La variabilité spatio-temporelle des précipitations

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FRIEND 2002—Regional Hydrolog)': Bridging Ihe Gap between Research and Practice (Proceedings of Ihe
Fourth International FRIEND Conference held at Cape Town. South Africa. March 2002). IAHS Publ. no. 2 7 4 . 2 0 0 2 .
499
La variabilité spatio-temporelle des précipitations
au Sénégal depuis un siècle
HONORÉ DACOSTA, KONATE YAYE KANDIA
Département d e Géographie, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Cheikh Anta
Diop d e Dakar, B P 5005 Dakar-Fann, Sénégal
e-mail: honore.dacosla(5iird.sn
RAYMOND M A L O U
D é p a r t e m e n t d e Géologie, Faculté des Sciences e tTechniques, Université Cheikh A n t a D i o p
de Dakar, B P 5005 Dakar-Fann, Sénégal
Résumé Les premières mesures pluviométriques, au Sénégal, remontent à
1854 à Saint-Louis. Après plus d'un siècle d'observations, l'analyse des séries
chronologiques de pluies annuelles montre, au plan temporel, des fluctuations
constantes avec une rupture à la fin des années 1960. Cette dernière divise les
chroniques de pluies annuelles en deux sous-ensembles aux caractéristiques
statistiques distinctes. Cette date de rupture varie de la côte vers l'intérieur du
continent et du sud au nord. Au plan spatial, on note une migration des
isohyètes vers le sud avec une nette différence entre zone côtière et domaine
continental. Une analyse de la composante méridienne à travers trois transects
(17° correspondant à la côte; 15° et 12°) indique une zonation de la
distribution des précipitations et une différenciation entre zones climatiques.
Mots clefs Sénégal; précipitations annuelles; variation; spatiale; temporelle; isohyètes; séries
chronologiques
Key words Senegal, annual rainfall; spatio-temporal variability; isohyets; time series
INTRODUCTION
Après plus d'un siècle de suivi pluviométrique et une augmentation progressive du
nombre de stations, on dispose aujourd'hui d'un réseau pluviométrique d'au moins 250
points de mesure. La masse de données collectées, de qualité variable, permet une
analyse synthétique de l'évolution temporelle et spatiale de la pluviométrie au Sénégal.
Cet article montre, sur plus d ' u n siècle, une évolution en dents de scie de la
pluviométrie annuelle avec une rupture nette entre 1966 et 1970. Deux gradients
océanique et méridien marquent la distribution spatiale de la pluie sur le territoire
sénégalais.
DONNEES DE BASE
Le réseau pluviométrique sénégalais, dont la première station date de 1854, compte
aujourd'hui 239 stations pluviométriques dont 14 synoptiques. Malgré ce nombre
important de stations, leur répartition est très déséquilibrée dans l'espace avec une
forte concentration de ces dernières au sud du 14ème parallèle et à l'ouest 15ème degré
de longitude ouest.
500
Honoré Dacosta
et al.
w
-50
0
50
100K
-17
-16
-15
-14
-13
-12
-11
Fig. 1 Carte d e situation et localisation d e s stations p l u v i o m é t r i q u e s de l'étude.
Dans cette étude on a exclu toutes les stations ayant moins de 10 ans d'observations.
Pour la précision du tracé des isohyètes, on a pris en compte le réseau pluviométrique
gambien ainsi que les stations frontalières bissau-guinéennes, mauritanienne, guinéennes
et maliennes, soit au total 224 postes (Fig. 1). La critique et l'homogénéisation des pluies
annuelles ont été faites avec le vecteur régional (Hiez, 1977; Brunet-Moret, 1980) sur la
période 1921-1998. Dans l'ensemble les données sont de bonne qualité notamment pour
les stations longue durée qui correspondent le plus souvent à des stations synoptiques ou
des stations principales dans les centres urbains. Des séries chronologiques de pluies
annuelles homogènes ont été constituées de 1921 à 1998. En effet, avant cette date on
ne dispose que de quelques stations pluviométriques très distantes les unes des autres.
