La politique économique de la zone euro et la réduction du chômage

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SPEECH/98/96
Yves-Thibault de SILGUY
Membre de la Commission chargé des affaires économiques,
financières et monétaires
La politique économique de la zone
euro et la réduction du chômage
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Comité économique et social européen
Bruxelles, le 30 avril 1998
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les Membres,
Permettez-moi tout d’abord de remercier M. le Président Jenkins pour m’avoir
offert cette occasion de m’exprimer aujourd’hui devant vous. En tant que
Commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires, je
suis particulièrement honoré de pouvoir m’adresser à votre assemblée. Je suis
avec attention vos travaux. Ils apportent, année après année, une contribution
importante à la réflexion sur les questions économiques et sociales en Europe, et
permettent la prise en compte de l’opinion des différents acteurs économiques,
dans toute leur diversité.
Dans un de ses fameux traits d’esprit, Rivarol a dit de Mirabeau : « il est capable
de tout pour de l’argent, même d’une bonne action ». Et bien, par analogie, je
dirais que nos gouvernements ont montré qu’ils étaient capables de tout pour
réussir l’euro, même de réduire leurs déficits. L’Europe est en effet aujourd’hui à
la veille d’un événement de portée historique. Dans quarante-huit heures, les
Chefs d’Etat ou de gouvernement confirmeront la recommandation de la
Commission, en fixant la liste du premier groupe de participants à l'Union
économique et monétaire. Dans 245 jours, onze Etats de l'Union, représentant
quelque trois cents millions d’habitants, partageront la même monnaie. Le nouvel
ensemble, première puissance commerciale au monde, devant les Etats-Unis,
pèsera d’un poids économique à peu près comparable au leur. Il aura une réelle
existence sur le plan monétaire international.
Mais il comprendra également plus de quinze millions de chômeurs. Cette
situation est inadmissible dans une société aussi développée que la nôtre. Il est, à
mon sens, impossible de mettre en place l'Union économique et monétaire sans
s’interroger sur les moyens d’en faire un instrument au service de l’emploi.
Tout le monde connaît les conséquences positives de la création de l’euro sur la
rentabilité des entreprises, et donc sur leur capacité à embaucher. Je n’insisterai
pas sur ce point. Je souhaiterais en revanche vous exposer mon point de vue sur
le contenu à donner à nos politiques économiques, dans le cadre de l’UEM, afin
d’accroître le volume des créations d’emplois.
Deux actions doivent être menées en parallèle pour vaincre le chômage :
− il faut trouver un bon équilibre entre les différentes composantes de la politique
économique ;
− il faut également conduire des réformes de fond, qui s’attaquent aux racines
mêmes du chômage en Europe.
Tout d’abord :
I. Une politique économique équilibrée
Cela suppose une politique monétaire crédible, orientée vers la stabilité des prix,
une politique budgétaire, qui poursuive l’effort d’assainissement des finances
publiques et une politique salariale responsable, adaptée à la situation
économique.
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A. Une politique monétaire orientée vers la stabilité des prix
Le traité confie la responsabilité de la détermination et de la conduite de la
politique monétaire à la Banque centrale européenne et lui assigne un objectif : la
stabilité des prix. De plus, il pose les conditions indispensables à son
indépendance : les membres de son directoire auront un mandat de longue durée
– huit ans - non renouvelable, et ils ne pourront accepter d’instructions ni de la
part des gouvernements, ni des autres institutions européennes. Cette
indépendance est primordiale : elle assure la crédibilité de la politique monétaire
et contribue ainsi, en rassurant les opérateurs économiques, à garantir des taux
d’intérêt durablement bas, favorables à l’investissement, à la croissance et à
l’emploi.
La convergence des économies suppose un alignement des taux d’intérêt vers le
bas, c’est à dire, vers le niveau des Etats les plus performants. La forte attractivité
internationale de l’euro, due, entre autres, à l’amélioration de la situation
économique et financière de l’Europe, et à la grande qualité des règles de gestion
de la zone euro, devraient permettre à la Banque centrale européenne de garantir
durablement des taux d’intérêt bas, ce qui consolidera la reprise économique et
exercera un impact positif sur la création d’emplois. La décision appartiendra à la
BCE. Il est clair que les taux directeurs diminuent quand les Banques centrales le
peuvent et stagnent ou s’élèvent quand elles le doivent. Les conditions de la
politique monétaire sont largement déterminées par la qualité de la politique
économique, et notamment budgétaire. Une politique de saine gestion des
finances publiques facilite l’assouplissement de la politique monétaire. Les
autorités monétaires ne peuvent pas, en revanche, se substituer aux autorités
politiques et faire le travail à leur place.
