approche consistant à considérer le droit comme un mécanisme
d’incitation visant à orienter les comportements individuels vers
l’efficience. La thèse centrale de Posner repose sur l’argument selon
lequel il est possible de lire la règle juridique comme reflétant l’objectif
d’optimisation de l’efficacité économique, ce qui constitue une
orientation souhaitable. En insistant sur la jurisprudence comme
mécanisme principal d’élaboration du droit, Posner prétend que la
common law permettrait de maximiser la richesse de la société dans la
mesure où les juges des tribunaux anglo-saxons identifieraient leur
conception de la justice avec ce qui serait efficient(1). Cette idée est assez
largement d’inspiration coasienne : à partir de cas de jurisprudence liés à
des situations d’externalités résultant de troubles de voisinage ou de
pollutions, Coase a démontré dès 1960 que certaines décisions de justice
étaient conformes aux recommandations qu’aurait formulées un
économiste cherchant à atteindre l’optimalité. En matière de
responsabilité civile, nous pouvons également mentionner les jugements
acceptant la responsabilité dans des situations où l’auteur du dommage
aurait pu prendre des mesures de précaution peu onéreuses de nature à
réduire la probabilité de survenance d’un accident. Cette jurisprudence
est aisée à rationaliser sur le plan économique dans la mesure où elle
renvoie au “raisonnement à la marge” mené par les économistes et à la
notion de niveau de précaution socialement optimal.
Dans cette optique, l’analyse économique du droit revêt une dimension à
la fois positive et normative. La première a deux objectifs. Il s’agit, d’une
part, d’étudier la manière dont les comportements individuels et
collectifs réagissent aux incitations véhiculées par les règles de droit. La
démarche consiste, d’autre part, à utiliser la théorie économique comme
un instrument analytique permettant d’expliquer l’émergence de ces
règles. L’approche posnérienne est à cet égard symptomatique, dans la
mesureoùl’auteurentend montrer enquoilesdécisionsdesjugespeuvent
êtrerationalisées surlefondement del’analyse économique du droit. Il ne
s’agit aucunement de prétendre que les législateurs choisissent
consciemment des solutions efficaces mais d’interpréter les décisions
juridiques comme des règles institutionnelles sources d’efficience. Dans
sa dimension normative, l’enjeu consiste à défendre l’idée que la
poursuite de l’efficacité économique constitue un objectif légitime pour
le système juridique. Cette optique repose ainsi sur une critique des
doctrines et institutions sous-jacentes à ce système et vise à émettre des
propositions de réforme. Il faut noter que l’économie du droit ne prétend
en aucune manière imposer ses critères d’évaluation à la discipline
juridique mais vise simplement à caractériser la rationalité sous-jacente
aux textes et décisions de justice. La question est alors de déterminer si les
règlesdedroitcréent des inefficacitésjustifiantdelesmodifier.Même s’il
va de soi que le critère d’efficience économique ne peut à lui seul
légitimer (ou rendre illégitime) l’existence d’une règle ou d’une
institution, il s’avère que ces propositions ont eu des retombées
importantes dans des domaines aussi variés que la législation antitrust, la
réglementation des marchés financiers ou encore la protection de
l’environnement.
À cet égard, l’originalité du programme de recherche en économie du
droit est incontestablement à trouver dans sa double appartenance
disciplinaire, inscrivant ce champ d’analyse dans un double mouvement
qui a fortement stimulé la théorie du droit et la science économique.
Un mouvement de l’économie vers le droit est, d’une part, observé,
puisqu’il s’agit d’éclairer le raisonnement juridique par des
II
(1) Guy Canivet, Premier président
de la Cour de cassation de 1999 à
2007, souligne cet isomorphisme
entre concepts économiques et
concepts juridiques également dans
le contexte du droit civil : dans son
activité jurisprudentielle, le juge de
cassation complète la loi en
dépassant les intérêts individuels
des parties au litige afin de poser
une règle interprétative visant à la
satisfaction de l’intérêt général, ce
qui s’apparente à la recherche de la
solution collectivement optimale
(Canivet, 2005).