Droit et secret dans les SSTI

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CISME––Tome
TomeVV––2015
2015
Session 1 : Philosophie du travail en réseau
deetprévention
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les SSTI :
Droit etpar
secret
dans les SSTI
équilibre gagnant-gagnant entre partenaires
Conférence invitée
M. Stéphane BRISSY – Maître de conférence en droit privé à l’université de Nantes – Membre de
l’Institut Droit et Santé de l’Université Paris-Descartes
L
es dérives de la transparence à outrance peuvent être nombreuses et même sans être poursuivi des assiduités de l’opinion publique, un salarié peut aussi en être victime lorsque sa santé est
en question notamment. La protection juridique contre toute ingérence excessive dans ce domaine existe, notamment au moyen de l’interdiction des mesures patronales fondées sur l’état de santé, celles-ci étant qualifiées de discriminatoires1. L’influence potentielle de la santé du salarié sur l’accomplissement de son travail oblige malgré tout l’employeur à en tenir compte. Mais pour éviter toute
tentation discriminatoire il doit s’en remettre à ces professionnels spécialisés que sont les médecins du
travail et, plus largement, les services de santé au travail. Ceux-ci peuvent ainsi se retrouver au cœur
d’un conflit entre un employeur en quête d’informations sur la santé du salarié en vue d’organiser le
travail et un salarié ne souhaitant pas dévoiler une trop grande part de sa vie personnelle risquant de
mettre le sort de son emploi en jeu.
Ajoutons à cela la pluralité d’intervenants au sein d’un service de santé au travail qui doit se caractériser
par sa pluridisciplinarité2, spécialement un service interentreprises, et l’on comprendra que les informations sur la santé des salariés peuvent passer entre de nombreuses mains.
Il peut sembler difficile dans ce contexte de concilier ce principe essentiel qu’est le secret professionnel
et le fonctionnement des services de santé au travail dont les missions et la composition font que les
informations médicales peuvent circuler dans un cadre dépassant le colloque singulier entre le médecin et son patient3.
Pourtant la protection du secret professionnel est tout à fait adaptable aux services de santé au travail
et à leurs spécificités. Même s’il est initialement conçu pour le colloque singulier entre médecin et patient, le secret professionnel reste une règle d’organisation des professions de santé, l’un de ces principes sans lesquels une profession ne peut remplir correctement ses missions et perd de son utilité, de
sa reconnaissance sociale, autrement dit de son identité.
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La préservation du secret sur certaines données est tout aussi essentielle à l’utilité et à l’identité des
services de santé au travail, même s’ils ne sont pas composés exclusivement de professionnels de santé. Cela se traduit tout d’abord par l’étendue de la protection du secret, qui couvre un champ d’activités
et des formes de responsabilités suffisamment étendues pour être adaptées à l’activité des services de
santé au travail (1). L’adaptation doit aussi passer par les exceptions au secret, c’est-à-dire par les possibilités de partager des informations en principe protégées. Sur ce plan l’adéquation entre les missions
des services de santé au travail et le secret reste incomplète (2).
1 – Le domaine du secret adapté aux services de santé au travail
Le secret entourant la santé du salarié est assuré par des règles générales et spécifiques. Cette multiplicité normative permet d’appréhender l’activité des services de santé au travail dans toute leur diversité (A). Elle se traduit en outre par plusieurs formes de responsabilité qui dévoilent toute la richesse du
secret professionnel en tant que principe organisateur de l’activité des services de santé au travail (B).
A – Des règles multiples au champ d’application étendu
Les personnes impliquées dans le service de santé au travail sont soumises à l’interdiction de divulguer
les informations médicales relatives aux salariés, en application de règles à la fois pénales, civiles et,
pour les professionnels de santé, déontologiques.
L’article 226-13 du Code pénal prévoit ainsi que « la révélation d’une information à caractère secret par
une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou
d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Plus spécifique, l’article L 1110-4 du Code de la santé publique affirme de son côté que « toute personne
prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme
participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations
la concernant ».
Sur le plan déontologique enfin, socle juridique de l’identité d’une profession, le secret professionnel
s’impose à tout médecin4, dont font partie les médecins du travail, et à tout infirmier ou étudiant infirmier , dont les infirmiers5 en santé au travail.
