Analyse économique du droit : présentation générale

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Analyse économique du droit :
présentation générale
« Les rapports du droit et de l’économie sont passés au cours des trois
derniers siècles par des phases successives d’imbrication, puis
d’antagonisme ou d’ignorance mutuelle et enfin d’intérêt réciproque »
(Bruno Oppétit, 1992)
L’analyse économique du droit consiste à utiliser les outils et critères de
jugement des économistes afin d’étudier des questions relevant de la
sphère juridique. Il s’agit d’analyser la manière dont les agents
économiques appréhendent l’environnement juridique, afin de
comprendre l’émergence des règles de droit et d’évaluer leur pertinence.
L’intérêt des économistes pour l’objet juridique n’est pas
fondamentalement récent et s’incarnait déjà chez les plus illustres
penseurs des Lumières écossaises. Nous pouvons évoquer Adam Smith,
qui enseignait la jurisprudence dans le cadre de son cours de philosophie
morale à l’université de Glasgow, ou encore David Hume, à travers son
approche des notions de justice et de propriété. L’économie du droit, en
tant que corpus d’analyse, a néanmoins pris naissance dans les années
1950, durant lesquelles la théorie économique s’est orientée vers des
disciplines connexes relevant de la sphère non marchande. Nous pouvons
notamment citer les travaux de Gary Becker sur les questions de fécondité
et les comportements criminels ou encore ceux de Ronald Coase, à travers
son approche du coût social. Il convient également de mentionner les
apports de George Stigler à l’analyse de la réglementation et du rôle des
groupes de pression, ainsi que ceux de James Buchanan à l’étude du
processus de décision politique. Qualifié parfois d’impérialiste et initié
par l’école de Chicago, ce déplacement de la théorie économique vers
l’analyse de phénomènes externes à ses objets de prédilection a
naturellement participé au développement de l’économie du droit en
permettant une plus grande prise en compte des environnements
historiques, culturels et institutionnels dans lesquels évoluent les agents.
Ce développement s’inscrit par ailleurs dans un contexte intellectuel
d’après-guerre propice aux réflexions sur le rôle de ces environnements
dans le fonctionnement des économies. Sur cette base, l’analyse
économique du droit prend véritablement son essor dans les années 1970
sous l’égide de deux juristes, Guido Calabresi et Richard Posner.
L’approche coasienne et beckerienne est généralisée à l’analyse de
multiples objets d’ordre juridique, tels que le droit de la responsabilité
civile, le droit des contrats, ou encore les droits de propriété. Dans son
étude du droit de la responsabilité civile, Calabresi énonce le principe
fondateur de minimisation du coût social des accidents, lié au coût de la
prévention et à l’espérance de dommages, et soutient que les différents
régimes de responsabilité devraient être évalués à l’aune de ce principe.
La responsabilité civile est ainsi analysée comme un instrument de
prévention en matière de gestion des risques. Avec la parution de son
ouvrage majeur en 1972, Richard Posner poursuit quant à lui cette
I
approche consistant à considérer le droit comme un mécanisme
d’incitation visant à orienter les comportements individuels vers
l’efficience. La thèse centrale de Posner repose sur l’argument selon
lequel il est possible de lire la règle juridique comme reflétant l’objectif
d’optimisation de l’efficacité économique, ce qui constitue une
orientation souhaitable. En insistant sur la jurisprudence comme
mécanisme principal d’élaboration du droit, Posner prétend que la
common law permettrait de maximiser la richesse de la société dans la
mesure où les juges des tribunaux anglo-saxons identifieraient leur
(1)
conception de la justice avec ce qui serait efficient . Cette idée est assez
largement d’inspiration coasienne : à partir de cas de jurisprudence liés à
des situations d’externalités résultant de troubles de voisinage ou de
pollutions, Coase a démontré dès 1960 que certaines décisions de justice
étaient conformes aux recommandations qu’aurait formulées un
économiste cherchant à atteindre l’optimalité. En matière de
responsabilité civile, nous pouvons également mentionner les jugements
acceptant la responsabilité dans des situations où l’auteur du dommage
aurait pu prendre des mesures de précaution peu onéreuses de nature à
réduire la probabilité de survenance d’un accident. Cette jurisprudence
est aisée à rationaliser sur le plan économique dans la mesure où elle
renvoie au “raisonnement à la marge” mené par les économistes et à la
notion de niveau de précaution socialement optimal.
