Actes Journées Santé Travail du CISME – Tome V – 2015Page | 46
Actes Journées Santé Travail du CISME – Tome V – 2015
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Actes Journées Santé Travail du CISME – Tome V – 2015
Session 1 : Philosophie du travail en réseau
Action de prévention coordonnées
par les SSTI :
équilibre gagnant-gagnant entre partenaires
Session 2 : Collecte et traitement des informaons nécessaires
Droit et secret dans les SSTI
Les dérives de la transparence à outrance peuvent être nombreuses et même sans être poursui-
vi des assiduités de l’opinion publique, un salarié peut aussi en être vicme lorsque sa santé est
en queson notamment. La protecon juridique contre toute ingérence excessive dans ce do-
maine existe, notamment au moyen de l’interdicon des mesures patronales fondées sur l’état de san-
té, celles-ci étant qualiées de discriminatoires1. L’inuence potenelle de la santé du salarié sur l’ac-
complissement de son travail oblige malgré tout l’employeur à en tenir compte. Mais pour éviter toute
tentaon discriminatoire il doit s’en remere à ces professionnels spécialisés que sont les médecins du
travail et, plus largement, les services de santé au travail. Ceux-ci peuvent ainsi se retrouver au cœur
d’un conit entre un employeur en quête d’informaons sur la santé du salarié en vue d’organiser le
travail et un salarié ne souhaitant pas dévoiler une trop grande part de sa vie personnelle risquant de
mere le sort de son emploi en jeu.
Ajoutons à cela la pluralité d’intervenants au sein d’un service de sanau travail qui doit se caractériser
par sa pluridisciplinarité2, spécialement un service interentreprises, et l’on comprendra que les informa-
ons sur la santé des salariés peuvent passer entre de nombreuses mains.
Il peut sembler dicile dans ce contexte de concilier ce principe essenel qu’est le secret professionnel
et le fonconnement des services de santé au travail dont les missions et la composion font que les
informaons médicales peuvent circuler dans un cadre dépassant le colloque singulier entre le méde-
cin et son paent3.
Pourtant la protecon du secret professionnel est tout à fait adaptable aux services de santé au travail
et à leurs spécicités. Même s’il est inialement conçu pour le colloque singulier entre médecin et pa-
ent, le secret professionnel reste une règle d’organisaon des professions de santé, l’un de ces prin-
cipes sans lesquels une profession ne peut remplir correctement ses missions et perd de son ulité, de
sa reconnaissance sociale, autrement dit de son identé.
Conférence invitée
M. Stéphane BRISSY Maître de conférence en droit privé à l’université de Nantes Membre de
l’Instut Droit et Santé de l’Université Paris-Descartes
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Collecte et traitement des informaons nécessaires
La préservaon du secret sur certaines données est tout aussi essenelle à l’ulité et à l’identé des
services de santé au travail, même s’ils ne sont pas composés exclusivement de professionnels de san-
té. Cela se traduit tout d’abord par l’étendue de la protecon du secret, qui couvre un champ d’acvités
et des formes de responsabilités susamment étendues pour être adaptées à l’acvité des services de
santé au travail (1). Ladaptaon doit aussi passer par les excepons au secret, c’est-à-dire par les possi-
bilités de partager des informaons en principe protégées. Sur ce plan l’adéquaon entre les missions
des services de santé au travail et le secret reste incomplète (2).
1 – Le domaine du secret adapté aux services de santé au travail
Le secret entourant la santé du salarié est assuré par des règles générales et spéciques. Cee mulpli-
cité normave permet d’appréhender l’acvité des services de santé au travail dans toute leur diversi-
té (A). Elle se traduit en outre par plusieurs formes de responsabilité qui dévoilent toute la richesse du
secret professionnel en tant que principe organisateur de l’acvité des services de santé au travail (B).
A – Des règles mulples au champ d’applicaon étendu
Les personnes impliquées dans le service de santé au travail sont soumises à l’interdicon de divulguer
les informaons médicales relaves aux salariés, en applicaon de règles à la fois pénales, civiles et,
pour les professionnels de santé, déontologiques.
Larcle 226-13 du Code pénal prévoit ainsi que «
la révélaon d’une informaon à caractère secret par
une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une foncon ou
d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende
».
Plus spécique, l’arcle L 1110-4 du Code de la santé publique arme de son côté que «
toute personne
prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme
parcipant à la prévenon et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informaons
la concernant
».
Sur le plan déontologique enn, socle juridique de l’identé d’une profession, le secret professionnel
s’impose à tout médecin4, dont font pare les médecins du travail, et à tout inrmier ou étudiant inr-
mier , dont les inrmiers5 en santé au travail.
Ces diérents textes ont un champ d’applicaon étendu à la fois quant aux personnes et aux informa-
ons visées par le secret.
