DOSSIER PÉDAGOGIQUE LIVING ! TEXTES JULIAN BECK ET JUDITH MALINA MISE EN SCÈNE STANISLAS NORDEY Avec Sarah Amrous, Nathan Bernat, Romain Brosseau, Duncan Evennou, Vanille Fiaux, Damien Gabriac, Simon Gauchet, Yassine Harrada, Marina Keltchewsky, Yann Lefeivre, Anaïs Muller, Thomas Pasquelin, Karine Piveteau, Tristan Rothhut, Marie Thomas Scénographie Emmanuel Clolus Lumière Philippe Berthomé Création son Michel Zurcher Spectacle composé d’un corpus de textes extraits de La Vie du théâtre et Théandrique de Julian Beck (traduction Fanette Vander), Les Chants de la révolution de Julian Beck (traduction de Pierre Joris) et des Entretiens avec le Living Theatre de Jean-Jacques Lebel 55 ÉDITO Le théâtre peut-il agir sur le monde ? Existe-t-il aujourd’hui des formes d’expression artistique qui détiennent la force de désir, le pouvoir d’action de réengager le spectateur dans le monde ? Existe-il dans notre paysage contemporain des laboratoires passionnés, des lieux de création qui ne traitent pas le spectateur en consommateur voire en patient résigné d’une génération en crise ? Pouvons-nous demeurer des consommateurs de cette crise alors même que nous savons que c’est au cœur des chaos que surgissent les formes nouvelles ? « Les temps ont changé » disent les pragmatiques. A défaut de changer le monde, l’art, le théâtre peuvent-ils nous donner la force d’un nouvel élan ? CE DOSSIER S’ADRESSE AUX ENSEIGNANTS TOUTES DISCIPLINES CONFONDUES, SOUCIEUX D’OUVRIR LEURS ÉLÈVES À CES QUESTIONS. IL COMPORTE : • Une Antisèche pour enseignants pressés. • Une découverte du Living et de son esthétique à travers des documents textuels, vidéos et iconographiques. Une contextualisation du Living dans l’histoire du théâtre et de la mise en scène. • Des activités d’écriture et de plateau pour explorer et s’approprier l’univers du Living Theatre et réfléchir à son implication dans notre monde moderne. • Une mise en perspective avec les autres formes d’expression artistique qui ont façonné les avant-gardes des années 70 : art plastique, musique et danse. • Une ouverture vers les grandes figures de l’expression contemporaine de la performance. Ces questions qui inquiètent notre actualité, le Living Theatre et le grand mouvement des avant-gardes des années 60-70 les ont non seulement soulevées mais les ont traduites par des spectacles qui ont changé durablement le visage de la création artistique. En repensant le travail l’acteur dont le corps libéré devient l’enjeu central, en réinvestissant le spectateur comme élément actif de la création, en invitant toutes les formes d’expression artistiques à travailler ensemble sur le théâtre, ce mouvement révolutionnaire qui puise sa puissance de colère dans l’effroi de la guerre du Viêt-Nam et de la guerre de Corée, est pourtant aujourd’hui presque oublié. SOMMAIRE > p. 3 Antisèche > p. 4 Le Living Theatre : vivre n‘est pas jouer ! Pour Stanislas Nordey, exhumer ces textes devenus introuvables, c’est réunir en un seul acte son double engagement de passeur de textes et de pédagogue : « Comment résonnent les mots de Julian Beck et Judith Malina ? Comment sont-ils encore vivants portés par de jeunes acteurs qui y trouvent des échos intenses dans leur propre chemin d’artiste en construction ? » > p. 7 À vous de jouer ! > p. 9 Stanislas Nordey et Living ! Pour nous aussi, ce spectacle est l’occasion de faire réfléchir nos élèves sur les pouvoirs de formation et d’action de l’art. Qu’ils puissent, en même temps qu’ils réfléchissent sur leur pratique, mieux comprendre d’où viennent les formes d’expression contemporaine dont ils sont témoins quand ils vont au théâtre. Comment un mouvement de ferveur politique et révolutionnaire tel que le Living Theatre a-til pu infléchir et bouleverser les formes contemporaines du spectacle vivant ? Peut-on encore penser le théâtre au cœur d’une action politique ? > p. 11 La scène, parcours des arts vivants : John Cage, Merce Cunningham, Allan Karpow et les autres… > p. 11 Happenings et performances dans le spectacle vivant d‘aujourd‘hui : quelques figures… > p. 13 Annexes textes > p. 18 Bibliographie sélective ^ En haut à gauche, Living !, mise en scène Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez / À droite, Le living Theatre © G. Mantegna 2 ZOOM ANTISÈCHE STANISLAS NORDEY Metteur en scène de théâtre et d’opéra, acteur, Stanislas Nordey est un homme des plateaux. Partisan du travail en troupe, il a été́, avec sa compagnie, artiste associé au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis de 1991 à 1995, avant de rejoindre, toujours avec sa troupe de douze comédiens, le Théâtre Nanterre- Amandiers, à la demande de Jean-Pierre Vincent qui l’associe à la direction artistique. De 1998 à 2001, il codirige avec Valérie Lang le Théâtre Gérard-Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis. En 2001, il rejoint le Théâtre national de Bretagne comme responsable pédagogique de l’École, puis comme artiste associé. Chacune de ses facettes lui permet de trouver un équilibre : le metteur en scène fait découvrir des textes au public, le comédien se donne physiquement à la pièce, le pédagogue assure le devoir de transmission. Stanislas Nordey se reconnaissant dans l’expression « directeur d’acteurs », ses mises en scène témoignent de la place essentielle qu’a, selon lui, le comédien : dépouillées, elles se concentrent sur le geste et la parole pour ne pas imposer au spectateur une lecture unique, mais lui laisser la liberté́ de construire sa vision de la pièce. Stanislas Nordey est venu au Festival d’Avignon avec Vole mon dragon d’Hervé Guibert en 1994, Contention-La Dispute de Didier-Georges Gabily et Marivaux en 1997, Das System de Falk Richter créé en 2008 et My Secret Garden cosigné en 2010 avec Falk Richter. En tant qu’acteur, on a également pu le voir dans Ciels de Wajdi Mouawad (2009) et dans Clôture de l’amour de Pascal Rambert (2011). En 2012, il a mis en scène Se trouver de Luigi Pirandello, et a présenté́ au festival Mettre en scène de Rennes Living ! d’après des écrits du Living Theatre. En 2013, il a monté Tristesse animal noir d’Anja Hilling à La Colline – théâtre national, Lucia di Lammermoor à l’Opéra de Lille et a été artiste associé du Festival d’Avignon, où il créait Par les villages pour la Cour d’honneur. LE LIVING THEATRE 1968. L’agitation gronde, pas seulement en France mais dans plusieurs endroits de la planète. En Allemagne de l’ouest, au Japon, en Amérique Latine, en Yougoslavie, jusqu’au festival d’Avignon où le Living Theatre avec son spectacle Paradise Now cristallise tout ce dont se nourrit cette contestation. Le Living Theatre est un groupe de comédiens qui vient des États Unis, ils vivent en communauté sous la direction éclairée de Julian Beck et de Judith Malina. Pour eux, la situation de 68 est