Proséminaire de Philosophie Antique, SH06-07 1304 mots
Did Plato Nod? Some Conjectures on Egoism and Frienship in the Lysis
by Michael D. Roth (Lancaster)
Compte-rendu critique par Alain Guerry
Cet article tend, selon la volonté de son auteur Michael D. Roth, à démontrer
que le Lysis, dialogue attribué à Platon, ne traite pas de l'amour égoïste, contraire!
ment aux idées reçues, qu'il expose. Une autre de ces deux «commonplaces,»
citées par Roth, est de penser que le Lysis est un mauvais dialogue, écrit par un
Platon «assoupi». L'auteur se propose donc de combattre ces deux positions, tout
en précisant qu'il ne pense pas comprendre tous les tenants et aboutissants du
dialogue. Il reste ainsi dans une attitude «d'honnête perplexi Il définit donc ses
thèses de la manière suivante : (a) le Lysis est un dialogue qui a au moins autant
de valeur que le Lachès, le Charmide ou l'Euthyphron (qu'il considère comme des
dialogues antérieurs) ; (b) le Socrate du Lysis n'est pas égoïste, n'a pas une
conception égoïste de la "#$#% ; (c) ainsi ce que dit Socrate ne diffère pratiquement
pas de la conception aristotélicienne de l'amitié. Enfin, cet article est une réponse à
l'article «The Individual as the Object of Love in Plato» de Gregory Vlastos, que
Roth cite et critique pour étayer ses propres thèses.
Alors que Vlastos met en évidence que l'amitié des parents de Lysis pour leur
enfant est liée à sa propre utilité, Roth suggère que le passage étudié est trop
restrictif, et qu'un argument important est oublié : celui du bénéfice mutuel (en
opposition avec une vision égoïste de la "#$#%). Un parent voudra que son enfant
soit non seulement heureux, mais surtout le plus heureux possible ! L'enfant ne
pourra donc pas faire tout ce qu'il veut comme bon lui semble ; mais, pour son bien,
ses parents vont restreindre sa liberté. De même, Lysis est libre, donc n'est pas
exploité par ses parents, ce qui serait le cas s'il n'était aimé d'eux que pour son
utilité. En ce sens, l'amitfamiliale apparaît à Roth comme paradigmatique et bien
différente de celle qu'un assuré pourrait avoir pour son assureur, par exemple.
Remarquons au sujet de cet exemple le goût de Roth pour la plaisanterie.
Pour en nir avec la conception égoïste de la "#$#%, Roth avance que les
personnes totalement bonnes, et donc autarciques, «divines» (Aristote, EN),
n'existent pas, et que Platon en était conscient. Cette catégorie de personnes serait
imaginée, créée par Socrate pour amener ses interlocuteurs, Lysis, Ménéxène et
Hippothalès, à se rendre compte de la nécessité des «besoins, vœux et
désirs» (Roth) chez les êtres capables d'exprimer la "#$#% et d'en être sujets. En
cela, la théorie cachée du Lysis de Platon (dûe à sa fausse aporie conclusive)
serait compatible avec la théorie de L'Ethique à Nicomaque d'Aristote. De plus,
Roth avertit que ce qui précède n'implique pas que les êtres capables et sujets de
"#$#% le fassent «d'une perspective égoïsteEn effet, si une personne fait quelque
chose qui la rend heureuse, cela ne signifie pas qu'elle le fait forcément unique!
ment pour son propre plaisir. Il serait intéressant de comparer cette conception de
la "#$#% avec l'idéal des actions désintéressées des philosophies extrême-orien!
tales comme celles issues du bouddhisme ou de l'hindouisme. Si mère Thérésa
aidait les pauvres nécessiteux à Calcutta (pour reprendre l'exemple de Roth dans
la note 26, p. 14), et même si cela la rendait heureuse, elle n'en était pas moins
désintéressée, puisque son action ne lui rapportait aucun bénéfice. Du point de
vue de la "#$#%, son action n'était pas égoïste. (Toutefois, il serait tentant de
suggérer qu'aider les autres pouvait être une manière de s'assurer soit une
certaine notoriété temporelle, soit un salut hypothétique dans l'au-delà chrétien.)