L’infracon pénale de violaon du secret professionnel s’applique à toute personne qui a reçu une infor-
maon ayant un caractère secret. Sa formulaon permet de l’appliquer à tout membre de l’équipe de
santé au travail, professionnel de sanou non, mais aussi à toute personne qui aurait collaboré occa-
sionnellement avec le service. Le droit au secret armé par le Code de la santé publique au prot du
paent s’applique lui aussi aux salariés et aux services de santé au travail puisqu’il concerne «
toute per-
sonne prise en charge par tout organisme parcipant à la prévenon et aux soins
».
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Collecte et traitement des informaons nécessaires
Dépourvu de mission curave, le service de santé au travail n’en a pas moins un rôle prévenf qui le
place dans le champ de ce texte. Les membres de l’équipe de santé au travail sont tous tenus de respec-
ter ce droit au secret, l’arcle L 1110-4 du Code de la santé publique visant à la fois les professionnels de
santé et globalement toute personne intervenant dans le système de santé.
Quant aux règles déontologiques elles sont à n’en pas douter applicables aux professionnels de santé
intervenant au sein d’un service de santé au travail.
Les informaons protégées par le secret sont elles aussi envisagées au sens large comme le montrent
notamment les règles déontologiques applicables aux médecins et inrmiers du travail. Selon ces règles,
le secret couvre tout ce qui est venu à leur connaissance dans l’exercice de leur profession, c’est-à-dire
ce qui leur a été coné ainsi que ce qu’ils ont vu, entendu ou compris. Létendue des informaons proté-
gées n’est pas moins importante lorsque la personne tenue au secret n’est pas un professionnel de san-
té, comme l’indique l’arcle L 1110-4 du Code de la santé publique qui dispose que «
ce secret couvre
l’ensemble des informaons concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de san-
» ou de tout autre professionnel. Précisons ici qu’une informaon n’a pas un caractère secret par
nature.
Elle est secrète parce qu’elle est en lien avec la foncon de celui qui la reçoit. Seront secrètes les infor-
maons livrées par un salarié à un membre de l’équipe de santé au travail qui sont directement en rap-
port avec les missions du service. Il s’agit dès lors d’informaons relaves à l’état de santé du salarié. Le
mode d’obtenon de l’informaon est indiérent, de même que l’éventuelle connaissance de celle-ci
par d’autres personnes (membres de la famille ou collègues de travail par exemple). Pour être répréhen-
sible, la communicaon d’une informaon secrète doit être faite à une personne et dans un but étran-
ger à la mission du service de santé au travail.
Concernant plus spéciquement la santé au travail, les règles générales sont doublées de règles précises
car, pour assurer un suivi des exposions des salariés aux risques professionnels, un dossier médical en
santé au travail doit être mis en place. Ce dossier est constué par le médecin du travail et doit conte-
nir «
les informaons relaves à l’état de santé du travailleur, aux exposions auxquelles il a été soumis
ainsi que les avis et proposions du médecin du travail
6
».
Et avant d’y prévoir des excepons, la loi dispose que le dossier médical en santé au travail doit respec-
ter le secret médical. Son contenu ne peut être divulgué à des personnes auxquelles la loi ne reconnaît
pas un droit d’accès.
Ce dossier médical en santé au travail est un moyen essenel de l’acvité des services de sanau tra-
vail. Il peut notamment permere aux membres du service de suivre au mieux l’évoluon de l’état de
santé d’un salarié au regard des postes qu’il a tenu et des risques auxquels il a éexposé. Il constue
à ce tre un instrument important d’une polique de prévenon des risques professionnels. Il peut dès
lors être tentant d’en partager le contenu avec l’employeur, et pourtant celui-ci ne peut y avoir accès.
Que ce soit auprès de l’employeur ou auprès d’une autre personne non autorisée, la divulgaon d’infor-
maons censées rester secrètes peut être à l’origine de responsabilités diverses.
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Collecte et traitement des informaons nécessaires
B – Des responsabilités et fondements divers
Cest tout d’abord la responsabilité du professionnel ayant divulgué une informaon protégée par le
secret qui peut être engagée. Compte tenu des mulples sources du secret, cee responsabilité peut
être pénale, civile et disciplinaire. Précisons que si une réparaon nancière accordée au salarié à l’is-
sue d’une acon pénale ne peut se cumuler avec une réparaon des mêmes préjudices devant le juge
civil, le professionnel reste néanmoins exposé à une sancon disciplinaire. Celle-ci peut être le fait de
son employeur ainsi que, s’il s’agit d’un professionnel de santé, de l’ordre professionnel. Une procédure
disciplinaire est en eet indépendante d’une acon engagée devant les juridicons étaques et la sanc-
on en résultant éventuellement peut s’ajouter à une éventuelle condamnaon à des dommages et
intérêts. Bien que l’employeur ou le salarié puissent soumere, indirectement, une plainte au conseil
de l’ordre ils ne rereront aucune compensaon d’une procédure disciplinaire ordinale. Le cumul entre
procédures judiciaire et disciplinaire auprès de l’ordre est autorisé non pour addionner les indem-
nisaons mais pour disnguer l’intérêt des vicmes de l’intérêt de la profession dans son ensemble.