prérévolutionnaire. Le paradis n’est pas à attendre mais à faire. L’acte théâtral donne la priorité au corps. Paradise Now se présente comme un exorcisme de la violence et de la libération sexuelle. Théâtre d’action politique où l’idéal anarchiste est clairement revendiqué, il puise sa colère dans l’impérialisme américain, dans le traumatisme de la Guerre de Corée et du Viet Nam, dans la revendication d’un droit à la contraception. Pour une nouvelle société il faut un nouveau théâtre : il ne faut pas séparer l’art de la vie et remettre en cause toutes les institutions de la classe dirigeante. La création est collective, entend donner la place à l’acteur, acteur de sa propre vie. La scène très inspirée de l’esthétique d’Antonin Artaud, conçoit l’élaboration de la pièce comme la pièce elle-même. Les spectateurs sont invités à rejoindre l’acteur. Beaucoup le font, ce qui confère à chaque séquence l’allure d’un happening. L’auteur est mis à l’écart comme le voulait Artaud. Le choc et l’émotion physique sont chargés d’éveiller à la conscience de soi mais par les fibres de la sensation. Entrer en soi dans ce qu’il y a d’instinctif vers ce qui nous relie au sacré. Le cri est plus actif qu’un discours littéraire. Derrière la représentation d’utopie, le Living Theatre a profondément contribué à bouleverser les repères du théâtre et contribué à dessiner le théâtre contemporain. Ses sédiments trouvent leur marque les plus flagrantes chez de grands metteurs en scène comme Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia. L’ÉCOLE DU THÉATRE NATIONAL DE BRETAGNE Crée en 1991, cette école fait partie des quelques formations publiques professionnalisantes au métier de comédien. Dans un contexte où les cours privés, souvent assez chers, fleurissent un peu partout, ces formations sont très recherchées. Les élèves qui intègrent l’école sont boursiers et bénéficient d’une formation de qualité pendant trois ans. L’entrée se fait sur concours ; une quinzaine d’élèves sont retenus chaque année. Depuis 2008, l’école a l’habilitation à délivrer un Diplôme National Supérieur Professionnel de comédien. L’école fonctionne en dialogue permanent avec le théâtre, c’est une de ses particularités, que l’on retrouve par exemple à l’école du Théâtre National de Strasbourg. En 2008, l’école signe une convention avec l’Université Rennes 2 qui permet de créer un enseignement commun, délivrant une licence en arts du spectacle pour les comédiens de l’école du TNB. Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez 3 LE LIVING THÉÂTRE : VIVRE N’EST PAS JOUER ! • Montrer aux élèves des extraits vidéos de Paradise Now > http://www.ina.fr/video/I00011946/vague-decontestation-au-festival-d-avignon-video.html >http://fresques.ina.fr/en-scenes/liste/recherche/ living%20theatre/s#sort/-pertinence-/direction/ DESC/page/1/size/10 • Recueillir leurs réactions et commentaires. Il est attendu ici que l’on travaille avec l’étonnement spontané des élèves habitués à des formes plus classiques de la théâtralité. On leur demandera de s’interroger sur leur état de déstabilisation en prenant soin de suspendre leur jugement. La situation de confusion qui se dégage du plateau est violente au point qu’on ne peut discerner véritablement si nous sommes dans un théâtre ou dans un espace réel. La confusion règne dans le rapport scène-salle où l’on voit clairement le public invité à étreindre les comédiens. Le malaise est rehaussé par la nudité et la profusion des corps que la stridence de la musique mêlée aux paroles incantatoires contribue à rendre encore plus confus. Agression ou invitation à la douceur ? Provocation ou exposition brute de notre propre vulnérabilité ? Où sont les frontières qui nous relient en tant que spectateur aux formes du théâtre et de la représentation ? Peut-on encore parler de théâtre ? C’est ici déjà l’occasion d’émettre une première réflexion sur la notion de Happening. La scène qui est montrée est-elle une re-présentation ou une présentation ? Peut-on parler d’interprétation et de jeu ? Quelle est la part d’imprévisible et d’improvisation ? Si l’on peut imaginer une mise en danger de l’acteur que dire du spectateur ? Est-ce que représenter c’est jouer ? Dans ce cas-ci peut-on parler d’une forme construite de jeu ? Ces questions qui tendent à faire définir la notion de happening et de performance peuvent être débattues sans pour le moment être fixées dans un domaine théorique. ^ Mysteries © G. Mantegna La comparaison avec les précédentes vidéos de Paradise Now est édifiante. Primauté donnée au texte littéraire. Jeu statique donné face public, diction lyrique, costumes classiques. Les acteurs jouent principalement face public et éclairés frontalement d’une simple lumière blanche. Le texte est interprété avec un certain lyrisme. Jean Vilar est plus préoccupé par la morale de son entreprise que par une recherche esthétique. Au terme de metteur en scène, il préfère celui de « régisseur ». L’illusion n’est pas recherchée et la scène est conçue comme un « ring ». On imagine le choc qu’a pu représenter la déferlante des transes corporelles et des invocations mystiques et dissonantes du Living Theatre. • Scandaleux le Living ? À quoi ressemble le paysage théâtral en 1968 ? À partir de recherches documentaires et des documents proposés (annexe 1) comprendre la situation du théâtre en France en 1968. On orientera les recherches des élèves autour de 4 axes. — Le Mouvement populaire de mai 68 et la révolution culturelle. — Jean Vilar, le théâtre populaire et la décentralisation. — Le scandale de Paradise Now au Festival d’Avignon en 68. — Bertolt Brecht et le principe de distanciation. • Institutions contre Provocations. Quel théâtre jouet-on en 68 ? Pour mieux faire comprendre la forme de théâtre contre lequel va violemment réagir le Living, on pourra montrer un extrait de La Guerre de Troie n’aura PAS lieu, mise en scène par Jean Vilar en 1963 et demander une comparaison avec les extraits déjà montrés de Paradise Now. > http://fresques.ina.fr/en-scenes/liste/recherche/ jean%20vilar/s#sort/-pertinence-/direction/DESC/ page/1/size/10 ^ Antigone © Horace 4 • Faire lire l’article du Jean-Paul Sartre du Nouvel Observateur. (Annexe 2 – document 2) Après quelques recherches sur Bertolt Brecht et le principe de distanciation, faire formuler les deux esthétiques qui entrent en conflit. ^ Paradise Now, le grouillement des corps © G. Mantegna ^ Illustration 1 – Le 24 mai tout est possible : la bourse de Paris est incendiée. Photo A.P L’article de Jean-Paul Sartre, aux aspects a priori anecdotiques, est éclairant : Jean-Paul Sartre met en avant le clivage fort qui anime la scène française entre un théâtre du « dire » soumis à la régie du texte, (Bertolt Brecht, de manière caricaturale est alors assimilé à ce mouvement) et un théâtre du « faire ». L’article traduit le changement culturel qui est en train de toucher l’enseignement. L’engagement fort des étudiants dans le choix du cours qui les relie puissamment à un désir de lier l’enseignement reçu à la vie concrète et aux préoccupations du monde contemporain. De même, l’attitude mieux que compatissante de l’enseignant est intéressante dans son refus du cours magistral : il s’efface au profit d’une volonté des étudiants de s’emparer par eux-mêmes de leur propre désir de connaissances. Cette anecdote reflète l’état d’une société qui rejette les figures patriarcales du savoir et de l’institution. ^ Antigone © Horace 5 poétique. Tonalité puissamment lyrique, parsemée d’images tantôt extrêmement réalistes tantôt hermétiques. La syntaxe est perturbée qui ne suit pas la logique normative de la phrase et se tient par de nombreux jeux d’ellipses et d’anaphores. — Poésie engagée teintée de colère revendicative mais aussi sensuelle aux intonations parfois érotiques, elle exprime la langue qui s’accomplit dans sa dimension performative : par son pouvoir de propulsion elle se dit dans sa puissance à changer le monde. Dire c’est plus que faire, dire c’est agir. FAISONS LE POINT Le milieu des années 60 marque un tournant dans l’engagement politique théâtral. Non pas qu’il ait été inexistant auparavant, bien au contraire, mais il prend une tout autre forme et marque le début d’une certaine désillusion face aux changements intervenus à la Libération. Les acteurs de la Décentralisation, très actifs dans les années 50, deviennent des hommes établis. La plupart ont obtenu des structures et des subventions, et la génération suivante, celle qui est née à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne se satisfait plus d’un théâtre qui lui semble à la fois trop classique et trop consensuel, pas assez combatif. À la suite du premier mouvement de Décentralisation, une nouvelle vague décide d’installer le théâtre dans les banlieuesdortoirs, au milieu des bidonvilles, dans une démarche résolument politique : penser un théâtre qui s’adresse aux ouvriers, aux travailleurs immigrés, à tous ceux qui sont tout en bas de l’échelle sociale. C’est le cas de Pierre Debauche et de sa compagnie, qui créent un festival à Nanterre, au milieu des bidonvilles, ou de Guy Rétoré qui met en place des navettes depuis Montreuil jusqu’à son théâtre. C’est dans cet esprit que le Festival d’Avignon est créé en 1947 par Jean Vilar et René Char : ouvrir les grands textes classiques au plus grand nombre. Le Living réagit violemment contre ce type de théâtre institutionnalisé, il réagit plus encore contre la tradition brechtienne qui a envahi la scène européenne. Sans entrer dans la complexité des théories brechtiennes il est important de comprendre le principe de distanciation critique que réfute le Living Theatre. Ce dernier revendique une adhésion puissante du spectateur avec le spectacle. La visée est toujours tout autant politique, mais quand Brecht voulait désaliéner le spectateur pour lui faire apparaître le réel comme transformable et non comme immuable, le Living lui, cherche à désaliéner le spectateur en l’engageant viscéralement comme être charnel. La cruauté en héritage : Comprendre les influences du Living Theatre. Après lecture du manifeste d’Antonin Artaud, demander d’établir des ponts et des parentés entre l’esthétique d’Antonin Artaud et celle du Living. L’esthétique d’Artaud est commune à celle du Living en ce sens où elle relève d’un double principe en apparence contradictoire : resacraliser la représentation et relier le théâtre à la vie. Si l’on considère la préface du Théâtre et son double, ce dernier se fait moins sous le signe du théâtre que sous le signe d’un questionnement de civilisation englobant la culture et le théâtre. Ce sont déjà deux points communs forts qui unissent Le Living et l’esthétique d’Artaud. Comme pour le Living, le fondement des réflexions d’Artaud s’appuie sur les conditions qui permettent le surgissement ou la résurgence avec la vie : « Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n’adhère plus à la vie » écrit A. Artaud. La place du théâtre se tient dans une articulation forcenée avec la vie : « il faut croire à un sens de la vie renouvelé par le théâtre. » Mettre à nu « les ressorts les plus secrets du cœurs » passe par le travail du corps et l’exploration de nouvelles pratiques culturellement étrangères. Pour Artaud il s’agit du théâtre balinais, pour le Living les pratiques se feront avec des traditions orientales, par la méditation, le yoga, les exercices de Joseph Chaikin. L’acteur à travers un entraînement qui vise à contrôler mentalement son corps et sa voix peut rendre compte d’un processus de la violence. Ainsi, les comédiens peuvent se plonger dans un état psychologique souvent proche de la transe afin de montrer de manière convaincante une violence simulée. Pour Judith Malina, il s’agit de « guérir le mal par le mal, de susciter une répulsion à l’égard de la violence». Faire observer les photos des représentations puis lire le florilège de citations et les extraits d’entretien avec Julian Beck et le Living. Demander aux élèves de reformuler le projet esthétique et philosophique du Living. On laisse les élèves réagir librement sur la puissance d’évocation des photos : expression qui libère la puissance des corps : violence revendicative des mouvements, exacerbation des efforts musculaires, mise en danger par les contacts charnels, voire par la nudité. L’individu est fondu dans un engagement collectif qui paraît total. Cette violence est-elle naturelle ou simulée ? D’où part l’énergie ? Comment les acteurs travaillentils pour entrer dans des états proches de la transe ? Poésie et révolution. La langue du Living. Faire lire aux élèves des extraits de poèmes de Julian Beck à haute voix. Comment ressentent-ils cette écriture ? Comment la caractériser ? Quelles difficultés pose-telle selon eux, à l’acteur, au spectateur ? (Annexe 3) < Antonin Artaud © Man Ray — Les textes apparaissent immédiatement dans leur forme 6 FAIRE LE POINT LE LIVING THEATRE ESTHÉTIQUE ET PRINCIPES écrivez votre propre manifeste pour un théâtre résistant. Vous utiliserez les formules récurrentes qui jalonnent le texte : « Nous croyons ; nous cherchons ; nous concevons.... ». Ce travail d’écriture peut par la suite faire l’objet d’un travail choral de mise en voix au plateau. • Un théâtre révolutionnaire qui repose sur l’exploration, dans la création collective, de la possibilité pour le théâtre de devenir l’espace d’une contre-culture, opposée aux références bourgeoises des classes dominantes. Cette révolution est à la fois une posture, une action et un jugement moral. • Le détour par l’ailleurs culturel permet de retrouver l’origine rituelle du théâtre dont la dimension sacrée