Journal Identification = PNV Article Identification = 0396 Date: March 8, 2013 Time: 4:34 pm
Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (1) : 99-109
La mémoire musicale à long terme au cours
de l’évolution de la maladie d’Alzheimer
Musical long-term memory throughout the progression
of Alzheimer disease
Mathilde Groussard1,2,3,4,5
Caroline Mauger1,2,3,4
HervÉPlatel1,2,3,4
1Inserm, U1077, Caen, France
2UMR-S1077, Université de Caen
Basse-Normandie, Caen, France
3UMR-S1077, École pratique des
hautes études, Caen, France
4U1077, CHU de Caen, Caen, France
5Service d’explorations fonctionnelles,
CHU de Caen, Caen, France
Tir ´
es `
a part :
M. Groussard
Résumé. Quelques cas cliniques présentés dans la littérature ont mis en évidence la pré-
servation de remarquables capacités musicales chez des patients Alzheimer anciennement
musiciens, cette préservation contrastant avec des difficultés mnésiques et langagières.
Ces observations ont naturellement conduit les chercheurs à proposer des études plus
systématiques permettant d’évaluer réellement les compétences en mémoire musicale de
patients Alzheimer non-musiciens. Ces travaux, actuellement peu nombreux, ne semblent
pas apporter des réponses claires quant à une préservation des capacités en mémoire musi-
cale chez ces patients. La synthèse de la littérature que nous proposons ici nous permet
de faire le point sur le sujet, et de proposer une explication possible aux divergences de
résultats. Ainsi, de cette revue de la littérature, nous pouvons constater que les processus
de mémoire évalués varient selon les stades de la maladie. Aux stades précoces, une éva-
luation majoritaire de la mémoire épisodique musicale est proposée et apparaît déficitaire
chez ces patients alors qu’à partir des stades modérés de la maladie, les travaux axent leur
évaluation sur la mémoire sémantique et les apprentissages implicites qui se révèlent résis-
ter plus longtemps à la pathologie. Ces résultats nous amènent à réfléchir sur les systèmes
mnésiques engagés et sur l’importance, pour mettre en évidence des capacités musicales
préservées, d’adapter les outils d’évaluation à la sévérité des troubles rencontrés au cours
de la maladie.
Mots clés : maladie d’Alzheimer, musique, mémoire sémantique, mémoire épisodique,
apprentissage implicite
Abstract. In Alzheimer patients with a solid musical background, isolated case-reports have
reported the maintenance of remarkable musical abilities despite clear difficulties in their ver-
bal memory and linguistic functions. These reports have encouraged a number of scientists
to undertake more systematic studies which would allow a rigorous approach to the analysis
of musical memory in Alzheimer patients with no formal musical background. Although res-
tricted in number, the latest data are controversial regarding preserved musical capacities in
Alzheimer patients. Our current review of the literature addresses this topic and advances
the hypothesis that the processes of musical memory are function of illness progression. In
the earlier stages, the majority of evaluations concerned musical episodic memory and sug-
gested a dysfunction of this memory whereas in the moderate and severe stages, musical
semantic memory and implicit learning are the majority of investigations and seemed more
resistant to Alzheimer disease. In summary, our current review bring to understand the
memory circuits involved and highlight the necessity to adapted the investigational tools
employed to conform with the severity of the signs and symptoms of progressive Alzheimer
disease in order to demonstrate the preserved musical capacities.
Key words: Alzheimer’s disease, music, episodic memory, semantic memory, implicit
learning
En 1989, Crystal et al. [1] ont rapporté l’un des
premiers cas de patient Alzheimer présentant des
capacités de mémoire musicale préservées malgré
des troubles sévères de mémoire verbale. Ancien pianiste
de 82 ans, CT conservait des capacités de mémoire procé-
durale lui permettant de jouer au piano des compositions
apprises avant le début de sa maladie alors qu’il était inca-
pable de rappeler ou reconnaître le titre ou le compositeur
du morceau. Cette observation a été complétée par plu-
sieurs autres études de cas qui suggèrent que les patients
Alzheimer anciennement musiciens pourraient conserver
de remarquables aptitudes de reconnaissance [2] mais
doi:10.1684/pnv.2013.0396
Pour citer cet article : Groussard M, Mauger C, Platel H. La mémoire musicale à long terme au cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Geriatr
Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013; 11(1) :99-109 doi:10.1684/pnv.2013.0396 99
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M. Groussard, et al.