Ces différents textes ont un champ d’application étendu à la fois quant aux personnes et aux informations visées par le secret.
L’infraction pénale de violation du secret professionnel s’applique à toute personne qui a reçu une information ayant un caractère secret. Sa formulation permet de l’appliquer à tout membre de l’équipe de
santé au travail, professionnel de santé ou non, mais aussi à toute personne qui aurait collaboré occasionnellement avec le service. Le droit au secret affirmé par le Code de la santé publique au profit du
patient s’applique lui aussi aux salariés et aux services de santé au travail puisqu’il concerne «toute personne prise en charge par tout organisme participant à la prévention et aux soins ».
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Dépourvu de mission curative, le service de santé au travail n’en a pas moins un rôle préventif qui le
place dans le champ de ce texte. Les membres de l’équipe de santé au travail sont tous tenus de respecter ce droit au secret, l’article L 1110-4 du Code de la santé publique visant à la fois les professionnels de
santé et globalement toute personne intervenant dans le système de santé.
Quant aux règles déontologiques elles sont à n’en pas douter applicables aux professionnels de santé
intervenant au sein d’un service de santé au travail.
Les informations protégées par le secret sont elles aussi envisagées au sens large comme le montrent
notamment les règles déontologiques applicables aux médecins et infirmiers du travail. Selon ces règles,
le secret couvre tout ce qui est venu à leur connaissance dans l’exercice de leur profession, c’est-à-dire
ce qui leur a été confié ainsi que ce qu’ils ont vu, entendu ou compris. L’étendue des informations protégées n’est pas moins importante lorsque la personne tenue au secret n’est pas un professionnel de santé, comme l’indique l’article L 1110-4 du Code de la santé publique qui dispose que « ce secret couvre
l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé » ou de tout autre professionnel. Précisons ici qu’une information n’a pas un caractère secret par
nature.
Elle est secrète parce qu’elle est en lien avec la fonction de celui qui la reçoit. Seront secrètes les informations livrées par un salarié à un membre de l’équipe de santé au travail qui sont directement en rapport avec les missions du service. Il s’agit dès lors d’informations relatives à l’état de santé du salarié. Le
mode d’obtention de l’information est indifférent, de même que l’éventuelle connaissance de celle-ci
par d’autres personnes (membres de la famille ou collègues de travail par exemple). Pour être répréhensible, la communication d’une information secrète doit être faite à une personne et dans un but étranger à la mission du service de santé au travail.
Concernant plus spécifiquement la santé au travail, les règles générales sont doublées de règles précises
car, pour assurer un suivi des expositions des salariés aux risques professionnels, un dossier médical en
santé au travail doit être mis en place. Ce dossier est constitué par le médecin du travail et doit contenir « les informations relatives à l’état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis
ainsi que les avis et propositions du médecin du travail6».
Et avant d’y prévoir des exceptions, la loi dispose que le dossier médical en santé au travail doit respecter le secret médical. Son contenu ne peut être divulgué à des personnes auxquelles la loi ne reconnaît
pas un droit d’accès.
Ce dossier médical en santé au travail est un moyen essentiel de l’activité des services de santé au travail. Il peut notamment permettre aux membres du service de suivre au mieux l’évolution de l’état de
santé d’un salarié au regard des postes qu’il a tenu et des risques auxquels il a été exposé. Il constitue
à ce titre un instrument important d’une politique de prévention des risques professionnels. Il peut dès
lors être tentant d’en partager le contenu avec l’employeur, et pourtant celui-ci ne peut y avoir accès.
Que ce soit auprès de l’employeur ou auprès d’une autre personne non autorisée, la divulgation d’informations censées rester secrètes peut être à l’origine de responsabilités diverses.