se serait dissoute dans le divertissement ou l’intellectualisme. L’héritage d’Antonin Artaud est au cœur de ce principe. • Un théâtre fondé sur le corps et la recherche expérimentale : toujours sous l’influence d’Artaud le Living s’inspire largement des modalités d’expression en œuvre dans l’art visuel, dont la performance ou le happening sont les outils d’une puissance de déflagration qui se veut sans égale. • Le rapport au spectateur : le travail met en œuvre un rituel efficace qui se propose d’agir sur le spectateur. Transformer le monde capitaliste suppose de faire évoluer au préalable les rapports entre les hommes. La représentation se veut un événement partagé, elle doit devenir pour le spectateur l’occasion d’une expérience voire d’une expérimentation, un autre mode d’être et de sentir qui ne le restreindrait pas seulement au statut passif de spectateur mais au double statut d’acteur et de créateur. À VOUS DE JOUER ! ^ Illustration 2 – Le Living quitte le Festival d’Avignon, le Comité d’action affiche dans les rues sa déclaration de rupture © Donna Levy / ci-dessous © G. Mantegna « Et j’inventerai un théâtre qui agira sur le monde » ATELIER DE PRATIQUE THÉÂTRALE « PARADIS ! J’ÉCRIS TON NOM » Activités de plateau et jeux d’écritures pour s’approprier l’esprit du Living Theatre. Voici quelques propositions d’exercices et d’activités à mener de manière conjointe avec l’approche théorique. Il s’agit de proposer aux élèves de s’approprier l’écriture et l’esprit du Living Theatre tout en approfondissant leur réflexion personnelle sur les fonctions du théâtre. ATELIER D’ÉCRITURE : ÉCRIRE UN MANIFESTE POUR UN THÉÂTRE RÉSISTANT À la fin de Living !, mis en scène par Stanislas Nordey, Ambre s’interroge sur son pouvoir de jeune comédienne à redonner vie au théâtre dans une époque « où toutes les valeurs tant artistiques que morales semblent se fondre dans un abîme ». Elle cite alors cet extrait d’Artaud qu’elle considère à la fois comme un modèle et un manifeste. À la manière du Manifeste d’Antonin Artaud (Annexe 2 document 1) Demander aux élèves sous forme d’écriture automatique d’écrire des mots « manifeste» c’est-à-dire des mots pour eux porteurs d’une revendication pour la liberté d’expression. Au plateau, par groupes, réaliser ce mot sous forme d’image corporelle à la manière de l’image ci-dessus. 7 L’ensemble des mots-corps peut créer une image qui deviendra un manifeste. LA « PEAU-JEU-NOUS » Écrire un manifeste de peau. Demander aux élèves de rédiger un slogan ou une phrase courte revendicative. Chaque élève prend en charge un groupe de mot, un mot, une syllabe qu’il écrit soit à même sa peau, soit sur un pan de papier scotché sur un membre de son corps. Il s’agit de former une sorte de manifeste à taille humaine : un mot sur un membre du corps que vient prolonger un autre mot sur le corps d’un autre élève. L’ensemble forme une sorte de ribambelle chorégraphique où la phrase se construit selon l’agencement des corps. ATELIER THÉÂTRE ET ART PLASTIQUE : LE CORPS REVENDICATIF > En bas à gauche : • L’Enlèvement des Sabines de David. L’histoire de la peinture et des arts visuels est jalonnée de représentations où le corps s’expose comme arme revendicative. De la peinture baroque au nu surréaliste en passant par les tableaux politiques du romantisme, par exemple chez Delacroix. > Colonne de droite de haut en bas : • La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. • Couverture de la revue Hara-kiri, magazine satirique créé en 1960. > Steven Cohen : Performance pendant la destruction d’un bidonville à Johannesburg en 2009 © DR > Une photo de manifestation contre l’avortement du groupe féministe Femen devant le parvis de Notre Dame © DR On demandera aux élèves de chercher dans la peinture, la sculpture ou dans des photos prises dans l’actualité, des images où le corps sert d’instrument de revendication politique. Nous proposons ici à titre d’exemples quelques tableaux et photos qui peuvent servir de support d’étude. Le principe de l’exercice est le suivant : par groupes de 3 ou 4 préparer un scénario d’improvisation à partir d’une des images choisies. La narration doit représenter exactement, à un moment précis, l’image retenue. Pour un groupe plus initié on ajoutera la contrainte suivante : casser le rapport frontal à la scène et intégrer le spectateur au processus de jeu. 8 STANISLAS NORDEY ET LIVING ! Comparer les dispositifs scéniques de My Secret Garden, Clôture de l’amour et Par les Villages avec le dispositif de Living ! On retrouve de manière très sensible la même esthétique scénographique d’un spectacle à l’autre : espace contemporain, de nature indéterminé : une cage de scène entièrement fermée où l’on recrée le principe de la boite noire sans remise en question du quatrième mur; le fond de scène peut être surélevé et ouvrir sur une terrasse (Living !, Par les Villages) et/ ou habillé par un clyclorama (Living !, My Secret Garden) qui sert à rétroéclairer la scène en jouant sur des couleurs froides ou primaires très tranchantes. Dans Living ! le cyclorama qui projette une lumière rouge sang sert à rétroprojeter en ombres chinoises les silhouettes des jeunes comédiens. Pas de points de fuite, pas de possibilités de diversion, on peut parler d’un dispositif certes très esthétique mais minimaliste où le cadre de scène met en valeur l’espace vide qui laissera toute la place au corps de l’acteur. • Montrer un extrait de Clôture de l’amour, de et mis en scène par Pascal Rambert > http://www.theatre-video.net/video/Cloture-de-lamour-Pascal-Rambert-Avignon-2011-extraits • Et un extrait de My Secret Garden de Falk Richter mis en scène par Stanislas Nordey > http://www.festival-avignon.com/en/Archive/Spectacle/2010/39 • Demander de décrire le jeu de l’acteur, de caractériser la diction, la gestuelle très spécifique de Stanislas Nordey. Puis demander de commenter la phrase de S. Nordey extraite de Passions civiles en la rapprochant avec le type de jeu de l’acteur. « J’ai du mal à parler de théâtre, je parlerai plutôt de poésie. Le théâtre est poésie. De la poésie mise en voix et des corps qui l’incarnent. Qu’est-ce qui fait théâtre ? La poésie dialoguée » Ce qui surprend dans ce jeu c’est le caractère quasi déclamatoire de la parole. D’une mise en scène à l’autre S. Nordey ne semble pas incarner de personnage mais plutôt une parole comme si son corps était le porte-voix du texte. On remarquera avec quelle manière surprenante son bras rythme et scande la phrase, la dessine presque comme pour rendre visible par le geste la ligne d’écriture. ^ En haut : My Secret Garden, mise en scène Stanislas Nordey © Christophe Raynault de Lage / En bas : Clôture de l’amour, mise en scène Pascal Rambert © Christophe Raynault de Lage / Colonne de droite en haut : Par les villages, mise en scène