également d’apprentissage musical [3], contrastant avec
les difficultés mnésiques et langagières systématiquement
rapportées dans cette pathologie. Au-delà des cas particu-
liers de patients ayant rec¸u une formation musicale, qu’en
est-il vraiment pour le reste des patients ?
L’objectif de cette synthèse est de faire le point sur
l’état actuel des connaissances concernant la mémoire à
long terme musicale chez les patients Alzheimer. Ainsi,
nous nous attacherons ici à mieux comprendre ce qui est
regroupé, selon les études, sous le terme de «mémoire
musicale », et à comprendre pourquoi il y a autant de
divergences entre les résultats des travaux réalisés dans
le domaine. La revue de la littérature sur la mémoire musi-
cale dans la maladie d’Alzheimer de Baird et Samson [4]
suggère une dissociation entre un fonctionnement expli-
cite altéré de cette mémoire et une préservation de la
mémoire musicale implicite. Dans cette revue, le fonction-
nement explicite altéré fait référence à une perturbation des
mémoires épisodique et sémantique alors que le fonction-
nement implicite reflèterait une préservation du système
de représentation perceptive (amorc¸age) et de la mémoire
procédurale [5]. La dissociation entre explicite et impli-
cite semble effectivement intéressante pour conclure de
fac¸on générale sur la mémoire musicale dans la mala-
die d’Alzheimer, mais ne semble pas totalement rendre
compte de l’évolution observée, au cours des stades, des
préservations ou altérations progressives de la mémoire
musicale.
Ainsi, pour chaque stade, nous tenterons de mieux
comprendre l’évolution de la mémoire musicale à long-
terme en s’appuyant principalement sur la dissociation
entre mémoire épisodique et sémantique [5] et discuterons
la nature explicite ou implicite des processus engagés.
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par des défi-
cits progressifs de mémoire touchant de fac¸on précoce
la mémoire épisodique et s’accompagne d’une détériora-
tion d’autres fonctions cognitives telles que le langage,
les capacités d’orientation temporo-spatiale, les fonctions
exécutives, les habiletés motrices et perceptives. Le fonc-
tionnement cognitif est progressivement et globalement
modifié du fait de l’atteinte croissante des structures céré-
brales sous-corticales et corticales temporales et frontales.
Plusieurs stades sont alors différenciés pour rendre compte
de cette évolution. Le système Fast (Functional assessment
staging) [6, 7] est le modèle le plus fréquemment utilisé. Il
définit les stades de sévérité en s’appuyant, entre autre,
sur les scores au MMSE (Mini-mental state examination),
évaluant le fonctionnement cognitif global. En référence à
ce système, nous adoptons, un découpage en trois stades :
stade léger 21 MMSE 26 ; stade modéré 16 MMSE
20 ; stade sévère MMSE 15.
Mémoire musicale à long terme
et patients Alzheimer
à un stade léger de la maladie
La majorité des études menées sur musique et maladie
d’Alzheimer ont été réalisées avec des patients à un stade
léger (MMSE moyen compris entre 21 et 26) et ont éva-
lué les capacités de mémorisation de mélodies (tableau 1).
Classiquement, nous différencions plusieurs méthodes
d’apprentissage en mémoire épisodique (apprentissage
explicite, apprentissage incident) et différentes méthodes
de rappel (rappel libre, reconnaissance). Le rappel libre
est, par définition, une conduite consciente où le stimulus,
absent, doit être récupéré en mémoire. Pour la reconnais-
sance, le participant doit simplement dire s’il identifie ou
non un stimulus physiquement présent. Concernant ce der-
nier point, il est intéressant de souligner que dans les études
sur la musique, seule la reconnaissance est proposée. En
effet, lorsque les auteurs explorent la mémoire musicale
de nouvelles mélodies, il semble difficile de proposer, en
particulier à des non-musiciens, une tâche de rappel libre
demandant aux personnes de reproduire en chantant les
mélodies préalablement entendues. Dans toutes les études
portant sur la mémoire épisodique musicale, les tâches
proposées sont donc des tâches de reconnaissance des
mélodies (connues ou inconnues) présentées lors de la
phase d’apprentissage.