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B – Des responsabilités et fondements divers
C’est tout d’abord la responsabilité du professionnel ayant divulgué une information protégée par le
secret qui peut être engagée. Compte tenu des multiples sources du secret, cette responsabilité peut
être pénale, civile et disciplinaire. Précisons que si une réparation financière accordée au salarié à l’issue d’une action pénale ne peut se cumuler avec une réparation des mêmes préjudices devant le juge
civil, le professionnel reste néanmoins exposé à une sanction disciplinaire. Celle-ci peut être le fait de
son employeur ainsi que, s’il s’agit d’un professionnel de santé, de l’ordre professionnel. Une procédure
disciplinaire est en effet indépendante d’une action engagée devant les juridictions étatiques et la sanction en résultant éventuellement peut s’ajouter à une éventuelle condamnation à des dommages et
intérêts. Bien que l’employeur ou le salarié puissent soumettre, indirectement, une plainte au conseil
de l’ordre ils ne retireront aucune compensation d’une procédure disciplinaire ordinale. Le cumul entre
procédures judiciaire et disciplinaire auprès de l’ordre est autorisé non pour additionner les indemnisations mais pour distinguer l’intérêt des victimes de l’intérêt de la profession dans son ensemble.
Or, pour les professionnels de santé notamment, le secret est une règle déontologique essentielle à la
profession dont la violation peut être soumise à des représentants de la profession. Ces responsabilités montrent que les services de santé au travail ne sont pas astreints au secret dans l’intérêt des seuls
salariés mais aussi de la profession concernée et du bon accomplissement des missions du service de
santé au travail.
Une affaire récemment jugée par la chambre sociale de la Cour de cassation a permis de le rappeler
et d’affirmer également la spécificité du secret en santé au travail7. En l’occurrence, un employeur qui
était en litige avec l’un de ses salariés avait utilisé devant le juge une attestation du médecin du travail
comportant des éléments tirés du dossier médical du salarié. Ces éléments étant couverts par le secret
professionnel, leur utilisation par l’employeur constituait une faute de celui-ci, même si le médecin du
travail n’avait pas été sanctionné par le conseil de l’ordre pour cette divulgation. La violation du secret
professionnel n’est donc pas une source de responsabilités pour les seuls membres du service de santé au travail, ou ses intervenants temporaires. Il peut l’être aussi pour l’employeur qui utilise des informations confidentielles sur la santé d’un salarié, peu important comment il les a obtenues. La Cour de
cassation rappelle ici que le secret entourant les informations sur la santé des salariés ne constitue pas
seulement une obligation pour les professionnels qui en sont destinataires mais aussi un droit pour le
salarié8.
Mais plus encore, la Cour de cassation affirme que l’employeur qui exige du médecin du travail la communication d’éléments tirés du dossier médical d’un salarié, notamment pour faire établir une attestation, remet en cause l’indépendance professionnelle du médecin. L’accès à des informations d’ordre
personnel sur la santé du salarié est une prérogative du médecin du travail nécessaire à l’établissement
d’une relation de confiance et à une bonne connaissance de l’état de santé du salarié. Même lorsqu’il
fait partie d’un service de santé au travail autonome, le médecin du travail et tout autre membre de
l’équipe pluridisciplinaire sont protégés contre une intrusion de l’employeur dans le dossier médical de
santé au travail.
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L’autonomie de la faute dégagée par la Cour de cassation tient au fait qu’elle ne nécessite pas de caractériser la violation de son secret professionnel par un membre du service de santé. En la fondant à la
fois sur le droit au secret du salarié et sur l’indépendance professionnelle du médecin du travail, la Cour
de cassation montre en outre que dans la relation triangulaire, salarié-employeur-médecin du travail, le
secret protège aussi bien le salarié que le médecin du travail contre une trop grande ingérence de l’employeur. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs, selon moi, de relever la garantie légale et/ou déontologique
de l’indépendance du professionnel auquel l’employeur s’est adressé pour obtenir les informations litigieuses. Quel que soit l’intervenant du service de santé au travail concerné, le partage d’informations
personnelles avec l’employeur risque de nuire aux missions du service de santé au travail. Si un tel partage avait lieu, les salariés assimileraient très certainement le service à un simple relais de l’employeur
dans un processus de sélection. La prévention des risques professionnels concernant le salarié pris individuellement mais aussi pour l’ensemble des travailleurs de l’entreprise en serait nécessairement atteinte. Ce sont l’utilité et l’effectivité même des missions du service de santé au travail qui seraient alors
remises en cause.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité pour faute de l’employeur utilisant des informations protégées par
le secret n’est pas exclusive de la responsabilité du professionnel ayant procédé à la divulgation de ces
informations.
