS) 5 MA (7 MA modérés/15 SJS/9 SAS/8 SAS > 90 ans) 10 MA (16SAS/9D) 15 MA (17 SAS/26 SJ S) Effectifs (N) 64,1 (7,7) 72,3 (8,9) 80,8 (4,2) 79,2 (1,82) 78,7 (6,2) Age (sd) 2H/8F 70,7 (58-89) 10H/11F Méd 82 (66-86) 11H/3F 7H/9F 1H/ 4F NI 7H/8F Sexe 14,1 (12-20) Méd 12 (8-21) 13,2 (3,6) 12,7 (4,2) 9,8 (3,8) 11,10 (3,47) 14,9 (3,7) Niveau d’éducation 22,8 (16-28) 25 (20-30) 24,4 (4,2) 24,3 (3,1) 26 (2,5) 23,1 (22-25) 22,5 (3,9) MMSE /30 Mémoire épisodique Mémoire sémantique Mémoire sémantique Tâche de préférence Effet d’exposition - 3 prés Jugement de familiarité Mémoire sémantique Mémoire sémantique Reconnaissance O/N après app explicite Jugement de familiarité Jugement de familiarité Mémoire épisodique Mémoire sémantique App implicite de structures musicales Reconnaissance O/N après app explicite Mémoire épisodique Mémoire sémantique Tâche de préférence Effet d’exposition -1, 5, 10 près Reconnaissance choix forcé après app explicite Mémoire épisodique Mémoire sémantique Tâche de préférence Effet d’exposition -1 prés Reconnaissance O/N après app incident Mémoire épisodique Processus mnésiques impliqués Reconnaissance O/N après app incident Tâches proposées MA = AS MA = SAS SAS > MA MA = SAS MA = SAS SAS > MA MA = SAS SJS > SAS ≈ MA Perf + MA SAS > MA Perf - MA Effet plancher Résultats Tableau 1. Caractéristiques des populations d’étude, des tâches proposées, des processus mnésiques impliqués et des résultats principaux des travaux cités. Table 1. Characteristics of the sample studies, proposed tasks, mnesics processes involved and main results from the quoted works. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. La mémoire musicale à long terme 101 102 2008 2010 2012 2012 Moussard et al. Vanstone et Cuddy Cuddy et al. Samson et al. 2009 2012 Samson et al. Cuddy et al. MA sévère MMSE < 15 Etudes de groupe 1995 Bartlett et al. MA modéré 16 < MMSE < 20 Etudes de groupe Références Tableau 1. (Suite) Table 1. (Continued) 12 MA 13 MA 17 MA (17 SAS) 17 MA 12 MA dont 4 sévères (12 SAS) 7 MA 15 MA (14 SAS) Effectifs (N) 5H/7F 13 F 5H/12F 8H/9F 4H/8F 1H/ 6F 10H/5F Sexe Méd 82,5 (69-94) 85 (5; 72-89) 81,41 (5,03) Méd 81 (72-96) 81,5 (77-86) 83,7 (4,9) 73,6 (7,2) (63-90) Age (sd) Méd 16 (8-21) NI 8,41 (1,77) Méd 12 (8-21) NI 10 (3,2) 14,5 Niveau d’éducation 4 (de 0 à 10) 12,15 (2,5) (7-15) 17,71 (4,14) 16 (12-21) NI 17,1 (2,2) 19,9 (3,0) (15-25) MMSE /30 Mémoire épisodique Reconnaissance O/N délai Jugement de familiarité Mémoire sémantique Mémoire sémantique Mémoire épisodique Reconnaissance O/N immédiate (2 essais) Sentiment de familiarité après app implicite -Effet d’exposition - 8 prés Mémoire sémantique Mémoire sémantique Jugement de familiarité Jugement de familiarité Mémoire sémantique Mémoire sémantique App implicite de structures musicales Jugement de familiarité Mémoire épisodique Mémoire sémantique Jugement de familiarité Reconnaissance choix forcé après app explicite Mémoire épisodique Processus mnésiques impliqués Reconnaissance O/N Tâches proposées Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. Perf + MA ms < SAS Perf + MA SAS > MA SAS > MA MA = SAS Perf + MA Perf + MA MA = SAS SJS > SAS > MA MA ≈ SAS SAS > MA MA + FA Résultats M. Groussard, et al. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 2003 2005 2006 2009 Cowles et al. Cuddy et Duffin Fornazzari et al. Vanstone et al. 1 MA (cas EN/90SAS) 1 MA 1 MA (cas EN) 1 MA (cas SL) 2 MA mais diagnostic peu précis (cas CW et MA) Effectifs (N) F F F H H/F Sexe 85 58 à 63 84 80 58/53 Age (sd) High school NI High school NI 12/NI Niveau d’éducation 8 10 à 5 8 14 3/NI MMSE /30 Mémoire sémantique Mémoire sémantique Production de mélodies fam à partir des paroles Mémoire procédurale Mémoire sémantique Mémoire procédurale Mémoire sémantique Processus mnésiques impliqués Jugement de familiarité App de nouveaux airs au piano Jugement de familiarité App de nouvelles musiques Jugement de familiarité Tâches proposées EN = SAS EN = SAS Perf + MA Perf + EN Perf+ SL Perf + MA Résultats méd : médiane ; NI : non indiqué ; SAS : sujets âgés sains ; SJS : sujets jeunes sains ; MA : maladie d’Alzheimer ; DF : démence fronto-temporale ; DS : démence sémantique ; D : patients dépressifs ; O/N : oui/non ; Perf + : performance préservée ; Perf - : performance altérée ; App : apprentissage ; prés : présentation ; FA : fausses alarmes. méd: median; NI: no information; SAS: healthy aging participant; SJS: healthy young participant; MA: Alzheimer disease; DF: fronto-temporal dementia; DS: semantic dementia; D: depressed patients; O/N: yes/no; Perf +: preserved performance; Perf -: altered performance; App: learning; prés: presentation; FA: falses alarms. 