Étude de cas - La Banque mondiale au Burkina Faso1 - Avril 2016 © SOS Faim Miser sur l’investissement dans des pôles de croissance et se leurrer sur ses bienfaits pour l’agriculture familiale 1. Élements de contexte Introduction Priorités politiques dans le secteur agricole Le Burkina Faso est un pays enclavé d’Afrique subsaharienne, à faible revenu ($690,4 de revenu national brut par habitant en 2014) et aux ressources naturelles limitées. La population, qui croît au rythme annuel moyen de 3%, était estimée à près de 17,9 millions en 2014. L’économie est fortement dominée par l’agriculture. Le coton est la culture de rente la plus importante pour le pays, même si les exportations aurifères ont pris de l’importance ces dernières années. Depuis 2014, la baisse des cours du coton explique un ralentissement de la croissance du pays, passé de 6 à 4%. L’orientation stratégique en matière de politique agricole est inscrite dans plusieurs documents de politique générale dont l’élaboration du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) en 2000, la Stratégie de Développement Rural (SDR) en 2003, mais aussi la stratégie de croissance accélérée pour le développement durable (SCADD, 2011-2015). 1: Cette fiche se base sur une étude menée au Burkina Faso par Hamadé Sigué en collaboration avec la Confédération paysanne du Faso, à la demande de SOS FAIM et visant à faire le point sur les stratégies et financements de la BM dans le secteur agricole. L’étude complète se trouve sur le site www.toustrompés.be Plus spécifiquement dans le secteur agricole, le programme national du secteur rural (PNSR) guide les projets et l’action des partenaires techniques et financiers. Conformément à ces textes, le gouvernement entend réaliser une croissance économique forte qui, pour l’agriculture, se concrétise par le soutien de l’agrobusiness et des exploitants familiaux. L’agriculture en chiffre au Burkina Faso Population active agricole (2004) 92,18% Part du PIB agricole dans le PIB total (2014) : 38,0% Production de céréales (2004) 2.902 milliers de tonnes Rendement des céréales (2013) 1.152 kg/ha Production de viande (2007) 240 milliers de tonnes Terres arables (2009) 21,6%, Terres cultivables 9 milliards d’ha, dont 1/3 actuellement exploités Consommation d’engrais (2010) 9,4 kg/ha Nombre de tracteurs pour 1000 ha cultivés (2003) 0,4 Forêts (pourcentage du territoire) (2013) 20,0% 2. L’engagement de la Banque Mondiale au Burkina Faso Burkina Faso : Engagements par exercice (en millions de dollars) Les montants comprennent les engagements de la BIRD et de l’IDA) Stratégie Les Politiques d’Ajustement Structurel (PAS) des années 1980 de la Banque Mondiale (BM) ont jeté les bases d’une logique poussant à une libéralisation de l’économie et une production agricole principalement orientée vers l’exportation du coton. L’engagement global de la BM au Burkina Faso s’élève à $120 millions dont 110 millions proviennent de l’Association Internationale de Développement (AID). Cet investissement est dédié à la réalisation de projets agricoles, d’infrastructures éducatives et sanitaires, en lien avec les priorités nationales. L’appui de la BM vise à minimiser la vulnérabilité économique et à promouvoir la transformation économique à travers l’augmentation de l’investissement privé, la création d’emplois et la hausse de la production agricole. Cet engagement est fortement en déclin ces dernières années, ce qui pose question au regard de l’engagement de la BM pris en 2008 de soutenir l’agriculture familiale. Cfr. graphique En revanche, l'engagement actuel de la Société financière internationale (SFI) - filière de la BM qui soutient les acteurs privés qui investissent dans les pays en voie de développement - grimpe aujourd’hui à $52 millions, principalement dans le secteur des mines, de la finance, des assurances, de l’électricité, et du commerce. Dans le classement Doing Business (DB), un indicateur visant à classer les pays membres du groupe de la BM (188 États membres) selon la facilité à y faire des affaires, le Burkina Faso est passé de la 149èᵐᵉ place en 2015, à la 143èᵐᵉ place en 2016, et ce, principalement grâce à une évolution de son cadre réglementaire pour faciliter la création d’entreprises (délais écourtés, capital minimum diminué). Selon la BM, ce bond en avant en fait le 5èᵐᵉ pays réformateur sur la période. Source : Site de la Banque Mondiale : http://www.banquemondiale.org/fr/country/burkinafaso 3. Les projets financés