Malgré l’étendue de l’obligation de discrétion qui s’impose aux membres du service de santé au travail,
celle-ci n’est pas absolue. Le partage d’informations peut en effet s’avérer nécessaire, toujours en vue
de permettre au service de remplir ses missions.
2– Un partage d’informations en concordance avec les missions du service
de santé au travail ?
Que ce soit au sein du service de santé au travail lui-même ou vis-à-vis de l’extérieur, le partage d’informations rejoint parfois les missions préventives du service. Il peut permettre de suivre au mieux le parcours individuel des salariés (A) et de prévenir collectivement les risques professionnels (B).
A - Un partage d’informations dans une logique individuelle de parcours
Compte tenu de son obligation de sécurité de résultat, qui lui impose notamment de fournir aux salariés
un travail en adéquation avec leurs capacités physiques, l’employeur doit avoir une certaine connaissance de la santé des salariés. Il faut cependant distinguer à cet égard la connaissance de l’inaptitude
d’un salarié et ses motifs médicaux qui eux ne peuvent être révélés9.
Une déclaration d’inaptitude est le résultat du travail d’analyse opéré par le médecin du travail consistant à faire le lien entre les informations médicales dont il dispose sur le salarié et celles relatives à son
poste de travail. Le constat relatif à l’aptitude ou l’inaptitude du salarié est ainsi un constat objectif qui
ne fait pas état précisément de l’état de santé du salarié mais simplement de sa capacité à occuper un
poste de travail déterminé.
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L’employeur peut avoir connaissance de cette capacité et l’obligation pour le médecin du travail de lui
indiquer les éléments de fait permettant à l’employeur de proposer un poste adapté aux capacités physiques du salarié, ainsi que les éventuelles contre-indications n’est pas contraire au secret médical10.
Cela ne contraint pas en effet le médecin du travail à faire état des considérations médicales qui justifient sa décision.
En revanche le dossier médical du salarié ne peut en aucun cas être communiqué à l’employeur11.
Des informations protégées par le secret peuvent être transmises à d’autres personnes que l’employeur.
La volonté du salarié joue ici un rôle, de manière positive ou négative. Le salarié peut tout d’abord demander à ce que son dossier médical en santé au travail soit transféré à un médecin de son choix. L’intérêt de cette transmission réside dans une appréhension globale de la santé du salarié permise par une
circulation des informations entre professionnels impliqués et dans le but d’assurer un meilleur suivi12.
Sans demande particulière du salarié, le dossier médical en santé au travail peut également être transmis par le médecin du travail à un autre médecin du travail pour assurer la continuité de la prise en
charge, sauf si le salarié refuse cette transmission. Le refus par un médecin du travail de transmettre le
dossier à un autre médecin du travail pourrait même constituer une faute du médecin dépositaire du
dossier si son refus paralyse le fonctionnement du service de santé au travail13.
Au vu de ces dispositions, la transmission d’informations médicales par un médecin du travail ne semble
possible qu’à destination d’un autre médecin.
Les règles générales diffèrent quelque peu des règles spéciales reprises ci-dessus. Les règles générales
prévoient que les informations relatives à un patient peuvent en principe être échangées entre deux ou
plusieurs professionnels de santé dans le but d’assurer la continuité des soins et la meilleure prise en
charge sanitaire possible, à condition que le patient dûment averti ne s’y soit pas opposé14.
Toujours à titre général, le Code de la santé publique ajoute que les informations concernant le patient
pris en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé sont réputées confiées à l’ensemble de l’équipe15. Le service de santé au travail n’est cependant pas un établissement de santé ou
une équipe de soins au sein d’un établissement de santé. Est-ce à dire que le dossier médical en santé
au travail ne peut pas être communiqué à un membre de l’équipe pluridisciplinaire n’ayant pas la qualité de médecin ou de professionnel de santé ? Il faut ici tenir compte de la faculté laissée au médecin du
travail de confier certaines activités sous sa responsabilité et dans le cadre de protocoles écrits aux infirmiers, aux assistants de santé au travail et aux autres membres de l’équipe16. Dans les conditions fixées
par écrit par les protocoles indiqués et sauf avis contraire du salarié dûment informé17, un membre de
l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail peut avoir accès à certaines informations couvertes par le
secret. La personne ayant accès aux dites informations est elle aussi, rappelons-le, tenue au secret professionnel, qu’elle ait ou non la qualité de professionnel de santé.