1993 Polk et al. Etudes de cas Références Tableau 1. (Suite) Table 1. (Continued) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. La mémoire musicale à long terme 103 M. Groussard, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. récents se sont donc intéressés à l’étude de la mémorisation de nouvelles mélodies après apprentissage explicite (intentionnel). De manière consensuelle, ces différentes études montrent de moins bonnes performances chez les patients Alzheimer que chez les sujets contrôles lors de la phase de reconnaissance des items cibles parmi des distracteurs [10, 11] ou de reconnaissance en choix forcé [12]. Ces études, à visée comparative avec un groupe de personnes âgées sans troubles, utilisent des paradigmes directement transposés des travaux sur la mémoire épisodique verbale, précocement touchée dans la maladie d’Alzheimer. Il semble que, de la même façon, la mémoire épisodique musicale soit perturbée dès le début de la pathologie. Peut-on réellement différencier les mémoires épisodiques verbale et musicale ? En considération des études citées ci-dessus et des résultats obtenus, les travaux utilisant un matériel musical ne font que confirmer la perturbation bien connue du fonctionnement de la mémoire épisodique dans cette pathologie. Il pourrait être intéressant de mieux comprendre l’évolution de l’atteinte épisodique des patients Alzheimer en proposant dans une même étude une tâche de reconnaissance de matériel verbal et musical afin de pouvoir statuer quand à une atteinte plus précoce d’un matériel par rapport à un autre. Dans ce sens, l’étude de Ménard et Belleville [10] semble intéressante. La tâche proposée avait pour intérêt de pouvoir comparer l’apprentissage de nouvelles mélodies (d’une durée de 10 sec) et l’apprentissage de pseudo-mots (de 2 syllabes) (présentés 2 fois). Les résultats obtenus en reconnaissance ne montrent pas d’effet significatif du matériel et ceci chez les patients et les contrôles. Cependant, cette étude présente des limites méthodologiques quant à la nature même des processus engagés dans chaque tâche. En effet, il nous semble que les processus cognitifs engagés lors de l’apprentissage de nouvelles mélodies et lors de l’apprentissage de pseudo-mots ne sont pas totalement comparables, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats. L’étude en imagerie cérébrale menée par Platel et al. [13] permet de donner des éléments de réponse. Les auteurs ont comparé les activations cérébrales, mesurées en TEP, de sujets jeunes sains, lors de tâches de mémoire épisodique verbale et musicale. Cette étude propose la reconnaissance de mélodies non familières et familières, préalablement entendues lors de la phase d’apprentissage. Les résultats obtenus mettent en évidence l’activation d’un réseau cérébral déjà identifié dans la littérature, réseau associé à la mémoire épisodique lors de tâches de rappel épisodique verbal ou visuo-spatial (voir méta-analyse [14]). Ces activations sont concordantes avec l’idée qu’il n’existerait pas de réseau cérébral épisodique 104 spécifique à la mémoire musicale. Néanmoins, plusieurs études cliniques suggèrent que la musique pourrait permettre de contourner, du moins en partie, les difficultés d’apprentissage et de mémorisation. En effet, il semblerait que faire apprendre de nouvelles informations verbales en chantant à des patients Alzheimer peut s’avérer efficace, et mérite donc d’être étudié plus avant [15, 16]. Seulement trois études se sont intéressées à proposer une évaluation de la mémoire musicale à long terme, chez des patients à un stade léger, par l’intermédiaire d’une évaluation implicite de la mémoire. La méthode utilisée dans ces études pour évaluer le fonctionnement implicite de la mémoire est le jugement de préférence. Dans une phase initiale, la présentation de stimuli est suivie d’un test de jugement de préférence dans lequel des stimuli anciens et nouveaux sont proposés. Généralement, les stimuli précédemment entendus sont préférés à ceux qui n’ont jamais été entendus. Cette préférence s’accentue au fur et à mesure que le nombre de séances d’exposition au matériel est important, ce qui suggère que pour une mélodie particulière il y a eu création d’une trace en mémoire à long terme. Ce phénomène, connu sous le nom d’effet exposition (mere exposure effect) a été décrit pour la première fois par Zajonc [17]. Dans l’étude de Halpern et O’Connor [8], une tâche de mémoire implicite s’appuyant sur l’effet d’exposition a été proposée à des sujets jeunes, des sujets âgés et des sujets atteints de maladie d’Alzheimer. Cette tâche utilisait des mélodies courtes et non familières exposées une fois. Les auteurs observent, chez les patients, une altération des performances dans cette tâche. En utilisant une méthodologie différente, l’étude de Quoniam et al. [9] et plus récemment celle de Vanstone et al. [11], réalisées aussi chez des patients Alzheimer à un stade léger, montrent une préservation de l’effet d’exposition pour les mélodies lors de la tâche de préférence. Ces