dans le cadre de l’IDA L’étude à la base de cette fiche a surtout mis en avant le projet BagréPole, un projet ambitieux visant à développer la ville de Bagré pour en faire un modèle de pôle de croissance agro-industriel. Mais d’autres projets concernent également le secteur agricole comme (1) le PAFASP (Programme d’appui aux filières agrosylvopastorales), visant à renforcer les capacités des agriculteurs familiaux et les infrastructures de mise en marché à travers le financement de micro-projets; (2) le PAPSA (Projet d’amélioration de la productivité et de la sécurité alimentaire), visant à accroitre les produits agrosylvopastoraux, au profit des petits producteurs, et particulièrement les femmes et (3) le PNGT (Programme national de gestion territoire), visant à accompagner les communes tdans le cadre de la mise en œuvre de leur développement territorial. Le pôle de croissance de Bagré Le projet de pôle de croissance de Bagré (PPCB) est un projet d’aménagement et de réattribution des terres dans la zone de Bagré. Il s’inscrit dans un projet antérieur de l’État visant dans les années 1970 à combattre l’onchocercose dans la région (couramment appelée la cécité des rivières) pour lutter contre la pauvreté, stimuler l’emploi en milieu rural et atteindre la souveraineté alimentaire. À l’époque, les bénéficiaires des aménagements successifs de la zone étaient surtout les agriculteurs familiaux. Mais en 2009, sous la pression des bailleurs, les financements sont conditionnés à la rentabilité des investissements et une ouverture aux investisseurs privés nationaux est consentie avec un plafond de 54 hectares par bénéficiaire. En 2011, la BM donne un nouveau tournant au projet PPCB, et la gestion des aménagements qui était depuis lors à caractère public passe à une gestion privée d’économie mixte. À vocation agroindustrielle, le projet PPCB entend soutenir l’investissement privé, tout comme l’agriculture familiale, à travers le renforcement de capacité institutionnelle, la réalisation d’infrastructures critiques et les services critiques. a) De facto, un projet au profit de l’agrobusiness Il est prévu que le projet contribue à l’accroissement de l'activité économique par l’augmentation de l'investissement privé, la création d'emplois et l’intensification de la production agricole. Dans cette perspective, la redistribution des terres profite de facto majoritairement à l’agrobusiness (plus de 75% des terres aménagées). Même sur les 25% restant, les agriculteurs familiaux n’y trouvent pas leur compte. Le projet ne finance pas les dépenses encourues par les agriculteurs familiaux pour leur permettre de produire plus et mieux, mais il finance un fonds d’appui appelé FASBagré, servant à accompagner les exploitants en co-finançant la réalisation de plans d’affaires, ainsi que des voyages d’études à l’étranger. Ce fonds ne finance ni les équipements, ni les fonds de roulement, ni les infrastructures, ni les autres intrants nécessaires à la production agricole. C’est le crédit contracté par les promoteurs qui servira pour financer ces investissements. Très concrètement, ce genre de service est loin des réalités et des besoins des exploitants familiaux ; un tel fonds aurait pu servir à faciliter l’accès au mircocrédit, à travers des fonds de garantie directement accessibles à des agriculteurs familiaux sur base d’un titre de propriété délivré dans le cadre du projet. Malheureusement, ni le projet dans sa globalité, ni le fonds FASBagré n’ont été conçus dans cette perspective. b) Un projet top-down sans concertation efficace avec les acteurs du terrain En 2013, une fédération a été créée suite à un besoin du PPCB de disposer d’un interlocuteur unique représentant les producteurs et leurs organisations. Les missions et rôle de cette fédération sont : l’organisation des producteurs pour la réussite des activités, l’information, la sensibilisation, la formation des producteurs ou l’appui conseil pour faciliter l’adoption des principes et techniques améliorant la production de riz. Cependant, la fédération déplore sa non-représentation au conseil d’administration du projet, ce qui ne permet pas de jouer son rôle au profit des organisations paysannes membres, ni même de disposer d’une information fiable à répercuter au niveau des bénéficiaires. Lors de la création de la fédération, l’administration de Bagrépôle avait annoncé la mise en place avec un fonds de roulement d’environ 500 millions de FCFA en vue de permettre