Stanislas Nordey, Cour d’honneur du Palais des papes, Festival d’Avignon 2013 © Jean-Louis Fernandez; En bas : Living !, mise en scène Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez 9 Assurément le projet de Nordey est de ramener le théâtre à sa plus simple expression, qu’il s’agisse du rapport au texte ou de l’enjeu même de la scène. Pour lui, la mise en scène est essentiellement, voire presque uniquement le lieu où est transmis le texte, l’endroit où sont proférés et résonnent les mots portés par des acteurs qui sont des « interprètes » qui jouent frontalement. Le travail d’acteur ne repose pas sur un jeu psychologique recherchant une quelconque identification mais un travail qui vise à « scander la langue ». Il faut jouer le texte comme un « oratorio », servir la pensée de l’auteur devant laquelle la mise en scène doit s’effacer. Dans un patient travail de dévoilement et d’épure, le metteur en scène doit d’abord s’atteler à une démarche de déchiffrement. Stanislas Nordey définit sa pratique théâtrale comme une démarche ayant pour objectif « d’éclaircir, de dévoiler, de révéler. C’est comme quelqu’un qui nettoierait une plaque de hiéroglyphes et puis qui la décaperait petit à petit, avec juste l’obsession que l’on arrive à lire les hiéroglyphes, c’est tout » (Les citations sont extraites de Stanislas Nordey et Valérie Lang, Passions civiles, entretiens avec Yann Ciret et Franck Laroze, La passe du vent, 2000) • Lire et dire les textes du Living Theatre à la manière de Stanislas Nordey. Demander aux élèves de choisir un extrait de leur choix parmi les textes sélectionnés en annexe. Dessiner un point fixe au sol où se tiendra le lecteur sans jamais bouger de sa situation et faire travailler la lecture de manière à faire entendre le texte dans ses rythmes et sonorités en favorisant le travail gestuel. A la manière de Nordey, faire sentir que le corps tout entier est au travail, dans la tension musculaire d’une immobilité mobile au service unique de la mise en voix du texte. On pourra d’ailleurs écouter l’intervention d’Emmanuelle Béart, qui rend compte de la difficulté́ à entrer dans la partition proposée par Stanislas Nordey • Étudier l’affiche du spectacle et la signification du titre. Que peut-on attendre de la mise en scène de S. Nordey ? Que traduisent le titre et le sous-titre ? À quels aspects du Living Theatre peuvent-ils renvoyer ? Peut-on déjà émettre des hypothèses sur les intentions de mise en scène de Stanislas Nordey ? – L’utilisation du titre : aspect performatif du verbe + la forme exclamative jouent sur le principe d’un état de l’action au présent. La forme exclamative dénote une variation qui peut aller de l’enthousiasme à la colère en passant par la revendication ou la révolte. Les élèves peuvent librement choisir l’intention émotionnelle que traduit le tour exclamatif. Ces relevés peuvent faire l’objet d’une exploration au plateau de ses divers états émotionnels. > http://www.festival-avignon.com/fr/Archive/ Renc/2013/1043 – Le sous-titre : une citation de Julian Beck qui place le théâtre sur la scène du monde et place le théâtre dans sa mission politique. FAISONS LE POINT – La dimension plastique de la mise en page, le caractère vif et tranché des couleurs ainsi que le choix de la calligraphie apparentent l’affiche à un tract politique. En faisant jouer les 15 jeunes comédiens du TNB, Nordey se place ici en « passeur ». Assurément il ne faut pas attendre de la représentation de Living ! qu’elle propose une « performance » à la manière des happenings du Living Theatre. Les pistes de lecture dévoilent que la représentation jouera moins sur des situations que sur une mise en voix et en espace des textes. Dans ce cas on parlera plus de lecture mise en espace que de mise en scène à proprement parler. – Le nom du metteur en scène apparaît sous les noms des auteurs qui est valorisé par une graphie en caractère gras. Cela déjà traduit un certain effacement du metteur en scène qui se met au service du texte. 10 LA SCÈNE, PARCOURS DES ARTS VIVANTS : JOHN CAGE, MERCE CUNNINGHAM, ALLAN KARPOW ET LES AUTRES… HAPPENINGS ET PERFORMANCE DANS LE SPECTACLE VIVANT AUJOURD’HUI : QUELQUES FIGURES… Dans la mouvance du Living on voit émerger sur le continent américain des formes qui revendiquent clairement une esthétique de l’hybridation. Events, happenings ont ainsi réuni en leur temps des musiciens, plasticiens, acteurs, chanteurs, danseurs sans idée de hiérarchie entre les arts. Il s’agit même de nier toute forme d’autonomie entre les arts qui deviennent dès lors perméables, favorisant ainsi des créations collectives pour ouvrir un nouveau champ expérimental. Parmi les figures centrales de ce mouvement qui va faire bouger les lignes du spectacle vivant il faut citer le musicien John Cage et le danseur-chorégraphe Merce Cunningham. Dès 1952 au collège de Black Montain en Caroline du Nord ils réalisent les premiers events. Les events consistent en une juxtaposition d’événements artistiques qui mêlent conférences, installations plastiques, des lectures de poèmes, des récitals, des performances de musique concrètes, des chorégraphies. Le document vidéo suivant peut donner une idée de l’association artistique de Merce Cunningham et de John Cage. Pourquoi lorsqu’on va au théâtre la plupart des spectateurs sortent en disant : «j’ai aimé ce spectacle » ? Pourquoi n’entend-on presque plus « J’ai aimé cette pièce de théâtre » ? Ce terme est-il compassé, trop littéraire, trop restrictif ? Assurément le paysage de la scène contemporaine a changé. Il suffit simplement de consulter la dernière plaquette de la programmation in du festival d’Avignon pour vérifier qu’on ne monte plus que très peu de textes classiques ou de textes dits classiques contemporains. Auteurs, plasticiens, chorégraphes, vidéastes, circassiens partagent l’affiche avec metteurs en scène et comédiens qui sont tout autant chanteurs que danseurs. La preuve est faite que le syncrétisme entre les arts a eu lieu et que le théâtre le porte magnifiquement sur les planches. Mais, le plus souvent la performance ne constitue plus un spectacle à part entière mais s’intègre dans une création écrite et fixée. Parmi les grandes figures de la scène contemporaines nous proposons ici quelques noms qui sont une invitation à découvrir des artistes héritiers du théâtre d’Artaud et de cette grande mouvance des avantgardes des années 70 dont le Living Theatre est une figure de proue : Roméo Castelluci, Jan Fabre, Angelica Liddell, Jan Lauwers. > http://www.youtube.com/watch?v=jQTFZNm3dE4 D’autres artistes jalonnent ce champ artistique : Allan Karpow qui en 1959 exécute 18 happenings in 6 parts à la galerie Reuben de New York. Assez vite, ce mouvement au demeurant très expérimental est associé sur un mode plus ludique à la culture du « pop