Or, pour les professionnels de sannotamment, le secret est une règle déontologique essenelle à la
profession dont la violaon peut être soumise à des représentants de la profession. Ces responsabili-
tés montrent que les services de santé au travail ne sont pas astreints au secret dans l’intérêt des seuls
salariés mais aussi de la profession concernée et du bon accomplissement des missions du service de
santé au travail.
Une aaire récemment jugée par la chambre sociale de la Cour de cassaon a permis de le rappeler
et d’armer également la spécicité du secret en santé au travail7. En l’occurrence, un employeur qui
était en lige avec l’un de ses salariés avait ulisé devant le juge une aestaon du médecin du travail
comportant des éléments rés du dossier médical du salarié. Ces éléments étant couverts par le secret
professionnel, leur ulisaon par l’employeur constuait une faute de celui-ci, même si le médecin du
travail n’avait pas ésanconné par le conseil de l’ordre pour cee divulgaon. La violaon du secret
professionnel n’est donc pas une source de responsabilités pour les seuls membres du service de san-
té au travail, ou ses intervenants temporaires. Il peut l’être aussi pour l’employeur qui ulise des infor-
maons condenelles sur la santé d’un salarié, peu important comment il les a obtenues. La Cour de
cassaon rappelle ici que le secret entourant les informaons sur la santé des salariés ne constue pas
seulement une obligaon pour les professionnels qui en sont desnataires mais aussi un droit pour le
salarié8.
Mais plus encore, la Cour de cassaon arme que l’employeur qui exige du médecin du travail la com-
municaon d’éléments rés du dossier médical d’un salarié, notamment pour faire établir une aes-
taon, remet en cause l’indépendance professionnelle du médecin. Laccès à des informaons d’ordre
personnel sur la santé du salarié est une prérogave du médecin du travail nécessaire à l’établissement
d’une relaon de conance et à une bonne connaissance de l’état de santé du salarié. Même lorsqu’il
fait pare d’un service de santé au travail autonome, le médecin du travail et tout autre membre de
l’équipe pluridisciplinaire sont protégés contre une intrusion de l’employeur dans le dossier médical de
santé au travail.
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Collecte et traitement des informaons nécessaires
Lautonomie de la faute dégagée par la Cour de cassaon ent au fait qu’elle ne nécessite pas de carac-
tériser la violaon de son secret professionnel par un membre du service de santé. En la fondant à la
fois sur le droit au secret du salarié et sur l’indépendance professionnelle du médecin du travail, la Cour
de cassaon montre en outre que dans la relaon triangulaire, salarié-employeur-médecin du travail, le
secret protège aussi bien le salarié que le médecin du travail contre une trop grande ingérence de l’em-
ployeur. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs, selon moi, de relever la garane légale et/ou déontologique
de l’indépendance du professionnel auquel l’employeur s’est adressé pour obtenir les informaons li-
gieuses. Quel que soit l’intervenant du service de sanau travail concerné, le partage d’informaons
personnelles avec l’employeur risque de nuire aux missions du service de santé au travail. Si un tel par-
tage avait lieu, les salariés assimileraient très certainement le service à un simple relais de l’employeur
dans un processus de sélecon. La prévenon des risques professionnels concernant le salarié pris in-
dividuellement mais aussi pour l’ensemble des travailleurs de l’entreprise en serait nécessairement at-
teinte. Ce sont l’ulité et l’eecvité même des missions du service de santé au travail qui seraient alors
remises en cause.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité pour faute de l’employeur ulisant des informaons protégées par
le secret n’est pas exclusive de la responsabilité du professionnel ayant procédé à la divulgaon de ces
informaons.
Malgré l’étendue de l’obligaon de discréon qui s’impose aux membres du service de santé au travail,
celle-ci n’est pas absolue. Le partage d’informaons peut en eet s’avérer nécessaire, toujours en vue
de permere au service de remplir ses missions.
2 Un partage d’informaons en concordance avec les missions du service
de santé au travail ?
Que ce soit au sein du service de santé au travail lui-même ou vis-à-vis de l’extérieur, le partage d’infor-
maons rejoint parfois les missions prévenves du service. Il peut permere de suivre au mieux le par-
cours individuel des salariés (A) et de prévenir collecvement les risques professionnels (B).
A - Un partage d’informaons dans une logique individuelle de parcours
Compte tenu de son obligaon de sécurité de résultat, qui lui impose notamment de fournir aux salariés
un travail en adéquaon avec leurs capacités physiques, l’employeur doit avoir une certaine connais-
sance de la santé des salariés. Il faut cependant disnguer à cet égard la connaissance de l’inaptude
d’un salarié et ses mofs médicaux qui eux ne peuvent être révélés9.
Une déclaraon d’inaptude est le résultat du travail d’analyse opéré par le médecin du travail consis-
tant à faire le lien entre les informaons médicales dont il dispose sur le salarié et celles relaves à son
poste de travail. Le constat relaf à l’aptude ou l’inaptude du salarié est ainsi un constat objecf qui
ne fait pas état précisément de l’état de sandu salarié mais simplement de sa capacité à occuper un
poste de travail déterminé.
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