Dans cette optique, l’analyse économique du droit revêt une dimension à
la fois positive et normative. La première a deux objectifs. Il s’agit, d’une
part, d’étudier la manière dont les comportements individuels et
collectifs réagissent aux incitations véhiculées par les règles de droit. La
démarche consiste, d’autre part, à utiliser la théorie économique comme
un instrument analytique permettant d’expliquer l’émergence de ces
règles. L’approche posnérienne est à cet égard symptomatique, dans la
mesure où l’auteur entend montrer en quoi les décisions des juges peuvent
être rationalisées sur le fondement de l’analyse économique du droit. Il ne
s’agit aucunement de prétendre que les législateurs choisissent
consciemment des solutions efficaces mais d’interpréter les décisions
juridiques comme des règles institutionnelles sources d’efficience. Dans
sa dimension normative, l’enjeu consiste à défendre l’idée que la
poursuite de l’efficacité économique constitue un objectif légitime pour
le système juridique. Cette optique repose ainsi sur une critique des
doctrines et institutions sous-jacentes à ce système et vise à émettre des
propositions de réforme. Il faut noter que l’économie du droit ne prétend
en aucune manière imposer ses critères d’évaluation à la discipline
juridique mais vise simplement à caractériser la rationalité sous-jacente
aux textes et décisions de justice. La question est alors de déterminer si les
règles de droit créent des inefficacités justifiant de les modifier. Même s’il
va de soi que le critère d’efficience économique ne peut à lui seul
légitimer (ou rendre illégitime) l’existence d’une règle ou d’une
institution, il s’avère que ces propositions ont eu des retombées
importantes dans des domaines aussi variés que la législation antitrust, la
réglementation des marchés financiers ou encore la protection de
l’environnement.
À cet égard, l’originalité du programme de recherche en économie du
droit est incontestablement à trouver dans sa double appartenance
disciplinaire, inscrivant ce champ d’analyse dans un double mouvement
qui a fortement stimulé la théorie du droit et la science économique.
Un mouvement de l’économie vers le droit est, d’une part, observé,
puisqu’il s’agit d’éclairer le raisonnement juridique par des
II
(1) Guy Canivet, Premier président
de la Cour de cassation de 1999 à
2007, souligne cet isomorphisme
entre concepts économiques et
concepts juridiques également dans
le contexte du droit civil : dans son
activité jurisprudentielle, le juge de
cassation complète la loi en
dépassant les intérêts individuels
des parties au litige afin de poser
une règle interprétative visant à la
satisfaction de l’intérêt général, ce
qui s’apparente à la recherche de la
solution collectivement optimale
(Canivet, 2005).
considérations économiques. Ce mouvement n’est pas récent et s’avère
notamment implicite dans la construction du Code civil de 1804 qui,
comme le souligne Jean-François Niort, fournit au libéralisme
économique sa traduction juridique (Niort, 1992). Cette construction
repose sur une confrontation entre des principes philosophiques,
politiques et juridiques et les impératifs économiques du début du
dix-neuvième siècle pris en compte par les auteurs. D’un point de vue plus
contemporain, la contribution de la science économique à l’étude du droit
réside principalement dans la mise à disposition d’un corpus analytique
permettant d’appréhender les effets de l’environnement juridique sur les
comportements. La conceptualisation économique repose sur l’idée que
l’agent se saisit de la règle de droit, via un processus d’optimisation, afin
d’en faire le support de son comportement, suivant les contraintes
auxquelles il est confronté. L’économie du droit s’oppose ainsi à une
vision caricaturale du droit consistant à considérer la règle juridique
comme une norme édictée par le politique dont l’application par l’agent
suivrait un processus déterministe. Les agents réagissent à
l’environnement juridique et l’étude de ces comportements est nécessaire
à la compréhension des implications économiques de cet environnement.
L’examen des normes juridiques par le prisme de l’analyse économique
est ainsi vecteur d’informations pour le législateur et le juge, ce qui
devrait leur permettre d’améliorer la qualité du droit.
Un mouvement du droit vers l’économie existe en parallèle, puisque
l’objectif est de souligner l’importance de l’environnement institutionnel
sur les performances économiques en termes d’allocation des ressources.
Il apparaît difficile d’élaborer une approche économique robuste et
réaliste sans prendre en compte le contexte juridique dans lequel les
agents évoluent. À titre d’exemple, nous ne pouvons imaginer que le
fonctionnement du marché du travail ne soit pas influencé par les
décisions des tribunaux en matière de licenciement ou d’interprétation du
contrat de travail. De la même manière, toute analyse pertinente des
interactions entre firmes au sein d’un marché oligopolistique se doit de
prendre en considération les règles imposées par le droit de la
concurrence.