Pour évaluer la mémoire musicale à long terme,
quelques auteurs ont proposé une tâche de reconnaissance
de nouvelles mélodies après un apprentissage incident.
Durant la phase d’apprentissage, aucune mention n’est
faite de la tâche de reconnaissance à venir. Ainsi, Halpern
et O’Connor [8] ont proposé une tâche de jugement de
tempo de mélodies non familières (écoutées 2 fois) alors
que dans l’étude de Quoniam et al. [9] les sujets écou-
taient passivement des mélodies non familières (entendues
1 fois, 5 fois ou 10 fois selon la condition). La tâche
de reconnaissance, dans les 2 cas, consistait à dire si
oui ou non les mélodies proposées ont été présentées
préalablement. Les résultats de l’étude de Halpern et
O’Connor [8] montrent un effet plancher pour l’ensemble
des groupes (groupe contrôle et patients), rendant difficile
toute conclusion concernant les performances des malades
Alzheimer. Dans l’étude réalisée par Quoniam et al. [9],
les performances des patients Alzheimer étaient significa-
tivement moins bonnes que les sujets âgés sains. L’effet
plancher constaté dans l’étude d’Halpern et O’Connor [8]
nous amène à penser que l’apprentissage incident de nou-
velles mélodies semble être, de manière générale, une
tâche trop difficile pour des sujets âgés. Les travaux plus
100 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 1, mars 2013
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La mémoire musicale à long terme
Tableau 1. Caractéristiques des populations d’étude, des tâches proposées, des processus mnésiques impliqués et des résultats principaux des travaux cités.
Table 1. Characteristics of the sample studies, proposed tasks, mnesics processes involved and main results from the quoted works.
Références Effectifs (N) Sexe Age (sd) Niveau
d’éducation
MMSE /30 Tâches
proposées
Processus
mnésiques
impliqués
Résultats
MA léger 21 <MMSE <26
Etudes de groupe
Halpern et
O’Connor 2000 15 MA (17
SAS/26 SJ S) 7H/8F 78,7 (6,2) 14,9 (3,7) 22,5 (3,9) Reconnaissance
O/N après app
incident
Mémoire
épisodique Effet plancher
Tâche de
préférence -
Effet
d’exposition -1
prés
Mémoire
sémantique Perf-MA
Quoniam et al.2003 10MA
(16SAS/9D) NI 79,2 (1,82) 11,10 (3,47) 23,1 (22-25) Reconnaissance
O/N après app
incident
Mémoire
épisodique SAS >MA
Tâche de
préférence -
Effet
d’exposition -1,
5, 10 près
Mémoire
sémantique Perf+MA
Moussard et al. 2008 5 MA (7 MA
modérés/15
SJS/9 SAS/8
SAS >90 ans)
1H/ 4F 80,8 (4,2) 9,8 (3,8) 26 (2,5) Reconnaissance
choix forcé après
app explicite
Mémoire
épisodique SJS >SAS MA
App implicite
de structures
musicales
Mémoire
sémantique MA = SAS
Ménard et
Belleville 2009 16 MA (16 SAS) 7H/9F 72,3 (8,9) 12,7 (4,2) 24,3 (3,1) Reconnaissance
O/N après app
explicite
Mémoire
épisodique SAS >MA
Hsieh et al. 2011 14MA(13
DS/20 SAS) 11H/3F 64,1 (7,7) 13,2 (3,6) 24,4 (4,2) Jugement de
familiarité Mémoire
sémantique MA = SAS
Cuddy et al. 2012 21 MA (17 MA
modérés/12 MA
sévères/50
SJS/100 SAS)
10H/11F Méd 82 (66-86) Méd 12
(8-21) 25 (20-30) Jugement de
familiarité Mémoire
sémantique MA = SAS
Vanstone et al. 2012 10MA(35
SJS/40 SAS) 2H/8F 70,7 (58-89) 14,1 (12-20) 22,8 (16-28) Reconnaissance
O/N après app
explicite
Mémoire
épisodique SAS >MA
Tâche de
préférence -
Effet
d’exposition - 3
prés
Mémoire
sémantique MA = SAS
Jugement de
familiarité Mémoire
sémantique MA=AS
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M. Groussard, et al.