études, présentant plusieurs fois le matériel (jusqu’à 10 fois), soulignent la nécessité de proposer aux patients Alzheimer un nombre de séances d’exposition suffisamment important pour mettre en évidence des capacités préservées en mémoire implicite. Des capacités en mémoire implicite ont également été mises en évidence en proposant une autre méthode d’évaluation du fonctionnement implicite au moyen de deux tâches d’apprentissage de structures musicales (tâches de mémoire implicite pouvant être assimilées à l’apprentissage de grammaires artificielles, mais utilisant des stimuli musicaux) [12]. Les patients Alzheimer présentent des performances équivalentes aux groupes contrôles dans les deux tâches implicites utilisant des extraits musicaux joués au piano (tâche de catégorisation) ou des sons d’instruments de musique (tâche de segmentation de flux). Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. La mémoire musicale à long terme Dans la majorité des travaux présentés jusqu’à présent, les auteurs ont utilisé des mélodies inconnues pour évaluer les capacités des patients en mémoire musicale à long terme. Qu’en est-il de la mémoire musicale pour les mélodies familières ? Certains auteurs ont exploré cette question en proposant des tâches de reconnaissance de mélodie où les sujets devaient discriminer les mélodies familières des mélodies non familières. Ces tâches ne faisaient pas appel à la reconnaissance d’une information préalablement étudiée, très coûteuse en ressources cognitives, mais à des processus de jugement de familiarité, correspondant à une évaluation de la mémoire sémantique. Ce type de tâche a l’avantage de correspondre à un processus rapide et automatique d’accès à la trace mnésique d’un stimulus en réponse à sa perception, sans récupération des détails contextuels associés. L’ensemble de ces études montrent une préservation des capacités de jugement de familiarité et donc une préservation de la mémoire sémantique musicale chez les patients Alzheimer [11, 18, 19]. En résumé, les résultats des études portant sur les patients à un stade léger de la maladie montrent dans le domaine musical l’existence d’une atteinte précoce lors de mesures épisodiques de la mémoire et une préservation des capacités en mémoire implicite et sémantique, résultats cohérents avec le profil cognitif classique de cette maladie. Mémoire musicale à long terme et patients Alzheimer à un stade modéré de la maladie Dès 1995, Bartlett et al. [20] ont mis en évidence chez des patients Alzheimer à un stade modéré, la distinction entre la reconnaissance basée sur une remémoration consciente (correspondant à une récupération explicite en mémoire épisodique) et la reconnaissance basée sur un sentiment de familiarité (correspondant à une récupération davantage implicite en mémoire sémantique [21]). Dans cette étude, portant initialement sur la mémoire épisodique musicale, les auteurs ont comparé la reconnaissance (type oui/non) des extraits musicaux familiers et non familiers préalablement présentés, parmi des distracteurs. D’après les résultats obtenus et en considérant le nombre plus important de fausses alarmes lors de la reconnaissance d’extraits familiers, les auteurs suggèrent que les réponses des patients se baseraient davantage sur une évaluation de leur sentiment de familiarité aux items plutôt que sur la tâche de reconnaissance demandée. Une telle dissociation, c’est-à-dire l’altération des performances de patients Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 Alzheimer à un stade modéré lors d’une tâche de reconnaissance de mélodies familières et non familières (mémoire épisodique), et des capacités de jugement de familiarité (mémoire sémantique) équivalentes aux sujets contrôles, a été récemment confirmée dans l’étude de Samson et al. [22]. Avec l’évolution de la maladie, nous pouvons constater que les objectifs des études réalisées chez les patients Alzheimer à un stade modéré (score au MMSE compris entre 16 et 20) changent également. La mémoire musicale à long terme est ici principalement évaluée en proposant des épreuves de mémoire sémantique musicale, avec pour intérêt majeur la compréhension de l’organisation des connaissances musicales en mémoire [23]. En effet, les multiples dissociations neuropsychologiques observées entre langage et musique depuis de nombreuses années [24–31] ont conduit Isabelle Peretz [32] à élaborer un modèle cognitif de la perception et de la reconnaissance musicale. Même si à l’heure actuelle se pose encore la question des liens particuliers entretenus entre lexique verbal et lexique musical tels que définis par cet auteur, les études récentes réalisées en neuro-imagerie montrent que les aires cérébrales dédiées à la mémoire sémantique verbale sont en partie distinctes de celles sollicitées par la mémoire sémantique musicale [33, 34]. La mémoire