De manière générale, l’économie du droit semble à même de renforcer le
pouvoir explicatif et prédictif des modèles économiques et, ainsi, de
permettre aux économistes de participer aux réflexions normatives visant
à élaborer des règles juridiques adaptées aux réalités économiques et
sociales (en matière de politique de la concurrence, de résolution des
litiges, de lutte contre la délinquance économique et financière, etc.). Les
analyses développées sont ainsi susceptibles d’enrichir l’élaboration des
politiques publiques. C’est précisément cette perspective qui inscrit
légitimement ce numéro spécial dans la ligne éditoriale de la revue
Économie et Prévision. Ce numéro présente huit contributions, dont cinq
ont fait l’objet d’une présentation lors des journées de l’Association
française de science économique (AFSE) organisées à Besançon les 9 et
10 juin 2011. Les trois premiers articles portent sur la responsabilité
civile. Ils témoignent d’une réelle originalité en dépassant l’approche
standard fondée sur la distinction entre responsabilité sans faute et
responsabilité pour faute. Cette approche apparaît en effet trop simple
pour en déduire des conclusions quant aux effets de la responsabilité dans
des situations réelles. L’apport des articles présentés ici est significatif à
cet égard. Les cinq articles suivants contribuent quant à eux au
renouvellement méthodologique de la discipline dans la mesure où ils
mobilisent l’outil statistique, l’analyse économétrique et la méthode
expérimentale, alors même que le nombre de travaux empiriques reste à ce
jour relativement réduit dans le champ de l’économie du droit.
III
Économie du droit et responsabilité civile
L’article de Julien Jacob étudie les vertus incitatives des règles de
responsabilité sans faute et de négligence en considérant l’impact de ces
dispositifs non seulement sur l’effort de prévention des firmes, suivant en
cela la littérature existante, mais également sur leur effort d’innovation.
La littérature économique portant sur l’analyse des règles de
responsabilité civile a largement négligé la possibilité qu’ont les
entreprises d’investir en technologies innovantes permettant de réduire à
la fois le coût d’application des mesures de prévention et le risque
d’accident à effort de prévention donné (innovation dite à “double
impact”). Cette question revêt une dimension sociétale importante, dans
la mesure où il s’agit d’analyser la manière dont le système de
responsabilité civile peut orienter les incitations à la prévention et à
l’innovation de firmes dont les activités peuvent s’avérer hautement
dommageables sur le plan environnemental. L’auteur montre qu’en
présence d’une innovation à double impact, la règle de responsabilité sans
faute est préférable à la règle de négligence lorsque la firme demeure
solvable malgré la réalisation d’un accident. En cas d’insolvabilité,
l’application du principe de limitation de la responsabilité permet à la
firme d’externaliser une partie du coût du risque d’accident, rendant la
règle de responsabilité sans faute sous-optimale. La règle de négligence
peut alors apparaître socialement souhaitable suivant la norme de
prévention définie par le régulateur.
La contribution de Bruno Deffains et Claude Fluet enrichit également
les approches économiques standard de la responsabilité en étudiant les
interactions entre les incitations juridiques, liées aux sanctions légales, et
les incitations normatives, liées à la désapprobation sociale, lorsque les
comportements répréhensibles ne sont pas parfaitement observables. Les
auteurs analysent la manière dont ces interactions peuvent être altérées
par le standard de preuve mis en œuvre : la désapprobation sociale liée à
une condamnation dépend positivement du taux de respect de la loi,
puisqu’un comportement répréhensible adopté par tous n’est pas
stigmatisant, tandis que la soumission au droit dépend positivement des
sanctions potentielles et, ainsi, de la désapprobation sociale. Sur cette
base, l’analyse théorique met en évidence la possibilité d’équilibres
multiples caractérisés par différentes combinaisons de ces incitations. Il
peut notamment exister des régimes de standard de preuve faible associés
à une stigmatisation faible et des régimes de standard de preuve élevé
associés à une stigmatisation élevée. La prise en compte du rôle de la
stigmatisation sociale permet notamment d’expliquer certaines
différences entre les systèmes de common law et de droit civil quant aux
régimes de faute et de négligence. Les résultats fournissent par ailleurs
certains fondements à l’affaiblissement du standard de preuve tel qu’il est
observé dans les systèmes de droit civil.
L’approche développée par Samuel Ferey apporte un éclairage nouveau à
la problématique de la responsabilité, dans la mesure où elle se positionne
ex post (une fois le dommage survenu) et vise à étudier la manière dont
l’indemnisation monétaire doit être répartie lorsque ce dommage
implique plusieurs coauteurs. Nous pouvons par exemple évoquer le cas
d’un automobiliste créant un dommage corporel aggravé par une erreur
médicale. Les théories juridiques traditionnelles de la causalité ne
fournissent pas de critère utilisable par le juge et le législateur pour
effectuer une répartition de l’indemnisation dans ce type de situation.