art » américain qui part du principe que toute production humaine peut être incorporée au phénomène artistique comme matériau. Les Happenings de Claes Oldenburg sont restés célèbres pour cela : spectacles ouverts où les spectateurs sont largement invités à participer, il n’y a plus de système clos et autonome entre dramaturgie, langage corporel et vocal, utilisation des supports et des genres. La notion de théâtre devient alors obsolète ; on parle alors de Performance. Comme le Living Theatre insère des morceaux de jazz dans ses spectacles, Robert Wilson emprunte aux arts visuels et aux principes de hasard et d’indétermination propres à John Cage. On connaît l’étroit partenariat qu’il mène avec Philip Glass pour la création d’Einstein on the Beach en 1976. On pourra faire regarder un reportage intégral sur la création d’Einstein on the Beach. http://www.youtube.com/watch?v=b26E0D2pm1c Ainsi la manière dont l’événement théâtral joue de l’hybridation et inclut le public à l’intérieur d’un système participatif signale bien que le spectacle vivant qui se crée sous nos yeux n’est pas né de rien et se nourrit des modèles fondés par les avant-gardes des années 60-70. 11 > De haut en bas : • Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu © Klaus Lefebvre/ Festival d’Avignon > Colonne de gauche, de haut en bas • Jan Fabre, Je suis sang © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon • Angelica Lidell, Todo el cielo sobre la tierra (El síndrome de Wendy) © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon "Sur le concept du visage dufils de Dieu" de Romeo Castellucci © KLAUS LE F E BVR E Le F estival d'Avignon. • Jan Lauwers, Place du marché 76 © Christophe Raynault de Lage / Festival d’Avignon Ian F abre - Je suis sang © Christophe Raynaud de Lage / F estival d'Avignon Todo el cielo sobre la tierra (El síndromede Wendy) Angelica Lidell © Christophe Raynaud de Lage / F estival d'Avignon Place du marché 76 - Jan Lau wers - © Christophe Raynault de Lage / F estival d'Avignon 12 ANNEXES 13 consentement. Tu ne peux pas aller trouver un spectateur et lui mettre le doigt dans l’oreille. ANNEXE 1 Extraits d’entretiens avec le Living Theatre tirés de Jean-Jacques Lebel, Entretiens avec le Living Theatre, Paris, Belfond, 1969 H.H. : Et pourquoi pas. C’est une question d’intensité réelle. Si cette intensité fait défaut, c’est la faute de l’acteur ; quand nous descendons dans la salle dans Antigone, il ne faut pas s’arrêter avant d’avoir vu sur leurs visages que les spectateurs sont complètement liquidés en tant que simples témoins oculaires et qu’ils sont pris. DOCUMENT 1 P. 13 « Nous espérons que notre théâtre va désintéresser les gens du monde où ils vivent et que le résultat de l’interaction entre les acteurs et le public, le résultat de l’expérience théâtrale, fera qu’ils quittent la société où ils vivent pour en créer une autre. D’un côté nous rêvons d’un théâtre si puissant que les gens le quittent pour s’engager dans la révolution, d’un autre côté on espère que le travail que nous accomplissons sert les besoins du public et le guide vers une action politique qui les aide à sortir de leur camisole de force » D.S. : Il faut travailler le public comme un tout, pas comme des individus, parce que cela leur permet de se désengager, de fuir, de se replier sur leur petit ego chéri au lieu d’en sortir et d’éclater. DOCUMENT 3 INTERVIEW DE GENÈVE – EXTRAIT Jean-Jacques Lebel : Il y a 6 mois, à Cafalu, pendant les répétitions de Paradise Now, Judith disait : « La pièce ne sera jamais assez politique ». Depuis, il y a eu le festival d’Avignon, où la pièce a été créée et aussitôt interdite pour des raisons politiques ; il y a maintenant les 6 représentations à Genève, qui ont provoqué, elles aussi, des manifestations quoique moins importantes que celles d’Avignon ; enfin, vous partez tous bientôt aux USA, où vous continuerez à jouer Paradise Now et où d’inquiétantes aventures vous attendent à coup sûr. C’est arrivé, le souhait de Judith a été exaucé. DOCUMENT 2 P. 68-69 Ruffus Collins : Je voudrais que nous fassions une pièce qui se sépare des rites inhérents, que nous trouvions un nouveau rituel pour nous emmener là où nous voulons aller. Pour moi, le paradis est un désir de continuer à vivre. Renaître dans un champ d’expériences neuf. Pas une reprise de toutes ces choses qui nous ont amené où nous sommes maintenant. Oubliez les. Elles n’ont pas transformé les hommes. Trouver quelque chose de nouveau qui puisse transformer mille ou deux mille personnes chaque soir. Julian Beck : Et nous en sommes tout à fait enchantés. Nous nous rappelions ce mot de Judith il y a quelques jours, et cela nous semble de loin le meilleur et le plus important élément de Paradise Now. Ce qui nous préoccupe le plus en ce moment, c’est de renforcer et de clarifier Paradise Now en tant qu’action politique. A Avignon, et à moindre degré à Genève, nous avons bénéficié d’une énorme collaboration de la part de certains éléments du public, maintenant nous nous demandons comment faire lorsque nous devrons affronter un public ordinaire et passif, comme en Suède, par exemple. Que faire d’un public qui ne réagit pas ? J’en reviens à une question fondamentale : A quoi sert le théâtre ? A répondre aux besoins du peuple. Cela fait des années que nous travaillons dans ce sens, et aujourd’hui ses besoins semblent être qu’on l’aide à trouver des moyens d’action directe Dorothy Shari : Un exercice dont le sujet serait le public tout entier. C’est vraiment possible. On peut vraiment planer. Avec Antigone, nous y sommes presque. R.C. : C’est tout à fait ça, je pense. Qu’on les force à se lever et à ressentir, et alors on les aura transformé. Leur injecter une force vitale. Henry Howard : Cela implique qu’on leur foute une terrible raclée psychique. Un assaut sensuel total. Judith Malina : On ne peut pas faire ça sans leur 14 et concrète, des moyens d’action politique. Cela fait plusieurs décennies que la plupart des gens en occident ont été politiquement inactifs et passifs, sauf à quelques rares et brefs moments. Par contre, il devient évident aux yeux de tous que nous sommes en train d’assister à la naissance d’un mouvement politique d’importance mondiale. Les événements de mai-juin en France font partie d’un tout, d’une crise générale. temps normal, ne permet pas. L’urgence débarrasse de la peur, on devrait être conscient de cette urgence en permanence et de ce que chaque minute est vivante, même lorsqu’un conflit social n’est pas en train d’éclater. J-J.L. : Dirais-tu qu’il y a en ce moment la découverte collective sur une très large échelle, de ce que l’action publique, politique peut être l’un des moyens les plus puissants, les plus efficaces et les plus exaltants d’expression et de création ? La réinvention collective des