Tableau 1. (Suite)
Table 1. (Continued)
Références Effectifs (N) Sexe Age (sd) Niveau
d’éducation
MMSE /30 Tâches
proposées
Processus
mnésiques
impliqués
Résultats
MA modéré 16 <MMSE <20
Etudes de groupe
Bartlett et al. 1995 15 MA (14 SAS) 10H/5F 73,6 (7,2)
(63-90) 14,5 19,9 (3,0)
(15-25) Reconnaissance
O/N Mémoire
épisodique SAS >MA
MA+FA
Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique MA SAS
Moussard et al. 2008 7 MA 1H/ 6F 83,7 (4,9) 10 (3,2) 17,1 (2,2) Reconnaissance
choix forcé après
app explicite
Mémoire
épisodique SJS >SAS >MA
App implicite
de structures
musicales
Mémoire
sémantique MA = SAS
Vanstone
et Cuddy 2010 12 MA dont 4
sévères (12 SAS) 4H/8F 81,5 (77-86) NI NI Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique Perf+MA
Cuddy et al. 2012 17 MA 8H/9F Méd 81 (72-96) Méd 12
(8-21) 16 (12-21) Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique Perf+MA
Samson et al. 2012 17 MA (17 SAS) 5H/12F 81,41 (5,03) 8,41 (1,77) 17,71 (4,14) Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique MA = SAS
Reconnaissance
O/N immédiate
(2 essais)
Mémoire
épisodique SAS >MA
Reconnaissance
O/N délai Mémoire
épisodique SAS >MA
MA sévère MMSE <15
Etudes de groupe
Samson et al. 2009 13 MA 13 F 85 (5; 72-89) NI 12,15 (2,5)
(7-15) Sentiment de
familiarité après
app implicite
-Effet
d’exposition
- 8 prés
Mémoire
sémantique Perf+MA
Cuddy et al. 2012 12 MA 5H/7F Méd 82,5
(69-94) Méd 16
(8-21) 4(de0à
10) Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique Perf+MAms
<SAS
102 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n 1, mars 2013
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La mémoire musicale à long terme
Tableau 1. (Suite)
Table 1. (Continued)
Références Effectifs (N) Sexe Age (sd) Niveau
d’éducation
MMSE /30 Tâches
proposées
Processus
mnésiques
impliqués
Résultats
Etudes de cas
Polk et al. 1993 2 MA mais
diagnostic peu
précis (cas CW
et MA)
H/F 58/53 12/NI 3/NI Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique Perf+MA
Cowles et al. 2003 1 MA (cas SL) H 80 NI 14 App de
nouvelles
musiques
Mémoire
procédurale Perf+ SL
Cuddy et Duffin 2005 1 MA (cas EN) F 84 High school 8 Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique Perf+EN
Fornazzari et al. 2006 1 MA F 58 à 63 NI 10 à 5 App de
nouveaux airs
au piano
Mémoire
procédurale Perf+MA
Vanstone et al. 2009 1 MA (cas
EN/90SAS) F 85 High school 8 Jugement
de familiarité Mémoire
sémantique EN = SAS
Production de
mélodies fam
à partir des
paroles
Mémoire
sémantique EN = SAS
méd : médiane ; NI : non indiqué ; SAS : sujets âgés sains ; SJS : sujets jeunes sains ; MA : maladie d’Alzheimer ; DF : démence fronto-temporale ; DS : démence sémantique;D:patients dépressifs ;
O/N : oui/non ; Perf + : performance préservée ; Perf - : performance altérée ; App : apprentissage ; prés : présentation ; FA : fausses alarmes.
méd: median; NI: no information; SAS: healthy aging participant; SJS: healthy young participant; MA: Alzheimer disease; DF: fronto-temporal dementia; DS: semantic dementia; D: depressed patients;
O/N: yes/no; Perf +: preserved performance; Perf -: altered performance; App: learning; prés: presentation; FA: falses alarms.
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