Une vigilance particulière s’impose au médecin du travail dans ce cas et, si celle-ci fait défaut, un manquement d’un membre de l’équipe à son obligation de confidentialité pourrait engager la responsabilité
disciplinaire du médecin du travail.
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Les recommandations de bonne pratique de la HAS indiquent en effet que les autorisations et niveaux
d’accès au dossier sont définis par le médecin du travail sous sa responsabilité. De plus, selon l’article
R 4127-72 CSP, « le médecin doit veiller à ce que les personnes qui l’assistent dans son exercice soient
instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment. Il doit veiller à ce
qu’aucune atteinte ne soit portée par son entourage au secret qui s’attache à sa correspondance professionnelle ».
La transmission des informations doit dans tous les cas viser une meilleure prévention des risques professionnels et à cet égard quelques améliorations restent nécessaires. Si le médecin du travail peut communiquer le dossier médical en santé au travail à un médecin choisi par le salarié, l’inverse n’est pas possible. Le médecin du travail ne peut en effet accéder au dossier médical personnel du salarié18, alors que
cet accès pourrait faciliter le suivi individuel des salariés en rendant leur parcours plus lisible, pourrait
faciliter le dépistage de maladies professionnelles au long cours telles que le cancer et rendre ainsi plus
efficace l’action des services de santé au travail19.
Quoi qu’il en soit l’activité préventive des services de santé au travail ne s’exerce pas uniquement individuellement mais aussi dans le but d’améliorer les conditions de travail de l’ensemble des salariés.
B – Un partage d’informations dans l’intérêt collectif
Si le partage d’informations est parfois nécessaire pour améliorer la prévention, il l’est aussi bien pour
le salarié pris individuellement que pour l’ensemble des travailleurs concernés par le même type de
risques, voire pour la collectivité dans son ensemble.
Des informations couvertes par le secret doivent ainsi être transmises par le médecin du travail au médecin inspecteur régional du travail si ce dernier en fait la demande ou en cas de risque pour la santé
publique20. On s’aperçoit qu’ici la volonté du salarié n’intervient pas, que ce soit sous la forme positive
d’une autorisation ou négative d’une absence d’opposition.
Le service de santé au travail exerce en outre une action sur le milieu de travail consistant à observer,
étudier les conditions de travail des salariés pris dans leur ensemble et éventuellement à faire des propositions à l’employeur. Cette partie des missions des services de santé au travail, et en particulier des
médecins du travail, peut certes impliquer des visites sur les lieux de travail mais peut aussi trouver ses
racines dans le suivi individuel des salariés.
Sans dévoiler d’informations de nature personnelle, il faut ainsi rappeler que le médecin du travail peut,
notamment à partir de sa connaissance d’informations de nature personnelle, constater l’existence d’un
risque pour les travailleurs et proposer à l’employeur des mesures visant à préserver l’ensemble des salariés du risque en question21. Ce faisant, il ne contrevient pas à son obligation au secret dès l’instant où
il ne divulgue pas, dans l’écrit adressé à l’employeur, d’informations médicales personnelles.
Par ailleurs le secret est institué dans l’intérêt du salarié ainsi que dans celui de la profession toute entière mais en aucun cas il n’a vocation à protéger l’employeur contre toute divulgation d’informations
sur les conditions de travail et sur les risques que celles-ci présentent pour la santé des salariés.
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Lorsqu’un médecin du travail alerte l’employeur sur les risques en question, ses propositions doivent
être communiquées au CHSCT ou aux délégués du personnel ainsi qu’à des personnes extérieures
comme l’inspecteur du travail22. L’employeur ne peut dans ce cas alléguer une violation du secret professionnel pour tenter de faire barrage au partage de ce type d’informations23. Tout au plus pourrait-il
se prévaloir d’une révélation des secrets de fabrication ou des procédés d’exploitation pour faire sanctionner le médecin du travail ou tout autre membre de l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail24.
Mais la seule mention, voire dénonciation des conditions de travail en raison de leurs effets potentiels
ou avérés sur la santé des salariés n’entre pas dans le champ de cette interdiction.