sémantique musicale implique un réseau neural plus étendu que la mémoire sémantique verbale, avec des activations temporales et préfrontales dans les deux hémisphères. Ce caractère distribué de la mémoire sémantique musicale pourrait être un des facteurs expliquant la résistance parfois spectaculaire de cette mémoire dans la maladie d’Alzheimer, par rapport aux connaissances strictement verbales. De plus, les atteintes fonctionnelles et anatomiques des patients Alzheimer [35] ne concernent pas, dans un premier temps, les régions les plus antérieures du cortex temporal et les régions préfrontales, régions qui semblent particulièrement sollicitées par la mémoire sémantique musicale [33, 34]. L’étude déjà mentionnée de Bartlett et al. [20] conforte cette proposition, en dissociant la relative préservation des performances lors d’une tâche de jugement de familiarité et les scores déficitaires lors de la tâche d’identification de ces mêmes extraits (performances moins bonnes des patients pour nommer l’extrait entendu). La corrélation de ce dernier score avec le MMSE suggère un lien entre la sévérité de la maladie et l’habilité à retrouver explicitement le titre de l’extrait entendu. Ces résultats ont été confortés par les travaux de Vanstone et Cuddy [36] et de Cuddy et al. [19] rapportant une préservation des capacités de jugement de familiarité musicale chez les patients Alzheimer à un stade modéré (et même chez certains patients sévères). Ces auteurs soulignent cependant l’existence d’une grande variabilité 105 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. M. Groussard, et al. inter-individuelle des capacités en mémoire sémantique musicale en référence à une cohorte de 12 patients Alzheimer à un stade modéré à sévère de la maladie [36]. En résumé, les travaux réalisés chez des patients Alzheimer à un stade modéré de la maladie (tableau 1) mettent en évidence une préservation des capacités en mémoire sémantique musicale lors de l’utilisation de tâches de jugement de familiarité. En effet, ce type de tâche permet de s’affranchir d’une labellisation verbale explicite qui est déficitaire chez ces patients et ainsi de mieux révéler les performances résiduelles des patients en mémoire [23]. Les travaux rapportés ici soulignent la difficulté d’évaluation des patients avec l’avancée de la maladie et la nécessité d’adapter les tâches proposées afin de rendre compte au mieux des capacités encore présentes. Ainsi, nous pouvons constater que ce ne sont plus uniquement des mélodies (musiques instrumentales) qui sont proposées mais principalement des chansons (mélodies et paroles), permettant d’évaluer le stockage en mémoire sémantique des mélodies et des paroles associées. À ce stade de la maladie, il apparaît également important de considérer les réponses comportementales (mimiques faciales, qualité de l’attention. . .) des patients pour une meilleure cotation des performances. Mémoire musicale à long terme et patients Alzheimer à un stade sévère de la maladie À un stade sévère de la maladie (score au MMSE ≤ 15), la majorité des travaux réalisés (tableau 1) sont des études de cas sur des patients présentant une expertise musicale plus ou moins importante. Dès 1993, Polk et Kertesz [37] ont décrit des capacités préservées de mémoire sémantique musicale chez des patients Alzheimer musiciens à un stade très sévère (score au MMSE = 3 pour le cas CW). Plus récemment, en prenant en compte les difficultés de la patiente EN, atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé (score au MMSE à 8), Cuddy et Duffin [2] ont montré la préservation de ses capacités mnésiques musicales. Dans cette étude, des extraits musicaux familiers et non familiers étaient présentés. En s’appuyant sur des données comportementales (réactions comportementales, mimiques faciales), les auteurs ont observé que la patiente EN chantait quelques paroles ou fredonnait spontanément à l’écoute des musiques familières, ce qu’elle ne faisait pas lors de l’écoute des extraits non familiers. En présentant des versions erronées de chansons populaires, ils ont également mis en évidence que EN avait des réac- 106 tions comportementales face aux mélodies comprenant des fausses notes. Lors de tâches de jugement de familiarité à partir de la mélodie ou des paroles mais également lors d’une tâche de production de la mélodie à partir des paroles de chansons familières, EN obtenait des performances équivalentes aux contrôles [38]. Ces observations témoignent clairement d’une mémoire sémantique musicale encore fonctionnelle chez cette patiente anciennement musicienne. Plus étonnant encore, il semble que certains de ces patients à un stade sévère soient capables d’apprendre de nouvelles musiques. L’étude intéressante menée par Cowles et al. [3] en 2003, illustre ce fait. Après entraînement, leur patient SL, ancien musicien