Quoiqu'îl en soit le but de Roth est de montrer par cet exemple que l'on peut
accomplir des actions qui peuvent être contraignantes pour préserver ou favoriser
sa "#$#% ou celle d'un être aimé, de la même manière que les parents de Lysis ne
le laissent pas faire absolument tout ce qu'il veut.
Enfin, le &'()*+ "#$*+. Roth commence par citer Vlastos qui interprète le
&'()*+ "#$*+ comme «le Bien pour toute personne, ce qui la rend heureuse»,
puis il constate avec raison (cf. infra) la grande variété des opinions quant à la
nature du &'()*+ "#$*+. Il propose naturellement d'en ajouter encore une autre,
tout en précisant qu'il ne trouve textuellement rien d'évident pour contrer l'argumen!
tation de Vlastos. Roth suggère donc qu'il y a une analogie entre l'âme et le corps,
dans l'exemple tiré du Lysis où le corps est l'ami de la médecine en vue de la santé
à cause de la maladie. L'âme serait donc l'amie de la sagesse en vue de x à cause
de l'ignorance. Ce x, ce &'()*+ "#$*+ serait la vertu. La vertu serait la seule à être
supérieure à l'amitié, et ceci correspondrait à la vision moderne (et peut-être
intemporelle) de l'amitié. Je pose la question suivante : en quoi l'interprétation de
Dorion, par exemple, qui assimile &'()*+ "#$*+ et bonheur, est-elle incompatible
avec l'idée de Roth. En effet, on remarquera que pour Platon, le bonheur est
inconcevable sans le Bien, qui provient lui-même des vertus. C'est du moins le
substrat platonicien qui perdure chez des philosophes hellénistiques comme
Epicure ou Epictète. De même, Roth cite Aristote pour qui la "#$#% ne peut exister
qu'entre deux êtres bons similaires en vertu.
Il est saisissant de constater le nombre de divergences d'interprétation
existantes pour un texte somme toute assez simple. De là une question que je crois
pertinente : est-il plus utile d'essayer de comprendre ce que Platon veut dire pour
intégrer le dialogue dans le vaste système des ses écrits ou de prendre le Lysis
pour soi, de l'intégrer à son propre système de valeurs, selon la propre interpréta!
tion de chacun? Quand on étudie la philosophie hellénistique notamment, on se
rend compte de l'importance de la foi dans la philosophie antique : on n'étudie pas
seulement un auteur, mais on croit à ce qu'il démontre, ce qu'il enseigne, dans la
perspective de l'amélioration de soi-même. De la me manière que les philoso!
phies extrême-orientales, la philosophie grecque n'est-elle pas, en premier lieu, un
espace doctrinal? En ce sens, l'étude de la réception du texte à diverses époques
pourrait-elle être plus enrichissante? Dans le jeu d'opposition des articles de Roth
et Vlastos, décidés à élucider la question «Qu'a voulu dire Platon?», on pourra
peut-être ressentir une impression de stérilité du débat. Toutefois, ce débat n'a-t-il
pas été voulu par Platon lui-même? Il l'a en tout les cas provoqué avec le constat
d'aporie de la fin du Lysis. On ne peut donc totalement le condamner.
Bibliographie
Aristote, Ethique à Nicomaque (EN), 1178b8ff., Met. XII, 7-10.
Arrien, Manuel d'Epictète (éd. P. Hadot), Le Livre de Poche, 2000.
Epicure, Lettres, maximes, sentences (éd. J-F Balaudé), Le Livre de Poche, 1994.
Platon, «Lysis», Charmide / Lysis (éd. L-A Dorion), GF Flammarion, 2004.
Roth (Michael D.), «Did Plato Nod? Some Conjectures on Egoism and Friendship
in the Lysis», Archiven für Geschischte der Philosophie 77. Bd., Walter de Gruyter,
1995, pp. 1-20.
Vlastos (Gregory), «The Individual as the Object of Love in Plato», Platonic Studies,
2nd éd., Princeton, 1981, pp. 3-11.
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