IV
L’auteur mobilise ainsi la théorie des jeux coopératifs et considère le
dommage causé par plusieurs coresponsables comme un jeu de partage de
coût. La valeur de Shapley associée à ce jeu permet alors de déterminer un
partage du dommage en fonction de la contribution de chaque coauteur.
Ce concept de solution est particulièrement intéressant dans la mesure où
ses axiomes correspondent à certains principes fondamentaux du droit
civil. La valeur de Shapley assure notamment que la somme des parts
assumées par chaque coauteur est strictement égale au montant du
dommage (axiome d’efficience). Elle préconise en outre de faire payer le
même montant aux agents qui ont la même contribution (axiome de
symétrie) et propose de ne rien faire payer à un agent qui n’entraîne
aucune aggravation du dommage (axiome du joueur nul).
Apports de la statistique et de l’économétrie à
l’économie du droit
L’article de Yann Ménière, Matthieu Glachant, Antoine
Dechezleprêtre, Cécile Pot, Fabrice Carrière et Gilles Le Blanc
propose une analyse statistique du positionnement et de la performance
de la France en matière de technologies de lutte contre le réchauffement
climatique. L’innovation verte est l’un des principaux leviers permettant
de réduire les émissions de gaz à effet de serre et constitue un enjeu
économique majeur. La mesure de l’innovation est ici fondée sur des
statistiques de brevets issues de la base de données PATSTAT, qui décrit
l’ensemble des dépôts de brevets entre 1980 et 2008 dans 17 classes
technologiques différentes (telles que les énergies renouvelables, le
nucléaire ou encore les techniques de recyclage). Le brevet, en tant que
droit de propriété industrielle, constitue un indicateur pertinent de
l’activité inventive dans la mesure où il permet des comparaisons
inter-temporelles et internationales rigoureuses. L’analyse statistique
révèle que la France se positionne au cinquième rang mondial dans le
classement des pays innovants, position qui est notamment liée à la
performance de firmes d’envergure internationale (Saint Gobain, Areva,
Total, etc.) et des organismes publics de recherche scientifique. Ces
éléments positifs dissimulent néanmoins un manque de dynamisme lié à
une spécialisation technologique dans des secteurs déjà matures ou
n’ayant pas encore décollé. Ces atouts et faiblesses constituent des bases
de réflexion importantes en matière d’élaboration des politiques
publiques de soutien au développement des technologies propres.
L’approche de Régis Blazy, Bertrand Chopard, Éric Langlais et
Ydriss Ziane vise à étudier empiriquement le mécanisme judiciaire de
traitement des situations de surendettement des ménages français. Il
s’agit de mettre en évidence les conditions sous lesquelles un particulier
peut bénéficier d’un effacement de ses dettes, suivant la procédure dite de
“rétablissement personnel”, à partir d’une base de données originale
constituée de 4 098 jugements rendus par 192 juges de l’exécution des
tribunaux d’instance et de grande instance entre 2003 et 2005. Cette étude
permet d’ouvrir la “boîte noire” du droit via l’analyse des décisions
judiciaires sous-jacentes au mécanisme d’application des règles
juridiques et d’élaboration des normes. Les auteurs s’attachent plus
spécifiquement à analyser la manière dont les juges interprètent la notion
de situation “irrémédiablement compromise”, notion qui conditionne la
mise en œuvre de la procédure de rétablissement personnel. Plusieurs
déterminants, tels que la capacité de remboursement du débiteur, son âge
ou encore sa situation sur le marché du travail sont ainsi identifiés sur le
V
plan économétrique comme étant des facteurs clefs des jugements rendus
en matière d’effacement des dettes des ménages : l’effacement total est
d’autant plus probable que le débiteur concerné connaît sans ambiguïté
une situation de surendettement passif (maladie ou chômage) et qu’il est
d’âge mûr.