RESULTATS
Variations temporelles des précipitations annuelles
Les stations de Saint-Louis (nord), Dakar (centre ouest) et Ziguinchor (sud) dont les
observations remontent respectivement à 1876, 1896 et 1921 illustrent les variations
des pluies annuelles (Fig. 2). Cette fluctuation des totaux annuels est une
caractéristique des précipitations dans la zone soudano-sahélienne. Deux périodes bien
distinctes apparaissent avec comme date charnière 1968. Jusqu'en 1967, les pluies
annuelles sont nettement excédentaires. La succession d'années déficitaires est plus
brève, deux à quatre années, comme c'est le cas en 1913-1915 et 1941-1945. Après
1967, on note un effondrement des totaux annuels avec une succession d'années sèches
plus longue, sur deux à trois décennies dans lesquelles on compte très peu d'années
excédentaires comme 1975 ou 1988.
La variabilité spatio-temporelle des précipitations au Sénégal depuis un siècle
501
Considérées dans leur globalité, les séries chronologiques de Ziguinchor, Dakar et
Saint-Louis prennent l'allure d'une tendance séculaire d'évolution régressive de la
pluviométrie. Cependant, examinée séparément, chacune des deux périodes présente
un caractère stationnaire avec simplement la marque des variations interannuelles
aléatoires (Dacosta & Malou, 2000).
L'application des tests de rupture (Hubert et al, 1989; Hubert & Carbonnel, 1993;
Lee & Heghinian, 1977; Pettitt, 1979) aux séries chronologiques de 15 stations
corrobore les résultats des chronogrammes. Il ressort de ces analyses que la seule
rupture climatique significative au sein de ces séries est celle de la fin des années 1960,
assez bien connue (Paturel et al, 1997; Hubert et al, 1989).
Le Tableau 1 présente, pour les principales stations du Sénégal, les dates de
rupture, les moyennes et écart-types avant et après rupture de la stationnante des séries
de pluies annuelles ainsi que le déficit (%). Cette rupture survient de manière
progressive dans le temps du sud au nord du pays. S'il y a eu baisse des précipitations
dans la seconde période, la variabilité interannuelle exprimée par l'écart-type, semble
moins grande que durant la période précédente.
502
Honoré Dacosta
et al.
Tableau 1 Année de rupture, caractéristiques statistiques des séries partielles et déficits par rapport à la
période avant rupture.
Année de
rupture
Ziguinchor
Oussouye
Diouloulou
Kédougou
Kolda
Tambacounda
Foundiougne
Mbour
Tivaouane
Dakar
Linguère
Matam
Bakel
Podor
Saint-Louis
1967
1967
1967
1966
1967
1966
1969
1969
1969
1969
1970
1966
1966
1970
1970
Moyenne (mm):
Avant
Après
rupture
rupture
Ecart-type (mm):
Avant
Après
rupture
rupture
Déficit
1576
1561
1337
1292
1219
895
853
773
599
595
517
502
497
317
375
277
443
437
287
287
204
222
267
187
175
118
130
95
122
143
26
22
22
13
20
23
34
37
34
43
28
38
5
37
42
1162
1223
1048
1126
978
692
564
489
395
341
372
310
472
200
216
(%)
229
245
314
184
214
153
124
169
130
145
117
89
108
88
80
Evolution spatiale des isohyètes annuelles
Cette variation spatiale est analysée à travers la dynamique des isohyètes. En effet, la
diminution des pluies annuelles s'est traduite par la migration des isohyètes vers le
sud. La Fig. 3 montre la disposition des isohyètes des périodes 1921-1967 et 1968—
1998. Entre 1921 et 1967, la pluviométrie variait de 3 5 0 - 4 0 0 m m , au nord, à 1 6 0 0 -
i
,
,
,
,
,
,
-17
-16
-15
-14
-13
-12
,
!