B. La poursuite d’une politique de consolidation budgétaire
Les déficits publics ont diminué, en moyenne européenne, de 6,1% du PIB en
1993, à 2,4% en 1997. Cette réduction spectaculaire a été obtenue, dans la
plupart des Etats membres, grâce à une politique volontariste de réduction des
dépenses publiques, passées de 52,4% du PIB en 1993, à 48,7% en 1997. Cet
effort de consolidation budgétaire a déjà des conséquences positives : l’activité
économique a cru de 2,6% en 1997, contre 1,8% en 1996. La croissance devrait
atteindre 2,8% cette année et s’accélérer en 1999. Les clignotants sont au vert :
les investissements repartent, les exportations sont soutenues, la consommation
redémarre. L’Europe devrait créer 2,5 millions d’emplois d’ici à la fin de 1999. Ces
chiffres prouvent définitivement que la réduction des déficits publics n’est pas
facteur de chômage mais, au contraire, un préalable nécessaire à la création
d’emplois.
Le pacte de stabilité et de croissance assigne comme objectif un retour à moyen
terme à l’équilibre des finances publiques, voire à un léger surplus. Il contient des
mécanismes pour prévenir, corriger et le cas échéant, sanctionner, les déficits
excessifs. Ce retour à l’équilibre des finances publiques libérera quelques 145
milliards d’euros par an - aujourd’hui accaparés par le financement des déficits au profit de l’investissement. L’effort d’assainissement doit donc être poursuivi. Sa
réalisation est facilitée par la reprise de la croissance, qui génère de nouvelles
rentrées fiscales. Mais cette embellie conjoncturelle ne nous dispense pas de
poursuivre les efforts.
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De manière générale, il est souhaitable de réduire les déficits en procédant par
réduction des dépenses, plutôt que par augmentation des recettes. Les Etats qui
ont obtenu, ces dernières années, les meilleures résultats en matière d’emploi
sont aussi ceux qui se sont engagés le plus fermement sur cette voie. Tel est par
exemple le cas des Pays-Bas, dont les dépenses publiques sont passées de 58%
du PIB en 1988, à 48% aujourd’hui : leur taux de chômage est tombé, sur la
même période, de 7,5% à 3,8%, ce qui correspond à peu près à un niveau de
plein emploi.
Le grand acquis de la période 1994-1998 est l’émergence en Europe d’une
culture de stabilité. Sur base des mesures déjà décidées, le déficit des
administrations publiques de la Communauté devrait en effet être inférieur à 2%
du PIB cette année, et à peine supérieur à1,5% l’an prochain. A ce rythme, le
retour à l’équilibre pourrait être atteint à l’horizon 2002.
Le troisième et dernier élément d’une politique économique européenne en faveur
de l’emploi est la conduite d’une politique salariale responsable.
C. Une politique salariale responsable
La création de l’euro va rendre les écarts de salaires, au sein de l'Union
économique et monétaire, beaucoup plus transparents. Il faudra donc veiller à ce
qu’ils correspondent davantage aux écarts de productivité, et éviter tout dérapage
brusque et injustifié. A titre d’exemple, sauf à générer un chômage important, les
Etats participants à l’euro dans lesquels les salaires sont moins élevés que la
moyenne, ne peuvent espérer s’aligner instantanément sur le niveau de
rémunération offert dans les Etats les plus riches : il faut au préalable une hausse
de leur productivité du travail.
Il appartiendra aux partenaires sociaux de trouver, par le dialogue, un juste
équilibre entre le partage des fruits de la croissance et la préservation de la
rentabilité des entreprises, car il n’y a pas de création d’emplois si celles ci ne
sont pas compétitives. Comme l’a souligné la Commission dans son rapport de
convergence, les partenaires sociaux ont, ces dernières années, fait preuve d’un
remarquable sens des responsabilités. Il doit leur être rendu hommage. Leur
comportement est dans l’intérêt des salariés, puisque l’évolution modérée des
coûts salariaux a contribué à une meilleure maîtrise de l’inflation, et donc à une
préservation de leur pouvoir d’achat.
Une politique monétaire orientée vers la stabilité des prix, une politique budgétaire
poursuivant l’effort d’assainissement financier et une politique salariale
responsable sont trois conditions indispensables pour faire bénéficier l’Europe
d’une croissance saine et durable et créer des emplois, nombreux et solides. Mais
quelque soit la qualité de la politique économique, des réformes seront également
nécessaires afin d'améliorer le fonctionnement du marché du travail.
II. La conduit de réformes structurelles ambitieuses et adaptées
Les Chefs d’Etat et de gouvernement ont envoyé, à Amsterdam, un signal fort en
faveur de l’emploi, enfin placé au cœur des priorités de la politique économique
européenne.
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Le traité d’Amsterdam, dont l’application anticipée du chapitre « emploi » a été
décidée par le Conseil européen, offre une base juridique à l’action
communautaire. Il permet aux Etats membres, par une négociation au sein du
Conseil, de fixer en commun des objectifs, parfois quantifiés, dans des « lignes
directrices en matière d’emploi », puis de les détailler dans le cadre de plans
nationaux. Ceux-ci seront validés au niveau communautaire, où ils feront l’objet
d’un suivi et d’un examen régulier. Ainsi s’exercera une forte pression sur les
gouvernements qui devront, devant leurs partenaires et l’opinion publique, rendre
des compte et montrer comment les engagements pris en matière d’emploi ont
été concrétisés.