La contribution d’Henri Fraisse, Corinne Prost et Laurence Rioux
consiste à étudier les effets du système d’indemnisation chômage et de la
justice prud’homale sur le sentiment de sécurité de l’emploi. Cette étude
empirique est novatrice à deux égards. D’une part, elle se situe à la
confluence de l’économie du travail et de l’économie du droit. En outre,
elle met l’accent sur l’influence directe des institutions du marché du
travail sur le sentiment de sécurité des travailleurs, alors même que la
littérature se focalise sur l’effet de la stabilité de l’emploi. Les droits à
l’assurance chômage sont construits à partir d’un extrait de l’échantillon
français de l’European Community Household Panel comportant 4 452
individus sur la période 1995-2001. Les données contiennent de
nombreuses variables caractérisant la situation des individus sur le
marché du travail et leurs revenus, ainsi qu’un questionnaire relatif à leur
niveau de satisfaction vis-à-vis de la sécurité de leur emploi. Considérant
la même période d’analyse, la législation sur la protection de l’emploi est
mesurée par le taux de victoire des salariés aux prud’hommes et la durée
moyenne des procédures. Les résultats montrent notamment que le
système d’indemnisation chômage accroît le degré de satisfaction
vis-à-vis de la sécurité de l’emploi, mais uniquement via la durée de
l’indemnisation. La justice prud’homale a également un impact,
puisqu’une hausse du taux de victoire des salariés améliore le sentiment
de sécurité tandis qu’un accroissement des délais de procédure a l’effet
inverse.
Apports de l’analyse expérimentale à l’économie du
droit
L’article de Yannick Gabuthy et Nicolas Jacquemet vise à mettre en
évidence les principaux apports de la méthode expérimentale à l’analyse
économique du droit. De manière générale, cette méthode consiste à créer
un environnement microéconomique contrôlé, permettant d’observer le
comportement d’individus réels interagissant au sein de cet
environnement. Les données empiriques collectées dans ce cadre peuvent
ainsi être confrontées aux prédictions issues de l’analyse théorique. Les
auteurs adoptent un regard à la fois méthodologique et programmatique
dans la mesure où il s’agit d’illustrer l’intérêt de cette confrontation à
travers quatre applications emblématiques de l’économie du droit : le
théorème de Coase, le droit et la politique de la concurrence, la résolution
des litiges et, enfin, les comportements criminels et leur répression. Dans
une optique normative, une conséquence possible de ce processus de
réfutation empirique serait de proposer des amendements ou, au
contraire, de confirmer la pertinence des règles juridiques. Néanmoins,
cette aptitude de la méthode à constituer un outil d’aide à l’élaboration des
politiques publiques dépend fondamentalement de la capacité des
résultats produits expérimentalement à prédire les comportements
observés dans un environnement réel. Cette question liée à la notion de
validité externe des résultats expérimentaux est également abordée dans
l’article.
VI
L’approche développée par Mathieu Lefebvre, Pierre Pestieau, Arno
Riedl et Marie-Claire Villeval clôt ce numéro en illustrant précisément
l’intérêt de l’économie expérimentale dans le champ de l’analyse
économique du droit, puisqu’il s’agit de comparer les attitudes face à la
fraude fiscale et à la fraude sociale dans le cadre d’une expérience en
laboratoire regroupant 192 participants. La fraude fiscale peut se définir
comme étant le détournement illégal d’un système fiscal afin de ne pas
contribuer au financement des charges publiques. La fraude sociale
consiste à échapper au versement des prélèvements sociaux ou à
bénéficier indûment de prestations sociales. L’objectif des auteurs est de
comparer les comportements de fraude fiscale et sociale de quatre
populations (Belges flamands, Belges wallons, Français et Hollandais)
afin d’identifier les déterminants non-économiques de ces
comportements. L’enjeu d’une telle problématique est important dans la
mesure où la compréhension des ressorts sous-jacents à ces
comportements illégaux est indispensable au développement de
mécanismes permettant de les réguler. Les résultats montrent notamment
que la fraude sociale tend à être plus répandue que la fraude fiscale (alors
que les espérances de gains sont identiques) et que les différences entre
pays restent modérées : la fraude fiscale est plus fréquente chez les
participants français et hollandais que chez les sujets belges, tandis qu’il
n’y a pas de différences de recours à la fraude sociale entre les pays.
L’ensemble de ces contributions est naturellement loin d’épuiser un
champ de la science économique aussi vaste que celui de l’économie du
droit. À cet égard, l’accent aurait pu être mis sur des thématiques
juridiques différentes, et néanmoins importantes, en s’intéressant aux
contributions de l’analyse économique au droit de l’entreprise et au droit
financier, au droit de la famille, ou encore aux questions relevant du droit
international. Ce numéro ne vise en aucun cas l’exhaustivité et consiste
simplement à présenter un échantillon illustrant l’intérêt d’un champ
disciplinaire, lié notamment à l’importance des questionnements
sous-jacents, à l’ampleur des enjeux concernés et à la variété des outils
d’analyse mobilisés.
Yannick Gabuthy
Beta, UMR7522, Université de Lorraine
Coordinateur du numéro spécial en tant que membre du Centre de
recherche sur les stratégies économiques (Crese), Université de
Franche-Comté
(E-mail : [email protected])
VII
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