codes et des comportements ? J.B : Sans aucun doute. Tout à coup on s’aperçoit que la vie peut être considérée comme une œuvre d’art adaptable à nos visions sinon transformable à volonté. Il y a une exaltation de l’action politique directe qui défonce physiquement, qui transforme la vie quotidienne en fête, et pour moi les évènements de mai juin en France ont été d’abord une fête révolutionnaire qui a permis à tous ses participants de vibrer et de rayonner au-delà d’eux-mêmes. DOCUMENT 4 SUR LA RÉVOLUTION SEXUELLE P.160 -161 J-J.L. : Et je me souviendrai toute ma vie de ce couple qui faisait l’amour sur le toit de l’Odéon, un soir où il y avait de très violente bagarres en bas, dans la rue, et où les grenades lacrymogènes ou les cocktails Molotov explosaient dans tous les coins. Nous étions montés sur le toit à quelques uns pour asperger la rue avec une lance à incendie afin de faire tomber les gaz, mais ça ne les a pas dérangé du tout. Partout, pendant ces deux mois, il y avait cette atmosphère de transgression et de libération qui est celle de la véritable fête. J.B : C’est un fait que la révolution ne commencera à se réaliser que lorsque simultanément la révolution sexuelle aura lieu. Dans les périodes d’urgence et d’explosion, il y a toujours une libération physique. Il y a un engagement total du corps et une disponibilité à l’autre et la création collective que la société, en 15 n’avons pas peur du néant. Il n’est pas de vide dans la nature que nous ne croyions l’esprit humain capable à un moment donné de combler. On voit à quelle terrible besogne nous nous attaquons ; nous ne visons à rien moins qu’à remonter aux sources humaines ou inhumaines du théâtre et à le ressusciter totalement. ANNEXE 2 DOCUMENT 1 Extrait de Manifeste pour un théâtre avorté d’Antonin Artaud cité par Ambre à la clôture de « Living ! » Nous ne croyons pas, nous ne croyons plus qu’il y ait quelque chose au monde qui se puisse appeler le théâtre, nous ne voyons pas à quelle réalité une semblable dénomination s’adresse. Une confusion terrible pèse sur nos vies. Nous sommes, nul ne songerait à le nier, au point de vue spirituel, dans une époque critique. Nous croyons à toutes les menaces de l’invisible. Et c’est contre l’invisible même que nous luttons. Nous sommes tout entiers appliqués à déterrer un certain nombre de secrets. Et nous voulons justement mettre à jour cet amas de désirs, de rêveries, d’illusions, de croyances qui ont abouti à ce mensonge auquel nul ne croit plus, et qu’on appelle par dérision semble-t-il : le théâtre. Nous voulons parvenir à vivifier un certain nombre d’images, mais des images évidentes, palpables, qui ne soit pas entachées d’une éternelle désillusion. Si nous faisons un théâtre ce n’est pas pour jouer des pièces, mais pour arriver à ce que tout ce qu’il y a d’obscur dans l’esprit, d’enfoui, d’irrévélé se manifeste en une sorte de projection matérielle, réelle. Tout ce qui appartient à l’illisibilité et à la fascination magnétique des rêves, tout cela, ces couches sombres de la conscience qui sont tout ce qui nous préoccupe dans l’esprit, nous voulons le voir rayonner et triompher sur une scène, quitte à nous perdre nousmêmes et à nous exposer au ridicule d’un colossal échec. Nous n’avons pas peur non plus de cette sorte de parti pris que notre tentative représente. Nous concevons le théâtre comme une véritable opération de magie. Nous ne nous adressons pas aux yeux, ni à l’émotion directe de l’âme ; ce que nous cherchons à créer est une certaine émotion psychologique où les ressorts les plus secrets du cœur seront mis à nu. Nous ne pensons pas que la vie soit représentable en elle-même ou qu’il vaille la peine de courir sa chance dans ce sens. Vers ce théâtre idéal nous nous avançons nousmême en aveugles. Nous savons partiellement ce que nous voulons faire et comment matériellement nous pourrions le réaliser, mais nous avons foi en un hasard, en un miracle qui se produira pour nous révéler tout ce que nous ignorons encore et qui donnera toute sa vie supérieure profonde à cette pauvre matière que nous nous acharnons à pétrir. Nous ne cherchons pas à donner comme cela s’est produit jusqu’ici, comme cela a toujours été le fait du théâtre, l’illusion de ce qui n’est pas, mais au contraire à faire apparaître aux regards un certain nombre de tableaux, d’images indestructibles, indéniables qui parleront à l’esprit directement. Les objets, les accessoires, les décors mêmes qui figureront sur la scène devront être entendus dans un sens immédiat, sans transposition; ils devront être pris non pas pour ce qu’ils représentent mais pour ce qu’ils sont en réalité. La mise en scène, proprement dite, les évolutions des acteurs ne devront être considérées que comme les signes visibles d’un langage invisible ou secret. Pas un geste de théâtre qui ne portera derrière lui toute la fatalité de la vie et les mystérieuses rencontres des rêves. Tout ce qui dans la vie a un sens augural, divinatoire, correspond à un pressentiment, provient d’une erreur féconde de l’esprit, on le trouvera à un moment donné sur notre scène. En dehors donc du plus ou moins de réussite de nos spectacles, ceux qui viendront à nous comprendront qu’ils participent à une tentative mystique par quoi une partie importante du domaine de l’esprit et de la conscience peut être définitivement sauvée ou perdue. Antonin Artaud, 13 novembre 1926 On comprend que notre tentative est d’autant plus dangereuse qu’elle fourmille d’ambitions. Mais il faut bien que l’on se pénètre de cette idée, que nous 16 DOCUMENT 2 ANNEXE 3 Article de Jean-Paul Sartre, Le Nouvel Observateur, 17 mars 1969. Le passage du rire au faire. Un chargé de cours à Nanterre demande à ses élèves de quoi ils souhaitent parler avec lui... « Du théâtre contemporain ». La semaine suivante, ayant longtemps travaillé : « Voulez-vous qu’on parle de Brecht ? » Explosion. « Brecht, cette vieille potiche ! Pourquoi pas Racine ? » Bon, dit le professeur, alors que diriez-vous du Living Theatre ? Pourquoi pas ? Ont dit les étudiants. Mais le Living Theatre, on ne le commente pas : on le fait. Et ils ont commencé à se déshabiller. Eh bien, a conclu le professeur en se retirant vous n’avez pas besoin de moi. » Je tiens à préciser que ce chargé de cours était très populaire : la scène que je viens de rapporter n’était pas dirigée contre lui. Mais il ne faudrait pas non plus y voir je ne sais quel tumulte sans rime ni raison. Ici s’oppose clairement deux conceptions de la culture, dont l’une reste malgré tout théorique et dont l’autre, obscure encore, a une signification pratique ; les étudiants voulaient bien apprendre le Living Theatre, mais pour eux cela signifiait apprendre à faire. Les extraits reportés dans cette annexe sont issus des textes sélectionnés pour le spectacle. Sans