Cette démarche par objectifs s’inspire de celle qui a fait le succès de l’UEM. Son
application est déjà en cours. Sur la base des lignes directrices, les Etats
membres ont présenté des plans nationaux. La Commission examine leur
compatibilité avec les orientations adoptées. Elle fera rapport aux chefs d’Etat et
de gouvernement, en juin prochain, à Cardiff. Elle présentera également, à cette
occasion, ses propositions sur le développement du capital investissement, un
sujet particulièrement important pour l’avenir des PME innovantes, qui sont un
vaste réservoir d’emplois.
Les actions à entreprendre pour réduire le chômage sont nombreuses. Mais elles
doivent s’attacher, en priorité, à lever les obstacles à l’emploi. Des efforts
importants devront être déployés, dans les prochaines années, dans quatre
domaines prioritaires :
1. L’Abaissement des charges sociales pesant sur les bas salaires. Les charges
sociales représentent en moyenne 44% du coût du travail dans l'Union, contre
28 % aux Etats-Unis et 24% au Japon. Ces lourdes charges contribuent à
détériorer la compétitivité de l’économie européenne, en renchérissant le coût
du travail. Elles conduisent les agents économiques à accélérer la substitution
du capital au travail. Elles sont donc un facteur de chômage. L’assainissement
des finances publiques en cours permettra, progressivement, de libérer des
marges de manœuvre budgétaire nécessaires à cette fin.
2. L’allégement des réglementations encadrant l’activité économique.
L’accumulation de formalités administratives exerce un effet préjudiciable à la
croissance et à l’emploi. Dans certains Etats membres, la création d’entreprise
est une opération de longue haleine : le temps nécessaire à l’accomplissement
de l’ensemble des formalités peut dépasser 100 jours. Par comparaison, dans
certains Etats américains il est aujourd’hui possible de créer une entreprise en
moins d’une heure. Il n’est même pas nécessaire de se déplacer : l’opération
peut être faite par téléphone, voire par Internet. L’Europe doit s’attacher à
généraliser les formules de type “guichet unique” pour la création d’entreprises,
réduire la durée globale des procédures et supprimer toutes les formalités qui
ne sont plus strictement indispensables. En un mot, il faut stimuler l’esprit
d’entreprise. Songez qu’il faut à Paris 50 000 francs français et à Bruxelles,
250 000 francs belges pour créer une entreprise. A New York, le capital
minimal nécessaire est de l’ordre de dix dollars ! Cette comparaison en dit long
sur nos rigidités juridiques.
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Dans cet esprit, l’Europe doit également alléger, lorsque cela est nécessaire, les
règles d’embauche et de licenciement afin de garantir une plus grande fluidité du
marché du travail.
3. La stimulation de la mobilité géographique de la main d’œuvre. Les salariés
devront, au cours de leur vie professionnelle, être en mesure de changer de
métier, et probablement de région. Cela suppose une remise en cause de nos
systèmes d’éducation, d’apprentissage et de formation permanente tout au
long de la vie active. L’Europe souffre d’une grande inertie de sa main
d’œuvre, qui freine l’ajustement du marché du travail : seuls 3% des européens
vivent dans un pays de l’Union autre que celui de leur naissance ! La
généralisation de l’apprentissage des langues et la multiplication des stages à
l’étranger pendant les études peuvent contribuer à stimuler la mobilité. Il faudra
également progresser sur la voie du rapprochement des systèmes fiscaux et
sociaux, dans la mesure où ils constituent un frein à la mobilité.
4. Le développement de la formation permanente. Toutes les études montrent
que la qualité de la formation reçue par la population active est un élément
déterminant de la lutte contre le chômage. Les pouvoirs publics et les
employeurs doivent donc s’efforcer de développer ce que l’OCDE appelle
“l’apprentissage à vie”. Il faut, à la fois, offrir aux jeunes une qualification pour
s’insérer sur le marché du travail, et permettre aux actifs en poste d’actualiser
périodiquement leurs connaissances, afin qu’ils puissent plus facilement
retrouver un emploi en cas de licenciement.
Dans le temps qui m’est imparti, je n’ai pu développer davantage toutes les
actions à mener pour venir à bout du fléau du chômage en Europe. Mais je suis
convaincu que, sur la base de ces domaines d’action prioritaires, l’Europe peut
s’engager résolument sur une voie constructive et enregistrer des résultats
positifs en matière de lutte contre le chômage, même si – et j’en suis bien
conscient – celui-ci ne disparaîtra pas en quelques mois.
Pour conclure, permettez-moi de rappeler ce propos de Stendhal, dans sa « vie
de Napoléon » : il y écrit que l’Europe ne manque pas de « bonnes intentions »,
mais « de l’énergie nécessaire pour faire remuer la masse énorme des habitudes
». Ce constat pessimiste a maintenant 180 ans. Il est temps de le démentir. Les
Etats membres ont prouvé leur détermination politique pour le passage à l’euro et
ils ont réussi. Aujourd’hui, ils doivent faire preuve de la même volonté dans la
conduite des réformes nécessaires à la résorption du chômage.
Voilà un enjeu déterminant non seulement pour le succès de l’euro, mais aussi et
surtout pour l’avenir de l’Europe et de ses citoyens.
Je vous remercie pour votre attention.
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