-11
Fig. 3 Migration de isohyètes de la période 1968-1998 (tireté) par rapport à celle de
1921-1967 (trait continu).
La variabilité spatio-temporelle des précipitations au Sénégal depuis un siècle
503
P (mm)
ZIGU1NCIIOR
DIOULOULOU
P (mm)
1400
1100
500
200
KOUNGHEUL
P (mm)
1400 i
1100
800
500
200
TAMUACOUNDA
Fig. 4 Profils pluviométriques moyens des trois transects pour différentes normales.
Les stations sont dans un ordre sud-nord de gauche à droite.
1700 mm, au sud-ouest du pays. La région de Dakar recevait une hauteur de pluie
légèrement supérieure à 600 mm.
De 1968 à 1998, la migration des isohyètes a été très sensible et variable dans
l'espace. D e la latitude 14° à 16° nord, la descente des isohyètes est de l'ordre d'un
degré, soit 111 k m environ. L'isohyète 400 m m remplace presque l'isohyète 600 mm.
Par contre, au sud de la latitude 14°, la descente des isohyètes est d'environ un demidegré mais avec un déficit absolu plus important. Ce décalage des isohyètes vers le sud
a eu des conséquences très importantes sur l'agriculture sénégalaise.
Une cartographie des écarts entre les deux périodes montre que le déficit n'est pas
uniforme dans l'espace. Le déficit est plus important au sud-ouest et le long de la
façade maritime où les fluctuations inter annuelles sont plus marquées. Au centre et à
504
Honoré Dacosta et al.
l'est du pays, on note des zones de stabilité ou de faibles variations des précipitations
entre Bakel et Matam, le long du fleuve Sénégal.
Gradients océanique et méridien
Ces gradients sont mis en évidence par l'analyse des moyennes de pluies annuelles des
normales climatiques 1931-1960, 1941-1970, 1951-1980 et 1961-1990 suivant trois
transects méridiens: le long de la côte, à 15° de longitude ouest et la partie orientale.
En effet, au Sénégal, la pluviométrie subit une double influence qui s'explique par des
facteurs géographiques: d'une part, l'influence de l'Atlantique dont l'inertie thermique
a pour conséquence un début tardif de la saison des pluies sur le littoral mais avec des
totaux annuels plus importants cependant par rapport à l'intérieur du pays; et d'autre
part, son extension en latitude entraîne une réduction progressive de la pluviométrie du
sud vers le nord. Il en résulte donc deux gradients: un gradient océanique (ouest-est) et
un gradient méridien (sud-nord) que mettent bien évidence les profils pluviométriques
moyens (Fig. 4):
Le transect côtier (Ziguinchor-Diouloulou-Foundiougne-Dakar-Saint-Louis)
Les courbes d'évolution des normales climatiques présentent des points d'inflexion qui
correspondent, grosso modo, à la délimitation des zones climatiques, notamment dans
la zone côtière où l'on note la présence de trois domaines climatiques (Leroux, 1983):
Ziguinchor-Diouloulou pour le domaine sud-guinéen; Diouloulou-Foundiougne,
domaine soudanien; au-delà de Foundiougne, le domaine sahélien, fortement marqué
par la péj oration climatique. La diminution des pluies est très tranchée d'un domaine
climatique à l'autre. Par contre, analysée à l'échelle de la station, les différences entre
normales sont plus importantes au sud et s'estompent progressivement vers le nord où
elles deviennent insignifiantes. Si en valeur absolue les différences sont plus élevées au
sud, en valeur relative, elles sont nettement plus importantes au nord. Cette zone
Tableau 2 Pluies moyennes des normales 1931-1960, 1961-1990 et leurs écarts absolus et relatifs.