atteint de la maladie d’Alzheimer (score au MMSE = 14), était capable de jouer au violon une nouvelle mélodie mais également de la retenir à long terme (le rappel était possible après vingt minutes de rétention). De même, la patiente musicienne rapportée par Fornazzari et al. [39] était capable d’apprendre à jouer de nouveaux airs au piano. En revanche, très peu d’études de groupe de patients Alzheimer non-musiciens à un stade sévère ont été réalisées afin d’évaluer le fonctionnement de la mémoire musicale. L’étude de Cuddy et al. [19] rapporte une préservation différente selon les types de tâches utilisées. Les tâches nécessitant une production de mélodies ou de proverbes sont les plus sensibles à l’avancée de la maladie, alors que les performances des patients aux tâches de familiarité aux paroles et aux mélodies, même si elles sont inférieures aux sujets contrôles et aux patients Alzheimer à un stade léger à modéré, sont relativement bien préservées (performances au-dessus du hasard). En s’appuyant sur les capacités préservées de jugement de familiarité des patients mis en évidence aux stades légers et modérés [9, 11, 12, 19, 36], nous avons réalisé dans notre laboratoire, des travaux cherchant à évaluer les capacités de reconnaissance de musiques nouvellement apprises chez un groupe de patients Alzheimer non musiciens à un stade sévère de la maladie. Dans les travaux précédents [9, 11], la préservation de l’effet d’exposition suggère qu’une trace en mémoire subsiste après la présentation répétée à un nouveau matériel musical. Dans plusieurs séries d’expériences, réalisées en collaboration avec le docteur Odile Letortu dans l’unité Alzheimer de la maison de retraite « Les pervenches » (Biéville-Beuville, Calvados), nous avons montré que cette trace pouvait être évaluée à partir de l’émergence d’un sentiment de familiarité. Chez ces patients, la réponse verbale de type oui/non, n’est plus suffisante pour juger de l’émergence d’un sentiment de familiarité et il apparaît important de tenir compte des commentaires spontanés, de l’attitude, de la conviction Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. La mémoire musicale à long terme mise dans la réponse formulée, des mimiques faciales et de l’intonation de la voix. À partir de la cotation de ce sentiment de familiarité sur une échelle clinique en 6 points [40], nos travaux réalisés chez des patients Alzheimer à un stade sévère de la maladie (score au MMSE compris entre 7 et 15 ; tableau 1) montrent que la présentation individuelle au cours de séances répétées pendant 8 jours des différents extraits de musiques instrumentales produit une augmentation significative de ce sentiment de familiarité entre les premières et dernières séances d’exposition. Alors que les mélodies étaient jugées inconnues des patients lors de la première séance d’exposition, ces dernières étaient reconnues comme familières lors de la dernière séance, sans rappel du contexte d’acquisition (témoin de la perturbation de la mémoire épisodique). Comparativement à des items distracteurs appariés, présentés lors d’une séance test subséquente, les patients présentaient un sentiment de familiarité significativement plus fort pour les items exposés par rapport aux items nouveaux. À distance de ces séances d’exposition (deux mois et demi plus tard), nous observons que le sentiment de familiarité pour les items musicaux reste présent, alors que ce résultat n’a pas été reproduit avec du matériel linguistique (poèmes, paroles des chansons). Ces observations plaident donc en faveur d’un système de mémoire à long terme musical particulièrement résistant, distinct de la mémoire verbale, et confirment la préservation étonnante de capacités d’apprentissage de nouvelles musiques chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer. Quand le sentiment de familiarité pour une musique augmente, et que le patient affirme connaître une musique particulière, peut-on alors dire qu’il y a eu création d’une nouvelle représentation en mémoire sémantique ? À l’heure actuelle, la question reste ouverte concernant le statut en mémoire de ces nouvelles traces ; doit-on parler de nouvelles représentations perceptives à long terme ou de nouvelles connaissances per se ? Les techniques d’imagerie cérébrale permettront peut-être d’apporter des éléments de réponse concernant la nature des processus sous-tendant l’émergence d’un tel sentiment de familiarité, encore opérant chez ces patients. Conclusion Bien que des différences importantes entre les études existent au regard des patients inclus (nombre de patients, sévérité de leur maladie, niveau socio-culturel) mais également au niveau des processus étudiés et des méthodes employées (tâches proposées, nature du matériel musical utilisé), cette synthèse de la littérature permet d’apporter des éléments de réponse quant aux performances des Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 Points clés • Plusieurs cas cliniques rapportés dans la littérature ont permis de montrer l’existence de capacités de mémoire musicale préservées chez des patients Alzheimer malgré des déficits mnésiques et langagiers marqués. • Aux stades précoces, les déficits observés sont le reflet d’une évaluation majoritaire de la mémoire épisodique musicale, alors que l’évaluation de la mémoire sémantique musicale et des apprentissages implicites, plus largement utilisée à partir des stades modérés a permis de révéler des capacités en mémoire musicale longtemps préservées. • Du fait des troubles du langage (compréhension et expression) de plus en plus importants avec l’avancée de la maladie d’Alzheimer, il apparaît important de prendre en considération les réponses comportementales (mimiques, sourires, réactions) pour juger de la reconnaissance des mélodies présentées. • L’utilisation de la musique semble être une piste prometteuse pour mettre en évidence les capacités préservées des patients Alzheimer, même à un stade sévère. La recherche doit donc s’engager dans cette voie afin d’apporter des preuves scientifiques quant à l’intérêt de son utilisation. patients Alzheimer lors d’épreuves évaluant la mémoire à long terme à partir de matériel musical. Dès les stades précoces de la maladie leurs capacités en mémoire épisodique musicale sont déficitaires alors que la mémoire sémantique musicale semble résister plus longtemps à la pathologie, ce qui correspond à un profil attendu de perturbation. À un stade sévère, des capacités préservées de reconnaissance de musiques mais également d’apprentissage ont été rapportées. Cette synthèse de la littérature sur la mémoire musicale à long terme nous amène à réfléchir sur les systèmes mnésiques engagés et évalués dans les différentes études répertoriées. Il semble que la distinction entre fonctionnement explicite et implicite de la mémoire prend une importance majeure lorsque nous tentons de comprendre pourquoi la mémoire sémantique semble résister si longtemps au cours de la pathologie. Selon la conception de Tulving [41] la récupération d’une information en mémoire épisodique est explicite, alors que la récupération d’une information en mémoire sémantique fait appel à des processus implicites (e.g. l’accès au sens des mots est un processus très automatique en mémoire et ne nécessite pas d’effort conscient). Les tâches de jugement de familiarité de mélodies familières, proposées dans de nombreuses études, correspondent dans cette conception à une 107 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. M. Groussard, et al. récupération implicite en mémoire sémantique. Cette récupération implicite, également mise en œuvre lors des tâches d’effet d’exposition et d’évaluation du sentiment de familiarité pour des mélodies nouvelles, semble également être préservée et ceci même à un stade sévère. Plutôt que d’évoquer une préservation de la mémoire sémantique musicale ou de la mémoire implicite musicale, par cette synthèse de la littérature, nous voudrions insister sur le fait que, pour mettre en évidence des capacités musicales préservées chez les malades Alzheimer, même à un stade sévère de la pathologie, il est nécessaire de proposer une évaluation de la mémoire musicale à long terme à partir de tâches de récupération implicite. Les processus explicites de mémoire chez ces patients, qu’ils soient musicaux ou non, étant de toute façon défaillants dès le début de la maladie, il est nécessaire de proposer de nouveaux outils d’évaluation prenant en considération les troubles mais également les possibilités de réponses préservées des patients (e.g. réponses comportementales). Ces capacités préservées d’apprentissage implicite (effet de préférence et sentiment de familiarité) de nouvelles mélodies, non retrouvées avec du matériel linguistique, sont-elles spécifique à la musique ? Ces résultats nous amènent à penser que la musique pourrait se révéler avoir un statut particulier. Le pouvoir attractif émotionnel et la richesse perceptive du matériel musical utilisé sont indéniablement des facteurs qui ont une importance cruciale pour l’émergence d’un sentiment de familiarité. Cependant, dans la majorité des descriptions des stimuli utilisés dans les études présentées dans cette synthèse, l’intérêt porté au caractère plaisant et esthétique de la musique semble secondaire. Or, le statut artistique, vecteur d’émotions et de plaisir de la musique, ne fait aucun doute lorsque nous utilisons celle-ci comme un matériel d’expérimentation. Il est désormais largement admis qu’émotion et cognition interagissent [42]. Pour Dolan [43], les émotions modulent les activités cognitives, et ceci dès la perception. Le bénéfice émotionnel se traduit alors par un impact positif sur l’attention (capture attentionnelle) et sur la mémorisation [44, 45]. En plus des effets sur la cognition, le fort pou- Références 1. Crystal HA, Grober E, Masur D. Short report Preservation of musical memory in Alzheimer’s disease. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1989 ; 52 : 1415-6. voir émotionnel de la musique semble avoir un impact sur les composantes sensorielles, affectives, sociales et comportementales des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer [46]. Une étude récente [47] a notamment permis de montrer le bénéfice des prises en charge non médicamenteuses sur l’état émotionnel des patients en proposant entre autres des ateliers musicaux. Bien que les auteurs soulignent des limites méthodologiques à leur étude, notamment un effet expérimentateur et la nécessité de prendre en compte la richesse des interactions sociales, ces résultats mettent en avant la nécessité de proposer des activités mobilisant les capacités préservées des patients. D’un point de vue clinique, les observations rapportées par les soignants, lors des ateliers chants par exemple, montrent que la musique potentialise et optimise l’éveil cognitif des patients, offrant alors des possibilités et perspectives d’accompagnement originales où est renforcé l’effet bénéfique voire thérapeutique du groupe. La musique, en tant que matériel perceptivement et émotionnellement riche permet de révéler de nombreuses capacités chez les malades Alzheimer, même à un stade sévère de la maladie. Il semble que les recherches doivent s’axer sur la mise en évidence de ces capacités préservées, notamment d’apprentissage, afin de montrer si ce support artistique est réellement particulier. Les chercheurs, en collaboration avec les cliniciens, doivent continuer à proposer des travaux expérimentaux afin d’élaborer de nouveaux outils d’évaluation pouvant refléter l’existence d’un mécanisme préservé plus général (mobilisé dans les activités musicales mais peut-être également dans d’autres activités) et ainsi permettre de mieux comprendre les processus cognitifs impliqués, utiles à connaître pour proposer un accompagnement adapté aux malades Alzheimer. Remerciements. Les auteurs remercient Francis Eustache et Béatrice Desgranges directeur et co-directeur de l’Unité Inserm U1077, Odile Letortu, le personnel soignant et les neuropsychologues du groupe Hom’Age et les étudiants pour les travaux réalisés auprès des patients Alzheimer, ainsi que les patients et leurs familles. Liens d’intérêts : aucun. 4. Baird A, Samson S. Memory for music in Alzheimer’s disease : unforgettable ? Neuropsychol Rev 2009 ; 19 : 85-101. 5. Tulving E. Episodic and semantic memory. In : Tulving E, Donaldson W, Bower GH, eds. Organization of memory. New-York : Academic Press, 1972 ; 381-403. 2. Cuddy LL, Duffin J. Music, memory, and Alzheimer’s disease : is music recognition spared in dementia, and how can it be assessed ? Med hypotheses 2005 ; 64 : 229-35. 6. Reisberg B. Functional assessment staging (FAST). Psychopharmacol Bull 1988 ; 24 : 653-9. 3. Cowles A, Beatty WW, Nixon SJ, Lutz LJ, Paulk J, Paulk K, et al. Musical skill in dementia : a violinist presumed to have Alzheimer’s disease learns to play a new song. Neurocase 2003 ; 9 : 493-503. 7. Sclan SG, Reisberg B. Functional assessment staging (FAST) in Alzheimer’s disease : reliability, validity, and ordinality. Int Psychogeriatr 1992 ; 4 (Suppl. 1) : 55-69. 108 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 La mémoire musicale à long terme 8. Halpern AR, O’Connor MG. Implicit memory for music in Alzheimer’s disease. Neuropsychology 2000 ; 14 : 391-7. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 16/04/2017. 9. Quoniam N, Ergis AM, Fossati P, Peretz I, Samson S. Implicit and explicit emotional memory for melodies in Alzheimer’s disease and depression. Ann NY Acad Sci 2003 ; 4 : 1-4. 28. Basso A, Capitani E. Spared musical abilities in a conductor with global aphasia and ideomotor apraxia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1985 ; 48 : 407-12. 29. Lechevalier B, Eustache F, Rossa Y. Les troubles de la perception de la musique d’origine neurologique. Paris : Masson, 1985. 10. Ménard MC, Belleville S. Musical and verbal memory in Alzheimer’s disease : a study of long-term and short-term memory. Brain cognition 2009 ; 71 : 38-45. 30. Signoret JL, van Eeckhout P, Poncet M, Castaigne P. Aphasie sans amusie chez un organiste aveugle. Alexie-agraphie verbale sans alexieagraphie musicale en braille. Rev Neurol (Paris) 1987 ; 143 : 172-81. 11. Vanstone AD, Sikka R, Tangness L, Sham R, Garcia A, Cuddy LL. Episodic and semantic memory for melodies in Alzheimer’s disease. Music Percept 2012 ; 29 : 501-7. 31. Peretz I. Can we lose memory for music ? A case of music agnosia in a non musician. J Cogn Neurosci 1996 ; 8 : 481-96. 