à la fédération de mener des activités et faciliter son opérationnalisation sur le terrain. Ceci est resté sans suite… Plus particulièrement au niveau de la production de riz, une union des groupements de producteurs a été créée en 2006 (UGPRB) afin de résoudre les problèmes de commercialisation et d’équipement. À nouveau et tout comme la fédération, l’UGPRB n’a aucune représentation au sein du conseil d’administration et donc aucun moyen d’influencer le projet. Témoignage d’une promotrice par rapport à la subvention de FASBagré « On est venu me dire de monter mon dossier et venir déposer que j’aurai un financement à hauteur de 80% pour la réalisation de mon projet. Alors je me suis lancée dans le processus. Pour le montage de mon plan d’affaire, j’ai contribué pour 500 000 FCFA correspondant au 20% de contribution exigée par le PPCB. Après tout ça, j’ai déposé mon dossier à FASBagré. On m’a dit ensuite d’aller voir un notaire. A ce niveau, on me demande 1 000 000 FCFA et un PUH (titre de propriété). J’ai tout fait pour donner l’argent et je suis revenu pour entrer en possession de mon PUH et jusqu’à là toujours rien. Après les différents voyages à Ouagadougou, amortissement de mon engin et les différentes contributions, je me suis appauvrie. Je me demande si tout cela était nécessaire ? Mes 1 500 000 FCFA suffisaient pour servir de garantie en banque pour que je gagne un crédit. Le PPCB n‘est pas venue pour nous aider mais pour nous appauvrir. » c) Un projet conduisant à l’expulsion des paysans Le PPCB ne s’en cache pas, il compte des PAP – Personnes Affectées par le Projet – aussi appelées ‘les déguerpis’. Il s’agit de personnes expulsées des terres sur lesquelles elles vivaient ou qu’elles exploitaient, pour permettre l’aménagement des périmètres irrigués. D’après les informations officielles, 1556 personnes seraient concernées. On parle d’un ratio de 5 à 6 ha retirés contre une superficie de 0,5 à 1 ha aménagé octroyé en compensation. Une enquête commanditée par la CPF est en cours pour faire le bilan des PAP et des mesures de compensation (indemnisation, réattribution de parcelles, etc.). Néanmoins, on dénonce déjà de toute part le fait que, tant les déguerpissements que les mécanismes d’indemnisation (montants et modalités) aient été imposés aux PAP sans faire l’objet de négociation ni d’attribution au préalable des parcelles d’exploitation et de logement. Pour la majorité d’entre eux, cette situation d’attente dure depuis plus de deux ans. À ce sujet, le président de l’Union s’exprime : « J’ai 3 femmes et 7 enfants avec une superficie de 0,74 hectare. Au lieu d’octroyer 100 ha à un seul agrobusiness-man, pourquoi ne pas nous les attribuer, nous petits producteurs ? Nous sommes en train d’évoluer vers une situation où nous servirons de main d’œuvre pour ces gens, des ouvriers agricoles, en quelque sorte ». Le PAFASP, le PAPSA et le PNGT Ces trois projets se distancient de BagréPole en ce qu’ils ne misent pas sur l’investissement privé (étranger). Dans leurs stratégies et leurs approches, ils ciblent les agriculteurs familiaux et les acteurs ruraux, à travers la mise en œuvre de micro-projet (PAFASP), ou un objectif de renforcement de capacités (PAPSA), en accordant une place particulière aux femmes. Le PNGT est certainement le programme le plus salué par les acteurs de terrain, de par son caractère inclusif. En effet, il est ancré dans les structures locales existantes et d’aucuns reconnaissent que la concertation au niveau communal joue un rôle majeur dans la réduction des problèmes fonciers, bien que la CPF déplore du coup l’absence d’inclusion des organisations paysannes faitières. Dans tous les cas, ces projets ne sont pas pour autant à applaudir des deux mains. Tous font l’objet de sérieuses critiques au niveau de leur mise en œuvre. Les lourdeurs administratives freinent les retombées positives au profit des agriculteurs et entrainent, de ce fait, un faible niveau d’exécution budgétaire (PNGT2 – 36% de réalisation). Au-delà, le PAFASP a été fortement critiqué. D’une part, car il est trop centré sur les filières d’exportations (mangues, oignon, bétail et volaille) et moins sur les cultures vivrières. D’autre part, pour avoir court-circuité les chambres régionales d’agriculture et avoir fait fi de la dimension de genre (15% des bénéficiaires sont des femmes). 