plus de précisions données, ils sont tirés de trois textes de Julian Beck : La Vie du Théâtre, Chants de la Révolution et Théandrique. Nous respectons ici la mise en page établie par le TNB. LIVING ! EXTRAIT 1 Anaïs. Nous voulons transformer l’énergie de mort en énergie de vie la violence en création chacun doit être libre de manger la révolution veut arrêter toutes les guerres tous les combats la révolution veut donner à chacun la possibilité de planer si vous ne voyez pas que la vie est sacrée tout simplement je n’ai pas confiance dans votre conception du monde aussi longtemps que vous croyez que c’est bien de tuer nous ne planerons pas nous ne pouvons pas nourrir les morts nous ne pouvons pas arrêter la guerre par la guerre nous voulons nous débarrasser de la contrainte tous les fusils contraignent toutes les tueries sont antirévolutionnaires antipoésie antivie antiamour et antimatière les pauvres sont d’une brûlante beauté parce qu’ils ne portent pas de fusils comme la police les ignorants et les misérables sont d’une brûlante beauté parce qu’ils ne sont pas corrompus par l’envie c’est-à-dire qu’ils ne pensent pas ne possèdent pas ne savent pas comme les classes corrompues par la richesse ce sont eux les gens la révolution ne corrompt pas les gens la révolution n’enseigne pas comment tuer comme l’armée la révolution enseigne d’autres choses nous sommes en 1968 je suis un réaliste magique je vois les adorateurs du che je vois les noirs forcés d’accepter la violence je vois les pacifistes désespérer et accepter la violence je vois tout tout tout corrompu par les vibrations 17 vibrations de violence de la civilisation qui détraquent le seul monde que nous ayons je vois la souffrance des noirs dans mon propre pays et la souffrance de tout le tiers monde et j’ai vu la violence du système qui fabrique la souffrance des sous privilégiés et nous devons détruire ce système le système pas les hommes on ne peut pas vaincre le système en le copiant on ne peut pas tuer un meurtrier sans en devenir un d’une certaine façon on ne peut pas arrêter la violence par la violence tu veux libérer les pauvres tu veux tu as besoin de faire quelque chose pour faire quelque chose tu choisis la violence parce que les gens aux cœurs tendres s’imaginent qu’ils font quelque chose quand ils font quelque chose de violent il y’a d’autres façons de faire les choses de libérer les pauvres allons viens nous sommes intelligents nous révolutionnaires nous devons savoir cela tout mon théâtre mes poèmes toutes les incantations à la révolution sont des ratages s’ils ne consument pas par le feu la violence et chassent la violence avec des armées d’amants étendrons limpides et affamés Le problème de la distribution de la nourriture en affaiblira la cause Mais le parfum des sexes libérés Et le temps glorieux à l’automne Gardera nos verges dressées Quand la révolution viendra C’est à la proue que tu seras et le vent salé soufflera sur Ton visage Pendant des centaines d’années tu as rêvé de l’océan Maintenant tu es mouillé LIVING ! – EXTRAIT 3 Marie. MARIE être libre n’est qu’un état d’être partiel la liberté n’est que le commencement toute action créatrice naît d’une certaine liberté rien de supportable ne se passe sans une certaine liberté après qu’on l’a obtenue il y a du travail magnifique à faire personne jamais tout à fait libre encore je conteste la théorie du suicide tout ce que nous voulons maintenant c’est la liberté le paradis numéro un c’est l’oiseau homme femme liberté le paradis numéro un marche librement le paradis numéro deux se sent libre le paradis numéro deux est libre de se soucier d’autre chose être libre c’est être libre de la faim être libre c’est être libéré des privilèges et de la volonté de la loi la volonté extérieur de l’état par exemple le paradis numéro trois se soucie de choses dont nous ne pouvons pas encore nous soucier le paradis tout de suite c’est comment y arriver le paradis numéro quatre c’est comment être et comment ne pas être il n’y a qu’une existence partielle avec ou sans liberté au paradis on est libre le paradis n’est pas tout ensuite vient le paradis numéro cinq puis le numéro six et ensuite peut-être le paradis numéro soixante c’est parce que nous savons ces choses que nous révolutionnaires portons le nom de réalistes LIVING ! – EXTRAIT 2. Karine. Après la révolution il y aura du vin sous les arbres Il y aura des formes d’amour taillées comme la grande ourse Quand je dirai que mon amour est né d’un autre monde Je dirai la vérité Je me plongerai la tête profondément dans ta vulve noire comme le vin Les lèvres humides comme le clapotis de l’eau salée Lorsqu’elle roule au-delà de mes oreilles Se replie sur mon cou et je respirerai longuement Le pain sera rare et tous en mangeront Quand la révolution viendra Le roman sera fini Mais qu’est-ce qui est commencé Après la révolution Lorsque nous serons tous épuisés comme des amants J’irai de tous mes doigts peloter publiquement le charcutier Toi et moi nous nous 18 DOSSIER PÉDAGOGIQUE LIVING ! BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE LIVING ! SUR LA TOILE Articles critiques sur Living ! SUR LE LIVING THEATRE > http://www.theatre-contemporain.net/ spectacles/Living/ensavoirplus/ > Julian Beck, Theandric, Julian Beck Last Notebook. Traduction française de Fanette et Albert Vander, Théandrique ou la possibilité de l’utopie, L’Harmattan, 1998 > http://theatre.blog.lemonde. fr/2012/12/14/pas-facile-de-donner-vie-auliving-theater/ > Julian Beck, The Life of the Theatre. Traduction française de Fanette et Albert Vander, La Vie du théâtre, Gallimard, NRF, 1978 > http://blogs.rue89.com/ balagan/2012/12/10/revivifiant-etrevigorant-recours-aux-textes-du-livingtheatre-229117 > Christian Biet, Olivier Neveux, Une histoire du spectacle militant ; Théâtre et cinéma militants (1966-1981), L’Entretemps, 2007 (ISBN 2912877636) CONTACTS > Pierre Biner, Le Living Theatre. Histoire sans légende, La Cité, Paris, l’Âge d’homme, Lausanne, 1968 Dossier réalisé par Amélie Rouher, professeur de lettres correspondant culturel auprès de la Comédie, missionné par le rectorat [email protected] > Les Voies de la création théâtrale, tome 1, Grotowski Barba Living Theatre, Open Theatre, V. Garcia et Arrabal, éd. CNRS, 2003 > Jean-Jacques Lebel, Living Theatre, éditions Belfond, Paris, 1969 > Stéphanette Vendeville, Le Living Theatre, de la toile à la scène 1945-198513, L’Harmattan, 2008 (ISBN 2296049095) contact scolaire Laure Canezin, chargée des relations avec les publics [email protected] t. 0473.170.180 SUR STANISLAS NORDEY > Stanislas Nordey et Valérie Lang, Passions civiles, entretiens avec Yan Ciret et Franck Laroze, Éditions La Passe du Vent, 2000 > Frédéric Vossier, Stanislas Nordey, locataire de la parole, Les solitaires intempestifs, 2013 20