32. Peretz I, Les agnosies auditives. In : Seron X, Jeannerod M, eds. Neuropsychologie humaine. Liège : Mardaga 1994 : 205-16. 12. Moussard A, Bigand E, Clément S, Samson S. Préservation des apprentissages implicites en musique dans le vieillissement normal et la maladie d’Alzheimer. Revue de neuropsychologie 2008 ; 18 : 127-52. 33. Groussard M, Viader F, Hubert V, Landeau B, Abbas A, Desgranges B, et al. Musical and verbal semantic memory : two distinct neural networks ? Neuroimage 2010 ; 49 : 2764-73. 13. Platel H, Baron JC, Desgranges B, Bernard F, Eustache F. Semantic and episodic memory of music are subserved by distinct neural networks. NeuroImage 2003 ; 20 : 244-56. 34. Groussard M, Rauchs G, Landeau B, Viader F, Desgranges B, Eustache F, et al. The neural substrates of musical memory revealed by fMRI and two semantic tasks. Neuroimage 2010 ; 53 : 1301-9. 14. Schwindt GC, Black SE. Functional imaging studies of episodic memory in Alzheimer’s disease : a quantitative meta-analysis. Neuroimage 2009 ; 45 : 181-90. 35. Chételat G, Desgranges B, Landeau B, Mezenge F, Poline JB, de la Sayette V, et al. Direct voxel-based comparison between grey matter hypometabolism and atrophy in Alzheimer’s disease. Brain 2008 ; 131 : 60-71. 15. Simmons-Stern NR, Budson AE, Ally BA. Music as a memory enhancer in patients with Alzheimer’s disease. Neuropsychologia 2010 ; 48 : 3164-7. 16. Simmons-Stern NR, Deason RG, Brandler BJ, Frustace BS, O’Connor MK, Ally BA, et al. Music-based memory enhancement in Alzheimer’s disease : promise and limitations. Neuropsychologia 2012 ; 50 : 3295-303. 36. Vanstone AD, Cuddy LL. Musical memory in Alzheimer disease. Aging Neuropsychol Cogn 2010 ; 17 : 108-28. 37. Polk M, Kertesz A. Music and language in degenerative disease of the brain. Brain cognition 1993 ; 22 : 98-117. 17. Zajonc RB. Feeling and thinking : preferences need no inferences. Am Psychol 1980 ; 35 : 151-75. 38. Vanstone AD, Cuddy LL, Duffin JM, Alexander E. Exceptional preservation of memory for tunes and lyrics : case studies of amusia, profound deafness, and Alzheimer’s disease. Ann NY Acad Sci 2009 ; 1169 : 291-4. 18. Hsieh S, Hornberger M, Piguet O, Hodges JR. Neural basis of music knowledge : evidence from the dementias. Brain 2011 ; 134 : 2523-34. 39. Fornazzari L, Castle T, Nadkarni S, Ambrose M, Miranda D, Apanasiewicz N, et al. Preservation of episodic musical memory in a pianist with Alzheimer disease. Neurology 2006 ; 66 : 32-7. 19. Cuddy LL, Duffin JM, Gill SS, Brown CL, Sikka R, Vanstone AD. Memory for melodies and lyrics in Alzheimer’s disease. Music Percept Journal 2012 ; 29 : 479-91. 40. Samson S, Dellacherie D, Platel H. Emotional power of music in patients with memory disorders : clinical implications of cognitive neuroscience. Ann NY Acad Sci 2009 ; 1169 : 245-55. 20. Bartlett JC, Halpern AR, Dowling WJ. Recognition of familiar and unfamiliar melodies in normal aging and Alzheimer’s disease. Mem Cognition 1995 ; 23 : 531-46. 41. Tulving E. Organization of memory : quo vadis ? In : Gazzaniga MS, ed. The cognitive neurosciences. Cambridge (UK) : MIT Press, 1995 ; 839-47. 21. Tulving E. Memory and consciousness. Can J Psychol 1985 ; 26 : 111. 42. Särkämö T, Laitinen S, Tervaniemi M, Numminen A, Kurki M, Rantanen P. Music, emotion, and dementia : insight from neuroscientific and clinical research. Music Med 2012 ; 4 : 153-62. 22. Samson S, Baird A, Moussard A, Clément S. Does pathological aing affect musical learning and memory ? Music Percept 2012 ; 29 : 493-500. 43. Dolan RJ. Emotion, 2002 ; 298 : 1191-4. 23. Omar R, Hailstone JC, Warren JD. Semantic memory for music in dementia. Music Percept 2012 ; 29 : 467-77. 44. Hamann SB, Cahill L, Squire LR. Emotional perception and memory in amnesia. Neuropsychology 1997 ; 11 : 104-13. 24. Luria A, Tsvetkova L, Futer J. Aphasia in a composer. J Neurol 1965 ; 2 : 288-92. 45. Kensinger EA, Corkin S. Memory enhancement for emotional words : are emotional words more vividly remembered than neutral words ? Memory Cognition 2003 ; 31 : 1169-80. 25. Assal G. Aphasie de Wernicke sans amusie chez un pianiste. Rev Neurol (Paris) 1973 ; 129 : 251-5. 26. Benton AL. The amusia. In : Caplan D, ed. Biological sciences of mental processes. Cambridge : MIT Press, 1977 : 186-230. 27. Marin OM. Neurological aspect of music perception and performance. In : Deutch D, ed. The psychology of music. New York : Academic Press, 1982 : 453-77. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 1, mars 2013 cognition, and behavior. Science 46. Vink AC, Bruinsma MS, Scholten RJPM. Music therapy for people with dementia. Cochrane Database of Systematic Reviews 2003 ; 4 : CD003477. 47. Narme P, Tonini A, Khatir F, Schiaratura L, Clément S, Samson S. Thérapies non médicamenteuses dans la maladie d’Alzheimer : comparaison d’ateliers musicaux et non musicaux. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 : 215-24. 109