4. Les revendications de la Confédération paysanne du Faso (CPF) Selon le président de la CPF : « La BM fait de l’économétrie (rentabilité financière) et propose des modèles au pays. Des projets financés, la préoccupation de la BM vise la mise en marché et les infrastructures, mais rien n’est fait au niveau de la production. C’est un trompel’œil quand la BM déclare mettre l’agriculture familiale au cœur de ses préoccupations. En conclusion, la BM détourne les Etats de leur souveraineté et de ce fait, n’est pas pour la promotion de l’agriculture familiale. Sinon, comment peut-on comprendre que l’agriculture soit le socle du développement et que l’Etat opte pour soutenir des investisseurs étrangers ? L’Etat doit être souverain et ne doit pas être obligé d’accepter tous projets venant des bailleurs ». La Confédération paysanne du Faso, interrogée par le consultant, a signifié à l’encontre de la BM un éventail de revendications formulées comme suit : Soutenir l’agriculture familiale Avec l’avènement de la promotion de l’agrobusiness, les préoccupations et attentes des petits exploitants semblent être reléguées au second plan des priorités du gouvernement burkinabé et de la BM. Or, conformément à son principe de contribuer à lutter efficacement contre la pauvreté, la BM de par son influence sur le gouvernement, devrait accorder prioritairement son financement aux exploitants familiaux. Mieux impliquer les acteurs et les responsabiliser dans les projets Le niveau d’implication des acteurs est faible. Les interventions de la BM doivent être accompagnées d’une réelle volonté d’impliquer les acteurs et de les responsabiliser. Aussi, cette implication doit s’accompagner d’une formulation de véritable politique d’opérationnalisation des structures de représentations des producteurs (recrutement, formation et responsabilisation). La non implication et la responsabilisation insuffisante des structures représentatives des organisations des producteurs est un goulot d’étranglement dans la mise en œuvre des projets agricoles. Résoudre, aux côtés de l’Etat burkinabé, les problèmes du foncier Dans le cadre du projet PPCB, les bénéficiaires plaident pour une répartition des terres agricoles juste et équitable. Cela doit être un préalable à une ouverture vers les agrobusiness -man. (i) Satisfaire les besoins en terre, (ii) sécuriser les exploitants familiaux et (iii) octroyer une indemnisation équitable et suffisante aux populations déplacées. Sécuriser au plan foncier les petits producteurs La délivrance des titres de propriété est une des grandes revendications des producteurs. Il est important que le gouvernement burkinabé, en collaboration avec la BM, travaille à résoudre la question de la sécurisation foncière. Les titres doivent servir de garantie pour contracter des prêts. Auteur : Viginie Pissoort Mise en page : Fanny Gosset Étude de cas - La Banque mondiale au Burkina Faso - Avril 2016 Octroyer une indemnisation juste, équitable et suffisante aux populations déplacées Concertations entre les différentes parties pour arrêter de façon consensuelle les modalités d’indemnisation. Harmonisation des modalités à l’ensemble des sites et de façon équitable pour les producteurs qui séjournent dans le site depuis bien longtemps. Alléger les procédures et lourdeurs administratives La complexité des procédures, notamment dans la passation des marchés et le déblocage des fonds, plombent le niveau d’absorption financière des projets et compromettent la réalisation des actions sur le terrain. Ces procédures et lourdeurs sont d’application au niveau de l’Etat mais aussi de la BM, et doivent être simplifiées. Adapter les financements pour qu’ils correspondent au contexte local et profitent en priorité aux agriculteurs familiaux Dans la majeure partie des projets étudiés, les financements de la BM ne sont pas en adéquation avec les réalités locales (exclusion de certaines priorités des producteurs dans les plans de financement, contribution des bénéficiaires élevée, etc.). Pour une adéquation avec les réalités locales, il est souhaitable que les conditions du fonds puissent prendre en compte la subvention d’un minimum d’équipement pour les petits producteurs (femmes et jeunes). Les contributions personnelles doivent être revues à la baisse pour être adaptées à la capacité financière réelle des promoteurs, mais aussi à la nature de l’action à exécuter. L’exemple du modèle système de warrantage mis en place par la CPF et la FEPAB qui était performant et adapté aux conditions des producteurs ne demandait qu’à être consolidé et diffusé à grande échelle.