Le médecin du travail peut par exemple adresser un courrier à l’employeur et aux représentants du
personnel pour les alerter sur les risques que des méthodes de management présentent pour la santé
mentale des salariés, compte tenu notamment de tentatives de suicide25. Aucune atteinte au secret professionnel n’existe dans ce cas si les salariés ne sont pas nommés. Il reste au médecin du travail à être
prudent dans la formulation de ses avis et à ne pas mettre précipitamment en relation l’état de santé
d’un salarié et des conditions de travail qu’il ne connaît pas26.
Les règles relatives au partage d’informations, dans une optique aussi bien individuelle que collective,
nous rappellent que la protection d’informations par le secret professionnel vise non seulement à protéger les salariés mais aussi à permettre un bon exercice des missions préventives assignées aux services de santé au travail. Le secret professionnel est institué à la fois dans l’intérêt des salariés et dans
celui de la collectivité de travail et en cela il ne satisfait pas tant des intérêts privés qu’un intérêt public
qui engage une, voire des professions envers la société27. Savoir préserver le secret sans en oublier les
objectifs est à ce titre un moyen de reconnaître l’utilité et l’identité propres des services de santé au
travail.
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1 - Art. L 1132-1 c. trav.
2 - Art. L 4622-8 c. trav.
3 - A. Gardin, Le secret et le médecin du travail, Dr. Ouvr. 2015, p. 403.
4 - Art. R 4127-4 CSP.
5 - Art. R 4312-4 CSP.
6 - Art. L 4624-2 C. trav. Pour les travailleurs exposés aux agents chimiques, v. art. R 4412-54 ; pour les travailleurs exposés
au bruit, v. art. R 4433-4 ; pour les travailleurs temporaires, v. art. D 4625-16 ; pour les travailleurs éloignés, v. art. D 4625-33
; pour les travailleurs des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, v. art. D 4626-33 ; pour les concierges et employés d’immeubles, v. art. R 7214-20.
7 - Cass. soc. 30 juin 2015, n°13-28201 ; JCP S 2015, 1344, note P. Y. Verkindt.
8 - Comme le montre dans cet arrêt le visa de l’article L 1110-4 du Code de la santé publique qui instaure un droit au secret
pour toute personne prise en charge.
9 -A. Gardin, op. cit., p. 404.
10 - CE 3 déc. 2003, n°254000. V. également Cass. crim. 6 juin 1972, n°70-90271 ; Bull. crim., n°190 : N’excède pas ses attributions le médecin du travail qui fait savoir qu’une salariée, dont les propos injurieux perturbent le fonctionnement du service, lui paraît inapte au travail.
11 - Cass. soc. 10 juill. 2002, n°00-40209, Bull. civ., V, n°251.
12 - V. Mesli, Quelles articulations entre le dossier médical personnel et le dossier médical en santé au travail ?, RDSS 2014,
p. 266.
13 -Cass. soc. 20 févr. 1986, n°83-41671, Bull. civ., V, n°30 : médecin refusant de transmettre le dossier après son licenciement.
14 - Art. L 1110-4, al. 3 CSP.
15 - Ibid.
16 - Art. R 4623-14, al.2.
17 - V. les recommandations de la HAS : Le dossier médical en santé au travail, 2009, p. 12. Ces recommandations ont, selon
le Conseil d’Etat, un caractère réglementaire et s’imposent donc aux services de santé au travail : CE 27 avr. 2011, n°334396.
18 - Art. L 1111-18, al. 3.
19 - V. Mesli, op. cit.
20 - Art. L 4624-2 C. trav.
21 - Art. L 4624-3 c. trav.
22 - Art. L 4624-3, III C. trav.
23 - C. Duhamel, Respect du secret professionnel : en médecine du travail, le silence est d’ordre, Alternatives économiques
1er avril 2002. – P. Adam, Médecins du travail : le temps du silence ?, Dr. Soc. 2015, p. 541.
24 - Art. R 4624-9 c. trav.
25 - Ch. Disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 21 oct. 2011, n°10964
26 - CNOM, Les écrits du médecin du travail et la déontologie médicale, juin 2015. – C. Frouin, La responsabilité déontologique du médecin du travail, Cah. Soc. 2014, n°268, p. 655.
27 - Au sujet du secret médical, v. R. Villey, Histoire du secret médical, Seghers, 1986, not. p. 130.
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