Station
Ziguinchor
Diouloulou
Foundiougne
Dakar
Saint-Louis
Normale 19311960 (A)
(mm)
1548
1430
879
571
342
Kolda
Koungheul
Linguère
Podor
1251
900
530
333
Kédougou
Tambacounda
Bakel
Matam
1263
942
494
498
Normale 19611990 (B)
(mm)
1248
1132
633
412
263
Différence A - B:
(mm)
300
298
246
159
79
(%)
19.4
20.8
28.0
27.8
23.1
969
693
400
220
282
207
130
113
22.5
23.0
24.5
33.9
1180
772
501
363
83
170
-7
135
6.6
18.0
-1.4
27.1
La variabilité spatio-temporelle
des précipitations au Sénégal depuis un siècle
505
côtière est fortement marquée par l'inertie océanique qui conditionne la migration de
l'Equateur Météorologique au niveau de la côte et partant les précipitations. Le
Tableau 2 présente les différences de précipitations entre les normales 1931-1960 et
1961-1990 qui confirme ce qui précède, sauf à la station de Bakel dont les
précipitations semblent s'être améliorées durant la normale 1961-1990.
Le transect médian (Koida-Koungheul-Linguère-Podor) Les courbes
d'évolution des normales pluviométriques montrent la linéarité de la décroissance des
pluies du sud au nord avec un changement de pente à partir de Linguère. Deux
domaines climatiques s'individualisent nettement, les climats soudanien et sahélien,
avec une transition en douceur. On note néanmoins un écart non négligeable entre des
moyennes entre le sud-soudanien et le nord-soudanien qui obéit à la décroissance des
précipitations, avec cependant une réduction des écarts, au fur et à mesure que l'on
progresse vers le nord.
Le transect oriental (Kédougou-Tambacounda-Bakel-Matam) Ce transect
enregistre les plus faibles variations des valeurs des normales climatiques,
particulièrement les stations de Kédougou et de Bakel. Y apparaissent également les
nuances évoquées plus haut. La station de Bakel présente des valeurs sans grande
différence mais, en réalité, les fluctuations interannuelles y sont très importantes et
particulièrement les séquences sèches au cours de la saison des pluies.
CONCLUSION
La variabilité spatiale et temporelle des précipitations a été une réalité constante durant
ce siècle en Afrique, avec une tendance à la réduction des totaux pluviométriques.
L'évolution de la pluviométrie depuis plus d'un siècle montre que la rupture observée
à la fin des années 60 est sans précédent à cette échelle du temps. Mais la péjoration
pluviométrique amorcée depuis 1966-1970 a installé le pays dans un changement
inscrit dans la durée et marqué par une certaine homogénéité des séries
pluviométriques résultantes. Ce constat signifierait-il que les modifications
pluviométriques enregistrées depuis 1970 dans la zone soudano-sahélienne, loin de
représenter une simple altération des conditions pluviogéniques, installent, au
contraire, le Sénégal dans une "nouvelle normalité" pluviométrique qui devrait, à court
terme, devenir une référence climatique? Si les observations des trente dernières
années paraissent encore insuffisantes pour pencher d'un côté ou de l'autre, la question
mérite, cependant, d'être posée et discutée.
REFERENCES
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no. 20-21.
Dacosta, G. & Malou, R. (2000) Variations spatio-temporelles des précipitations au Sénégal: analyse de quelques séries
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Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal).
liiez, G. (1977) Homogénéisation des données pluviométriques. Cah. ORSTOM, Hydrol. xiv(2).
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Paturel, J. E., Serval, E., Brou, K., Lubes, H., Fritsch, j . M. & Masson J. M. (1997) Manifestation d'une variabilité
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(ed. par D. Rosbjerg, N.-E. Boutayeb, A. Gustard, Z. W. Kundzewicz & P. F. Rasmussen) (Proc. Rabat Symp. SI,
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Pettitt, A. N. (1979) A non-parametric approach to the change-point problem. Appl. Statist. 28(2), 126-135.
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