
de multiples façons et frôle parfois la caricature. Ainsi par exemple, pour
Legendre, la « mode passagère » de la « thématique Law and Economics » est
« censée aligner la réflexion juridique sur la théorie du marché » (Legendre
[2001], p. 189), ou, pour Supiot, l’analyse économique du droit ne serait
qu’une variante d’une théorie utilitariste et partagerait avec elle ses conséquen-
ces sacrificielles (Supiot [2005], p. 297)1; ou encore, pour Gaudu, les écono-
mistes feraient preuve de scientisme lorsqu’ils discutent du droit (Gaudu
[2005]). Provenant d’éminents juristes2, ces critiques peuvent cependant facile-
ment être écartées.
D’une part, elles ne font pas droit – par ignorance sans doute – à la pluralité
des approches existantes en économie du droit (Mercuro et Medema [1997]).
Certes, on trouve des analyses économiques du droit libérales, voir ultralibéra-
les autour de l’École autrichienne par exemple, tout comme on trouve des
recherches proches de l’utilitarisme au sein de l’école de Chicago3. Mais au
regard de la diversité des recherches menées dans ce champ, il est proprement
impossible d’assimiler analyse économique du droit et libéralisme tout comme
d’assimiler analyse économique du droit et utilitarisme. Qu’il suffise ici de rap-
peler, sur le premier point, que l’un des fondateurs de l’analyse économique du
droit, Ronald Coase, n’a cessé de chercher à comprendre pourquoi certains
modes de coordination non marchands pouvaient précisément être efficaces.
Qu’il suffise également de mentionner, sur le second point, qu’il ne faut pas
confondre l’utilitarisme en tant que théorie de l’action et en tant que théorie
morale. On peut tout à fait adhérer à une représentation de la théorie de
l’action en termes d’utilité sans pour autant adhérer à la théorie morale utilita-
riste4. On peut d’ailleurs considérer que, même en ce qui concerne la théorie de
l’action, la théorie économique a rompu avec l’utilitarisme. Et si elle a gardé la
notion d’ « utilité » pour analyser les comportements des agents, elle ne fait plus
désormais référence à un quelconque contenu psychologique.
Ainsi, l’économie du droit contemporaine est marquée au coin du plura-
lisme méthodologique et théorique. À côté des travaux directement inspirés de
Posner, on trouve désormais une analyse économique du droit néo-institu-
224 Bruno Deffains, Samuel Ferey
1. La critique de Supiot est d’autant plus surprenante qu’il cite dans la même page
Hayek et Posner alors que tout sépare ces deux auteurs aussi bien du point de vue de leur
représentation du droit que de leur représentation de l’économie ! Plus simplement,
Supiot adresse à l’ensemble de l’économie du droit une critique qui ne concerne que la
théorie utilitariste du droit parfois défendue par certains économistes du droit.
2. Notons sur ce point que des philosophes du droit de premier plan, comme Hart
par exemple, ont été relativement bienveillants à l’égard de l’analyse économique du droit
(voir Hart [1961] ; Hart [1977]).
3. Sur le lien extrêmement complexe de Posner et de l’utilitarisme, voir par exemple
Strowel [1992].
4. Ainsi, un auteur comme Rawls, par exemple (du moins le Rawls de la Théorie de la
justice), tente de construire une théorie de la justice explicitement anti-utilitariste sur le
fondement de la théorie du choix rationnel (Rawls [1971]). Preuve s’il en est qu’il faut se
garder de confondre la théorie de l’utilité en tant que théorie de l’action et en tant que
théorie normative.
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mercredi 23 mai 2007 11:57:05
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