JALONS POUR UNE HISTOIRE DES JUIFS EN ALSACE (i) 183
argent massif a été fabriqué en 1842 par un orfèvre du nom de Kruger, et les
noms ont été gravés par Jehuda Stem, le chantre de la communauté. Les quatre
porteurs correspondent bien aux rares témoignages littéraires que nous
possédons sur le cortège funèbre juif dans la campagne alsacienne, bien que ces
descriptions se rapportent à la deuxième moitié du xixe siècle. David Stauben
relate que «quatre hommes choisis par le sort dans une société religieuse de
l'endroit, et coiffés seulement, pour toute toilette, d'un chapeau rond, portèrent
sur leurs épaules un cercueil en bois blanc, non raboté et couvert d'un drap
noir» ('). E. Coypel évoque leur «large chapeau», ainsi que la simplicité du
cortège (2). S'agit-il d'un objet purement ornemental ou bien répondait-il à un
usage précis ? Telle est la question que l'on se pose, tout en ne restant pas
insensible à la beauté même de sa facture, à l'équilibre de ses formes d'où se
dégage une grande sérénité.
Les Juifs ayant été expulsés définitivement de Colmar en 1512, il fallut at-
tendre la Révolution de 1789 pour que la ville accepte, bien malgré elle, de
leur rouvrir ses portes. Un recensement établi en 1823 fait état de 523 Juifs à
Colmar. Ceux-ci se réunissent dans des locaux de fortune, parfois une salle
d'auberge, pour y prier en commun. Ce n'est qu'en 1838 que le Comité de
Bienfaisance de la communauté obtient l'autorisation d'acheter le terrain où
s'élève encore de nos jours la synagogue. Lorsque celle-ci fut inaugurée le 15
septembre 1843 par le grand rabbin Seligmann Goudchaux la communauté
comptait 750 âmes. Il existait à Colmar une société de bienfaisance, «Bikour
Holim», dont il est fait mention en 1829 ; elle s'emploie à secourir les pauvres
en leur distribuant des «Blett», c'est à dire des billets qui leur garantissent le
couvert et parfois le gîte, à envoyer une subvention ainsi que des médicaments
aux malades et aux infirmes, à livrer du bois et des «matsoth» (pain azyme)
aux ménages nécessiteux. Quelques jeunes gens fondèrent en 1844 une
confrérie appelée «Eits Hajim» qui se fixait pour tâche d'aider les enfants
pauvres «à embrasser une carrière honnête et laborieuse dans le cas où la
société philanthrope du département n'aurait pas pu étendre ses bienfaits
jusqu'à eux». Sur la liste des juifs de Colmar qui font une souscription en
1845 afin de construire un «heqdich», un hôpital, on trouve, entre autre, un
aubergiste, un dentiste, un cordonnier, un boucher, un instituteur, un courtier
de fourrage, un marchand de bestiaux, des médecins, un tailleur, un professeur
et un corroyeur. Nous n'avons pas de renseignements sur la «Hevrat
Hakavranim» mais sur le couvercle du cercueil sont gravés les noms des 18
membres de la confrérie «de la sainte communauté de Colmar», celui de leur
(1) D. STAUBEN, Scènes de la vie juive en Alsace, Paris, 1860, p. 91.
(2) E. COYPEL, Le Judaïsme, Mulhouse, 1876, p. 153.